samedi 2 février 2013

L'ombre de Dieu


Aristote et ses disciples en adoration devant la nature

Thomas JacKson, journaliste du journal britannique The Guardian a écrit un article (en anglais) sur « l’athéisme protestant » du biologiste et athéiste militant Richard Dawkins. L’adjectif « protestant » utilisé comme qualificatif pour des choses qui n’ont pas grand-chose à voir avec le protestantisme est généralement péjoratif. Voir par exemple pour le bouddhisme protestant (en anglais).

Jackson avance que la méthode expérimentale de vérification d'hypothèses qui a triomphé sur la religion, n’était pas objective et libre de valeurs, mais entièrement pénétrée de mythologie protestante. Pendant la Réforme, le catholicisme présentait un dogme selon lequel Dieu et la Nature formaient un seul être organique, le monde matériel étant en quelque sorte le corps de Dieu.[1] Dans les cinq voies (preuves de l’existence de Dieu), Thomas d’Aquin identifie Dieu à la cause première d’Aristote (« Tout mû est nécessairement mû par quelque chose »). Le premier moteur qui n’est pas mû est Dieu, qui est dans l’univers de la façon la plus intime.

Pour les réformateurs, ce point de vue confinait à de l’idolâtrie : pour eux Dieu était tout à fait différencié de l’univers, qui n’était qu’une collection d’automates, témoignant de la grande sagesse de leur créateur. C’était l’objectif de la science (« magie naturelle »[2]) de découvrir les lois ayant permis leur réalisation. La science permettait de devenir comme l’égal de Dieu en matière de la connaissance des lois gouvernant l’univers. Les premiers scientifiques anglais essayant de découvrir ces lois étaient des protestants (Francis Bacon, Isaac Newton, Robert Boyle), pas des athéistes. L’étape suivante vers l’athéisme était le déisme, où Dieu est considéré comme l’architecte suprême de l’univers.

Même si la science s’est graduellement éloignée de l’idée d’un créateur immanent dans sa création et d’un architecte suprême séparé de celle-ci, l’idée de la création, la nature, l’univers, comme une collection de machines dont les lois restent à découvrir est restée entière. L’idée centrale et dualiste d’un sujet et d’un objet reste de vigueur. Le sujet peut être intégré dans l’objet (p.e. bouddhisme), l’objet prenant les attributs du sujet ou le contraire, l’objet peut être intégré dans le sujet (vedānta, cittamatra). Dans les deux cas, on n’aboutit pas à la non-dualité.

Chez les grecs, la nature en se substituant à un sujet-agent « veut », « vise », « entreprend », est ingénieuse » et se pose des « buts »[3], et c’est toujours très généralement le cas en occident, y compris chez les scientifiques « athéistes » comme Dawkins. La nature est toujours régie par des lois qui restent à découvrir. Ces lois sont comme l’ombre du créateur/sujet/agent.
"Après la mort de Bouddha, l'on montra encore pendant des siècles son ombre dans une caverne, - une ombre énorme et épouvantable. Dieu est mort : mais, à la façon dont sont faits les hommes, il y aura peut-être encore pendant des milliers d'années des cavernes où l'on montrera son ombre. - Et nous - il nous faut encore vaincre son ombre !" (Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir) 
La conception chinoise (et par là des pans de type « non-agir » du bouddhisme tibétain) de la nature-procès de transformations est différente, comme l’explique François Jullien dans son livre passionant Les Transformations silencieuses.
« En me retournant d'abord, par commodité, sur les termes rivaux entre lesquels s'est départagée la philosophie contemporaine, j'expliquerai ainsi plus posé¬ment ma surprise (devant la photographie d'il y a vingt ans): elle serait d'un «sujet» qui se découvre soudain « procès » et se voit noyé - absorbé - en celui-ci. Je me croyais sujet: sujet d'initiative, concevant et voulant, actif ou passif mais gardant toujours le sentiment de son être et se possédant ; qui certes se sait pris dans tout un ensemble d'interactions qui l'enserrent, externes aussi bien qu'internes, mais ne s'en considère pas moins «cause de soi», selon l'expression chère à la [13] métaphysique causa sui. Or voici que cette perspective sous mes yeux soudain violemment bascule, elle chavire en cette autre : celle d'un cours ou d'un continuum dont la seule consistance tient à la corrélation de facteurs entre eux - entre eux et comme sans égard à « moi » - et d'où procède sans s'interrompre, de façon obvie mais imperceptible, cette évolution d'ensemble. «Je» suis ce (du) «vieillir». Car le vieillissement n'est pas qu'une propriété ou qu'un attribut de mon être, ni même une altération graduelle portée à sa constance et sa stabilité ; mais bien un enchaînement conséquent, global et s'auto-déployant, dont «je» est le produit successif. Peut-être même n'en est-il que l'indicateur commode. Devant la photographie d'il y a vingt ans, c'est cette validité du «sujet» qui soudain défaille. Ce qui ne veut pas dire pour autant que la notion en soit fausse, qu'il faille renoncer à son option d'autonomie et de Liberté, mais que sa pertinence se découvre soudain limitée. Elle en a recouvert à trop bon compte une autre qui brusquement, devant ce vestige d'il y a vingt ans, refait brutalement surface et crée le vertige. » 

***


[1] Selon Jackson, je me demande si cette thèse n’est pas plutôt panthéiste.

[2] "La magie naturelle admet que les hommes peuvent, eux aussi, connaître les vertus occultes des choses. L’aide des démons n’est pas nécessaire pour utiliser les virtualités secrètes, cachées dans le sein de la nature". Le voile d’Isis, Hadot, p. 122-123

[3] François Jullien, Les transformations silencieuses, p. 15

9 commentaires:

  1. Hi Janus!

    I have to say that I rather prefer the Yavanayana neologism for thoroughly rationalized (and/or somehow modernized) "Buddhism of the head" to this Catholic-Protestant replay polemic. I'm of Protestant background myself, but like others who have lapsed out of that arena, I have much more empathy for Catholicism than any of the ex-Catholics I know. I know G. Schopen sometimes uses "Protestant Buddhism" to refer more to the Protestant study of Buddhism, and that's quite a different matter. It's more about what Protestant-background Buddhologists make of Buddhism, as distinguished from what Catholic-background Buddhologists such as himself make of it.

    http://loveofallwisdom.com/2009/07/yavanayana-buddhism-what-it-is/

    We all see things by our own lights, now, don't we, and much of what 'interests' us comes out of our personal backgrounds, doesn't it? Before too long we'll be talking about Counter-reformation Buddhism, you think?

    I've been reading a hot new book about Vivekananda (Cosmic Love and Human Apathy by Jyotirmaya Sharma). Swami V. was quite a Yavanizer, doing pretty much the same job for Hinduism what the so-called Protestant Buddhists have been doing for Buddhism and in the same general time frame.

    I even imagine before too long a large number of people are going to start wearing the Yavanayana label with pride. I say let them.

    Yours,
    D

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  2. Dear Dan,
    Thank you for yet another blog to add to my reading list. Greek/European Buddhism, why not if they'd sell flashy unforms? (http://hridayartha.blogspot.fr/2012/03/mauvais-temps-pour-la-diversite.html) Philosophical Buddhism? With philosophy as used by Pierre Hadot?

    I am not sure the four features are the inventions of Yavanayana. I only recently mentioned on my blog how political and engaged I thought Nagarjuna's Precious Garland was. The relative absence of monks or Vinaya is not new either (Vimalakirti, Siddha movement, China, Tibet...). The strong emphasis on meditation (the sgom chan and hermits of various Tibetan schools). And even the rationalistic denial (or minimizing) of supernatural forces . The Buddha himself started that one.

    BTW if I were a Yavanayanist, I would never call my Buddhism Greek. How many Buddhist teachers would a bankrupt country attract? :-)

    Yes, it's a good thing that we all see things by our own lights, providing they are our own lights (my Protestant Buddhism must be showing). I think the Counter-reformation may have been the final blow (17th c.) to the more mystically enclined traditions of Catholicism, and that may have contributed to some Yavana's interest in Buddhism and other Asian religions, where those traditions were still in honour, or so they believed. I am afraid the only possible move for a Buddhist Counter-reformation (like for the other major religions) would unfortunately be integrism and dogmatism. That wouldn't be very successful.

    The title of Sharma's book sounds quite ironic, is that the general line of the book? Would you recommend it?

    Yours,
    Joy

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  3. Yangsi Kalu Rinpoche a Yavanayanist?
    "Many of the traditional teachings are like myth. They were created to help us aim very high. Once we aim for the best, we might achieve the average. But in fact achieving the average is actually the goal !" http://www.paldenshangpa.net/2013/02/myth/


    "Beaucoup d’enseignements traditionnels sont comme des mythes. Ils ont été créés pour nous aider à viser très haut. Car en visant ce qu’il y a de plus élevé, on pourrait bien atteindre la moyenne. Mais en fait atteindre la moyenne …"http://www.paldenshangpa.net/fr/2013/02/mythes/

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  4. Yes, Janus,

    I'd warmly recommend the book to anyone who has had, like I have had, a past interest in Swami Vivekananda or his brand of Advaita Vedanta. One main line of the book is one that has been fairly well known for a long time, but he did in fact have very big difficult to ignore differences with his teacher Ramakrishna that go quite deep. He took Ramakrishna in a whole different direction, really, especially (but not only) the idea to join Hindu spirituality with Yavana social materiality/ rationality. Reading this book surely leads one to reflect on what it might mean to be a follower.

    Of course anyone who has read Dodds' The Greeks and the Irrational knows that their rationality has been outrageously exaggerated. And even if it may be a bad time to sell anything with the Greek label, I think the Greeks have great staying power and will make a comeback soon. So I'd recommend a long-term investment plan, while anticipating losses in the short term.

    Admit it, though. Yavanayanist has such a nice ring to it! Think of the possible Yavanayanistic views that could be cultivated. Well, it's a whole lot more catholic than talking trash terms like, well, "American Buddhism." Huh?! Euroyana? Nyet!

    And if they need uniforms, let it be the toga.

    Yours,
    D

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  5. Yes, Janus,

    I'd warmly recommend the book to anyone who has had, like I have had, a past interest in Swami Vivekananda or his brand of Advaita Vedanta. One main line of the book is one that has been fairly well known for a long time, but he did in fact have very big difficult to ignore differences with his teacher Ramakrishna that go quite deep. He took Ramakrishna in a whole different direction, really, especially (but not only) the idea to join Hindu spirituality with Yavana social materiality/ rationality. Reading this book surely leads one to reflect on what it might mean to be a follower.

    Of course anyone who has read Dodds' The Greeks and the Irrational knows that their rationality has been outrageously exaggerated. And even if it may be a bad time to sell anything with the Greek label, I think the Greeks have great staying power and will make a comeback soon. So I'd recommend a long-term investment plan, while anticipating losses in the short term.

    Admit it, though. Yavanayanist has such a nice ring to it! Think of the possible Yavanayanistic views that could be cultivated. Well, it's a whole lot more catholic than talking trash terms like, well, "American Buddhism." Huh?! Euroyana? Nyet!

    And if they need uniforms, let it be the toga.

    Yours,
    D

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  6. My attempt of imagining and representing (with very limited means, no Photoshop) a meeting of Yavanayanists in toga... http://tinyurl.com/c7p4rp7

    I just picked the Yavanayanists I could find. Don't look for any statement or agenda. The most present ones on the Internet were the lucky ones.

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  7. I hope you got Stephen Batchelor in there, surely one of the most deserving of the bunch. And there is a live one who posted just today at Merabsarpa blogspot. So like hydra heads we should try to chop off every one that pops up? Or just let them do what Yavanayanists do best? Which is?

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  8. Stephen is on the far right...

    Very interesting. Thank you Dan. If chopping of hydra heads will create more Yavanayanists like Palden Gyal, then we should definitely go for it. Have you read Owen Flanagan? I haven’t but his Bodhisattva's brain and naturalist Buddhism is appealing to me.

    Palden : "The naturalization project that he is proposing or arguing for is the possibility of divorcing what he calls the “hocus-pocus” of Buddhism, i.e. notions such as karma and reincarnation, to a demythologized and a secular Buddhism with its comprehensive philosophy like that of Aristotle or Plato."

    Mythology was probably my first love in life. So I wouldn’t necessarily call for divorce and demythologization, but for a (re)interpretation of the myths, the symbols and the hocus-pocus, instead of what I see as taking them literally and dogmatically, as has been the case and still is. Their symbolic meaning (T. dag pa), explained in any commentary, deserves more attention. I think the mythological aspect may touch an individual on a motivational level. What would motivate a demythologized and a secular Buddhist ?

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  9. Seek no longer, it has been done http://www.bbc.co.uk/news/magazine-21319945 The Atheist Mass with a proper two minutes of adoration of Nature "So we bow our heads for two minutes of contemplation about the miracle of life".

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