vendredi 29 juin 2012

De premiers bilans



Les choses bougent pas mal sur les forums bouddhistes anglophones. Depuis l'arrivée de différents types de bouddhisme en occident dans les années 70 et 80, une première génération (de babyboomers) a vécu avec le bouddhisme, a pu le tester façon ehi passiko [1] dans la pratique et, avec la vieillesse et la mort qui s'approchent, commence à faire un premier bilan. Ça déménage pas mal !

Il n'y est plus question des différents scandales, des abus de pouvoir, de quelques pommes pourries (diverses listes circulent, p.e. celle-ci) dans un système autrement merveilleux. Non, c'est le système lui-même qui est désormais remis en question. Il y avait bien eu une réunion de maîtres bouddhistes orientaux et occidentaux autour du Dalai-Lama à Dharamsala en 1993, mais qui avait servi principalement de rappel à l'ordre. Il y était cependant suggéré déjà que le Dharma devait "se transformer selon les conditions qu'il rencontre en Occident" (point n° 6).

Stephen Batchelor, qui était présent à cette réunion, fut un des premiers à s'attaquer à des dogmes fondamentaux du bouddhisme. Il avait débuté dans le bouddhisme tibétain, était passé au bouddhisme Song coréen, en passant par Goenka, pour publier Un bouddhisme libéré de croyances (1997) et développer sa propre approche, qui se veut un bouddhisme séculier. Il y en a eu d'autres par la suite. On trouve des "faiseurs de bilan" dans quasiment toutes les écoles de bouddhisme. J'aimerais bien à mon tour faire un bilan des faiseurs de bilan, mais le temps me manque. Je me limiterai à en présenter quelques-uns, que j'apprécie. Mes excuses à eux pour avoir tenté de raccourcir (et peut-être caricaturer) leur pensée en quelques phrases... Lisez leurs blogs.

David Chapman, un "geek bouddhiste", proche de la lignée tibétaine "féminine" Aro, qui remonterait à Yéshé Tsogyel, et qui avait été fondée en 1909 par la terteunne (T. gter gton) féminine Aro Lingma. Il s'attaque à la forme consensuelle qu'ont prise les différents bouddhismes en occident et qu'il appelle "bouddhisme consensuel". Dans son article "Now you something say" il dresse un bilan assez sévère du "bouddhisme tibétain d'exportation" en occident.
"- Des platitudes consensuelles du style “il est sympa d'être sympa
- De la métaphysique médiocre
- Des superstitions médiévales
- De la culture folklorique tibétaine
- La répétition incessante de textes qui ont perdu leur sens depuis des siècles
- Des rituels vides de sens, dont la fonction principale est de lever des fonds
"[2]
Il propose de développer un style de tantra nouveau, éventuellement mais pas nécessairement sans rituels. Il semble cependant toujours assez preneur des phénomènes de lignée de transmission et de maîtres transmetteurs.

Plus radicale et plus philosophique, la bande de Glenn Wallis ("Der Unbuddhist" Matthias Steingass "Are Buddhists stupid?", Tom Pepper "Running from Zombie Buddhas" ....) et leur "non-bouddhisme spéculatif", qui propose un genre de "tabula rasa". Le bouddhisme X, la pratique de la méditation, la tendance "mindfulness" etc. y sont entièrement déconstruits, pour voir ce qui pourrait bien émerger des ruines par la suite. Sans doute pas entièrement sans provocation, ni à prendre au premier degré... Ceux qui sont incapables de penser sont priés de s'abstenir. Très intéressant et à suivre. Voir aussi mon blog "Chantiers (suite)".

Moins provocateur, mais rigoureux et érudit, les "divagations" ("raves") de Jayarava, membre de l'ordre bouddhiste Triratna, qui (Jayarava pas l'ordre) depuis peu commence à esquisser sur son blog un "bouddhisme post-iconoclaste" où le bouddhisme pourrait apporter les éléments ci-dessous à la société :
"- Faire attention à toute expérience.
- Réduire les contributions ("input"), réduire la recherche du plaisur
- Se calmer
- Développer de l'empathie et de la bonne volonté.
- Etre un membre moral d'une communauté morale.
- Apprendre à supporter les infortunes, la bêtise et les trahisons
- Etre plus attentif à toute expérience à la lumière de 2,3,4,5 & 6.
- Progressivement s'en tenir à son système afin de ne pas réagir constamment aux sollicitations continues des plaisirs
."[3]

La liste de faiseurs de bilan est loin d'être exhaustive. Et sur le web francophone ?

MàJ170712 Blog (en anglais) Buddhism sucks , autoconfession de Jayarava : Why I still am a Buddhist?
Le point commun entre toutes ses critiques, sévères et non sans provocation, du bouddhisme semble être la difficulté de vraiment lui tourner le dos une fois pour toutes...

***
Illustrations : Iconoclastes


[1] Venez voir ! L'invitation du Bouddha pour tester ce qu'il enseigne.
[2] Consensus “it is nice to be nice” platitudes
Bad metaphysics
Medieval superstitions
Tibetan folk culture
Long-winded reiteration of texts that lost their meanings centuries ago
Empty rituals, often functioning mainly as fundraisers
[3] What we bring to the party is a program which can address some of the problems, particularly of over-stimulation and alienation.
Pay attention to experience.
Reduce input, reduce pleasure seeking
Calm down.
Cultivate empathy and goodwill.
Be a moral member of a moral community.
Learn to forbear with misfortune, stupidity & betrayal
Pay closer attention to experience in light of 2,3,4,5 & 6.
Gradually retrain your system so that we don't constantly respond to the constant pull of pleasure.

7 commentaires:

  1. Merci pour cet article et ses liens, qui vont dans le sens de mon opinion personnelle.

    Je pense toutefois qu'il ne faut pas oublier 2 choses :

    1) Les maîtres qui viennent en occident perpétuent une tradition ancrée dans leur culture. Leur ritualisme parfois désuet n'est pas forcément une preuve de mauvaise volonté de leur part, mais bien souvent une impossibilité de se remettre en question, qui plus est s'ils sont entourés de groupies New Age comme on en rencontre souvent.

    2) La critique des maîtres ou écoles me semble parfois relever de l'ego. En effet, celui-ci cherche toujours la petite bête pour éviter d'être la cible de pratiques parfois très difficiles (p'owa, dzogchen, sesshin de nuit ou pendant une semaine, etc.). Critiquer un maître ou une école pourrait être alors vu comme une échappatoire.

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  2. Bonjour Philippe,

    Merci de votre réaction. Je suis d'accord avec votre point (1), encore davantage compliqué par la situation tibétaine. Une culture en exil est d'abord préoccupée par sa propre survie, ce qui est une réaction normale. Ensuite, bien que le bouddhisme ne soit pas une religion de révélation au départ, il en a quand même pris certaines caractéristiques en adoptant la tradition indienne de commentaire ou de glose. Les textes canoniques ou considérés comme tels sont alors traités comme des révélations, dont seule l'interprétation (commentaire) peut être changée. Les véritables débats ont alors lieu entre commentaires ou traités. S'ajoute encore à cela, la classification en textes canoniques "à interpréter" et de "sens précis". Ce sont loin d'être les seuls facteurs, il y en a encore d'autres susceptibles d'empêcher ou de freiner des remises en question et des adaptations.

    Plusieurs lamas éclairés ont déjà dit, en privé ou en public, que c'est aux européens/occidentaux de prendre en main l'implantation de "leur" bouddhisme. Donc l'attitude de "groupie" serait de toute façon à abandonner. L'image du bol ouvert et propre dans lequel on n'a que verser ce qu'on veut y verser est selon moi une image utopique. Ce n'est pas en s'identifiant à un bol ouvert, même avec la meilleure volonté du monde, qu'on le devienne. Et de notre époque il est conseillé de bien regarder les ingrédients et les additifs etc. versés dans ce bol pour éviter des effets indésirés. Comme un orfèvre examine de l'or, dirait le Bouddha. Nous sommes en dernier responsables de nos actes, paroles et pensées, gardons donc notre sens critique.

    Un égo, une volonté, est limitée par un autre égo/volonté. Que faire dans ce cas ? Tenter de s'imposer malgré l'opposition, céder...? Quand on ne prend pas sur le plan personnel, une confrontation de volontés, on peut être créatif et chercher à passer par d'autres voies, là où il y a des ouvertures. Mais cela demande de l'ouverture et de la créativité, ce dont le bouddhisme a toujours été capable vue son évolution. C'est du travail, et il n'y a pas de raccourcis. Dans certain cas, l'opposition à une volonté contraire peut être nécessaire et intéressante pour une prise de conscience. Mais ce ne sera toujours que le début du travail. On ne peut pas dire qu'en règle générale tout égo doit être attaqué de front ou opposé. Les diverses méthodes habiles ne sont pas des moyens magiques qui fonctionnent en dépit de la situation. Ce n'est pas comme dit Blaise Pascal, faites les gestes de la foi et vous croirez. Ce ne sont que des moyens, des astuces, qui ne peuvent fonctionner que quand il y a une véritable relation suivie. A défaut d'un tel travail, et d'une telle rélation, les méthodes en elles-mêmes ne réussiront sans doute pas.

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    1. Merci Janus pour ces précisions auxquelles j'adhère également. La situation tibétaine est effectivement un problème majeur pour arriver à extraire des enseignements tibétains la substantifique moelle. L'attitude quelque peu bigote de certains (qui arrivent parfois à réciter des prières entières en tibétain tout en ne comprenant pas un traître mot de cette langue !) a malheureusement tendance à décrédibiliser cette voie qui, pourtant, recèle d'incroyable joyaux.

      Quant à l'ego, il est effectivement la cible mais également la flèche, nulle doute qu'il est bien utile. D'ailleurs, ne pourrait-on dire "pas d'ego sans Ego" ? A méditer :)

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  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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    1. A propos de la lignée Aro de Ngak'chang Rinpoche, une information intéressante : elle concerne la présentation qui est faite d'un enseignement de Kyabjé Dudjom Rinpoche, mettant en valeur ledit Ngak'chang Rinpoche.

      http://aroencyclopaedia.org/shared/text/n/ngondro_ar_03_dudjom_eng.php

      A confronter avec le 4e post de ce fil :
      http://sangha.leforum.eu/t1048-La-Vue-Dzogchen-des-Ngondro-Tantriques.htm

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  4. Tout est critiquable. Puisse chacun trouver la pratique qui améliorera le monde ! Je ne comprends pas ceux et celles qui, las d'une situation, cherchent à en créer une autre qui souffrira d'autres défauts, anciens ou nouveaux, ad infinitum... Nous avons tant d'os superbes à ronger: rongeons alors, ô Janus, Philippe et les autres !

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  5. « Ne suivez pas mon enseignement par vénération, mais si vous le retenez que ce soit en l’ayant mis à l’épreuve de l’expérience. Tout comme on suce la moelle, après avoir scié les os, les avoir plonges dans l'eau bouillante et les avoir fait bien mijoter.»

    Adaptation très libre ("la langue dans la joue") d'après le Bouddha...

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