dimanche 15 juillet 2012

Baratter du logos, ou la production laitière du bonheur




Les recueils ou « trésors » de distiques (S. dohākoṣa T. do ha mdzod) sont devenus un véritable genre au Tibet. Le dohā est un mètre, un « type de vers caractérisé par le nombre et la nature des pieds »[1]. Le dohā est dérivé, selon M. Jacobi, du mètre dohdaka. Shahidullah[2] observe que généralement le mètre dohā (–vv, –vv, –vv, v || –vv, –vv, –v) est dérivé du mètre dvipathā, mais que le mètre dodhaka donne une meilleure dérivation et en même temps indique la source du mètre dohāTāranātha (1575-1634) écrit :
« Certains traduisent « doha » par « vers » ou « stances » (S. gāthā, śloka). D’autres par « impérissable » ou « illimité » (T. mi zad pa S. akṣaya, aparyanta). Sakya Pandita a dit à ce sujet : « Le terme indien ‘doha’ signifie en tibétain ‘libre, et sans artifice’ ». On pourrait donc traduire par « vers spontanés ». De nombreuses [sources] tibétaines anciennes expliquent que [doha] a le sens de « remplir ». Ainsi, Seigneur gzhon nu dpal du monastère de rtse thang[3] a écrit le raisonnement (sādhaka) suivant : « Le terme indien ‘duha’ signifie ‘traire’. ‘du’ [signifie] aller en paire (T. dor ‘gro ba), dans le sens d’augmenter. Par exemple remplir un récipient en tirant beaucoup de lait. » C’est conforme au sens de ‘uṅṭara’ ??? (T. ung Ta ra[4]) qui confond les gens et notamment, à partir de son sens de remplir et de traire, qui a dû progressivement être mésinterprété (T. log tu sgrub). C’est tellement recherché que cela en devient incorrect et me semble devoir être laissé de côté. ‘Koṣa’ signifie trésor. Voici le sens du titre [dohākoṣa]. » [5]
Le véritable sens de « dohā » s’est donc perdu au Tibet avec le temps. Mais les significations de « remplir » et « traire » laissées de côté par Tāranātha restent intéressantes.

Le mot ‘doha’ vient de la racine ‘duh_’ qui signifie « qui tire profit de — m. traite, extraction; lait; avantage, gain; succès ». On y retrouve quasiment toutes les significations de l’explication de Tāranātha. Les dohākoṣa sont considérés comme des chants spontanés de réalisation, comme on les retrouve par exemple chez le poète tibétain Milarepa. Les tantras comme par exemple le Hevajra Tantra enseigne des observances (S. caryā) qui comprennent des chants et des danses comme une expression de joie (chapitre I.6 :10, ou II.4). Quand les chants sont réussis, on devrait entendre le cri de l’oie sauvage, le bourdonnement d’une abeille ou à distance le son d’un chacal.[6] On pourrait conjecturer que le fait d'entendre un « bourdonnement » (S. praṇava) indiquerait que le chant et la façon de laquelle il fut chanté, serait entièrement en accord avec le son primordial, ou s'y résorbe. Évidemment, dans la vie de Marpa, quand celui-ci vient de terminer sont chant, on entend le chacal ainsi que toutes sortes de bruits.[7] Il n’est pas impossible que la collection de chants de Munidatta portant le titre « Caryāgīti », traduite par Per Kvearne, étaient destinés à être chantés lors de banquets. Le commentaire indique un rāga pour chaque chant.[8]

Cette notion de chants de réalisation spontanés vient sans doute de l’idée que les siddhas devaient s’abreuver à la même source que les visionnaires védiques (S. ṛṣi) et qu’ils recevaient les mêmes grâces. Les éclairs d’intuition (S. dhī), au-delà de toute perception empirique, qu’eurent les visionnaires védiques, et les visions (S. dhīḥ) qu’ils reçurent ainsi sont souvent comparées par ceux-ci à une vache. Indra et Varuṇa sont comparés aux deux taureaux d’une vache, amateurs de dhīḥ et fertilisant et générant la Parole divine. Les hymnes que chantèrent les visionnaires inspirés par leur vision gonflent, comme les pis d’une vache laitière se gonflent de lait, jusqu’à atteindre les dieux immortels, leur rapportant ainsi des centaines de richesses variées.[9]

Le nectar d’immortalité (S. a-mṛta T. bdud rtsi) est à la fois l'immortalité que le nectar (S. soma) qui rend immortel les dieux qui le consomment. Toute offrande faite aux dieux dans des rituels de sacrifice devient le breuvage sacré "soma". Les rétombées du soma offert ne rendent pas immortels, mais leur donnent une longévité (S. viśvāyus) et pleins d’agréments ici et maintenant.

Dans le bouddhisme mahāyāna, le Seigneur de la Parole (S. vag-iśvara T. ngag gi dbang phyug) est Mañjuśrī, dont la syllabe-germe est dhīḥ (voir l'illustration) également la syllabe-germe de la perfection de la lucidité (Prajñāpāramita). Le mantra associé est Oṃ arapacana dhīḥ. La lettre oṃ correspond au son primordial et pour fonction de rectifier l’énonciation du mantra. Jayarava a expliqué sur son blog qu’arapacana est le nom de l’alphabet (peut-être imaginaire), mentionné dans le Sūtra de la Perfection de la lucidité en 25.000 lignes (Pañcaviṃśatisāhasrikā Prajñāpāramita Sūtra). Il s’agit tout simplement des premières lettres de cet alphabet. Jayarava explique que selon ce sūtra :

"A conduit au savoir que toutes les choses sont non-produites (Anutpannatvād) depuis l’origine ;
RA conduit au savoir que toutes les choses sont libres de passion (RAjas) ;
PA conduite au savoir que tous les dharma ont été exposés selon leur sens ultime (PAramārtha) ;
CA conduit au savoir que la déchéance (Cyavana) ou la naissance de toute chose est insaissable puisqu’elle ne déchoit ni ne naît
NA conduit au savoir que, bien que les noms (ma) de toutes les choses se soient évanouies, que la nature propre derrière ces noms ne s’acquièrt et ne se perd pas."

Le mantra se termine par la syllabe dhīḥ qui est répétée jusqu’à ce que l’on n’ait plus de souffle. Ou jusqu’à ce que l’éclair de l’intuition ne jaillisse...
Mañjuśrī est d'ailleurs souvent représenté comme un jeune homme de seize ans assis sur un large lotus blanc se dressant au-dessus de l'océan de lait. L'océan de lait qu'il faut baratter pour en extraire le beurre, le nectar d'immortalité, le dhīḥ, la conscience éveillée (S. bodhicitta)...

Shantideva donne un autre exemple :


Fin de chapitre 3 du Bodhicaryāvatāra

28. Comme un aveugle trouve un joyau (S. ratnam) dans un tas d’ordures,
Je ne sais pas comment, la conscience éveillée (S. bodhicitta) est née en moi.
29. Elle est l'élixir de jouvence (S. rasāyanam) qui détruit la mort (S. mṛtyu) du monde
Elle est le trésor inépuisable (S. akṣayam) qui élimine le sens de manque du monde.
30. Elle est le meilleur remède pour guérir la maladie du monde
Elle est l'arbre qui abrite le monde, lassé d’errer sur les chemins du devenir
31. Elle est le pont qui permet à tous les êtres de traverser les mauvaises destinées
Elle est la lune de la conscience réfléchie[10] (S. citta) qui se lève pour rafraichir l'ardeur des passions (S. kleśa) du monde,
32. Elle est le grand soleil (S. mahāravi) qui chasse (S. prot sāraṇa) les ténèbres (S. timira) de la non-reconnaissance (S. ajñāna) du monde
Elle est l'essence du beurre que l'on extrait en barattant le lait du Dharma authentique (S. saddharma)
33. À tous les gens du monde voyageant[11] sur les chemins du devenir et qui désirent le bonheur (S. sukha)
C'est elle [la bodhicitta] qui leur permettra de s'approcher (S. upasthita) de la grande distribution de bonheur (S. sukhasattram[12]), où ce sont les êtres qui sont comblés comme invités de marque
34. Aujourd'hui, devant tous les Protecteurs, c'est à l'éveil (S. sugatatvena) que j'invite les êtres,
Et, en attendant, au bonheur. Que les dieux et les asuras s'en réjouissent !

***

[2] P. 62
[3] Je ne sais pas s’il s’agit de 'gos lo tsA ba gzhon nu dpal (1392 - 1481), qui avait en effet étudié à Tsethang. « Tsetang (aussi Tsedang ou Tsethang; z: Zêtang) est un village situé à 159 km au sud-est de Lhassa dans la région autonome du Tibet en Chine. Tsetang fut la capitale de la dynastie Yarlung et, comme telle, un endroit de grande importance ». http://lecenacle.forum-actif.net/t1774p495-himalaya
[4] Peut-être : Und und v. [7] pr. (unatti) pp. (unna, utta) abs. (-udya) mouiller, arroser; jaillir, couler; être humide || lat. unda; slave voda; ang. water; all. Wasser; fr. onde. Ou encore unnaddha [pp. unnah] a. m. n. f. unnaddhā lié | délié; illimité; démesuré, excessif; arrogant.
[5] Collected works of Taranatha (blocks preserved in the library of the stog palace in Ladak, 1985, vol. 9 pp. 931-990), commentaire du doha du mahasiddha Krsnâcarya p. 848, (bibliothèque du Collège de France). [848 :3] :Do ha ni ‘gyur byed ‘ga’ zhig gis tshigs su bcad pa dang*/ kha cig gis mi zad pa ces par bsgyur zhing*/ sa skya paṇḍita’i zhal na re/ rgya skad do ha zhes bya ba// bod skad lhug pa ma bcos pa// ces gsungs pa ltar yang yin te// don shugs ‘byung gi tshig ces bya’o// bod rnying mang po [849] zhig/ gang ba’i don du ‘chad pa la// rtse thang pa rje gzhon nu dpal pas ni sgrub byed ‘god de/ rgya skad la/ do ha ‘jo ba la ‘jug/ du dor ‘gro ba ni chen por song ba’i don yin pas/ ‘o ma lta bu mang du bzhos pas snod gang lta bu’o/ zhes ‘chad kyang*/ ud-ta ra’i bshad pa bzhin du/ gzhan dag mgo rmongs byed du ‘dug pa dang*/ khyd par du yang*/ gang ba’i don ‘jo ba nas rim pas skor log tu sgrub dgos pa ha cang thal zhing mi ‘grigs bzhin du sgrigs pa ‘phongs pa’i rgyu kho nar snang ngo// ko ṣha ni mdzod do/ de ltar na mtshan gyi don no/
[6] « The call of a swan and the hum of a bee is to be heard after the song is over. In the outer garden of the assembly ground the sound of a jackal should also be noted. » (S. rutaṃ haṃsasya bhṛṃgasya śūyate gītaśeṣateḥ/ gomāyor api śabdañ ca bāhyodyāne tu lakṣayet//). The Concealed Essence of the Hevajra Tantra, G.W. Farrow et I. Menon p. 210
[7] Marpa, maître de Milarepa, sa vie, ses chants, traduit par Christian Charrier p. 142
[8] Caryāgīti, Per Kvearne, p.8
[9] Rig-Veda2.2.9 evÁ  no  agne  amRteSu  pUrvya  dhÍS  pIpAya  bRháddiveSu  mÁnuSA/ dúhAnA  dhenúr  vRjáneSu  kAráve  tmánA  shatínam  pururÚpam  iSáNi// C’est le dieu Agni, du sacrifice, qui est adressé dans ce passage. 

[10] La lumière du soleil éclaire la lune qui réfléchit une lumière indirecte, qui a pour effet de rafraichir.
[11] Jana = gens, sārtha = caravane
[12] T. nyer gnas = S. upasthitaṃ. Un sattra est un grand rituel védique, une série d’oblations à Soma, qui pouvait durer de 13 à 100 jours. Ce terme signifie aussi un refuge, un asile. Shantideva procède à une substitution systématique de tous les rituels (védiques et autres) effectués pour obtenir des faveurs et de retombées de soma, par la seule bodhicitta comme panacée. Même le plus grand rituel védique, le sattra, qui durait une grande partie de l’année et qui comportait la distribution d’aumônes. Ce ne sont pas les dieux à qui les oblations de soma sont adressées en leur qualité d’invités de marque, mais ce sont désormais les êtres qui sont les invités de marque (T. 'gro‘ chen) à qui ce bonheur est présenté, comme le résultat de la conscience éveillée/soma. Cut out the middleman. Qu’en diront les dieux ? Eh bien, qu’ils s’en réjouissent !     
Voir aussi par exemple L'ordre Des Mots Dans L'aitareya-brahmana 

Texte tibétain Shantideva

Fin de chapitre 3 du Bodhicaryāvatāra

28. long bas phyag dar phung po las//
ji ltar rin chen rnyed pa ltar//
de bzhin ji zhig ltar stes nas//
byang chub sems 'di bdag la skyes//
29. 'gro ba'i 'chi bdag 'joms byed pa'i//
bdud rtsi mchog kyang 'di yin no//
'gro ba'i dbul ba sel ba yi//
mi zad gter yang 'di yin no//
30. 'gro ba'i nad rab zhi byed pa'i//
sman gyi mchog kyang 'di yin no//
srid lam 'khyams shing dub pa yi//
'gro ba'i ngal bso'i ljon shing yin//
31. 'gro ba thams cad ngan 'gro las//
sgrol bar byed pa'i spyi stegs yin//
'gro ba'i nyon mongs gdung sel ba'i//
sems kyi zla ba shar ba yin//
32. 'gro ba'i mi shes rab rib dag//
dpyis 'byin nyi ma chen po yin//
dam chos 'o ma bsrubs pa las//
mar gyi nying khu phyung ba yin//
33. 'gro ba'i mgron po srid pa'i lam rgyu zhing //
bde ba'i longs spyod spyad par 'dod pa la//
'di ni bde ba'i mchog tu nyer gnas te//
sems can 'gron chen tshim par byed pa yin//
34. bdag gis de ring skyob pa thams cad kyi//
spyan sngar 'gro ba bde gshegs nyid dang ni//
bar du bde la mgron du bos zin gyis//
lha dang lha min la sogs dga' bar gyis//

samedi 14 juillet 2012

Le monde est un être vivant




Le monde est un être vivant[1], rationnel et parfait, où tout est à sa place, et qui réalise le bien absolu, diraient les stoïciens.
« Le logos physique est l'ordre rationnel et immanent du monde (kosmos), de part en part déterminé par des relations causales qui ne souffrent pas d'exception. Les Stoïciens distinguent deux principes cosmologiques fondamentaux, qui reproduisent la division stricte entre agir et pâtir : la matière (hulè), qui est pur principe indéterminé, stricte capacité de subir, et le logos duquel chaque chose tire sa détermination. Ils appellent ce logos « dieu », en tant qu'ils le considèrent comme le démiurge, à l'action motrice et formatrice. Son nom physique est le «feu », héritier du logos héraclitéen : ainsi, pour Zenon, le dieu est « un feu artisan qui procède méthodiquement à la genèse du monde ». En outre, chaque être vivant, chaque corps, chaque individu du monde physique, contient des logoi spermatikoi, des raisons séminales, selon lesquelles il se développe, chacune représentant la raison singulière de la loi fatale conformément à laquelle il se développera, pourvu qu'il rencontre des conditions favorables. C'est le logos, on le verra, qui justifie l'identité stoïcienne entre nature (nature commune comme nature propre), destin, providence et Zeus. Raison divine, le logos désigne aussi la raison humaine et le discours. »[2]
Ce logos est d’ailleurs le Verbe ou la Parole de l’introduction à l’évangile selon Jean. L’être vivant qu’est l’homme est la réflexion de l’être vivant qu’est le monde. L’Homme cosmique (S. lokapuruṣa) pourrait-on dire. Tout comme l’homme a une partie maîtresse ou directrice (hêgémonikon), le monde aurait une partie directrice, que Chrysippe[3] appelle « le ciel ». Chez l’homme :
« La partie directrice est la partie principale de l’âme, dans laquelle les représentations (phantasia) et les impulsions se produisent et à partir de laquelle le langage est émis. Cette partie se trouve dans le cœur. »[4]
Dans la culture indienne, le langage ou la parole (vāk) joue un rôle similaire. Le BṛhadāraṇyakaUpaniṣad dit que la Parole est le Brahman (vāg vai brahmeti) est d’origine divine (daivi vāk). Contrairement au christianisme, la création, l’animation par la Parole, (et la dissolution) est continue dans le brahmanisme. Le cosmos est un enchainement, sans commencement ni fin, de cycles d’apparition et de disparition du monde. Idée que l’on retrouve dans une version instantanée chez les bouddhistes, ou l’on s’appuie sur la succession rapide d'apparitions (P. udaya) et de disparitions (P. vaya), pour développer la perception de la nature des phénomènes (P. udayabbayañāṇa), qui sert de base à la pratique de Vipassanā. Ce qui préfigure la façon de laquelle le bouddhisme ancien traitera la Parole…

Un des plus grands philosophes de langage de l’Inde, Bhartṛhari (6ème s.) est à l’origine de la théorie « intuitioniste » appélée Sphoṭa, d’après la racine sphuṭ, qui signifie « jaillir », « éclater », « exploser », « s'épanouir »… Appliqué au langage, le terme signifie « le jaillissement d’un éclair ou d’un aperçu », « l’idée qui jaillit ou s’illumine dans l’esprit quand un son est prononcé »[5]. Au départ le mot (S. śabda) existe dans l’esprit de celui qui parle comme une unité ou sphoṭa. Celui qui écoute entend bien une série de sons différents, porteurs de sens, mais ce n’est que lorsque ce dernier perçoit l’énonciation comme une unité, qu’il a un moment de reconnaissance (S. pratibhā). Il éprouve alors le même « jaillissement » (S. sphoṭa) que celui que son interlocuteur avait éprouvé. Il n’y a donc pas de transmission à travers les sons extérieurs (S. vaikhari vāk), mais ceux-ci servent uniquement comme un stimulus qui révèlera le sens (S. artha) qui était déjà présent dans l’esprit de clui qui écoute.[6]

A la différence des brahmanistes, les naturalistes (S. cārvāka), quelquefois appelés « matérialistes », et les bouddhistes considèrent la parole (S. vāk) non pas comme d’origine divine, mais comme un simple outil conventionnel (S. vyavahāra). Des écoles comme les Jaïns ou la Nyāya occupent une position intermédiaire. Dans les traditions où la Parole est considérée comme d’origine divine, le monde est une création due à l’union de Prajāpati (« l’Homme cosmique) et la Parole (S. vāc), qui est « la mère des vedas »[7] ou d'autres formes de la Déesse.

Les vedas[8] et textes sacrés afférents étaient reçus, c’est-à-dire vus (S. dṛś) ou entendus (S. śruti), sans s’appuyer sur une perception sensorielle, par des poètes visionaires (S. ṛṣi) dans un éclair d’intuition spontanée (S. dhī). Ce que les visionaires avaient reçu lors de l’éclair intuitif (S. dhīḥ) était ensuite « traduit dans des mots audibles et intelligibles…le noyau initial devait être développé en une série de stances plus ou moins cohérentes. »[9] Pendant la période des Brāhmaṇa, les hymnes ainsi apparus furent systématisés (S. śabdapramāṇa) dans une formulation rigide, qui furent considérés comme une révélation (S. śruti) faisant authorité[10]. Elle n’est pas en elle-même la vérité absolue, mais elle est considérée comme la fonction nécessaire qui y conduit.

Il y a ceux qui admettent, quelquefois avec des précautions (le sāṅkhya), l’autorité (S. pramāṇa) de la Révélation (S. śruti) et des enseignements sacrés (S. śastra), tels qu’ils furent reçus par les visionaires et transmis (S. āgama T. lung) par la suite, et ceux qui ne l’admettent pas, comme les naturalistes et les bouddhistes. C’est cette transmission (āgama) qui est considérée comme connaissance valide (śabdapramāṇa).

Pour résumer, un veda (connaissance révélée), est initialement vu ou entendu par des visionaires, édité par eux et transmis (S. āgama) de père à fils, plus tard de maître à disciple pour qu’ils s’y appuient afin qu’ils voient à leur tour la vérité révélée (S. satya). L’origine de toute révélation est le Seigneur (S. Īśvara T. dbang phyug) dans une de ses manifestations. C’est un Seigneur qui se manifeste, et qui se manifeste dans et par la Parole créatrice à l’origine de tout.

VācaspatiMiśra (10ème s.) explique dans sa glose des Aphorismes de yoga de Patañjali (Tattvavaiśāradī), que la Parole, et donc la transmisison de celle-ci (S. āgama), est la verbalisation de l’omniscience (S. sarvajñā) du Seigneur. C’est dans sa forme d’omniscience qu’il fut celui qui enseigna (S. guru) les anciens visionnaires. C’est dans ce pouvoir d’omniscience, qui est un potentiel, qu’il est toujours accessible. Ce potentiel est présent comme le son primordial, le « bourdonnement » (S. praṇava) de la syllabe AUM, avant le jaillissement de la Parole, puisque AUM est la semence de laquelle le langage et les semences verbales (S. bīja-mantra) sont issus. Un peu comme les raisons séminales (G. logoi spermatikoi) des stoïciens.
Initialement, le bouddhisme n’admettait pas l’autorité de la Parole (S. śabdapramāṇa), puisqu’elle n’était pas l’expérience directe de la vérité des veda ou du Brahman. Il n’admet d’ailleurs pas non plus les autres critères de la connaissance (S. pramāṇa) que sont la perception empirique (S. pratyakṣa T. mngon sum), l’inférence (S. anumāna T. rjes dpag) etc. puisqu’elles ne sont pas sans erreur.
« Celui qui est arrivé à terme n’a plus de critères (P. pamāṇa)
Permettant à quelqu’un de dire que pour lui [ce terme] n’existe pas.
Quand tous les phénomènes ont été éliminés
Les moyens de parler ont été éliminés également. »[11]
Mais des vieilles habitudes sont difficiles à changer, surtout si on les retrouve reproduites partout autour de soi. La Parole de l’Éveillé (S. budhhavacana) était déjà considérée officieusement comme autoritaire (S. śabdapramāṇa). D’ailleurs, le Bouddha dit lui-même qu’il ne faisait que révéler une vérité toujours présente, le Buddhadharma. Avec l’avènement des tantras bouddhistes, qui empruntaient beaucoup au fonds védique de l’Inde, l’attitude par rapport à la Parole révélée et sa transmission a vraiment considérablement changé.


[1] le monde est un être vivant entièrement rationnel et parfait, où tout est à sa place, et qui réalise le bien absolu
[2] Les stoïciens I, Frédérique Lidefonse, Les Belles Lettres, pp. 26-27
[3] Dans son traité « Sur la providence ». Lidefonse, p. 33
[4] Diogène Laërce, Sur Zénon, Livre VII, La Pochotèque, p. 882
[5] A bursting forth of illumination or insight », The Sphoṭa Theory of Language, Harold G. Coward, p. 10
[6] The Sphoṭa Theory of Language, Harold G. Coward, p. 12
[7] Śatapatha brāhmaṇa 6.5.3.4, 10.5.5.1
[8] Atilf : « L'ensemble de la Révélation (S. śruti) est renfermée dans les Quatre Veda qui portent respectivement les noms de Rgveda, le Veda des strophes; de Yajurveda, le Veda des formules; de Sâmaveda, le Veda des mélodies et d'Atharvaveda, le Veda de la magie (P. MARTIN-DUBOST, Çankara et le Vedanta, 1973, p. 48) »
[9] Jan Gonda, The Vision of the Vedic Poets, p. 106
[10] The Sphoṭa Theory of Language, Harold G. Coward, p. 24
[11] Sn 5 :6, The Mind like Fire Unbound, Thanissaro Bhikkhu, p.28

vendredi 13 juillet 2012

Nagarjuna sur l'appropriation


Extrait des Stances fondamentales du milieu (Mūlamadhyamakakārikā), chapitre 27

1. « J'étais là ou je n'étais pas là dans le passé »,
« Le monde est éternel (S. śāśvata) » etc.
Tous ces dogmes
S'appuient sur une limite antérieure.

2. « Dans le futur, je serai un autre, différent,
Pas du tout
 » « Le monde a une fin » etc.
Tous ces dogmes
S'appuient sur une limite postérieure.

3. « J'étais là dans le passé »
Dire cela n’est pas possible (S. na bhavaty)
Car celui qui était là auparavant
N'est pas le même que celui qui est ici et maintenant.

4. Si vous pensez que votre soi/essence/âme est le même,
Ce que [ce soi] s'approprie (S. upādānaṃ) est [néanmoins] différent
Hormis ces appropriations (S. upādāna)
Que serait votre soi/essence/âme ?

5. Si vous répondez « [en effet], hormis ces appropriations
Il n'y a pas de soi 
»,
[Je réplique] Si ces appropriations étaient votre soi
Votre soi n'existerait pas.

6. Les appropriations ne sont pas le soi
Car elles apparaissent et disparaissent[0]
Comment ce qui se les approprie
Serait-il [identique aux] appropriations ?

7. Un soi [existant] en dehors de ses appropriations
Ne peut pas être soutenu
S'il était vraiment autre, alors en absence d'appropriation
Il devrait (T. rigs) être appréhendé, mais il n'y est pas appréhendé.

8. [Le soi] n'est donc pas différent de l'appropriation
Il n'est pas non plus identique (T. nyid) à l'appropriation
Le soi n'existe pas en l’absence de l'appropriation
Ni peut-il être déterminé (S. niścaya) comme cette absence.

9. « Je n'étais pas là dans le passé »
Ne peut se dire (S. na bhavaty)
Car celui qui était là dans des vies passées
N'est pas différent de celui-ci.

10. S'il était différent
Il serait là en l'absence de l'être passé
De même, l'être passé (T. de) perdurerait
Selon ce [raisonnement], on naîtrait sans mourir [auparavant].

11. [L'effet] serait interrompu et les actes (S. karmaṇāṃ) se perdraient
Les actes commis par un être différent
Seraient éprouvés par un être différent
C'est ce genre de conclusions qui s'ensuivraient

12. Rien ne se produit à partir de ce qui n'a pas été produit
Il s'ensuivrait (S. prasajyate -> prasaṅga) l'erreur [suivante] :
Le soi aurait alors été créé
Ou bien [nouvellement] produit il serait apparu sans cause.

13. Ainsi, que le soi fut là ou pas
Les deux à la fois, ou ni l'un ni l'autre[1]
Tous ces dogmes [rélatifs] au passé
Ne peuvent pas être soutenus.

14. « Dans le futur, je serai un autre, différent,
Voire pas du tout »
Pour tous ces dogmes
Il en va comme pour ceux relatifs au passé.

15. Si tel homme était identique à tel dieu
Il serait éternel
Ce dieu ne serait pas né,
Car il n'y a pas de naissance dans l'éternité.

16. Si cet homme n'était pas identique à ce dieu
Il ne serait pas éternel
Si cet homme était différent de ce dieu
On ne pourrait pas soutenir de continuité (S. saṃtati)[2].

17. Ou bien, s'il y avait une part divine
Et une part humaine
[Cet homme] serait à la fois éternel et impermanent
Cela non plus n'est soutenable (S. na yujyate).

18. S'il peut être prouvé (S. prasiddham) qu'il est éternel et impermanent
A la fois
Il ne serait ni éternel ni impermanent
Cela aussi pourrait se prouver par la même occasion.

19. Si quelqu'un était venu de quelque part
Puis repartait quelque part
Le devenir cyclique (S. saṃsāra) n'aurait pas eu de commencement
Mais un tel [être] n'existe pas.

20. S'il n'y a pas d'[être] éternel
Comme pourrait-il y avoir un être impermanent ?[3]
Ou éternel et impermanent à la fois ?
Ou qui ne serait aucun des deux ?

21. Si le monde avait une fin
Comment pourrait-il y avoir un autre monde (S. loka) ?[4]
Si le monde n'avait pas de fin
Comment pourrait-il y avoir un autre monde (S. loka) ?

22. La continuité des constituants de l'individu (S. skandha)
Est semblable à la lumière d'une lampe[5]
Ni sa finitude,
Ni son infinitude ne peuvent être soutenues.

23. Si les [constituants] précédents étaient détruits,
Et, qu'en s'appuyant sur les constituants (S. skandha) actuels,
Les constituants [futurs] ne se produisaient pas,
Le monde aurait une fin.

24. Si les [constituants] précédents n'étaient pas détruits,
Et, qu'en s'appuyant sur les constituants actuels,
Les constituants [futurs] ne se produisaient pas,
Le monde n'aurait pas de fin.

25. Ou bien, s'il y avait une part finie
Et une part infinie
Le monde aurait à la fois une fin et pas de fin
Cela non plus n'est soutenable (S. na yujyate).

26. Comment une partie de l'appropriateur (S. upādātur)
Serait détruite
Et l'autre partie non ?
Cela n'est pas soutenable.

27. Comment une partie de l'appropriation (S. upādāna)
Serait détruite
Et l'autre partie non ?
Cela non plus n'est pas soutenable[6].

28. Si l'ensemble « fini » et « infini »
Pouvait être prouvé (S. prasiddham)
L'ensemble « ni fini », « ni infini »
Pourrait être prouvé par la même occasion.

29. En outre, tous les étants (S. sarvabhāvānāṃ)
Étant vides d'essence (S. śūnyatvāc), les dogmes tels que l'éternalisme etc.
Chez qui, comment et pourquoi
Pourraient-ils prendre naissance ?

C'était le chapitre vingt-sept sur l'examen critique des dogmes comme l'éternalisme.

[Hommage final]
Celui qui prend [les êtres] en charge avec bienveillance
Et qui, afin de les faire renoncer à tous les dogmes,
A enseigné la doctrine authentique
À Gautama je rends hommage.



[0] L'attention à la succession rapide d'apparitions (P. udaya) et de disparitions (P. vaya), permet de développer la perception de la nature des phénomènes (P. udayabbayañāṇa) et sert de base à la pratique de Vipassanā.
[1] Tétralemme
[2] Entre tel homme maintenant et tel dieu dans le passé.
[3] Un pôle fait automatiquement appel à son contraire.
[4] Monde dans un sens large. Il peut signifier toute existence (S. bhāva). Dans ce cas précis, monde semble signifier l’ensemble des constituants de l’individu (S. skandha). L'autre monde peut aussi signifier « l’au-delà ».
[5] « Imaginez, mes sœurs, une lampe à huile allumée. L'huile ne dure qu'un temps, elle va s'épuiser. La mèche ne dure qu'un temps elle aussi, elle va se consumer. La flamme est temporaire, elle va s'éteindre. Et la lumière aussi est temporaire, elle va disparaître. Parlerait-on correctement en affirmant : « L'huile de cette lampe allumée ne dure qu'un temps et va s'épuiser, la mèche ne dure qu'un temps et va se consumer, la flamme est temporaire et va s'éteindre, mais la lumière, elle, est éternelle, durable, permanente, immuable » ? »  (MN 146 Nandakovāda sutta)
[6] Voir aussi MMK 26.7 sur le lien entre appropriateur et appropriation « L’appropriation étant là, le cours de l’existence se met en branle pour l’appropriateur. Car, s’il était libre d’appropriation, il se rendrait libre en effet. L’existence n’aurait pas lieu. » Stances du milieu par excellence, Guy Bugault, p. 344 (T. nyer len yod na len pa po’i // srid pa rab tu ’byung bar ’gyur// gal te nye bar len med na// grol bar ’gyur te srid mi ’gyur//). Dans les Distiques de Śavaripa (Dohākośanāma Mahāmudropadeśa) :
« Un propriétaire possède des biens
Mais s’il n'y a jamais eu de propriétaire, que pourrait-il bien posséder ?
Si la conscience (citta) existe, il est logique que les phénomènes existent
Mais en l'absence de la conscience qu'est-ce qui percevrait les phénomènes ? »

Texte tibétain en Wylie :

[27]
1. 'das dus byung ma byung zhes dang//
'jig rten rtag pa la sogs par//
lta ba gang yin de dag ni//
sngon gyi mtha' la brten pa yin//
2. ma 'ongs dus gzhan 'byung 'gyur dang//
mi 'byung 'jig rten mtha' sogs par//
lta  ba gang yin de dag ni//
phyi ma'i mtha' la brten pa yin//
3. 'das pa'i dus na byung gyur zhes//
bya ba de ni mi 'thad do//
sngon tse rnams su gang byung ba//
de nyid 'di ni ma yin no//
4. de nyid bdag tu 'gyur snyam na//
nye bar len pa tha dad 'gyur//
nye bar lan pa ma gtogs par//
khyod kyi bdag ni gang zhig yin//
5. nye bar len pa ma gtogs pa'i//
bdag yod ma yin byas pa'i tshe//
nye bar len nyid bdag yin na//
khyod kyi bdag ni med pa yin//
6. nye bar len nyid bdag ma yin//
de 'byung ba dang 'jig  pa yin//
nye bar blang ba ji lta bur//
nye bar len po yin par 'gyur//
7. bdag ni nye bar len pa las//
gzhan du 'thad pa nyid ma yin//
gal te gzhan na len med par//
gzung yod rigs na gzung du med//
8. de ltar len las gzhan ma yin//
de ni nyer len nyid  kyang min//
bdag ni nye bar len med min//
med pa nyid du'ang de ma nges//
9. 'das pa'i dus na ma byung zhes//
bya ba de yang mi 'thad do//
sngon tshe rnams su gang byung ba//
de las 'di gzhan ma yin no//
10. gal te 'di ni gzhan gyur na//
de med par yang 'byung bar 'gyur//
de bzhin de ni gnas 'gyur zhing//
der ma shi bar skye bar 'gyur//
11. chad dang las rnams chud za dang//
gzhan gyis byas pa'i las rnams ni//
gzhan gyis so sor myong ba dang//
de la sogs par thal bar 'gyur//
12. ma byung ba las 'byung min te//
'di la skyon du thal bar  'gyur//
bdag ni byas par 'gyur ba dang//
'byung ba'am rgyu med can du 'gyur//
13. de ltar bdag byung bdag ma byung//
gnyis ka gnyis ka ma yin par//
'das la lta ba gang yin pa//
de dag 'thad pa ma yin no//
14. ma 'ongs dus gzhan 'byung 'gyur dang//
'byung bar  mi 'gyur zhes bya bar//
lta ba gang yin de dag ni//
'das pa'i dus dang mtsungs pa yin//
15. gal te lha de mi de na//
de lta na ni rtag par 'gyur//
lha ni ma skyes nyid 'gyur te//
rtag la skye ba med phyir ro//
16. gal te lha las mi gzhan na//
de lta na ni mi rtag 'gyur//
gal te  lha mi gzhan yin na//
rgyud ni 'thad par mi 'gyur ro//
17. gal te phyogs gcig lha yin la//
phyogs gcig mi ni yin gyur na//
rtag dang mi rtag 'gyur ba yin//
de yang rigs pa ma yin no//
18. gal te rtag dang mi rtag pa//
gnyis ga grub par gyur na ni//
rtag pa ma yin mi rtag min//
'grub par 'gyur bar 'dod la rag/
19. gal te gang zhig gang nas gar//
'ong zhing gong du'ang 'gro 'gyur na//
de phyir 'khor ba thog med par//
'gyur na de ni yod ma yin//
20. gal te rtag pa 'ga' med na//
mi rtag gang zhig yin par 'gyur//
rtag pa dang ni mi rtag dang//
de gnyis  bsal bar gyur pa'o//
21. gal te 'jig rten mtha' yod na//
'jig rten pha rol ji ltar 'gyur//
gal te 'jig rten mtha' med na//
'jig rten pha rol ji ltar 'gyur//
22. gang phyir phung po rnams kyi rgyun//
'di ni mar me'i 'od dang mtsungs//
de phyir mtha' yod nyid dang ni//
mtha' med nyid kyang mi rigs so// 
23. gal te snga ma 'jig 'gyur zhing//
phung po 'di la brten byas nas//
phung po de ni mi 'byung na//
des na 'jig rten mtha' yod 'gyur//
24. gal te snga ma mi 'jig cing//
phung po 'di la brten byas nas//
phung po de ni mi 'byung na//
des na 'jig rten mtha' med 'gyur//
25. gal te phyogs gcig mtha' yod la//
phyogs gcig mtha' ni med 'gyur na//
'jig rten mtha' yod mtha' med 'gyur//
de yang rigs pa ma yin no//
26. ji lta bur na nyer len po'i//
phyogs gcig rnam par 'jig  'gyur la//
phyogs gcig rnam par 'jig mi 'gyur//
de ltar de ni mi rigs so//
27. ji lta bur na nyer blang ba//
phyogs gcig rnam par 'jig 'gyur la//
phyogs gcig rnam par 'jig mi 'gyur//
de ltar de yang mi rigs so//
28. gal te mtha' yod mtha' med pa//
gnyis ka grub par gyur na ni//
mtha' yod ma yin mtha' med min//
'grub par 'gyur bar 'dod la rag/
29. yang na dngos po thams cad dag/
stong phyir rtag la sogs lta ba//
gang dag gang du gang la ni//
ci las kun tu 'byung bar 'gyur//

lta ba brtag pa zhes bya ba ste rab tu byed pa nyi shu bdun pa'o///

[Hommage final]
gang gis thugs brtze nyer bzung nas//
lta ba thams cad spang ba'i phyir//
dam pa'i chos ni ston mdzad pa//
goo tam de la phyag 'tsal lo//