vendredi 19 octobre 2012

Le non-bouddhisme spéculatif, non+X



Un nouveau groupe s’est constitué autour de Glenn Wallis, Tom Pepper, Matthias Steingass (Der Unbuddhist) et d’autres (en nombre croissant), qui a pris pour nom « Non + X ». Ils sont actifs sur le site web Speculative non-buddhism de Glenn Wallis, qui est doté d’un forum. Ils publient une revue « Non + X », dont les articles sont ensuites débattus sur le forum. Glenn Wallis et Matthias Steingass sont également actif sur Twitter.

Les informations qui suivent proviennent du premier numéro de « Non + X »[1], le périodique du mouvement non-bouddhisme spéculatif. En résumé, le non-bouddhisme spéculatif est une transgression de la transcendance bouddhiste. C’est une façon de penser et de voir, une expérience de pensée, qui utilise le bouddhisme comme matière première. Le tout centré sur la question : une fois dépouillé de ses représentations transcendentales, que le bouddhisme peut-il nous offrir ?

Glenn Wallis, qui est à l’origine de cette initiative et l’auteur des deux articles du premier numéro, cite François Laruelle : "What is true cannot change; what changes is not true”— is this not the miserable dream in which too many have diffused their cleverness? ». Retraduit en français (je n’ai pas retrouvé l’original, qui se trouve sans doute dans Les principes de la non-philosophie) : « "Ce qui est vrai ne peut pas changer ; ce qui change n’est pas vrai" – n’est-ce pas le rêve misérable dans lequel l’intelligence s’est diffusée trop souvent ? »[2]. La méthode non-bouddhisme spéculatif fait largement appel aux outils de déconstruction de Laruelle.

C’est une méthode qui se veut à la fois critique et constructive dans l’analyse et l’interprétation des enseignements bouddhistes, mais sans l’intention de réformuler ou de réformer le bouddhisme, ni d’adapter le bouddhisme aux valeurs laïques contemporaines de l’occident. A cet effet, elle veut se servir de trois fonctions principales :
1. dévoiler la structure syntaxique du bouddhisme (non reconnue, même par – et particulièrement par – les bouddhistes eux-mêmes),
2. servir de méthode d'enquête sur le sens et la viabilité des propositions bouddhistes,
3. freiner la tendance de toutes les formulations contemporaines du bouddhisme, qu’elles soient traditionnelles, religieuses, progressives ou laïques – d’aller vers l'excès idéologique.[3]
La méthode critique utilisée se tient à distance de « ce que le Bouddha a dit » et ne se sent pas redevable des valeurs bouddhistes. Elle tente de trouver une position neutre à travers la spéculation, qui par étymologie veut dire « regarder à travers ». Dans le cas présent, elle veut regarder à travers la matière du « bouddhisme », quelque soit sa variété. Elle commence par l’interrogation et une attitude critique, dans le noble sens du mot. Wallis explique que le bouddhisme, dans toute son histoire, ne s’est jamais donné à une évalution autocritique. Le mot critique vient du grec « krinein », qui signifie « séparer ». On trouve cette notion dans plusieurs mot d’origine grecque, et Wallis montre comment la cri-tique conduit à une cri-se de l’ensemble qui est soumis à la critique. Le but de la spéculation est d’ouvrir le système clos. Cela peut avoir pour conséquence la rupture ou la désintégration du système, ou sa transmutation radicale.

Le deuxième mot clè de « Non + X » est le terme « non-bouddhisme », inspiré par la non-philosophie de Laruelle, dont il retient quatre fonctions[4], mais qui a ses propres caractéristiques.
« Chaque énoncé, tout propos écrit, toute revendication de type "le bouddhisme croit" ou "le Bouddha a dit" ou "selon le Soutra du Cœur / le canon pāli / le Shôbôgenzô / tel ou tel maître », bref, toute tentative de formuler une réponse ou solution "bouddhiste" ( ou crypto-bouddhiste/pleine conscience - mindfulness) par rapport à X, fait toujours intervenir la Décision bouddhiste. Cette opération décisionnelle constitue la syntaxe structurale du discours bouddhiste, et, ce faisant, régit tous les discours – aussi bien scientifique en apparence, que laïquement libéral, religieusement orthodoxe, ou conservateur. Sans elle, il n'y aurait pas de discours bouddhiste, aucun de ces énoncés, ni de bouddhisme, ni de bouddhistes. Les bouddhistes en tant que bouddhistes, sont d'ailleurs incapables de discerner la structure décisionnelle qui informe leur affiliation parce que la reconnaissance de l'affiliation découle d'un état aveuglant : la réflexivité. En effet, la réflexivité est proportionnel à l’affiliation : plus la réflexivité est instinctive et plus l’affiliation est garantie. De façon optimale, Le bouddhisme, comme tous les systèmes idéologiques, vise l'hyper-réflexivité. Mais à mesure que ce but est atteint, la structure décisionnelle, qui est la « structure la plus profonde », devient invisible au bouddhiste. Le non-bouddhisme est en partie nécessaire pour discerner les rouages décisionnels du bouddhisme. En effet, la simple négation du bouddhisme est "codée dans le même sémiotique" (Laruelle) que le bouddhisme lui-même. Même si ses conditions et objectifs sont différents, la négation du bouddhisme est construite avec le même grammaire, décisionnel et idéologique, que le « bouddhisme ». Le non-bouddhisme, n’étant ni le bouddhisme, ni une négation du bouddhisme, remplit alors les conditions cognitives et affectives qui rendent la décision intelligible. »[5]
L’approche de déconstruction n’est pas nouveau dans le bouddhisme. En fait, c’est même par cela que le bouddhisme a commencé. Déconstruction de Brahma en quatre brahmavihara, déconstruction du soi, auquel s’identifie l’individu, en cinq agrégats, déconstruction de la matérialité en cinq éléments etc. et les prajñāpāramitā et Nāgārjuna vident le bouddhisme de sa substance. Le Roi pancréateur va jusqu'à le dépouiller même de sa forme, au niveau du discours du moins.

Tous, il me semble, disent, ou disent sans le dire, qu’il n’y a pas que le discours, et que la paix n’est pas dans le discours même, mais en recul, en dessous, au-dessus, indifférencié... Il est possible que ce « recul » se situe toujours dans le discours, mais il n’est pas rien. Seulement, ce recul ne se dit pas et ne se concoit pas. Peut-être tout simplement parce qu’il est une abstention de discursivité. Selon moi, c’est la part essentielle du « bouddhisme », l’espace qui rend possible la « structure la plus profonde » (the very “internal structure”) du discours. Alors quand on pose la question « une fois dépouillé de ses représentations transcendentales, que le bouddhisme peut-il nous offrir ? », je dirais que c’est peut-être l’accès à cette espace, quelque soit sa nature... Que cela rend possible toutes les arnaques et que le bouddhisme X s’y prend assez mal en général, je suis assez d’accord avec « Non + X ». Est-ce un "rêve misérable" ? 

De toute façon, vive la pensée que « Non + X » met en valeur.

***

[1] Nascent Speculative Non-Buddhism

[2] Probablement de son livre Principes de la non-philosophie (1996).

[3] « to uncover Buddhism’s syntactical structure (unacknowledged even by—especially by—Buddhists themselves); to serve as a means of inquiry into the sense and viability of Buddhist propositions; and to operate as a check on the tendency of all contemporary formulations of Buddhism— whether of the traditional, religious, progressive or secular variety—toward ideological excess. »

[4] Décision philosophique, auto-position, spécularité, et immanence radicale.

[5] « Every utterance, every written word, every claim of the type “Buddhism holds” or “the Buddha taught” or “according to the Heart Sutra/Pali canon/Shobogenzo/this or that teacher,” every attempt to formulate a “Buddhist” (or crypto-Buddhist/mindfulness) response/solution to X invariably instantiates buddhistic decision. This decisional operation constitutes the structural syntax of buddhistic discourse, and, in so doing, governs all such discourse—the most scientistically covert and the most secularly liberal no less than the most religiously overt and most conservatively orthodox. Without it, there would be no Buddhist discourse, no such utterances, no Buddhism, no Buddhists. Buddhists qua Buddhists, moreover, are incapable of discerning the decisional structure that informs their affiliation because admittance to affiliation ensues from a blinding condition: reflexivity. Indeed, reflexivity is commensurate with affiliation: the more instinctive the former, the more assured the latter. Optimally, Buddhism, like all ideological systems, aims for hyper-reflexivity. The degree to which this goal is accomplished, however, is also the degree to which decisional structure, the very “internal structure” of all of Buddhist discourse, becomes unavailable to the Buddhist. Non-buddhism is needed, in part, in order to discern the decisional machinery of Buddhism. For, a mere negation of Buddhism is “coded in the same semiotic” (Laruelle) as Buddhism itself: though its terms and aims necessarily differ, a negation of Buddhism is fashioned from the same—namely, decisional and ideological—grammar as “Buddhism.” Non-buddhism, as neither Buddhism nor a negation of Buddhism, fulfils the cognitive and affective conditions that render decision intelligible. »

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