mardi 30 avril 2013

ཧ་རེའུ་ཕོད་ཐར



Deux volumes du cycle de termas (གཏེར་མཛོད) de རྗེ་ཁེ་རོ་གླིང་པ (J.K. Rowling) (traduction de ནོར་དཀྱིལ་བུ་ཆུང་རྒྱལ, disponibles :

ཚེ་དང་རྡོ Bod ljongs mi dmangs dpe skrun khang, 320 p., 2007. ISBN 978-7223-02258-3. € 14,

གསང་བའི་ཁང་པ Bod ljongs mi dmangs dpe skrun khang, p. 348, 2009. ISBN 978-7-223-02624-6. € 14,-

En français, les titres de ces deux termas se traduiraient respectivement et approximativement : Harry Potter et la pierre philosophale (à l'école des sorciers) et Harry Potter et la Chambre des Secrets.

MàJ : Il s'agirait d'une traduction tibétaine à partir du chinois.

Alternativement, comme le suggère le barde tibétain Tsering Wangdu, l'épopée de Gesar de Ling ferait une meilleure lecture pour les enfants, car il est plus imaginatif. Merci à Dan pour cette suggestion.




lundi 29 avril 2013

Un seul corps



Extrait du chapitre 8 du Bodhicaryāvatāra de Śāntideva 

90. L’égalité de soi et d’autrui
Est la première méditation à entreprendre
Comme nous sommes pareils [face à] la douleur et au bonheur
Je dois protéger tous [les autres] comme moi-même.[1]

91. Bien qu’ayant des parties multiples comme les mains etc.
Le corps est protégé comme une unité [contre la douleur]
De même, chaque individu différent au niveau de la douleur et du bonheur,
Désire le bonheur, tout comme moi-même.[2]

92. Certes, la douleur que je ressens
N’est pas ressentie dans le corps d’un autre
Mais elle est douloureuse pour moi
Et elle m’est insupportable à cause de mon attachement à moi-même (ātmasneha).[3]

93. De même, les douleurs des autres
Ne sont pas ressenties par moi
Mais elles sont douloureuses pour eux
Et difficiles à supporter à cause de leur attachement à eux-mêmes.[4]

94. Je devrais éliminer la douleur d’autrui
Parce que c’est une douleur, et comme s’il s’agissait de la mienne
Je dois aider les autres
Parce que ce sont des êtres, et qui sont donc comme mon propre corps.[5]

95. Moi-même et les autres
Sommes égales dans notre désir de bonheur
Qu’y a-t-il alors de si particulier en moi-même
Qui justifierait que je réalise uniquement mon propre bonheur ?[6]

96. Moi-même et les autres
Sommes égales dans notre refus de la douleur
Qu’y a-t-il alors de si particulier en moi-même
Qui justifierait que je me protège moi, mais pas les autres ?[7]

97. Si les autres souffrent
Devrais-je renoncer à les protéger, puisque je ne ressens pas la même douleur ?
Alors, pourquoi je me protégerais contre des souffrances à venir
Si je ne les ressens pas maintenant ?[8]

98. « Mais parce que c’est moi qui devra les ressentir »
Cela est une pensée erronée, car
Celui qui meurt est différent
De celui qui naît.[9]

99. Si c’était parce que ce serait l’affaire de celui qui souffre
De se protéger lui-même [contre la douleur]
Pourquoi la main, qui ne ressent pas la douleur du pied,
Le protège-t-elle ?[10]

100. Ce [geste] qui ne se justifie pas
Est dû à la saisie d’une essence individuelle (ahaṃkāra)
[L’ahaṃkāra] qui ne se justifie ni pour soi ni pour autrui
Devrait [en fait] être évité de toute force.[11]

101. « La série psychique (saṃtānaḥ) » et « l’ensemble (samudāya) »
Sont des apparences [d’unité] trompeuses comme une guirlande, un régiment etc.
Qui [en tant qu’ensemble] ne s’approprie pas la douleur[12]
Qui devrait alors éviter [la souffrance] ?[13]

102. En l’absence d’appropriation de la douleur
Il n’y aucune différence entre chacun des éléments [de l’ensemble]
La douleur doit alors éliminée parce que c’est de la douleur
Cela étant établi, que faire ensuite ?[14]

103. Que la douleur de tous
Doit être évitée n’est contesté par personne
Si elle doit être évitée, évitons toute souffrance
Même celle qui n’est pas mienne, celle de tous les êtres.[15]

104. « La compassion (kṛpayā) multiplie la douleur
Pourquoi alors la développer d’urgence ? »
Penser aux souffrances des êtres
Comment cela multiplierait-il la souffrance ?[16]

105. Et si par une seule souffrance
De multiples souffrances pourraient être évitées
Une personne bienveillante accepterait cette souffrance
Pour elle-même et pour les autres.[17]

106. Ainsi, Supuṣpacandra[18]
Même en connaissant l’intention malveillante du roi
N’avait pas évité sa propre souffrance
Afin d’en préserver de nombreux autres.[19]

107. De la même façon, celui qui se familiarise avec cette idée
Aimera apaiser la souffrance d’autrui
Et c’est comme un oie sauvage (haṃsā) plongeant dans un lac à lotus
Qu’il entrerait même dans l’enfer d’Avīcī.[20]

108. Quand tous les êtres seront sauvés
Ce sera une joie si immense
Qu’elle suffira à elle-même
A quoi servirait-il alors de désirer [en plus] sa libération [individuelle] (mokṣa) ?[21]

109. Faire le bien d’autrui de cette façon
N’est pas [une cause] de fierté ou d’étonnement
En n’aimant que le bien d’autrui
Je ne me soucierai pas des retombées positives.[22]

110. Tout comme [auparavant] je me protégeais
Contre la moindre atteinte à ma réputation
Je me vouerai [désormais] à la protection des autres
Et à développer un esprit altruiste.[23]

111. À force d’habitude j’ai réussi à appeler « moi »
La goutte [constituée] du sperme et du sang de [deux] autres personnes
Sans que rien ne le justifiait
En comprenant cela[24]

112. Pourquoi ne pas considérer
Les corps des autres comme « moi » ?
Transférer [l’idée] de « mon corps »
A celui des autres n’est guère plus difficile.[25]

113. L’idée d’un moi individuel est vicié
Tandis que l’altruisme est un océan de qualités
Aussi je rejetterai la saisie d’une essence individuelle (ahaṃkāra)
Et je développerai l’altruisme.[26]

114. Tout comme les mains etc.
Sont considérées comme des parties du corps
Pourquoi ne pas considérer ceux qui ont un corps (dehinaḥ)
Comme des parties de l’univers (jagat) ?[27]

115. Tout comme ce corps sans essence individuelle (nirātmaka)
A pu produire l’idée de « moi », à force d’habitude
Pourquoi ne pas produire l’idée de « moi »
[En l’appliquant] à tous les autres êtres ?[28]

116. En se souciant des autres de cette façon
Cela ne sera pas un geste produisant de la fierté ou de l’émerveillement
Ce serait [tout simplement] comme l’acte de manger
Dont on n’attend aucun retour [non plus].[29]

117. Par conséquent, tout comme [auparavant] je me protégeais
Contre la moindre atteinte à ma réputation
Je me vouerai [désormais] à la protection des autres
Et à développer un esprit altruiste.[30]

***

Voir aussi ce billet précédent sur Śāntideva, ainsi que l'interprétation de Tom Pepper de cette idée de Śāntideva.

Voir l'idée d'un seul corps chez Epictète.


[1] parātmasamatām ādau bhāvayed evam ādarāt |samaduḥkhasukhāḥ sarve pālanīyā mayātmavat ||90||  bdag dang gzhan du mnyam pa ni// dang po nyid du ’bad de bsgom// bde dang sdug bsngal mnyam pas na// thams cad bdag bzhin bsrung bar bya//

[2] hastādibhedena bahuprakāraḥ kāyo yathaikaḥ paripālanīyaḥ |tathā jagadbhinnam abhinnaduḥkhasukhātmakaṃ23 sarvam idaṃ tathaiva ||91||
lag pa la sogs dbye ba rnam mang yang// yongs su bsrung bya’i lus su gcig pa ltar// de bzhin ’gro ba tha dad bde sdug dag// thams cad bdag bzhin bde ba ’dod mnyam gcig/

[3] yady apy anyeṣu deheṣu madduḥkhaṃ na prabādhate |tathāpi tadduḥkham eva mamātmasnehaduḥsaham ||92|| 
gal te bdag gi sdug bsngal gyis// gzhan gyi lus la mi gnod pa// de lta’ang de bdag sdug bsngal de// bdag tu zhen pas mi bzod nyid//

[4] tathā yady apy asaṃvedyam anyad duḥkhaṃ mayātmanā |tathāpi tasya tadduḥkham ātmasnehena duḥsaham ||93||
de bzhin gzhan gyi sdug bsngal dag// bdag la ’bab par mi ’gyur yang// de lta’ang de bdag sdug bsngal de// bdag tu zhen pas bzod par dka’//

[5] mayānyadduḥkhaṃ hantavyaṃ duḥkhatvād ātmaduḥkhavat |anugrāhyā mayānye ’pi sattvatvād ātmasattvavat ||94||
bdag gis gzhan gyi sdug bsngal bsal// sdug bsngal yin phyir bdag sdug bzhin// bdag gis gzhan la phan par bya// sems can yin phyir bdag lus bzhin//

[6] yadā mama pareṣāṃ ca tulyam eva sukhaṃ priyam |tadātmanaḥ ko viśeṣo yenātraiva sukhodyamaḥ ||95||
gang tshe bdag dang gzhan gnyi ga// bde ba ’dod du mtshungs pa la// bdag dang khyad par ci yod na// gang phyir bdag gcig bde bar brtson//

[7] yadā mama pareṣāṃ ca bhayaṃ duḥkhaṃ ca na priyam |tadātmanaḥ ko viśeṣo yat taṃ rakṣāmi netaram ||96||
gang tshe bdag dang gzhan gnyi ga// sdug bsngal mi ’dod mtshungs pa la// bdag dang khyad par ci yod na// gang phyir gzhan min bdag srung byed//

[8] tadduḥkhena na me bādhet yato yadi na rakṣyate |nāgāmikāyaduḥkhān me bādhā tat kena rakṣyate ||97||
gal te de la sdug bsngal bas// bdag la mi gnod phyir mi bsrung// ma ’ongs pa yi sdug bsngal yang// gnod mi byed na de ci bsrung*//

[9] aham eva tadāpīti mithyeyaṃ pratikalpanā |anya eva mṛto yasmād anya eva prajāyate ||98||
bdag gis de ni myong snyam pa’i// rnam par rtog de log pa ste// ’di ltar shi ba’ang gzhan nyid la// skye ba yang ni gzhan nyid yin//

[10] yadi yasyaiva yad24 duḥkhaṃ rakṣyaṃ tasyaiva tan matam |pādaduḥkhaṃ na hastasya kasmāt tat tena rakṣyate ||99||
gang tshe gang gi sdug bsngal gang// de ni de nyid kyis bsrungs na// rkang pa’i sdug bsngal lag pas min// ci phyir des ni de bsrung bya//

[11] ayuktam api ced etad ahaṃkārāt pravartate |yad ayuktaṃ nivartyaṃ tat svam anyac ca yathābalam ||100||
gal te rigs pa min yang ’dir// bdag tu ’dzin pas ’jug ce na// bdag gzhan mi rigs gang yin te// ci nus par ni spang bya nyid// L’ahaṃkāra] devrait être rejeté avec la plus grande force par un bouddhiste, mais Śāntideva est astucieux et a une idée encore meilleure, qu'il va nous présenter par la suite. A la place du "moi", le bouddhisme propose des termes comme "série psychique" (saṃtānaḥ) et "l’ensemble" (samudāya) pour déconstruire ce "moi". Au lieu de déconstruire le moi, ce qui est difficile, voire impossible, il propose d'étendre la notion de "moi" en l'appliquant à tous les êtres.

[12] Le régiment en tant que régiment ne ressent pas la douleur d’un soldat individuel, et n’est donc pas celui qui subit la douleur. N’étant pas celui qui ressent la douleur, ce ne serait pas au régiment d’éviter la douleur de ses membres individuels. Ce qui serait un contresens.

[13] saṃtānaḥ samudāyaś ca paṅktisenādivan mṛṣā |yasya duḥkhaṃ sa nāsty asmāt kasya tat svaṃ bhaviṣyati ||101||
rgyud dang tshogs zhes bya ba ni// phreng ba dmag la sogs bzhin brdzun// sdug bsngal can gang de med pa// des ’di su zhig spang bar ’gyur//

[14] asvāmikāni duḥkhāni sarvāṇy evāviśeṣataḥ |duḥkhatvād eva vāryāṇi niyamas tatra kiṃ kṛtaḥ ||102||
sdug bsngal bdag po med par ni// thams cad bye brag med pa nyid// sdug bsngal yin phyir de bsal bya// nges pas der ni ci zhig bya//

[15] duḥkhaṃ kasmān nivāryaṃ cet sarveṣām avivādataḥ |vāryaṃ cet sarvam apy evaṃ na ced ātmani sarvavat ||103||
ci phyir kun gyi sdug bsngal ni// bzlog par bya zhes brtsad du med// gal te bzlog na’ang thams cad bzlog// de min bdag kyang sems can bzhin//

[16] kṛpayā bahu duḥkhaṃ cet kasmād utpadyate balāt |jagadduḥkhaṃ nirūpyedaṃ kṛpāduḥkhaṃ kathaṃ bahu ||104||
snying rje sdug bsngal mang gyur pa// ci phyir nan gyis skyed ce na// ’gro ba’i sdug bsngal bsam byas na// ji ltar snying rje sdug bsngal mang*//

[17] bahūnām ekaduḥkhena yadi duḥkhaṃ vigacchati |utpādyam eva tadduḥkhaṃ sadayena parātmanoḥ ||105||
gal te sdug bsngal gcig gis ni// sdug bsngal mang po med ’gyur na// brtse dang ldan pas sdug bsngal de// rang dang gzhan la bskyed bya nyid//

[18] Source : Samādhirājāsūtra, ('phags pa chos thams cad kyi rang bzhin mnyam pa nyid rnam par spros pa'i ting nge 'dzin kyi rgyal po zhes bya ba theg pa chen po'i mdo'i 'grel pa grags pa'i phreng ba TG n° 4010)

[19] ataḥ supuṣpacandreṇa jānatāpi nṛpāpadam |ātmaduḥkhaṃ na nihataṃ bahūnāṃ duḥkhināṃ vyayāt ||106||
des na me tog zla mdzes kyis// rgyal po’i gnod pa shes kyang ni// bdag gi sdug bsngal ma bsal te// mang po’i sdug bsngal zad ’gyur phyir//

[20] evaṃ bhāvitasaṃtānāḥ paraduḥkhasamapriyāḥ |avīcim avagāhante haṃsāḥ padmavanaṃ yathā ||107||
de ltar rgyud ni goms gyur pa// gzhan gyi sdug bsngal zhi dga’ bas// pa dma’i mtsho ru ngang pa ltar// mnar med pa yang ’jug par ’gyur//

[21] mucyamāneṣu sattveṣu ye te prāmodyasāgarāḥ |tair eva nanu paryāptaṃ25 mokṣeṇārasikena kim ||108||
sems can rnam par grol ba na// dga’ ba’i rgya mtsho gang yin pa// de nyid kyis ni chog min nam// thar pa ’dod pas ci zhig bya//

[22] ataḥ parārthaṃ kṛtvāpi na mado na ca vismayaḥ |na vipākaphalākāṅkṣā parārthaikāntatṛṣṇayā ||109|| de ltas gzhan gyi don byas kyang*// rlom sems dang ni ngo mtshar med// gcig tu gzhan don la dga’ bas// rnam smin ’bras bu’i re ba med//

[23] tasmād yathāntaśo ’varṇād ātmānaṃ gopayāmy aham |rakṣācittaṃ dayācittaṃ karomy evaṃ pareṣv api ||110|| de bas ji ltar chung ngu na// mi snyan las kyang bdag bsrung ba// de bzhin gzhan la bsrung sems dang*// snying rje’i sems ni de ltar bya//

[24] abhyāsād anyadīyeṣu śukraśoṇitabinduṣu |bhavaty aham iti jñānam asaty api hi vastuni ||111|| goms pa yis ni gzhan dag gi// khu ba khrag gi thigs pa la//dngos po med par gyur kyang ni// bdag go zhes ni shes pa ltar//

[25] tathā kāyo ’nyadīyo ’pi kim ātmeti na gṛhyate |paratvaṃ tu svakāyasya sthitam eva na duṣkaram ||112|| de bzhin gzhan gyi lus la yang*// bdag ces ci yi phyir mi gzung*// bdag gi lus ni gzhan dag tu’ang*// bzhag pa de ltar dka’ ba med//

[26] jñātvā sadoṣam ātmānaṃ parān api guṇodadhīn |ātmabhāvaparityāgaṃ parādānaṃ ca bhāvayet ||113|| bdag nyid skyon bcas gzhan la yang*// yon tan rgya mtshor shes byas nas//| bdag ’dzin yongs su dor ba dang*// gzhan blang ba ni bsgom par bya//

[27] kāyasyāvayavatvena yathābhīṣṭāḥ karādayaḥ |jagato ’vayavatvena tathā kasmān na dehinaḥ ||114|| 
ji ltar lag pa la sogs pa//lus kyi yan lag yin ’dod ltar//de bzhin ’gro ba’i yan lag tu// ci phyir lus can rnams mi ’dod//

[28] yathātmabuddhir abhyāsāt svakāye ’smin nirātmake |pareṣv api tathātmatvaṃ kim abhyāsān na jāyate ||115|| 
ji ltar bdag med lus ’di la// goms pas bdag gi blo byung ba// de bzhin sems can gzhan la yang*// goms pas bdag blo cis mi skye//

[29] evaṃ parārthaṃ kṛtvāpi na mado na ca vismayaḥ |ātmānaṃ bhojayitvaiva phalāśā na ca jāyate ||116|| 
de lta na ni gzhan gyi don// byas kyang ngo mtshar rlom mi ’byung*// bdag nyid kyis ni zas zos nas// lan la re ba mi ’byung bzhin//

[30] tasmād yathārtiśokāder ātmānaṃ goptum icchasi |rakṣācittaṃ dayācittaṃ jagaty abhyasyatāṃ tathā ||117|| 
de bas ji ltar chung ngu na// mi snyan las kyang bdag bsrung ba// de bzhin ’gro la bsrung sems dang*// snying rje’i sems ni goms par bya//

dimanche 28 avril 2013

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La théurgie, un tantrisme occidental ?



Plotin (205 en Égypte -270) est considéré comme le maître et le fondateur du néo-platonisme. Sa doctrine centrale, basée sur une interprétation originale du Parménide de Platon, est la doctrine de l’Un avec un double mouvement connexe de « procession » (effusion d’unité) (T. ‘phro) et de « conversion » (T. ‘du). Plus un être s’éloigne de l’Un, il se matérialise, et plus il s’approche, il se spiritualise. Ce double processus de procession et de conversion connaît trois phases, trois plans de réalité, trois « hypostases » : l’Un, l’Intelligence et l’Âme (incarnée ou empêtrée dans le sensible). L'Un engendre l'Intelligence, qui engendre l'Âme. L’Âme (hypostase) produit le monde sensible des âmes individuelles au bout de la chaîne de procession, et aspire à retrouver l’union perdue. Ce qui lui est possible par une ascension purificatrice.
« La première étape de l’ascension, c’est la prise de conscience par l’âme raisonnable du fait qu’elle ne se confond pas avec l’âme irrationnelle, qui, chargée d’animer le corps, est troublée par les plaisirs et les peines qui résultent de la vie dans le corps. »[1] 
« Le moi découvre alors que ce qu’il y a de plus élevé dans l’âme est Intellect et Esprit et qu’elle vit constamment, d’une manière inconsciente, de la vie de l’Intellect. […] le but de la vie est cette ‘vie selon l’Esprit’, cette ‘vie selon Intellect’. […] Il faut voir l’Esprit comme notre propre moi. […] Devenir Intellect »[2]
Devenir Intelligence, remonter au deuxième hypostase.
« …parvenir à un état du moi, dans lequel il atteint cette intériorité, ce recueillement sur soi-même, cette transparence à soi-même qui caractérise l’Intellect, symbolisés par l’idée d’une lumière qui se verrait elle-même et par elle-même. »[3] 
La dernière étape est celle de l’Intelligence qui se fond dans l’Un. Il n’y a alors plus d’âme qui subsiste.

Plotin suivant en cela la tradition pythagoricienne, croyait que les âmes, si elles n’avait pas fait l’objet d’une ascension purificatrice vers le Principe suprême, se réincarnèrent (métemsomatose) « dans des corps de plantes si elles n’avaient vécu que végétativement, sous forme de bêtes fauves si elles furent cruelles, esclaves ou hommes libres selon qu’elles se montrèrent lâches ou viriles. »[4]

Hormis Pythagore, Plotin résista aux « mystères de l’Orient »[5] qui étaient en pleine ébullition de son époque, contrairement à Numénius d'Apamée (Syrie, IIème siècle), qui pratiquait une théosophie avant la lettre.
« Après avoir cité et avoir pris pour sceaux les témoignages de Platon, il faudra remonter plus haut et les rattacher aux enseignements de Pythagore, puis en appeler aux peuples fameux, en évoquant leurs mystères, leurs dogmes, leurs fondations de cultes, qui sont en accord avec Platon, tout ce qu'ont établi les brahmanes, les juifs, les Mages, les Égyptiens » (fragment 1, p. 42). 
Après Plotin, le néo-platonisme (Jamblique, Syrianus, Proclus, Damascius…) s’est également ouvert aux « mystères orientaux ». Plus précisément, selon Hadot, « il se caractérise […] par un gigantesque effort de synthèse entre les éléments les plus disparates de la tradition philosophique et religieuse de toute l’Antiquité. »[6] Notamment, les écrits orphiques et les oracles chaldaïques, un recueil d'oracles de théurgie[7] composé vers 170 par Julien le Théurge, le bien nommé. 

Il s’agit en fait de la glose d’un poème qui viendrait de Chaldée (Babylone), et qui semble être un patchwork ("bricolage") d’éléments néoplatoniciens, perses et babyloniens. Le néoplatonisme théurgique aura donc une double approche, une approche « contemplative » [prajñā], qui est celle d’une « vie selon l’Esprit », et une approche « opérative » [upāya] qui correspond à la théurgie. La première se préoccupera principalement de l’ascension de l’Âme et la deuxième de la descente de la divinité (et intelligences associées) et de l’ascension de l’âme par divers moyens, telle l’utilisation d’un « véhicule immédiat » (vāhana), c’est-à-dire le corps astral, pour contempler les dieux.[8] Jamblique et Proclus, allaient jusqu’à préférer la théurgie à l’approche contemplative. Selon Proclus (412 Byzance -485), elle serait « une puissance plus haute que toute sagesse humaine, qui embrasse les bienfaits de la divination, les vertus purifiantes de l'initiation, bref toutes les opérations de la possession divine. » Pour Jamblique, ce n’est pas la philosophie théorique qui opère notre union avec les dieux, mais des rites que nous ne comprenons pas. Ce n’est pas par une activité de pensée que nous pouvons réaliser les rites, car sans cela leur efficacité dépendrait de nous.[9] Les rites ont donc une efficacité qui leur est propre, grâce aux dieux et démons qu’ils font intervenir. Leur efficacité dépendrait donc de leur exécution conforme.

Proclus aurait été un grand tisseur devant l’Éternel, qui regroupa plusieurs filières en sa doctrine, à en croire le Livre des Causes qui lui fut attribué, mais qui serait une compilation (à Bagdad au IX-Xème siècle) par un auteur arabe sous le titre Livre du Bien pur, traduite en latin par Guillaume de Moerbeke en 1268. C'est un savant mélange de la pensée d’Aristote (interprété d’un point de vue platonicien), de Plotin et de monothéisme, respectivement les idées de Cause, de l’Un et de Créateur (Dieu). Un Dieu créateur qui fait passer l’univers du néant à l’être, une Cause qui fait être ce qui est, et l’Un qui est l’expression d’une harmonie intellectuelle (des hypostases).

L’approche contemplative telle qu'on la trouve dans Le Livre des Causes attribué à Proclus prendrait plus tard une place importante dans la doctrine de la mystique rhénane (Albert le Grand, Thierry de Freiberg, Eckhart etc.). La théurgie peuplera les cieux d’intelligences intermédiaires (qui seraient purement symboliques) capables de guider les âmes dans leur ascension, ou, si la théurgie (re)devient de la magie, de leur donner un coup de main ici-bas le cas échéant.

Quelques remarques de Space :

"Le Liber de Causis fut effectivement attribué à Proclus mais est beaucoup plus tardif (antérieur à 985), c'est une sorte d'adaptation des Éléments de Théologie. Le lien "hypostase" est brisé).
La théurgie reste quelque chose de très mystérieux - le terme regroupe des pratiques nombreuses et variées.
Proclus intègre beaucoup de chose dans son système mais de manière très organisée, le coeur reste la seconde partie du Parménide de Platon. Je ne pense pas que les néoplatoniciens défendant la théurgie (Jamblique, Syrianus, Proclus) le fasse au détriment de la philosophie. Celle-ci reste « opératoire », ce n’est pas une simple spéculation (mentale), mais la théurgie peut venir en complément.
La théurgie est liée étroitement aux Oracles chaldéiques rassemblée par Julien-père, Chaldéen et philosophe platonicien. Ces textes (publiés dans un ouvrage de Jamblique qui ne nous est pas parvenu) sont disparates : à une collection d'oracles et de rites anciens s'ajoutent des révélations obtenues par Julien-fils auprès de Platon lui-même, considéré comme un dieu. Selon H.D. Saffrey ("Les néoplatoniciens et les Oracles Chaldéiques") c'est cette origine "platonicienne" qui en explique le succès.
Même en possession de tous les textes (nous n'avons que de maigres fragments), cela ne serait sans doute pas suffisant pour comprendre leur place et leur rôle. L'enseignement oral (comportant une partie secrète) a toujours été au centre de la pensée et de l'école platonicienne."


***

Illustration : rencontre fictive entre Averroès (12ème s.) et Porphyre de Tyr (Liban) (3ème s.)


[1] Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ? p. 252

[2] Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ? p. 254 et 255

[3] Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ? p. 255, citant Ennéades, V, 3 (49), 8, 22

[4] Encyclopedia Universalis, Dictionnaire des Philosophes, p. 1247

[5] Il était un adversaire des gnostiques

[6] Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ? p. 259

[7] ATILF : « Connaissances et pratiques magiques qui permettent de se mettre en rapport avec les puissances célestes bénéfiques et d'utiliser leurs pouvoirs »

[8] Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ? p. 262

[9] Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ? p. 263

vendredi 12 avril 2013

Se libérer du connu (Samdhong Rinpoché parle de Krishnamurti)



Samdhong Rinpoché,  Lobsang Tenzin, était l'ancien premier ministre du gouvernement tibétain en exil et un membre de bureau de la Fondation pour la Responsabilité Universelle (Foundation for Universal Responsibility T. kun phan bde rtsa). Il était aussi un ami personnel de longue date de Krishnamurti et membre du Directoire de la fondation Krishnamurti en Inde, fondé par Mme Annie Besant. C'est à ce titre qu'il parle de son ami et de ses projets d'éducation dans le documentaire consacré à Krishnamurti "Krishnamurti, chroniques d'une vie peu ordinaire" (VOSF). J'ai regroupé les interventions de Samdhong Rinpoché ci-dessous avec ma propre traduction française.

"Dans ce monde, la plupart des traditions religieuses sont devenus des systèmes, et ont perdu leur caractère de religion ("no religion"). Certaines personnes bien connues ont alors eu une compréhension ou reçu un message spirituel, et pensèrent qu'il devait y avoir un nouveau message ou une nouvelle philosophie permettant de revitaliser le nom des religions et qui les regrouperait toutes. Dans ce but, la société théosophique fut fondée par Madame Blavatsky et le Colonel Olcott. D'autres chef spirituels les rejoignirent, tels que l’évêque Leadbeater et Madame Annie Besant, qui étaient à la recherche d'un corps pur et un esprit pur, capable de canaliser la nouvelle sagesse. Et ils trouvèrent Krishnamurti qui fut élevé et éduqué pour devenir un nouveau instructeur du monde."[1] 

"Il y avait une hiérarchie  une organisation et beaucoup d’autorité etc. Krishnamurti finit pas évoluer par lui-même et s’est éveillé lui-même. Il devint alors véritablement un instructeur du monde, et sa vie durant, plus de 50 ans, il a délivré son message unique, qui est l’essence de toutes les religions, tout en étant différent de tous les systèmes et institutions religieux. Cela est très approprié et important pour l’humanité à l’époque moderne."[2]

"La mission de sa vie, l’objectif de la vie de K. était la transmission du message de la sagesse à autant de personnes que possible. Toujours, il essaya de parler à l’humanité à l’échelle la plus large possible. Mais lui-même n’était pas un organisateur, il ne savait même pas s’acheter un billet de train, prendre un train et se rendre d’un endroit à un autre. Il devait dépendre de ses amis et des personnes qui l’aidaient. Par une raison que j’ignore, il était toujours entouré des bonnes personnes pour organiser les choses à sa place. Au départ, ce furent des gens de la société théosophique. Après sa rupture avec la société, sa relation avec Madame Annie Besant restait comme avant et lorsque Madame Annie Besant avait constitué des fondations comme la fondation Krishnamurti, acheté des maisons à Chennai, et plus tard des maisons et des écoles à Rajghat, à Rishi Valley, Krishnamurti disposait toujours d’écoles, de centres d’études et de bureaux de la fondation où ces personnes organisaient des conférences, des dialogues et des rencontres pour le bien des autres. Ces personnes connaissaient la mission de sa vie, et afin d’accomplir cette mission, les gens qui l’entouraient se chargeaient toujours de l’organisation"[3].

"Krishnaji souhaitait éduquer la jeune génération d’une autre façon. Il pensa que le système actuel d’éducation était une sorte d’endoctrinement, de lavage de cerveau, qui ne libérerait pas l’esprit de son asservissement"[4].

"K. pensa que l’éducation était très important pour que l’humanité évolue dans une bonne direction. Le système d’éducation dominant dans le monde, n’est pas une éducation, mais une sorte d’endoctrinement, de lavage de cerveau. Il charge l’esprit des étudiants de toutes sortes de conditions. Et en plus il est autoritaire. “Ceci est vrai, cela ne l’est pas”. Et il ne fera jamais confiance au potentiel de l’intelligence et de la force de tout un chacun"[5].

"Il ne contribuera donc pas au déconditionnement de l’esprit humain. Il pensa pour cette raison qu’une nouvelle façon d’éduquer la jeune génération était essentielle. Il en parlait à des sympathisants et à ceux intéressés par son enseignement, et il fut décidé d’ouvrir des écoles avec un système d’éducation différent. Dans les écoles ouvertes par les trois fondations Krishnamurti dans le monde (Royaume-Uni, Etats-Unis et Inde) on suit la méthode d’éducation de Krishnamurti. On essaie de laisser la plus grande liberté aux étudiants, sans endoctrinement et sans autoritarisme. Les étudiants sont incités à se questionner, à analyser et à voir les choses pour eux-mêmes"[6].

"Ces écoles ne suivent pas de système rigide, pas de syllabus ou de curriculum rigide. Dans toutes les écoles comme celle-ci à Chennai, la plus ancienne à Rishi Valley, à Rajghat Varanasi, ou encore l’école de Bangalore Valley, on essaie de transmettre les bases de la société, tout en évitant les comparaisons, la compétition  la jalousie. Les étudiants sont encouragés à travailler ensemble. K. avait l’habitude de dire que l’éducation a pour but d’éveiller l’intelligence de l’individu, et que grâce à elle, sa bonté naturelle pourrait s’épanouir. Une fois que l’intelligence d’une personne a été éveillée, il n’y a plus besoin de la discipliner. La personne se discipline elle-même"[7].

Elles déploieront leur propre bonté par elles-mêmes. Ces écoles ont fait beaucoup de bien aux personnes qui ont reçu une formation dans les écoles de K. Les étudiants qui sont passés par les écoles de K. sont généralement très différents de ceux qui sont allés aux écoles conventionnelles[8].

"Les écoles de K. acceptent des personnes qui ne seraient pas prises par les écoles privées ou publiques. Les écoles ne sont pas gratuites, mais en comparaison aux autres écoles, elles ne sot pas très chères. On essaie de fournir une éducation gratuite à 5-10 % de la population totale"[9].

"K. parlait toujours d’un point de vue absolu, jamais du point de vue relatif. C’est pourquoi il n’accepte pas les notions de degré  de progression ou d’évolution. Selon ce point de vue, il n’y a ni temps, ni effort. Simplement une transformation spontanée. Si vous êtes éveillé, vous êtes éveillé. Si vous n’êtes pas êtes éveillé, vous ne l’êtes pas. Il n’y a pas d’éveil à moitié ou du non-éveil à moitié"[10].

"Puis, Krishnamurti était une personne extrêmement aimable. Pas uniquement dans son enseignement, mais il était une personne très affectueuse qui prenait soin des autres. Quand on était proche de lui, on ne voulait plus se séparer de lui. Il vous accordait une attention très particulière. Il prenait grand soin de chaque individu."[11]

***
Sur les liens de Rudolf Steiner et la société théosophique et sa fondation de la société anthroposophique.


Voir pour une opinion sur la politique actuelle d'éducation (Basic Education Policy, BEP) de la communauté tibétaine en Inde, cet article du Merabsarpa Journal

[1] "In this world, most religious traditions have become a system, and they become no religion. And some of spiritual understanding or message received by some well known people and they thought there should be some new message, some new philosophy, by which the name of religions can be revitalised and all religions might become together and that a new way of thinking can be created. So with this objective, the Theosophical Society was founded by Madame Blavatsky and Colonel Olcott. They were joined by many spiritual leaders including Bishop Leadbeater and Madame Annie Besant, who were searching for pure body and pure mind, through which a new wisdom can be channelized. And they found Krishnamurti, who was raised and educated to become the new world teacher."

[2] There was some kind of hierarchy and organisation and a lot of authority and so forth. Finally Krishnamurti evolved himself and he enlightened himself. He then really become a world teacher and throughout his life, for more than 50 years he delivered his unique message, which is the essence of all religions, but different from all the religious systems and institutions. And that is very relevant and important for humanity in this modern age.

[3] The mission of his life, the objective of K's life was to convey the message of the wisdom to as many people as possible. And he always tried to reach out to the humanity as large as possible. But he himself was not an organiser, he didn't even know how to purchase a train ticket, to get into a train and to go from one place to another. He had to depend on his friends and helpers. Due to some force, he always had good people to organise things for him. In the beginning these people were mainly those of the Theosophical Society, then he broke away with the society, yet his relationship with Madame Annie Besant remained as before and when Madame Annie Besant had established certain foundations like the Krishnamurti Foundation, purchased some houses in Chennai, and later on they established houses and a school in Rajghat, in Rishi Valley, wherever he goes he always found some schools, study centers and foundation offices. And these people organised public talks and dialogues and meetings for the benefit of the people. They know the mission of his life and in order to fulfill his mission, the people around him always organised public talks and dialogues with people.

[4] 22 :00 Krishnaji wished to educate the younger generations in a different way. he always thought that the present system of education was a kind of indoctrination, brainwashing. And that it would not make the spirit free from the bondage.

[5] 25 :00 K though that education is very important for evolving the human beings in the right direction. The prevailing education system in this world is not an education, but a kind of indoctrination of brainwashing. It puts all kinds of conditions upon the minds of the students. And moreover it is a kind of authoritarian "this is" and "this is not". And they will never believe the potential of the intelligence and strength of each of the individuals.

[6] 27 :00. So this will not help to decondition human mind. So therefore he thought a new way of educating the younger generation was very important. Therefore he talked to his well-wishers and those who were interested in his teaching, to establish his schools with a very different kind of education system. Due to that the three Krishnamurti foundations in England, America and India established schools in accordance with K's way of educating. They tried to keep the students as free as possible, without indoctrination and authoritarian teaching. They only try to encourage them to question, to investigate and to see things for themselves.

[7] 29 :00 There is no rigid system. No rigid syllabus or curriculum. All the schools in India like this school in Chennai, the oldest school in Rishi Valley and in Rajghat Varanasi, the Bangalore Valley School try to keep the economic essence like the other schools, yet the persons are kept without any comparison, competition and jealousy and help them to cooperate with each other. K used to say education is for awakening the intelligence of the person and thereby he or she can flower in goodness. Once the individual intelligence has been awakened, there is no need to discipline the person. He or she will become disciplined by themselves.

[8] 31 :00 So they will flower in goodness on their own. Therefore theses schools in India have benefitted numerous people who receive education in K's schools and thereby the children that are educated through K's schools are usually quite different from the children from conventional schools.

[9] K schools do admit those students who otherwise would be admitted in private and public schools. They have to charge, but in comparison with other conventional schools they are not very expensive. They also try to reach out to the poor people by giving free education to 5 -10 % of the total population.

[10] K talked only at the level of absolute, he never comes down to the relative. therefore he doesn't accept any graduation, anything becoming, anything progress or evolution. No time, no effort. Just spontaneous transformation. If you are enlightened, then you are enlightened. If you are not enlightened, then you are not enlightened. There is no half enlightenment or half non-enlightenment. In this way he always begins at the absolute level.

[11] And secondly, K was an extraordinary loving person. Not only his teaching, but K as a person was very very affectionate who would take care of others and very loving and affectionate once you became close to him, you never want to go away from him. He gives a very special kind of attention. He takes great personal care of each person.

jeudi 11 avril 2013

Des visionnaires occidentaux se réclamant du Bouddha



Certains philosophes de l’occident avaient accueilli le Bouddha comme une sorte de héro des Lumières et son culte comme un culte du néant. Ce n’était pas le seul type d'accueil que l'on fit au bouddhisme en occident. Kant s’était opposé à Swedenborg (1688-1772) (Träume eines Geistersehers, Rêveries d’un visionnaire) qu’il appelait « un chasseur de fantômes ». Ce dernier avait ses propres fans et sa propre filière de candidat-visionnaires, parmi lesquels on trouve Madame Blavatsky (1831-1891), qui avait fondé la Société théosophique en 1875 avec Henry Steel Olcott (1832-1907). Elle avait les objectifs suivants :
« -Former un noyau de la Fraternité Universelle de l'Humanité, sans distinction de race, credo, sexe, caste ou couleur ;
-Encourager l'étude comparée des religions, des philosophies et des sciences ;
-Étudier les lois inexpliquées de la nature et les pouvoirs latents dans l'homme. »
Ce dernier objectif prit corps dans « l’école ésotérique » du mouvement. Tout le monde pouvait devenir membre du mouvement simplement en affirmant sa croyance en la Fraternité Universelle de l'Humanité et en l’équivalence de toutes les religions, mais ceux qui voulaient avoir accès à l’enseignement de « l’école ésotérique », devait d’abord prouver leur loyauté au mouvement et leur sincérité.

Les enseignements de « l’école ésotérique » étaient principalement ceux qui provenaient des « Maîtres » (Mahātmā), des êtres spirituels supérieurs (de préférence hindous ou bouddhistes), membres de la Fraternité blanche/Grande Loge Blanche. Ils s’étaient libérés de "la roue du Karma", mais préféraient rester en contact avec les humains afin de les faire avancer sur le chemin de l’évolution. Ils étaient nombreux, mais deux parmi eux jouèrent un rôle important dans le mouvement théosophique. Il s’agissait des Maîtres « Morya » et « Kout Houmi », qui avaient pris une forme humaine et vivaient "dans un ravin au Tibet" (Ladakh ?). Mais ils avaient également le pouvoir de manifester ailleurs et d’entrer en contact avec les dirigeants du mouvement. Madame Blavatsky aurait vécu pendant six mois auprès de ces Maîtres au Tibet, où elle aurait reçu un entraînement occulte, qu’elle expose dans Isis Dévoilée et La doctrine secrète.

Dans la hiérarchie des êtres spirituels, les deux Maîtres se tenaient en dessous de Maitreya, le bodhisattva, dont le mouvement attendait une nouvelle entrée imminente dans un "véhicule humain". Maitreya serait dejà apparu auparavant en la figure de Jésus. Le Bouddha était le supérieur hiérarchique de Maitreya.

Après la mort de Blavatsky et Olcott, Annie Besant fut choisie comme présidente du mouvement, assisté par Charles Webster Leadbeater, qui fondèrent en 1911, l’ordre de l’étoile d’orient. Les deux se dirent clairvoyants.  Cette clairvoyance passa notamment par les messages qu’ils reçurent des deux Maîtres du mouvement. Besant était en contact avec Morya et Leadbeater avec Kout Houmi. Selon Leadbeater, les deux Maîtres n’allaient plus quitter "le ravin au Tibet" où ils séjournaient, et pour recevoir leurs enseignements, il fallait s’y rendre dans le corps astral, pendant son sommeil. Cette charge incombait à Leadbeater, qui devait accompagner les candidats, pendant leur sommeil, en son propre corps astral, et qui devait affirmer le lendemain, si les candidats avaient réussi ou non...

Après 1906, Leadbeater perdait momentanément sa position officielle dans le mouvement, suite à un scandale sexuel où furent impliqués deux garçons de Chicago, mais il continua de jouer un rôle important. Notamment dans la reconnaissance du nouveau « véhicule humain » de Maitreya. Une première fois (1907), il avait cru reconnaître ce véhicule dans un jeune éphèbe de onze ans, Hubert van Hook, fils d’un membre américain du mouvement[1], dont il devrait prendre en charge l’apprentissage à Ayar. Mais finalement (1909), ce serait Krishnamurti. Pour son initiation, Leadbeater le conduisait "dans son corps astral" au séjour de Maître Kouthoumi, dont Krishnamurt écrirait les instructions le lendemain matin. En 1910, Leadbeater obtint la permission de s’enfermer pendant trois jours seul avec Krishnamurti, pour l'amener à Shambala, où il serait accepté comme disciple par Kout Houmi et initié. Au bout des trois jours, Krishnamurt se serait écrié selon Leadbeater : « Je me souviens, je me souviens ! ». Dans ses notes, Krishnamurti avait écrit que dans l'habitation de Kout Houmi furent également présents Maître Morya, Annie Bessant et Leadbeater, et que tous étaient aller voir Maitreya ensemble. A la fin de la cérémonie avec Maitreya, Krishnamurti fut admis à la Fraternité blanche/Grande Loge Blanche. En sortant de ses trois jours d'enfermement avec Leadbeater, il fut salué comme le Maître du mouvement. Leadbeater continua cependant de se charger de l’éducation de Krishnamurti en suivant scrupuleusement les ordres de Kout Houmi...

"Par ailleurs, la théosophie aurait touché dans sa jeunesse londonienne l'exploratrice et tibétologue Alexandra David-Néel et l'aurait incitée à explorer l'Asie.  Elle aurait même vécu un certain temps dans une maison au siège international de la Société théosophique à Adyar en Inde, dont elle décrit les adeptes avec une certaine ironie dans un livre posthume, Le sortilège du mystère." (Wikipedia)

Le reste est connu, Krishnamurti prendrait ses distances avec les différents clans qui se commencèrent à se former au sein du mouvement. La mort de son frère Nitya en 1925, lui aurait fait perdre toute foi en les Maîtres tels qu’ils furent présentés par Leadbeater. Il garda néanmoins foi en Maitreya et en sa propre mission.[2] Au camp d’été d’Eerde (Pays-Bas), il rendit public son point de vue.[3] « En août 1929, il décida de dissoudre l'organisation mondiale, établie en 1913, pour le soutenir et qui avait été appelée « l'Ordre de l'Étoile du Matin », déclarant à cette occasion : « La Vérité est un pays sans chemins, que l'on ne peut atteindre par aucune route, quelle qu'elle soit : aucune religion, aucune secte. ». Il considérait que les rituels et exercices spirituels de cet ordre étaient au mieux dénués d'intérêt et au pire absurdes. Il déclara aussi que dans cet ordre, la seule personne réellement sincère était Annie Besant. Son opposition à toute notion de sauveur, de gourou ou de tout médiateur pour faire l'expérience de la « réalité » allait devenir sa ligne directrice. Selon Mary Lutyens, le dernier lien avec la société théosophique fut rompu avec la mort d'Annie Besant en 1933 » 

***

Photo : Krishnamurti, Leadbeater, Besant

[1] De levensweg van Krishnamurti, Mary Luytjens, p. 23. Hubert van Hook garda toute sa vie une rancune contre Leadbeater. note p. 23  Wikipedia : Mary Lutyens states: "Hubert later swore to Mrs Besant that Leadbeater had 'misused' him, but as he was extremely vindictive by that time, his testimony, though unshaken, was perhaps not altogether reliable."

[2] Luytyens, p. 71

[3] Luytyens, p. 81

dimanche 7 avril 2013

Shantideva sur la société de consommation et de spectacle



Dans le chapitre huit (Méditation) de sa Marche vers l'éveil (bodhicaryāvatāra), Śāntideva nous invite à une méditation qui vise à nous détourner d’une approche uniquement sensualiste, de l’attirance naturelle exclusive pour les biens matériels et des intérêts mondains[0], qui dérèglent les sens et la raison. Śāntideva invité à trouver un bonheur en soi-même, autre que la consommation. Une grande partie de cette méditation est consacrée à une réflexion sur l’attachement que nous avons pour notre propre corps et pour celui d’autrui. Pour remédier à cela, le Bouddha avait enseigné l’attention aux aspects répugnants (paṭikūlamanasikāra), qui portait sur 31 parties du corps[1], afin de contrer la tendance sensualiste. L’endroit idéal pour cette méditation était le charnier, où étaient « entassés à découvert, pêle-mêle, sans sépulture, de nombreux cadavres humains » (atilf) en divers états de décomposition. Le but n’étant pas tant de déprécier le corps que de détourner l’attention des plaisirs sensuels (en préparation du pratyāhāra), et de la porter sur le fonctionnement du psychisme.

Il faut des moyens puissants, car le sensualisme est puissant et règne en maître dans notre société. La méditation sur les aspects répugnants nous apprend de quoi est fait un corps. Les odeurs du charnier apprennent les odeurs que peut produire le corps humain. Même un corps humain vivant, non soigné, produit des odeurs considérés comme déplaisants. Sans les soins portés au corps, il produit l’odeur d’une chair qui transpire (« fange »), les dents jaunissent, les cheveux et les ongles poussent.[2] Le corps montre alors son vrai visage, qui nous insupporte et qui brise le sortilège que nous essayons d’entretenir collectivement en portant des soins de plus en plus poussés au corps et en masquant son odeur par des parfums. Mais en faisant de la sorte, nous entretenons aussi une illusion[3] qui un jour se tournera contre nous comme une arme pointue, que nous aurions nous-mêmes façonnée. C’est une illusion soigneusement entretenue par la société dans son ensemble. Et la publicité aguichante ne manque pas de nous le rappeler, partout et toujours afin de maintenir l'ensorcellement.

69. Pourquoi le soigner autant, comme une arme qui nous blessera ? Le monde entier est perturbé par la folie de ceux qui entretiennent cet aveuglement sur nous-mêmes.[4]

70. Quand on voit ce charnier jonché de squelettes, on ressent de la répulsion. Peut-on alors toujours aimer les charniers que sont les villes, remplies de squelettes ambulantes ?[5]

71. Et ces corps impurs ne se trouvent pas sans payer le prix fort. Pour arriver à ses fins (artham arjanā), il faut se donner beaucoup de mal, ce qui aura toutes sortes de souffrances pour résultat, quelquefois infernales.[6]

72. Enfant, nous sommes incapables de gagner notre vie. Pendant notre vie d’adulte, nous ne faisons que cela, sans avoir le temps de nous amuser. Et à la fin de la vie, nous sommes trop vieux pour nous amuser.[7]

73. Certains consommateurs (S. kāminaḥ) désirant des choses banales, à la fin d’une journée de travail sont complètement épuisés. En rentrant chez eux, vidés, ils restent couchés comme des cadavres.[8]

74. D’autres sont toujours en déplacement, affligés et souffrant de l’éloignement de leurs chers. Tout en se languissant de leurs femme et enfants, ils ne les reverront pas avant toute une année.[9]

75. En pensant à tort d’y être gagnant, ils se vendent à n’importe quelle cause. Sans arriver à réaliser leurs propres objectifs, ils sont poussés par les vents des vains projets d’un autre.[10]

76. Encore d’autres vendent leur corps et, sans liberté, sont exploités par un autre. Et chaque fois que leur femme donne naissance, ils sont obligés d’abandonner l’enfant près d’un arbre ou dans un lieu peu fréquenté.[11]

77. Naïvement, poussés à la consommation et voulant gagner de l’argent, ils se disant « Je dois gagner de l’argent » et au péril de leur vie s’engagent dans une armée. En échange d’une solde, ils acceptent d’être traités en esclave.[12]

78. D’autres adeptes de la consommation [vivent du spectacle] en mutilant leur corps, en s’empalant sur des pieux, en se plantant des dagues, ou en se brûlant le corps.[13]

79. Regardez tout le mal que l’on se donne et ce que l’on endure pour gagner, garder et finalement perdre l’argent. Ceux qui perdent de vue leur véritable intérêt par leur obsession de l’argent n’auront pas l’opportunité de se délivrer des misères de l’existence.[14]

80. Celui qui sous l’emprise de la consommation s’accommode de beaucoup d’inconvénients pour peu, est comme le bœuf qui tire son chariot pour une bouchée d’herbe.[15]

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Photo : Tristan Savatier. Remarquez la corde nasale dans les narines. D'où l'expression Ne laissez pas la corde nasale (sna thag = les rênes) à un autre (sna thag mi la ma shor ba), qui vient sans doute de Dampa Sangyé (Lion of siddhas p. 200) L'expression se trouve aussi dans un chant de Milarepa à Lengom Repa.

[0] Gain et perte, bonheur et souffrance, louange et critique, célébrité et anonymat.

[1] head hairs (Pali: kesā), body hairs (lomā), nails (nakhā), teeth (dantā), skin (taco), flesh (maṃsaṃ), tendons (nahāru), bones (aṭṭhi), bone marrow (aṭṭhimiñjaṃ), kidneys (vakkaṃ), heart (hadayaṃ), liver (yakanaṃ), pleura (kilomakaṃ), spleen (pihakaṃ), lungs (papphāsaṃ), large intestines (antaṃ), small intestines (antaguṇaṃ), undigested food (udariyaṃ), feces (karīsaṃ), bile (pittaṃ), phlegm (semhaṃ), pus (pubbo), blood (lohitaṃ), sweat (sedo), fat (medo), tears (assu), skin-oil (vasā), saliva (kheḷo), mucus (siṅghānikā), fluid in the joints (lasikā), urine (muttaṃ).

[2] gal te skra sen ring ba dang*// so skya drir bcas ’dam gyi dris// bsgos pas lus kyi rang bzhin ni//gcer bu ’jigs pa nyid yin na// yadi keśanakhair dīrghair dantaiḥ samalapāṇḍuraiḥ |malapaṅkadharo nagnaḥ kāyaḥ prakṛtibhīṣaṇaḥ ||68||

[3] La fameuse sagesse (prajñā) n’a rien de mystérieux. Elle commence par ne pas se laisser ensorceler.

[4] rang la gnod pa’i mtshon bzhin du// de ’bad ci phyir byi dor byed// bdag la rmongs pa’i ’bad pa yis// smyos pas sa ’di kun tu ’khrugs// sa kiṃ saṃskriyate yatnād ātmaghātāya śastravat | ātmavyāmohanodyuktair unmattair ākulā mahī ||69||

[5] rus gong ’ba’ zhig mthong nas ni// dur khrod du ni yid ’byung na// g.yo ba’i rus gong gis khyab pa’i// grong gi dur khrod la dga’ ’am// kaṅkālān katicid dṛṣṭvā śmaśāne kila te ghṛṇā | grāmaśmaśāne ramase calatkaṅkālasaṃkule ||70||

[6] de ltar mi gtsang gyur pa de// rin med par ni mi rnyed do// de don bsgrubs pas sha thang dang*// dmyal la sogs pa’i gnod par ’gyur// evaṃ cāmedhyam apy etad vinā mūlyaṃ na labhyate |tad artham arjanāyāso narakādiṣu ca vyathā ||71||

[7] byis pa nor spel mi nus pas// dar la bab na ’di ci bde// nor sogs pa yis tshe gtugs na// rgas nas ’dod pas ci zhig bya// śiśor nārjanasāmarthyaṃ kenāsau yauvane sukhī |yāty arjanena tāruṇyaṃ vṛddhaḥ kāmaiḥ karoti kim ||72||

[8] ‘dod ldan ngan pa kha cig ni// nyin rings las kyis yongs dub ste// khyim du ’ongs nas chad pa’i lus// ro dang ’dra bar nyal bar byed// kecid dināntavyāpāraiḥ pariśrāntāḥ kukāminaḥ |gṛham āgatya sāyāhne śerate sma mṛtā iva ||73||

[9] kha cig byes bgrod nyon mongs dang*// ring du song ba’i sdug bsngal can//bu smad ’dod bzhin bu smad rnams// khyud khor los kyang mthong mi ’gyur// daṇḍayātrābhir apare pravāsakleśaduḥkhitāḥ |vatsarair api nekṣante putradārāṃs tadarthinaḥ ||74||

[10] bdag la phan ’dod rnam rmongs pas// gang don nyid du btsong ba yang*// de ma thob par don med pa’i// gzhan gyi las kyi rlung gis bdas// yad artham iva vikrīta ātmā kāmavimohitaiḥ |tan na prāptaṃ mudhaivāyur nītaṃ tu parakarmaṇā ||75||

[11] la la rang gi lus btsong zhing*// dbang med gzhan gyis bkol gyur te// chung ma dag kyang bu byung na// shing drung dgon par bab bab ’byung*// vikrītasvātmabhāvānāṃ sadā preṣaṇakāriṇām |prasūyante striyo ’nyeṣām aṭavīviṭapādiṣu ||76||

[12] ’dod pas bslus pa’i glen pa dag// ’tsho ’dod ’tsho bar bya’o zhes// srog stor dogs bzhin g.yul du ’jug// khe phyir bran du ’gro bar byed// raṇaṃ jīvitasaṃdehaṃ viśanti kila jīvitum |mānārthaṃ dāsatāṃ yānti mūḍhāḥ kāmaviḍambitāḥ ||77|| khe= solde. Y a-t-il un lien avec kha=la bouche. Pour une bouchée de pain…

[13] ’dod ldan la la lus kyang bcad// kha cig gsal shing rtse la btsugs// kha cig mdung thung dag gis bsnun// kha cig bsregs pa dag kyang snang*// chidyante kāminaḥ kecid anye śūlasamarpitāḥ |dṛśyante dahyamānāś ca hanyamānāś ca śaktibhiḥ ||78||

[14] bsags dang bsrung dang brlag pa’i gdung ba yis// nor ni phung khrol mtha’ yas shes par bya// nor la chags pas g.yengs par gyur pa rnams// srid pa’i sdug bsngal las grol skabs med do// arjanarakṣaṇanāśaviṣādair artham anartham anantam avaihi |vyagratayā dhanasaktamatīnāṃ nāvasaro bhavaduḥkhavimukteḥ ||79||

[15] ’dod ldan rnams la de la sogs// nyes dmigs mang la mnog chung ste// shing rta ’dren pa’i phyugs dag gis// rtswa ni kham ’ga’ zos pa bzhin// evam ādīnavo bhūyānalpāsvādas tu kāminām |śakaṭaṃ vahato7 yadvat paśor ghāsalavagrahaḥ ||80||

samedi 6 avril 2013

Essence et nature

Quelques réflexions libres.

Pour traduire le terme tibétain « ngo bo », on trouve le plus souvent « essence ». Le Bod rgya tshig mdzod chen mo donne comme synonymes de « ngo bo » respectivement « rang bzhin » et « gnas lugs ».

Le mot essence peut être définie comme « Ce qu'un être est ». Le mot essence vient du latin essentia (de esse = être) et du grec ousia (essence, substance, être). Quand l’essence est utilisée en opposition à « accident » (S. āgantuka T. glo bur), ce mot signifie « ce qu’est une chose, ce qui la constitue, lui donne sa réalité propre, à la différence des modifications superficielles ». Quand elle est opposée à l’existence, l’essence renvoie à « la nature d’une chose, son être intelligible, ce que nous comprenons qu’elle est, indépendamment du fait d’être ou d’exister (ou par opposition à ce fait). »[1]

Dans son explication de la trinité, Maître Eckhart utilise des définitions assez simples, qui nous donnent un autre éclairage. Il fait la distinction entre « essence » (Wesen) et « nature » (Natür). L’essence se tient (ziehen = tirer) en elle-même, et la nature est commune aux deux personnes [de la trinité], elle est identique (ein).[2] La nature est partagée, et c’est pourquoi on l’appelle identique/une. Tandis que l’essence se tient en elle-même et n’est pas partagée. La nature est alors comme un troisième élément, que partagent deux éléments. Elle est alors ce par quoi ils sont unis ou liés.

La théologie fait une distinction entre un essence première, qui est la cause (Dieu) et une essence seconde ou dérivée (créature). Dans une approche « non-théiste », on pourrait distinguer entre la nature naturante[3] et la nature naturée (bien que ses termes soient aussi dérivées de la théologie)[4], où la nature naturante est  considérée comme créatrice et la nature naturée comme la création.

C’est le terme tibétain « rang bzhin » qui est souvent traduit par « nature » ou nature propre pour rendre le sva de svabhāva. Le terme sanskrit svabhāva est traduit en tibétain aussi bien par « ngo bo » que par « rang bzhin ». Comme la définition de « ngo bo » le montre, il y a souvent confusion entre « ngo bo » et « rang bzhin ». Ainsi on trouve que la chaleur peut être à la fois l’essence (ngo bo) et la nature (rang bzhin) du feu. L’essence (ngo bo) dans ce cas semble plus approprié, si on tient compte de la définition d'Eckhart. L’introduction du Le Précieux Ornement de la libération de Gampopa (T. dwags po thar rgyan, format Epub tablette électronique) explique que le saṁsāra et le nirvāṇa partagent une même nature (rang bzhin) : la vacuité. Deux éléments opposés partagent la même nature.

Ce qui complique les choses encore davantage est que le mot tibétain « rang bzhin » n’est pas seulement la traduction de « svabhāva », mais aussi de prakṛti, la « nature originelle » du sāṃkhya  qui correspond à la nature qui nature (Gr. physis), le principe de production des choses naturelles. Quand les textes tibétains font spécifiquement référence à la nature originelle du système sāṃkhya, on trouve plutôt les traductions « (spyi’i) gtso bo » ou « rtsa ba’i rang bzhin » (S. mūlaprakṛti).

Quand les textes tibétains parlent de la nature de l’esprit (T. sems kyi rang bzhin)[5], on peut comprendre l’essence de l’esprit, ou la nature productive de l’esprit ou les deux. En sanscrit, nous trouvons aussi bien citta-svabhāva que citta-prakṛti (p.e. dans le Ratnagotravibhāga). Le terme citta-prakṛti semble viser plutôt l’aspect dynamique de l’esprit, sa nature productive. Généralement, la nature de l’esprit a trois aspects : son essence, qui peut être définie comme non-discursivité (avikalpa) ou comme indéterminé (T. med pa), sa nature productive « luminescente » (prakāśa), et sa félicité/plénitude (sukha)[6]. Dans le cas de la non-reconnaissance/nescience (avidyā) de la nature de l’esprit et par la volonté individuelle, la productivité de la nature productive est appropriée par l’imagination productive (S. parikalpa T. kun nas rtog pa), qui crée en donnant forme à un monde. Le résultat est un asservissement au lieu de la liberté (sukha).

Un autre terme que l’on voit souvent traduit par « nature de l’esprit » est « sems nyid »[7], qui peut correspondre aux termes sanscrit « citta eva » (l’esprit en soi), « cittatva » construit avec le suffixe –tva (état, propriété), ou citta-tā, comme l’abréviation de citta-dharmatā, le fond immuable des faits mentaux (citta-dharma)[8] qui n’est autre que la vacuité. Ce terme réfère alors plutôt à l’essence (sems kyi ngo bo) de l’esprit qu’à sa nature (prakṛti). J’ai constaté que dans différentes versions du même texte, ou dans le cas de citations de certains textes canoniques, le terme « sems nyid » peut être remplacé par « rig pa ». Ces deux termes semblaient donc être interchangeables dans un premier temps (notamment chez Longchenpa).

Un terme que l’on trouve souvent chez Longchenpa est « rang bzhin rdzogs pa chen po », p.e. « sems nyid rang bzhin rdzogs pa chen po », la conscience-en-soi et sa nature, la perfection universelle. Les mots sont simplement juxtaposés. Dans plusieurs traductions anglaises, on voit le terme « rang bzhin » traduit comme un adverbe « rang bzhin gyis » ou adjectif, ce qui donne la grande perfection naturelle. Dans le Discours du roi pancréateur, on ne trouve pas ce terme. On y trouve en revanche, « rang bzhin rdzogs pa », où la nature est précédée de « ma byas » (non créé) et de « bya med » (sans agir/affaires). Il me semble qu’il faudra alors plutôt traduire ce terme par « parfaite nature universelle » de « la conscience-en-soi ». La simple juxtaposition des termes permet encore d'y donner une interprétation sāṃkhya ou « śaktiste » en considérant que c'est l'union de la conscience-en-soi et de la nature qui constituent ensemble la perfection universelle. La nature est alors la partie active de la conscience-en-soi en repos. 

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[1] Dictionnaire de la philosophie, Armand Colin, pp 117-118

[2] « Zwei dinc sprichet man von gote : man sprichet wesen un nâtüre. Daz wesen ziuhet in sich, und nâtüre is gemeinlich den persônen : es ist ein. »

[3] Emprunt au latin scolastique « natura naturata » créé au XIIe s. par les traducteurs d'Averroes. Chez Spinoza, natura naturante et natura naturata

[4] Essai sur le mysticisme spéculatif de maître Eckhart, August Jungdt, p. 68 « Die genaturte Nature…ist niht denne ein got und drie personen (538, 1) » .

[5] Google 39.200 résultats. Sems kyi ngo bo 17.900 résultats.

[6] Mi rtog pa, gsal ba, bde ba. Ce triple aspect semble correspondre plus ou moins au saccidānanda (être, conscience et béatitude) des vedantins.

[7] Sems kho na, ou sems kyi chos nyid.

[8] Aussi appelé quelquefois le « non-esprit » (acitta).

lundi 1 avril 2013

Importation, homologation et exportation d'une ogresse (yaksi)



Ceux qui dans le bouddhisme tibétain font la pratique de l’effigie d’eau (chu gtor) et qui, à la fin de leur repas, laissent un peu de nourriture dans leur assiette en la dédicaçant aux pretas connaissent sans doute l’histoire de l’ogresse et de ses 500 enfants. Cette ogresse était une yakṣī du nom de Hārītī. Cette déesse d’origine Indo-iranienne était une saisisseuse d’enfants, qui dévora les enfants des autres. Quand le bouddhisme est arrivé dans la région de Gandhāra, le culte de la yakṣī fut intégré dans le bouddhisme.

Évidemment, cela passe par une petite histoire. Des mères viennent voir le Bouddha pour lui demander de les aider à protéger leurs enfants contre la yakṣī Hārītī. Celui-ci enlève Aiji, le fils cadet de Hārītī et le cache sous son bol d’aumônes. Hārītī est désépérée et cherche partout son fils aimé. En désespoir de cause elle vient voir Śākyamuni. Celui-ci lui dit qu’elle souffre parce qu’elle a perdu un de ses 500 enfants. Il lui demande d’imaginer la souffrance des parents qui ont perdu leur enfant unique, et il fait le vœu de les protéger. Après s'être repentie et convertie au bouddhisme, elle nourrissait ses enfants uniquement avec des grenades, en substitution de la chair d’enfant. Dans le Gandhāra, on s’adressait désormais à elle, pour avoir une naissance facile et pour la protection des enfants. Les représentations de Hārītī que l'on trouve dans les caves d'Ajanta et ailleurs auraient leur origine en Gandhāra.

La tradition tibétaine explique qu’en échange de la conversion de Hārītī et pour la dédommager de la protection qu’elle accorde, le Bouddha aurait recommandé à ses moines de réserver un peu de leur nourriture à Hārītī. Pour l'origine des tormas il y a une anecdote similaire.

La pratique de l’effigie d’eau (T. chu gtor) est une offrande d’eau avec de la nourriture (boulettes de farine et sucre) versée dans sept récipients, destinée aux quatre types d’invités : les trois Joyaux et Racines, les dieux de richesses (des yakṣa), les êtres des six destinées, et les preta en particulier. Le mot « gtor » dans « chu gtor » est l’abréviation de « torma » (T. gtor ma S. « balingta » selon les tibétains, bali).

Il existe différents types de tormas[1]. Les torma-support (rten gtor) qui servent de support à la divinité et des tormas d’offrande de différentes sortes, qui peuvent avoir diverses fonctions : (entre autres) une offrande (destinée aux divinités), le « salaire contractuel » dû aux anciens yakṣa reconvertis, voire une rançon (glud gtor) dans le cas spécifique où un dieu démon subordonné de l’entourage des yakṣa aurait saisi un enfant que l’on voudrait récupérer. Les prêtres des empereurs tibétains avaient d'autres rituels de rançon (T. glud, byol) pour le rachat de l'âme du défunt. Le phénomène de saisie/possession et les rituels de rachat existaient également en France.

Dans le cas d'un enfant "saisi", il existe aussi des rituels qui servent à tromper (bslu) les démons en question, et où l’on utilise un « rta gtor », un « torma-cheval ». Les démons sont éloignés des enfants par des effigies qui sont des leurres. Une fois que les démons sont attrapés dans ces tormas, ceux-ci leur servent de "cheval" pour les emporter loin de l’enfant « saisi » ou « possédé ». Dans d’autres rituels, un effigie de l’enfant (chung glud) peut être offert. Tout se négocie, aussi dans le monde surnaturel. Même les bouddha n’y échappent pas.

Intégré dans le bouddhisme dans le Gandhāra, Hārītī, d'origine iranienne, a fait par la suite l'objet d'un culte dans quasiment tous les pays bouddhistes, par des adeptes souhaitant avoir des héritiers, puis par coutume et par tradition.  

Hārītī (T. 'phrog ma) fait aussi partie du maṇḍala du Kālacakra Tantra.

Pour d'autres formes de protection, revoir De l'usage d'une armure dans le bouddhisme.

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Illustration : relief représentant Hariti à Mathura, 2ème siècle

[1] « torma; expl. of various types: About shrine torma, perpetual torma, captured torma, daily torma, occasional torma, and so forth, the Notes for the Development Stage by Künkhyen Tenpey Nyima mention: The shrine torma (rten gtor) is visualized as the deity and kept for as long as it lasts as an object of offering. The perpetual torma (rtag gtor) which is kept for special durations, months and years, in the manner of shrine offering, can be of two types. The first is the sadhana torma (sgrub gtor), also called offering torma (mchod gtor), which is presented to the deities at the time of making offerings. The other is the mending torma (skang gtor) which is given in the manner of manifold sense-pleasures. The session torma (thun gtor), also called daily torma (rgyun gtor), is given occasionally as a present at the end of enjoining certain activities. The captured torma (gta' gtor) is kept until the activity is accomplished after which it is given so the activity is accomplished swiftly and with no delay. [EPK] »