jeudi 11 juin 2015

Miroitements



Le Discours de l’ornement lumineux de la gnose (sct. Jñānalokālaṃkāra, JAA)[1] raconte comment l’Éveillé agit dans le monde sans aucun effort à l’aide de plusieurs analogies. La toute première donne l’exemple du plan céleste Trāyastriṃśa, le plus haut des plans célestes du monde du sensible (sct. kāmadhātu). Il est gouverné par Śakra. Dans le JAA, l’Éveillé propose à Mañjuśrī d’imaginer que notre terre soit entièrement faite de béryl, de façon à ce qui s’y reflète le plan céleste Trāyastriṃśa avec Śakra, son palais et qu’on les y voyait s’amuser. Les dieux de Trāyastriṃśa attireraient l’attention des terriens en les invitant de bien regarder Śakra s’amuser dans son palais et de s’en inspirer pour faire des dons, accumuler du mérite et s’imposer une discipline, afin d’avoir accès au même confort. Les terriens rendraient alors hommage aux reflets dans le béryl, en leur faisant des offrandes et en faisant le vœu d’un jour devenir comme Śakra et d’avoir accès au même bonheur.

Dans le plan céleste le plus élevé du triple monde dans sa totalité siège Brahmā, le premier de tous les dieux. Quand Brahmā regarde vers le bas et voit les différentes classes de dieux et leurs amusements, ceux-ci s’arrêtent, joignent leurs mains et regardent le grand Brahmā sans cligner de yeux. Pendant un instant, Brahmā s’offre au regard de tous les dieux, qui désirent alors de naître dans le monde Brahmā et qui se sentent inspirés d’agir en sorte d’y naître. C’est sans descendre de son palais, que Brahmā se rend visible à tous les dieux, par une forme émanée de lui-même. Tout comme les terriens s’adressaient au reflet de Śakra dans le béryl, les dieux s’adressent à une émanation vide de Brahmā.

Il en va de même pour le tathāgata, que l’on perçoit dans le monde avec toutes les marques au complet, qui est comme une image réfléchie, sans se séparer de sa source. Bien qu’elle soit vide, les différents êtres la voient à leur propre image, c’est-à-dire à leur propre niveau de compréhension et d’aspiration. Le « siège » du tathāgata que celui-ci ne quitte jamais est le Corps réel (sct. dharmakāya), les Corps formels, visibles aux êtres selon leurs dispositions respectives, procèdent du Corps réel, comme des émanations, des reflets sans réalité propre, vides. Le véritable tathāgata n’est pas dans ses reflets, qui ne sont cependant pas dissociables de lui.

Les reflets de Śakra, les émanations de Brahmā et les Corps formels du tathāgata réfléchissent leur source, leur Base (tib. gzhi). Prendre les reflets (épiphanies) pour la Base serait une erreur. Le Discours de l’ornement lumineux de la gnose explique aussi que la gnose (jñāna) du tathāgata est comme le soleil. La lumière du soleil éclaire d’abord les points les plus élevés dans l’univers (le mont Meru) et progressivement les endroits moins élevés. Tout cela sans aucune intention et sans aucun effort. De même la gnose du tathāgata éclaire d’abord les bodhisattvas, dont la motivation est semblable au Mont Meru, et ensuite les autres êtres en fonction de l’éminence de leur motivation.

Le JAA avait été traduit en chinois par Dharmaruci au début du VIème siècle. Il contient des éléments gnostiques, à commencer par les mots gnose et ornement de lumière dans le titre. La descente de la lumière et de l’Intelligence selon une certaine hiérarchie. Le plan céleste le plus élevé qui se reflète dans le plan céleste au sommet du monde du sensible, et qui se reflète dans le monde du sensible. Les reflets reliés à la Base pouvant servir de véhicule, de moyen pour accéder à la Base. Tout cela n’est sans doute pas un hasard.

Puis, le Bouddha qui explique qu’il ne s’agit que de reflets, que la motivation de devenir soi-même les reflets qui nous inspirent au moyen d’un culte n’est pas parfaite, et qui montre que la Base peut être retrouvée à l’aide des trois absorptions aussi appelées les trois portes de la libération (tib. rnam thar sgo gsum).[2]

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[1] Sarvabuddha­viṣayāvatāra­jñānālokālaṃkāraet en tibétain ’phags pa sangs rgyas thams cad kyi yul la ’jug pa’i ye shes snang ba’i rgyan zhes bya ba theg pa chen po’i mdo.

[2] Vacuité (sct. śūnyatā), absence d’attributs (sct. animitta), absence d’attentes (sct. apraṇihita).

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