dimanche 9 octobre 2011

Intuition sans empreintes ni caractéristiques



Maitrīpa, et Gampopa après lui, affirment que le Bouddha véritable est le corps spirituel (S. dharmakāya) et que les deux corps formels sont les manifestations naturelles et indifférenciées de celui-ci. Il n’est pas besoin d’édifier les corps formels, ce serait comme poursuivre un mirage. Rongzompa partage la même idée et a beaucoup écrit à ce sujet. L’idée que le Bouddha n’a pas d’intuition peut sembler incongrue (surtout si on traduit jñāna par sagesse), mais Rongzompa donne un éclairage intéressant de ce que cela veut dire. Rongzompa aussi parle de l’intuition naturellement présente (T. rang byung ye shes), mais contrairement à l'évolution ultérieure du Dzogchen et de la Mahāmudrā son approche, comme celle de Gampopa, est beaucoup moins interventionniste. L’intuition naturellement présente suit son propre chemin. Il n’y a pas de tentative de la capter et de la conduire. Voici un extrait du Grand traité sur l'état de bouddha (T. sangs rgyas kyi sa chen mo) de Rongzompa (Almogi 2009 p. 393-394).

Certains[1] disent que les qualités éveillées ne sont que l'élément spirituel (S. dharmadhātu) authentique. Du point de vue du Tathāgata, celui-ci n'inclue ni l'intuition non discursive (S. avikalpa) ni l'intuition existentielle authentique. Il n'est pas non plus doté de l'intuition des vérités authentique et superficielle, ni de corps formels que l'on peut ramener au corps de délectation (S. saṃbhogakāya) et au corps fonctionnel (S. nirmāṇakāya).

L'intuition d'un bouddha telle qu'elle est (S. yathā-bhūta) ressemble à la conscience des êtres [ordinaires]. A ceci près que, lorsqu'elle se manifeste sous les caractéristiques (S. lakṣaṇa) d'un savoir (T. shes shing rig pa = shes rig), elle peut prendre une apparence dualiste ou non. En fonction des empreintes (S. vāsanā), elle sera établie comme une simple apparence, ou bien si elle est prise pour l'apparence telle qu'elle apparaît, elle sera une méprise. Mais même si elle n'est pas ainsi au niveau des êtres [ordinaires] elle reste toujours authentique. C'est pourquoi elle est appelée l'intuition naturellement présente.

Extrait du Gaṇḍavyūhasūtra :
« Même si un nombre inconcevable
D'univers périra par le feu
L'espace lui ne sera pas détruit
Il en va de même pour l'intituition naturellement présente
. »
Comme il est dit dans cette citation, la conscience (S. citta) reste inchangée par les caractéristiques du savoir et en cela elle est comme le principe du Tathāgata. A une différence près : au niveau d'un être ordinaire et en fonction des empreintes de la méprise, se produit l'apparence d'un sujet et d'un objet par la perception de la discursivité. Mais celle-ci est dépourvue de réalité.

Pour les êtres [partiellement] émancipés (S. ārya) qui voient la vérité, [l'intuition naturellement présente] se produit pendant l'absorption (S. samāhita) sous les caractéristiques de la non discursivité. Cette autoconnaissance (T. rang rig pa nyid) qui émerge par la force des empreintes (S. vāsanā) sous les caractéristiques de l'autoconnaissance n'est pas conforme (T. ma bzhin). Car en émergeant sous les caractéristiques du savoir, ce sera de nouveau une méprise.

Les Tathāgata [en revanche] ont cessé totalement l'implication[2] de [toutes les] empreintes, et comme ils sont à l'abri de la production même sous les caractéristiques du savoir, ils sont [devenus] l'élément spirituel (S. dharmadhātu) authentique. Ainsi, ils n'obtiennent rien qui soit différent de la nature de la conscience des êtres [ordinaires], hormis justement que la nature de la conscience telle quelle est soit [devenue] telle qu'elle est.

Voilà ce qu'ils affirment.

***


[1] Ces « certains » sont les adeptes de la doctrine de l’absence de fondation de tous les phénomènes (S. apratiṣṭhānavāda T. chos thams cad rab tu mi gnas pa), parmi lesquels se classe l’auteur Rongzompa.
[2] Mtshams sbyor : Selon Almogi les interconnections entre les mots et les thèmes

Texte tibétain Wylie


gang zag kha cig na re sangs rgyas pa'i chos ni/ chos kyi dbyings rnam par dag pa tsam ste/ de bzhin gshegs pa nyid kyi dbang du ni/ rnam par mi rtog pa'i ye shes dang/ dag pa ‘jig rten pa'i ye shes kyis bsdus pa/ don dam pa dang kun rdzob kyi bden pa'i yul can gyi ye shes dag dang longs spyod rdzogs pa dang/ sprul pa'i skus bsdus pa'i gzugs kyi sku dag kyang mnga' ba ma yin no// sangs rgyas kyi ye shes ji lta ba bzhin du/ sems can gyi sems kyang de dang 'dra ste/ 'on kyang shes shing rig pa'i mtshan nyid du skye ba ni/ zung 'dzin du snang yang rung/ mi snang yang rung ste/ bag chags kyi dbang gis snang ba tsam grub pa yin la/ snang ba ni ji ltar snang yang 'khrul pa yin te/ de bzhin du yod pa ma yin pas sems can gyi dus na yang rnam par dag pa yin te/ des na rang byung gi ye shes zhes kyang bya ste/ 'di ltar sdong po bkod pa'i mdo las/
'jig rten khams mang la la dag//
 bsam gyis mi khyab tshig gyur kyang//
 nam mkha' 'jig par mi 'gyur bzhin//
 rang byung ye shes de bzhin no//

zhes gsungs pa lta bur sems kyang shes rig gi mtshan nyid 'gyur ba med pas/ de bzhin gshegs pa nyid dang 'dra ste/ 'on kyang bye brag ni/ sems can gyi dus na 'khrul pa'i bag chags kyi dbang gis rnam rtog gi shes pa gzung ba dang 'dzin par snang skye'o//
'on kyang de bden pa ma yin no/ 'phags pa bden pa mthong ba rnams la/ rnam par mi rtog pa'i mtshan nyid du mnyam par bzhag pa'i skabs su skye ste/ de yang rang rig pa nyid bag chags kyi stobs las byung ba rang rig pa'i mtshan nyid du ma bzhin/ shes rig gi mtshan nyid du skye bas/ 'di yang 'khrul pa'i shes pa'o//
de bzhin gshegs pa rnams ni/ bag chags kyi mtshams sbyor ba yongs su zad pas/ shes rig gi mtshan nyid du skye ba tsam dang yang bral te/ chos kyi dbyings mam par dag pa nyid du gyur pas/ sems can gyi sems kyi rang bzhin las khyad  par du byung ba thob ni 'ga' yang med kyi] sems kyi rang bzhin ji lta ba yin pa de lta ba nyid du gyur par zad do//
zhes 'dod do/

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