mardi 13 juillet 2010

Quelques précisions sur le Jnanalokalamkara

A la fin du chapitre sur le perfectionnement de la lucidité, Gampopa souligne l'importance de l'attention à la vacuité et comment celle-ci contient tous les autres vertus à un degré supérieur, sans vouloir remplacer les autres vertus par la seule attention à la vacuité. Pour appuyer ce point de vue, il fournit de nombreuses citations, parmi lesquelles figure un passage particulièrement quiétiste dit être extrait de "L'Ornement de la lumière de la connaissance qui introduit l'objet de tous les Bouddhas" (S. Jñānālokālaṃkārasūtra T. ye shes snang ba rgyan gyi mdo), dont David Dubois a traduit une sélection d'extraits.

Gampopa dans Le précieux ornement de la libération :
"Si la culture de l'essence ou du principe conscient (S. cittatva), comprend toutes [les pratiques], pourquoi [le Bouddha] a-t-il enseigné tant de méthodes graduelles ? Pour guider les êtres de moindre fortune qui sont confus quant au mode réel des choses (S. tathatva). Extrait du Jñānālokālaṃkārasūtra :

"L’exposition des causes et des conditions
Et l’enseignement sur l’approche (‘jug pa) graduelle
Ont été énoncés comme des expédients (upāya) destinés aux êtres confus.
Comment pourrait-on approcher graduellement
Ce dharma spontané ?"[1]
David a indiqué n'avoir trouvé rien de semblable à cette citation dans le texte en sanscrite publié par la bibliothèque universitaire de Goettingen.

Ce même même passage est cité également dans l'Entrée simultanée dans la non-différenciation (T. cig car 'jug pa'i rnam par mi rtog pa'i bsgom don) de Vimalamitra avec la suite des vers cités.
"Qui pourrait voir une image accidentelle
Dans leur être qui transcende les extrêmes ?
On ne peut en affirmer la moindre chose.
A cet instant le mental est comme l’espace
Et son domaine (S. gocara) est identique à celui du buddha[2].
Gampopa n'a pas cité la suite que l'on trouve dans la citation par Vimalamitra. Il a choisi un extrait d'un tantra, mais qui a la même portée que le passage cité par Vimalamitra.
Extrait du Mahāsaṃvarodayatantrarāja (T. bde mchog sdom pa 'byung ba)
"Ainsi, moi, tel l'espace,
J'ai trouvé la liberté permanenté."
En vérifiant la version tibétaine du Sarvabuddhaviṣayāvatārajñānālokālaṃkāra, je ne trouve pas non plus ni le passage cité par Gampopa et Vimalamitra, ni la suite citée par Vimalamitra. Ce passage n'existe donc ni dans la version sanscrite de Goettingen, ni dans la version tibétaine du Kangyur de Dégé. Il est possible que Gampopa l'ait cité directement du texte de Vimalamitra et qu'il ait remplacé la deuxième partie de l'extrait par une citation équivalente issue d'un tantra. S'il disposait d'une traduction tibétaine de ce sūtra, ce n'était pas la version du Kangyur de Dégé, mais peut-être la même que celle dont disposait Vimalamitra. Il faut préciser qu'à l'époque de Gampopa, il n'existait pas encore de Tripiṭaka (Kangyur et Tengyur) tibétain.

La version tibétaine du Sarvabuddhaviṣayāvatārajñānālokālaṃkāra nāma mahāyānasūtra[3], intitulé 'phags pa sangs rgyas thams cad kyi yul la 'jug pa ye shes snang ba'i rgyan ces bya ba theg pa chen po'i mdo, avait été traduite par l' upādhyāya indien Surendrabodhi et une équipe de traducteurs tibétains parmi lesquels figurait Yéshé Dé (T. zhu chen gyi lo tsa ba ban d+he ye shes sde la sogs pas). Yéshé Dé vivait à la fin du 8ème et au début du 9ème siècle. Disons que la traduction tibétaine date du début du 9ème siècle. Vimalamitra aurait vécu au 8ème siècle avant la traduction officielle de ce sūtra.

En revanche, il existe encore une version chinoise du même sūtra, intitulé Ta ch'eng ju chu fo ching chieh chih kuang ming chuang yen ching, traduit par Dharmarakṣa/Fa-hu d'origine yuezhi (indo-scythe), qui était actif d'environ 266 à 308. Il était né à Tunhuang autour de 230[4] dans une famille de commerçants capable d'offrir à leurs enfants une éducation chinoise (bouddhisme et taoisme). Parti à la recherche de textes dans l'ouest, il apprit 36 langues. Il traduisit environ 150 œuvres en chinois, parmi lesquels le sūtra du lotus.

Il n'est pas exclu que Vimalamitra eut accès à la version chinoise. Il faudra rechercher les passages cités dans celle-ci pour vérifier. Mais l'existence de différentes versions en sanscrite ou en tibétain n'est pas exclue non plus.

Klaus-Dieter Mathes mentionne le commentaire (Sekanirdeṣapanjikā[5]) de Ramapala (un disciple d'Advayavajra) dans lequel celui-ci cite le Jñānālokālaṃkārasūtra :
" Les facteurs mentaux du non-engagement mental sont efficaces/vertueux, ceux de l'engagement mental ne le sont pas "
Advayavajra cite le même passage dans son Amanasikāroddeśa[6]. En sanscrite cela donne : "amanasikārā dharmāh kusalāh / manasikārā dharmā akusalāh"[7]. Klaus-Dieter Mathes précise que le seul passage, dans la version de Goettingen qui puisse lui correspondre est : "saṃkṣiptena sarve 'kuśalā manaskārāḥ saṃkleśasya hetuḥ, sarve kuśalā manaskārā vyavadānasya hetuḥ //" (JAAS 94,14-15).
Ramapala cite un deuxième passage du Jñānālokālaṃkārasūtra :
" Hommage à toi qui est libre de constructions mentales, dont l'intellect ne s'appuie [sur rien], qui est libre de remémorations, qui ne s'engage pas mentalement et qui est libre de tout connaissable."[8]
Ce passage contient dans un seul verset les trois termes clés du système d'Advayavajra : apratiṣṭhita (T. rab tu mi gnas pa), asmṛty (T. dran pa med pa) et amanasīkāra (T. yid la mi byed pa).
Il est évident que ce sūtra est d'une importance capitale dans les systèmes d'Advayavajra et Gampopa.


***

[1] Dans l'édition de Padmakara cela se trouve à la page 272
[2] « Bouddho » signifie : « Ce qui sait et qui est éveillé » Ajahn Liem dans Sans inquiétude http://www.dhammadelaforet.org/sommaire/liem/liem_questions_reponses.html
[3] http://www.sub.uni-goettingen.de/ebene_1/fiindolo/gretil/1_sanskr/4_rellit/buddh/jnalokau.htm
[4] Buddhist Conquest of China the Spread and Adaptation of Buddhism ..., Volume 2
Par E. Zucher p. 5
[5] Klaus-Dieter Mathes, Can Sutra Mahamudra be justified? C'est un commentaire sur texte n° 24. dbang nges par bstan pa d'Advayavajra.
[6] yid la mi byed pa ston pa
[7] On le retrouve encore dans le commentaire su les distiques de Saraha : yid la byas na mi dge ba yin la/ yid la ma byas na dge ba yin pas/ dge ba nga yis nges par yang dag mthong*/ p. 276:2
[8] (JĀA 71) avikalpitasaṃkalpa apratiṣṭhitamānasa / asmṛty amanasīkāra nirālamba namo 'stu te // 12 //


Textes tibétains correspondants

Tibétain Wylie Gampopa :
'o na ngo bo'am sems nyid gcig pur bsgom pa la de dag thams cad 'dus na/thabs kyi rim pa mang du gsungs pa dag 'byung ba ci ltar yin zhe na/gnas lugs la rmongs pa'i skal pa dman pa rnams 'khrid pa'i phyir te/ye shes snang ba rgyan gyi mdo las/rgyu rkyen 'brel par bshad pa dang*//rim par 'jug pa bstan pa yang*//rmongs pa rnams la thabs su gsungs//lhun gyis grub pa'i chos 'di la//rim gyis ong ba ci zhig yod//ces gsungs so//

Tibétain 2ème citation Gampopa:
bde mchog sdom pa 'byung ba las kyang*/'di ltar bdag nyid mkha' mtshungs ltar//rtag tu grol ba'i bdag nyid thob|/ces gsungs so/

Tibétain citation de Vimalamitra:
rgyu rkyen rten 'brel bshad pa dang/ /rim gyis 'jug pa bstan pa ni/ /rmongs par nams la thabs su gsungs/ /lhun gyis grub pa'i chos de la/ /rim du sbyar ba ci zhig yod/ / mtha' las 'das pa'i rang bzhin la//gong bur 'du shes su zhig lta/ /cung zad du yang khas blangs med/ /de tse sems ni nam mkha' ste/ /sangs rgyas dang ni spyod yul gcig/ /

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