dimanche 30 septembre 2018

Tentative de clarification




Ce billet a pour but d’essayer de clarifier des points qui font souvent l’objet d’amalgames. Mon but n’est pas de critiquer ni de défendre le Dalai-Lama, sauf si je le précise, ni les tantras ou du moins leur transmission traditionnelle. Dans ces questions, il peut y avoir différents points de vue selon les époques, les zones géographiques, les cultures, la conception d’une tradition (progressiste, conservatrice,…). Les thèmes sont ceux que l’on trouve quelquefois amalgamés sur l’Internet. J’essaie de défaire les amalgames et de comprendre ce qu'il s’y joue. Ce billet peut évoluer en fonction des besoins.


Double discours

Dans son interview avec Marije Vlaskamp du quotidien néerlandais De Volkskrant (10 septembre 2018) sous le titre « De Dalai Lama toont zich verrassend mild over China », le Dalai-Lama déclare toujours tenir un discours davantage séculier quand il enseigne en Occident. Parmi les tibétains, il se comporte comme un lama traditionnel qui écoute l'oracle national. Les raisons de cette double approche (discours) lui appartiennent et se justifient peut-être en partie, mais cela n’empêche pas qu’elle est problématique.


Le Dalai-Lama n’est pas un pape

Depuis (1640) le Vème Dalai-Lama, Lobsang Gyatso, le Dalai-Lama est le chef d’état du Tibet. Dans le cadre de la démocratisation du gouvernement tibétain en exil, un premier ministre fut élu en 2011 mettant fin au pouvoir temporel du Dalai-Lama. Même s’il n’est pas le pape du bouddhisme tibétain, il reste le personnage emblématique du Tibet et du bouddhisme tibétain. Son avis compte, il reconnaît des tulkous des autres écoles, y compris ses chefs (Karmapa XVII). Il a, ou s’attribue, le pouvoir d’abolir des cultes (Shougden) et il peut convier tous les chefs des écoles tibétaines à des réunions qu’il préside. Ainsi en novembre 2018, sera tenu une réunion où les chefs des écoles se réuniront à Dharamsala pour débattre entre autres de la suite à donner aux abus sexuels perpétrés par des maîtres bouddhistes tibétains. Cette réunion n’a peut-être pas de pouvoir décisif, mais une déclaration commune aurait certainement de l’effet.


Abus sexuels

Les abus sexuels connus et médiatisés sont ceux subis par des victimes occidentales (Rigpa, Shambala, OKC, Namkha,...). Du côté tibétain, cela n’est pas un sujet et/ou il n’est pas médiatisé. Les confessions de Kalou II Rinpoché étaient en anglais et destinées à un public occidental. Certaines publications font état d’abus de jeunes moines dans un cadre monastique. Je n’ai pas connaissance d’une réaction ou de mesures de la part des chefs d’écoles tibétaines. Il se peut que la réunion de novembre ne traite que de l’aspect occidental des abus sexuels, suite à la médiatisation en Occident. Aucune société, culture ou religion etc. avec des relations de pouvoir n’est à l’abri des abus sexuels. Ce n’est donc pas une question d’un phénomène qui se passe à certains endroits et pas ailleurs. Le silence reste la réaction la plus commune.


Différences culturelles

L’individualisme, la parité homme-femme (toujours en projet), la pensée critique, la liberté d’expression, la médiatisation des problèmes… sont des éléments culturels de l’Occident, qui passent plus mal dans des sociétés plus traditionnelles. La question du Tibet, tout comme le Dalai-Lama, ont néanmoins profité d’une bonne couverture médiatique. D’autres lamas tibétains ont appris à bien se servir des médias pour se faire connaître ou pour faire connaître leurs opinions. La question des abus sexuels et la médiatisation de cette question s’est imposée aux hiérarques tibétains. Il faudrait attendre pour voir comme cela évoluera par la suite.

Dans les sociétés traditionnelles la femme peut être sous la protection d’un homme, voire être sa propriété. Les règles bouddhistes sur l’inconduite sexuelle font cas de cette protection. Une femme est sous la protection de son père, de son mari et si celui-ci meurt de son fils. Si elle n’a pas d’enfants, elle est considérée être sous la protection du roi. Une nonne est sous la protection du Sangha. Avoir des rapports sexuels avec une femme qui est sous la protection d’un autre (homme) est considéré comme de l’inconduite sexuelle. Sont également considérés ainsi, l’inceste, les rapports oraux et anaux, ou par la force et la violence, ainsi que des règles d’un ordre davantage culturel. Il s’agit d’injonctions religieuses et non d’actes répréhensibles par la loi. Ils se purifient par des actes religieux. Les femmes ‘libres’ en Occident qui ne sont la propriété de personne sont donc ‘hors la loi’ en ce qui concerne la règle d’inconduite par rapport à la propriété.

En revanche, dans le choix d’un gourou, son respect des injonctions religieuses peut jouer un rôle. Généralement, dans le bouddhisme tibétain, il incombe au disciple de bien choisir son gourou, et de faire son enquête avant de s’engager.

En ce qui concerne l’abus sexuel qui consiste en contraintes verbales, visuelles et psychologiques et les contacts physiques (source), ils constitueront de l’inconduite par ‘la force et la violence’, ainsi que par l’abus de confiance, qui serait plutôt de l’ordre du mensonge.

Ce qui avait pu être de l’ordre du privé est devenu une cause publique en Occident, et par la force des choses aussi pour le Dalai-Lama et la réunion des chefs tibétains.


Tantrisme

Le tantrisme est désormais associé avec des pratiques sexuelles, mais cela n’a pas toujours été le cas. Dans le bouddhisme, les tantras avaient commencé comme des livres d’incantations (dharanis, mantras), à toutes fins utiles, le plus souvent centrés autour d’une divinité ou bouddha manifesté comme une divinité. Ils comportent ce que nous appellerions ‘de la magie’. Les formes des tantras évoluent beaucoup et les différentes versions peuvent intégrées de nouveaux éléments. Y compris kaula dans les yoginitantras et les yogatantras supérieurs : des pratiques sexuelles et plus tard du yoga sexuel. Les partenaires de ces pratiques (mudrā) furent au départ des femmes « non-protégées » de basses castes, et portent souvent les noms de leurs castes.

Hormis d’autres prescriptions tantriques, il est un fait que l’âge de mariage ou de maturité sexuelle en Inde et ailleurs était nettement plus jeune.
« Dharmaśāstra (Dharmasutras) state that girl should be married after they have attained puberty. In Manusmriti, a father is considered to have wronged his daughter if he fails to marry her before puberty and if the girl is not married under 3 years of reaching puberty, she can search for the husband herself. Medhātithi's Bhashya states the right age for marriage of a girl is eight-years-old, this can also be deduced from Manusmriti. According to the Tolkāppiyam, a boy should be married before he is sixteen-years-old and a girl before she is twelve. The Greek historian Megasthenes though talks about early puberty of girls in South India. According to Edgar Thurston, in South India a candlelight ceremony was held for girls (vilakiddu kaliyanam) from seven to nine years, likely later, but always prior to the marriage. Allan Dahlaquist states this is evidently a puberty ceremony before marriage which may explain Megasthenes' comments. » Wikipedia 
Les tantras reflètent cet état de choses. Le Kalacakra Tantra, souvent cité par des détracteurs faisant suite aux Trimondi, peut ainsi prescrire, selon ces derniers, des partenaires jeunes, de 12 ans à 20 ans[1]. Ce tantra n’en a cependant pas le monopole. Dans leur livre en ligne, les Trimondi écrivent que le Kalacakra Tantra recommande que l’on s’entraîne dans les techniques sexuelles sophistiquées du Kamasutra indien.[2] Je n’ai pas retrouvé cette information dans le commentaire de Geshe Lharampa Ngawang Dhargyey, je ne sais pas si elle se trouve ailleurs. Et aussitôt les Trimondi enchaînent avec quelques citations bien choisies dans un livre de Gedun Chöphel sur les arts de l’amour[3], inspiré par entre autres le Kamasutra. Ils omettent la mise en garde de Jeffrey Hopkins qui précède.
« Gedun Chopel's concern that men not just act out their desires on women but respect their partners and seek to foster mutual enjoyment evinces itself in prescriptions for both men and women. He warns men not to abuse young girls: 
‘Forcibly doing it with a young girl produces severe pains and wounds her genitalia; consequently, later when giving birth she has difficulties. If it is not the time and if copulating would be dangerous for her, churn about between her thighs[4], and it will come out. In many areas it is customary to do so; it quickly promotes a girl's maturation.’ »[5]
L’autre citation vient du même livre de Gedun Chopel, où celui-ci classe les femmes en quatre âges et donne la façon idéale de les traiter à tel âge. La première catégorie, ce sont les filles jusqu’à l’âge de douze ans. Justement, Gedun Chopel ne prescrit pas de rapports sexuels avec des filles de cet âge. En revanche on leur raconte des histoires sur le plaisir des baisers.
« A female who is twelve years and younger is called a juvenile. She should be given combs, honey, pastries, etc. She should be told stories of the pleasures of kissing. 
From thirteen through twenty-five she is called a youth; she should be kissed and pinched. »[6]
Dans certains commentaires Internet on peut lire un mélange d’éléments divers qui n’ont pas grand-chose à voir ensemble. Dans ces commentaires, le Kalacakra Tantra prescrirait pour l’initiation vase etc. des filles de 12 ans (Commentaire). Pour les amadouer, on leur donnerait des bonbons et du miel (citation 1 Arts of Love). Et si elles ne veulent pas se laisser faire, on les prend de force (citation 2 Arts of Love). Comme on peut le voir ci-dessus, ces éléments n’ont pas grand-chose à voir ensemble, et pourtant ils sont présentés comme s'ils figuraient tels quels dans le Kalacakra Tantra, et comme s’il s’agissait de faits de pédophilie tels qu’on les définit de nos jours, sans tenir compte du fait qu’il s’agit de pratiques d’une autre âge et dans une autre culture et contexte.

Cela n’enlève en rien le fait que ces pratiques ne sont pas acceptables en Occident et à notre époque. Et c'est tant mieux.

Voir aussi Une proposition modeste, où j'explique pourquoi on peut et qu'il faut adapter les pratiques d'un autre temps.


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[1] « First, one imagines offering a girl, between the ages of 12 and 20, to the vajra master. Together with this, one offers the mandala and prayers to the vajra master and requests the empowerment.

The vase empowerment is actually given when the imagined girl comes back to the trainee who then enjoys her presence through laughing and fondling her breasts. As one touches the girl’s breasts there arises the ‘bliss’ (Skt. sukha; Tib. bde.ba) which should be experienced as indivisible from emptiness. It is with this experience of indivisible emptiness and bliss that one actually receives the vase empowerment. » Geshe Lharampa Ngawang Dhargyey-Kalacakra Tantra (A Commentary On The), Library of Tibetan Works & Archives, 1985.

[2] « For example, the Kalachakra Tantra recommends training in the sophisticated Indian sexual techniques of the Kama Sutra. » Site Trimondi

[3] Gedun Chopel, Jeffrey Hopkins-Tibetan Arts Of Love, Sex, Orgasm, And Spiritual Healing-Snow Lion, 2000.

[4] La même méthode (brla rgyag) est utilisée dans les monastères, quand les moines ont des rapports sexuels les uns avec les autres. Voir Melvyn Goldstein's The Struggle for Modern Tibet.

[5] Tibetan Arts Of Love, p. 135

[6] Tibetan Arts Of Love, p. 157

dimanche 23 septembre 2018

La chasse (nocturne) symbolique du "bon sauvage" ?


The Deer Hunt - Rajasthan, 1775, Walters Art Museum
J’ai consacré plusieurs articles sur mon blog au phénomène de l’appropriation de cultes mineurs tribaux par un culte majeur, dans un but de domination, « pacification » ou « domptage ». Ron Davidson[1] explique comment au cours de « l’hindouïsation » de la société indienne au début de la période médiévale indienne, les brahmanes saisirent les sites sacrés de divinités tribales. Les rituels développés dans ce cadre n’étaient pas les rituels tribaux/aborigènes tels quels, mais étaient de nature imitative et exploitatrice. Davidson considère la représentation généralisante des peuples aborigènes comme « tantriques »  par certains auteurs indiens modernes comme la continuation du même type de processus d’appropriation.[2]


Les formes ésotériques du bouddhisme indien ont également utilisé les aborigènes et leur vie simple (sahaja) et a valorisés les siddha aborigènes en des icônes[3] : Śabarapāda, Śabereśvara, Śabaripa,… est le chef des aborigènes (śabara).


Sa vie tribale simple est racontée dans de nombreuses hagiographies et dans la collection des Caryāgīti, avec celles d’autres maîtres ès Dolce vita.
« Higher and higher, in the mountain the śabara girl lives. This śabara nymph flaunts a peacock’s feather; around her neck a garland of guñja berries. [She scolds her husband,] “You crazy śabara! You drunken śabara!
Don’t raise a ruckus or cause such a commotion! I am your own wife—Ms. Naturally Beautiful!” Branches from the canopy of the diverse excellent trees stroke the sky.
Bearing earrings and a vajra, the śabara girl rambles around this forest. The śabara lays down his triplex bower—a bed thatched through with great ecstasy. For this śabara is a real Casanova; with Lady Nonself as his whore, love illuminates the night. [Afterward] he chews his essential betel and camphor with great ecstasy. Thus receiving empty Nonself in his throat, great ecstasy illuminates the night. Hey, śabara! With the conclusion of the teacher’s direction, pierce your mind with your arrow! Nocking one arrow, pierce, pierce highest nirvana! That crazy śabara! Because of anger he’s wandered into the ravine between high mountain peaks. How’s this śabara ever going to get out? » Traduction anglaise P.Kvaerne (1977), pp. 181-188.
Les scènes de la vie de Śavaripa, le maître aborigène de Maitrīpa/Advayavajra, représentent une vie simple où l’on vie principalement de la chasse.


Il faut bien vivre. Rassurons-nous, aucun animal n’a été tué pour les besoins de la transmission, ou bien son âme fut envoyée au paradis. La vie sans complexes de Śavaripa va bien avec la simplicité du message de la mahāmudrā. Vivez comme vous le sentez ou comme vous le devez, mais n’oubliez pas l’essentiel. 

"Marie Antoinette's hameau à Versailles" d'Oreste Cortazzo
Pour ceux qui croulent sous les responsabilités et les obligations, cette simplicité est très séduisante. 
« Ce rôle [de reine], tant désiré par le commun des mortels, était pesant pour Marie-Antoinette, qui préférait la simplicité au faste du Château de Versailles. » « Marie-Antoinette aimait dire qu’elle ne vivait au Petit Trianon que comme simple particulière. » (Source Internet)
Quand on regarde les scènes de chasse nocturne par des membres du tribu Bhîl en Inde centrale, faites par des peintres anonymes (au XVIIIème siècle), notamment au Rajasthan, on voit des éléments qui semblent détonner un peu. La scène de chasse appelée « The Deer Hunt » (ci-dessus), que l’on trouve au Walters Art Museum, montre une partie de chasse nocturne, éclairée non par une simple lampe, comme dans d’autres représentations comparables, mais par un projecteur longue portée, qui fait moderne. On sent que les chasseurs aborigènes (bhîl) disposent de moyens supplémentaires, qui ne reflètent pas vraiment la simplicité. La légende explique qu’il pourrait bien s’agir d’une courtisane[4], déguisée en fille aborigène, mais avec du matériel dernier cri en 1775.

"GOUACHE. Nattlig jakt: Bhil-folk jagande svarta bockar.
29,5 x 20,5 cm. Indien, Mogul, Oudh, sent 1700-tal." Bukowskis

 Bodleian Oriental Manuscript Collections, Autres scènes de chasse nocturne des Bhils.
Quand on voit d’autres tableaux de chasse nocturne par/avec des aborigènes, on a l’impression que cela pourrait en effet être une sorte de mode de la cour, ou bien des chasseurs de la cour accompagné par des aborigènes pour les éclairer ou faire la battue. Dans le dernier cas, pourquoi voit-on plutôt des femmes dans le rôle d'éclaireuse et à quoi servait la clochette ?

"Bhils hunting black buck at night, a prince on horseback with his entourage nearby,
Mughal, Oudh, late 18th century, with calligraphy dated 1168 AH/1754 AD" (vente Sotheby's) [5]
Un autre tableau met en scène un seigneur à cheval, avec des scènes d’armées en déplacement au fond, et juste à côté la scène de chasse habituelle, où la femme aborigène porte une torche réfléchie par un miroir ainsi qu’une clochette ? La présence du seigneur, qui semble attendre, pourrait faire penser à une courtisane qui va chasser le chevreuil avec un chasseur de la cour ? Le projecteur longue portée élaboré est un autre signe qui pointe vers un chasseur avec de gros moyens. probablement mon délire et celui du Walter Art Museum, mais le fait reste que les élites du XVIIIème siècle adoraient ces scènes de vie tribale. Sont-ils allés jusqu'au bovarysme ?

Paolo Uccello, Chasse nocturne, Oxford Ashmolean Museum
Donald Jr. et Eric Trump chassant la nuit

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[1] Indian Esoteric Buddhism: A Social History of the Tantric Movement, Ronald M. Davidson, Columbia University Press, 2003

[2] « The goals of these and other practices included the “pacification” of threatening groups, control of their produce, identification of their ignoble (anarya) divinities with the great Hindu gods, and the subordination of their lifeways to that of normative Hinduism. Rituals based on tribal usages were not the same as the tribal rituals themselves but, instead, were imitative and exploitative in nature. Indeed, Hinduization has most concretely resulted in the alienation of tribal lands from these peoples, and the contest between tribal peoples and caste Hindus over religion, land, and usage rights continues to this day.
The blanket representation of tribal peoples as “tantric” by certain modern Indian authors merely extends the process of appropriation into the early twenty-first century, much as the exploitation and subjugation of tribal peoples in the United States has been capped by the imitative exploitation of their religious systems in New Age religion. » p. 225

[3] Davidson, p. 227

[4] « A woman with a giant torch mesmerizes a deer. She may not be a member of the Bhil tribe (though her skirt resembles a Bhil skirt) but a lady of the court, indulging in a nocturnal adventure. This must have been a memorable event, with its own special mood, which the court artist was asked to preserve. »

[5] "The Bhils are a desert tribe from Rajasthan. They became a fascinating subject for the Mughals who often portrayed them in miniatures. Here a Bhil woman is depicted dressed in a skirt of leaves, ringing a bell and bearing a torch that lights the way for the archer's target. For comparison and further discussion see S. Gahlin, The Courts of India, Indian Miniatures from the Collection of the Fondation Custodia, Paris, Amsterdam 1991, pl.50, p.51. For an almost identical version from the late seventeenth century, perhaps the model for the present late eighteenth-century version, see sale in these rooms 23 October 1992, lot 500."  

samedi 15 septembre 2018

Seigneur, accordez-moi de l'autodiscipline


Dalai-Lama, photo Julius Schrank, Volkskrant

Marije Vlaskamp du quotidien néerlandais De Volkskrant a publié le 10 septembre 2018 une interview avec le Dalaï-Lama sous le titre « De dalai lama toont zich verrassend mild over China » (le DL se montre étonnamment clément envers la Chine).

Ce qui m’a intéressé plus particulièrement dans cet article est le passage sur l’occident et l’attitude du DL envers l’occident, et puis, en creux, l’attitude du DL envers la religion et la foi. Ce qui transparaît clairement de ce passage est que le DL a un discours particulier (upāya ?) pour les Occidentaux. Il faudrait donc en tenir compte.

Face à la montée de la superpuissance chinoise, l’occident est en crise, « une crise mentale » dit le Dalaï-lama-Lama devant un public indien.[1] Aussi, le Dalaï-Lama se tournera davantage vers l’Asie, malgré quelques visites en Occident. La journaliste lui demande alors pourquoi l’Occident joue un moindre rôle dans son nouveau grand projet.
« Dans ce domaine, l'influence culturelle fait toute la différence. Il y a trois mille ans, l'Inde avait déjà le concept de méditation. Le Bouddha lui-même en fut le produit. Cette connaissance-là, je peux l’intégrer dans mes programmes éducatifs en Inde. Mais les cultures occidentales ont été fortement influencées par la tradition judéo-chrétienne, où il s’agit de la foi, pas de l'entraînement de l'esprit.

C'est pourquoi je me sens un peu en porte à faux quand j'enseigne en Occident. Une salle avec près de huit mille personnes, c'est un peu inconvenient. Ce sont des pays chrétiens, pas des pays bouddhistes. Y enseigner à quelques Européens, c'est bien, mais il ne s’agit pas d’y promouvoir la foi bouddhiste. Quand un prédicateur chrétien ouvre une église ici à Dharamsala, les Tibétains ne sont pas contents non plus.

C'est pourquoi, en Europe, j'insiste davantage sur l’aspect laïc. Par exemple, comment une bonne hygiène physique va de pair avec une bonne hygiène émotionnelle. Cela n'a rien à voir avec le bouddhisme ou la religion ; ma contribution est de nature strictement laïque. Vous n'avez en fait aucune tradition d'entraînement de votre esprit [sic]. Si vous avez des problèmes, vous vous tournez vers Dieu, et les musulmans vers Allah. Dieu ô Dieu, Allah-allah-allah-allah : je pense que cela doit embrouiller Dieu et Allah. Les deux camps prient leur dieu, tout en se battant entre eux. La grâce divine risquerait bien de tomber du côté de l’ennemi. »[2]
L’article contient ainsi plusieurs boutades sur les religions et leur attachement pour l’aspect extérieur des choses[3], comme si le bouddhisme, et notamment le bouddhisme tibétain, n’était pas une religion et ne serait pas attaché aux aspects extérieurs. Il explique :
« Comme tous les religieux, nous, bouddhistes, mettons parfois trop l'accent sur les aspects culturels superficiels, alors que toute notre attention devrait se porter sur les doctrines. Car seules leurs leçons auront un effet sur les émotions et l'esprit.

L'autodiscipline est importante dans la pratique de la religion. Prenez les leaders catholiques et la question des abus sexuels. Quand il y a de l'autodiscipline, ce genre de choses n'arrive pas. »[4]
Je rappelle que l’article avec l’interview date du 10 septembre 2018. Après les publications sur les divers abus sexuels dans le bouddhisme. Depuis (le 14/9/2018) une pétition a été offerte au Dalaï-Lama par une délégation de victimes d’abus sexuels par des maîtres bouddhistes. Le Dalaï-Lama a reçu les victimes et a déclaré que le sujet des abus sexuels sera mis à l’ordre du jour de la rencontre entre chefs bouddhistes en novembre 2018.

Il ne suffit apparemment pas qu’une religion ait des exercices d’entrainement spirituel dans son portefueille, encore faut-il que ceux-ci soient pratiqués, notamment par les enseignants…

Evidemment, la religion chrétienne a des exercices d’entraînement spirituel très semblables à ceux des bouddhistes, même si le plus souvent ils sont un héritage des écoles philosophiques de l’Antiquité. Et en fait, ce sont surtout ces exercices spirituels qui ont un effet sur les émotions et l’esprit. Des exercices que l’on peut pratiquer à tout moment et dans toutes les situations, et qui permettent de développer une véritable autodiscipline. Il n’y a pas mille façons différentes de pratiquer l’autodiscipline et la patience, il n’y a pas d’autre façon de s’exercer en la patience et l’autodiscipline que de les appliquer, au moment opportun. Si on me permet une petite boutade à mon tour, pas besoin pour cela de construire des maṇḍala de divinités, et d'adresser des offrandes et des prières aux dizaines de milliers de divinités du bouddhisme tibétain « Seigneur ô Seigneur, Lama ô Lama, accordez-moi la patience et l’autodiscipline ! ».


Source : Volkskrant, De dalai lama toont zich verrassend mild over China, 10 september 2018, 12:00 Marije Vlaskamp

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[1] « Het grootse visioen past bij de trend van de Aziatische opkomst, de moderne supermachtstatus van China en de geschiedenis van India als bakermat van oosterse filosofie. Het Westen staat aan de zijlijn. Tijdens zijn audiëntie zette hij voor een Indiaas gehoor enthousiast uiteen dat Europa en de Verenigde Staten in een ‘mentale crisis’ zitten. »

[2] -Waarom speelt het Westen nauwelijks een rol in uw nieuwe grote project?

‘Hier maakt culturele invloed dus wel het grote verschil. Drieduizend jaar geleden had India al het concept van meditatie, Boeddha zelf is er een product van. Die kennis kan ik in India zo in onderwijsprogramma’s verwerken. Maar westerse culturen zijn sterk beïnvloed door de joods-christelijke traditie. Die draait om geloof, niet om het trainen van de geest.

‘Daarom voel ik me in het Westen licht ongemakkelijk als ik lesgeef. Zo’n grote hal met bijna achtduizend mensen, dat voelt een beetje onprettig. Het zijn christelijke landen, geen boeddhistische. Een paar individuele Europeanen lesgeven is prima, maar je moet het boeddhistisch geloof daar niet propageren. Als een christelijke prediker hier in Dharamsala een kerk opent, zijn Tibetanen daar ook niet blij mee.

‘Vandaar dat ik in Europa de seculiere kant benadruk. Bijvoorbeeld hoe lichamelijke hygiëne samengaat met emotionele hygiëne. Dat heeft niets te maken met boeddhisme of godsdienst, mijn bijdrage is strikt van wereldlijke aard. Jullie hebben immers geen traditie om je mind te trainen. Als jullie problemen hebben vragen jullie God om hulp en moslims gaan naar Allah. God-gottegod, Allah-allah-allah: ik denk dat God en Allah er danig van in de war raken. Beide kanten bidden tot hun god en ondertussen vechten ze met elkaar. Straks landt de goddelijke zegening nog aan de verkeerde kant.’

[3] « Met levendige gebaren vertelt hij hoe hij op werkbezoek in Mexico een kardinaal aansprak op zijn mijter.
‘Bepaalt kleding ons geloof? In je habijt ben je heilig, als je het uittrekt niet meer? Religie moet in het hart gedragen worden, niet in uiterlijkheden. »

[4] ‘Zoals alle religieuze mensen leggen wij boeddhisten soms te veel nadruk op oppervlakkige culturele aspecten, terwijl onze aandacht bij de leerstellingen moet zijn. Want alleen die lessen hebben effect op de emoties en de geest.
‘In godsdienstuitoefening is zelfdiscipline belangrijk. Neem die katholieke leiders met dat seksueel misbruik. Als er zelfdiscipline is, gebeuren dat soort dingen niet.’

vendredi 7 septembre 2018

Un jeune homme aux cheveux noirs...


Le "vrai" Bouddha (voir illustration ci-dessous)

Ce matin, sur FaceBook quelqu’un (merci Philippe) signalait un article (payant) de Louis Gabaude dans Sciences humaines intitulé Les chemins du bouddhisme des Anciens, avec un extrait de la partie non-accessible :
« ...En fait, les historiens ignorent dans quel dialecte le Bouddha enseignait...

Dans Essais sur l’individualisme (1983), le sociologue Louis Dumont a fait de cette sortie du palais la figure emblématique de l’individualisme moderne. Elle exprime la capacité de poser un choix personnel non seulement contre le père, mais contre la société dans son ensemble. En effet, le renonçant abandonne tous les devoirs et les droits de son royaume, de sa caste, de son métier, et de son foyer. Il va pouvoir ne s’occuper que de sa propre libération spirituelle...

Au contraire, les communautés monastiques de convertis occidentaux – dont la situation originelle d’enfants gâtés correspond exactement à celle du prince Siddhattha Gotama – ne pensent encore qu’à fuir le palais et à gagner la forêt. Ils s’investissent surtout dans la pratique de la méditation, pour eux-mêmes d’abord puis pour leurs disciples. »
Je n’ai pas accès à l’article et je ne connais pas son contenu. La référence aux renonçants (śramaṇa) et la qualification un peu facile des convertis occidentaux et du prince Siddhattha Gotama comme étant des « enfants gâtés » se rebellant contre le père et la société m’avait gêné. C’est vrai que la légende du Bouddha (notamment le Buddhacarita d’Aśvaghoṣa) présente le futur Bouddha comme un prince gâté, qui avait tout ce qu’il pouvait souhaiter, et décida néanmoins de devenir un renonçant. Le Buddhacarita serait « caractéristique de la naissance du Mahayana qui tend à transformer le Bouddha en objet de culte et de dévotion » (Wikipédia). « Les récits de sa vie, tout d’abord transmis oralement, n'ont été mis par écrit pour la première fois que quelques centaines d’années après sa mort et mélangent métaphysique et légende. » (Wikipédia) Pour ceux qui ne connaissent pas les détails de la légende du Bouddha, la page Wikipédia correspondante donne un résumé. En gros, Siddhattha Gotama serait le fils du modeste roi Śuddhodana, chef Śākya, et de Māyādevī. Sa mère meurt peu après sa naissance, comme il est coutumier de la légende des Bouddhas, et c’est sa jeune sœur, également marié au roi, qui élève le Bouddha. Le prince se marie, connaît tous les plaisirs de la vie conjugale et d’un harem, a un fils, mais s’ennuie dans le palais et fait des sorties en secret, qui le confrontent aux réalités de la vie. Il renonce à sa vie de prince, de futur roi, de mari et de père, et quitte le palais la nuit, pour pratiquer l’ascèse, jusqu’à ce qu’il devienne le Bouddha.

Il existe un petit extrait du canon Pāli, que l’on retrouve dans M26 Ariyapariyesanā [Pāsarāsi] et avec une formulation similaire dans plusieurs suttas, p.e. M36 Mahāsaccakasutta. Voici l’extrait :
« Plus tard, quand j’étais encore un jeune homme aux cheveux noirs, avec la grâce de la jeunesse et dans le premier stade de la vie, bien que ma mère et mon père eurent souhaité autrement et essuyèrent les larmes de leurs yeux, je rasa mes cheveux et barbe, mis un habit en ocre et quitta la vie au foyer pour la vie sans foyer. »[1]
so kho ahaṃ, bhikkhave, aparena samayena daharova samāno susukāḷakeso, bhadrena yobbanena samannāgato paṭhamena vayasā akāmakānaṃ mātāpitūnaṃ assumukhānaṃ rudantānaṃ kesamassuṃ ohāretvā kāsāyāni vatthāni acchādetvā agārasmā anagāriyaṃ pabbajiṃ.
Contrairement à la légende du Bouddha, le bodhisattva raconte comment il décide, tout jeune, de devenir un renonçant. Il n’y a pas de mention d’un palais, d’une femme, d’un fils. Seuls sa mère et son père (dans cet ordre, mātāpitūnaṃ) pleurent son départ, mais ne résistent pas à son vœu. Pas d’évasion nocturne. Netflix ne voudrait pas de cette version… Et le monde entier semble en effet préférer l’histoire légendaire du prince Siddharta.

Je me répète, le bouddhisme avait commencé comme un mouvement s’inscrivant dans celui des renonçants (śramaṇa), et fut dans un premier temps aniconique et assez philosophique/éthique (Pyrrhon, disciple du Sage des Scythes (Sakamūni)). Nous ne savons pas si la figure du Bouddha ait réellement existé, mais on voit bien qu’elle s’est enrichie avec le temps. Dans le fragment ci-dessus, nous semblons avoir à faire à un jeune homme ordinaire qui devient un renonçant. En revanche, dans la légende du Bouddha, un pas si jeune homme (29 ans) est prédestiné à devenir le Bouddha et suit un parcours canoniquement défini. Celui des douze actes pour le mahāyāna et celui des trente "règles" dhammatā pour le theravada. La vie légendaire doit coller à la vie réelle qu’aurait pu avoir le Bouddha, s’il avait vécu. Les commentaires de l’école theravada expliquent que la « mère » dans le fragment ci-dessus serait en fait la nourrice du futur Bouddha, Mahāpajāpatī Gotamī[2]. Car la mère biologique d’un Bouddha doit canoniquement (voir les 30 règles ‘dhammatā’) mourir après avoir donné naissance à lui.

A un certain moment, le corps du Bouddha se dota des 32 marques d’un grand indvidu (mahāpuruṣa) et devint un objet de culte.


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[1] « Later, while still young, a black-haired young man endowed with the blessing of youth, in the prime of life, though my mother and father wished otherwise and wept with tearful faces, I shaved off my hair and beard, put on the yellow robe, and went forth from the home life into homelessness. »

[2] "In her last life Mahāpajāpatī Gotamī was the younger sister of the Bodhisatta’s Mother, Mahā Māyā, both of whom were given in marriage to the Sākiyan King Suddhodana. When the elder sister died shortly after giving birth, the younger gave her own recently born son Nanda out to a wet-nurse, and took on the nursing of Siddhattha herself. 03 She was therefore the foster Mother of the boy who would eventually reach Buddhahood, and would have been engaged in all aspects of his up-bringing, including his education and early marriage." Source

mercredi 5 septembre 2018

Jeux d'ombres et de lumières


Le "raciologue" du Troisième Reich, Bruno Beger prend des mesures au Tibet
Le néoplatonisme se développe à Rome au IIIème siècle par Ammonios Saccas, maître de Plotin, et les élèves de ce dernier, Porphyre et Jamblique.
« Le néoplatonisme ou platonisme de l'Antiquité tardive tente de concilier la philosophie de Platon avec certains courants de la spiritualité orientale comme les Oracles chaldaïques, ainsi qu'avec d'autres écoles de la philosophie grecque, notamment celles de Pythagore et d'Aristote. » (Wikipédia)
L’intégration des spiritualités orientales, notamment les Oracles chaldaïques, (ré)introduit des éléments de Révélations dans ce qui avait plutôt commencé comme une philosophie (Blog).

Les Révélations sont comme le message du Ciel destiné à la Terre et introduisent des hiérarchies, dans le Ciel, entre le Ciel et la Terre, et sur la Terre. La verticalité est une caractéristique essentielle des hiérarchies et des Révélations. Le cours des astres - des dieux - influencerait le cours des choses la Terre et serait déterminant sur la vie des uns et des autres et sur leur caractère.

Pour connaître plus de détails, Penser au Moyen-Âge d’Alain de Libera, notamment les chapitres sur l’astrologie et sur Dante sont très intéressants et révélateurs. J’ai écrit sur les points de convergences de la théurgie et des tantras (La théurgie, un tantrisme occidental ?) et de la véritable période de melting pot (Les mystères du meltingpot hellénistique, au berceau des tantras), ainsi que sue les échanges entre Occident et Orient de manière générale (basé sur la recherche de Thomas McEvilley, auteur de Shape of Ancient Thought). En Occident comme en Orient, l’astrologie, l’alchimie et la magie (« héritage de l’hermétisme populaire dont les écrits les plus anciens remontent au IIIème siècle avant notre ère ») furent intégrées dans la philosophie et la religion, si elles n’en faisaient pas déjà partie.

Ce qui est particulièrement intéressant est l’idée que le Ciel, les astres, influence le caractère (vertu) d’un homme, et font qu’un homme soit plus ou moins noble, ou plus ou moins un « grand individu » (mahāpuruṣa). Ce caractère noble ou grand se retrouve même dans les caractéristiques d’un homme noble, forgées par le sperme des astres.
« Comment décrire la production, l’engendrement, d’un être humain ? Dante répond :
‘Je dis que quand l’humaine semence tombe dans son réceptacle, c’est-à-dire dans la matrice, elle y porte avec soi la vertu de l’âme générative, et la vertu du ciel et la vertu des éléments liés, c’est-à-dire la complexion ; et elle mûrit, disposant la matière aux influences de la vertu formative qu’apporta l’âme de l’engendrant ; et la vertu formative apprête les organes à la vertu célestiale qui, à partit de la puissance séminale, produit l’âme à la vie. Ladite âme aussitôt produite reçoit de la vertu du moteur du ciel l’intellect possible ; lequel en lui-même apporte en puissance toutes les formes universelles selon qu’elles sont dans son producteur et d’autant moins qu'il est plus éloigné de la première intelligence.’ » Penser au Moyen-Âge, p. 279.
Tournons-nous maintenant vers l’Orient et le bouddhisme aniconique et plutôt philosophique au départ. L’apport « théologique » du bouddhisme se loge plus particulièrement dans les théories sur ce qui est appelé le « corps symbolique » (sambhogakāya) du Bouddha. « Le Tathāgata ne peut être vu par son corps formel (rūpakāya) », « Celui qui me voit, voit le dhamma ; celui qui voit le dhamma me voit. » Le corps symbolique du Bouddha sera représenté et iconique. Ce corps sera celui d’un « grand individu » (mahāpuruṣa), voire d’un dieu, et doté de vertus particulières au nombre de 32.

Ces vertus ne sont pas une exclusivité du bouddhisme, aniconique et philosophique au départ. Sont-elles peut-être des emprunts ? La même série des 32 vertus est exposée avec richesse de détails dans le Brihat Samhita de Varāhamihira. Ce Varāhamihira vécut au VIème siècle et fut influencé par le Romaka Siddhanta ("Doctrine des Romains") et le Paulisa Siddhanta, le Siddhanta de Paul qui ne serait pas le Paul d’Alexandrie (c. 378 CE), mais un autre. Il n’est pas exclu que les vedas auraient influencé les Grecs et les Romains, qui auraient influencé en retour Varāhamihira et d’autres[1].

Le Brihat Samhita est un livre d’astrologie qui explique l’influence des astres sur la terre, les animaux, les hommes, les grands hommes (mahāpurusa), les signes fastes et néfastes etc. Le chapitre qui nous intéresse plus particulièrement est le chapitre sur les signes du grand homme (p.e. les rois, pas de grandes femmes, désolé, Aristote et Saint Thomas d’Aquin expliquent pourquoi), soit le chapitre LXIX (Signes des hommes p. 542, Signes des grands hommes p.567 ). Il y a néanmoins des chapitres (LXX) sur les qualités des vierges etc. qui ont sans doute servi à déterminer les caractéristiques d’une amante compatible (Kamasutra) ou d’une karmamudrā.

Les signes des hommes nous apprennent à reconnaître ceux qui ont les qualités d’un roi (carkavartin) ou d’un homme ordinaire, p.e. en regardant leur sexe. Ainsi, le sloka n° 7 apprend qu’un homme avec un petit pénis deviendra riche, mais sans issu ( ?) et qu’un homme avec un gros (stout) pénis sera pauvre. Un homme portant à gauche n’aura ni enfants ni fortune, tandis que celui portant à droite aura des fils. Celui dont le pénis pend plutôt vers le bas sera indigent, et un pénis avec des veines apparentes ne produira que peu d’enfants. Un pénis avec un gros bout est gage de bonheur, etc. etc. Le sloka n°7 explique qu’un pénis retracté dans un fourreau (comme un cheval) est le signe d’un roi et accessoirement d’un Bouddha[2]. Munissez-vous d’un petit miroir et faites nous savoir dans un commentaire s’il convient de vous féliciter ou non.

Ce qui est intéressant dans la partie concernant les cinq types de grands hommes, ce sont leurs vertus reçues d’astres ou de constellations spécifiques. Les 32 signes majeurs d’un Bouddha (ou d’un cakravartin) sont de telles vertus psychométriques et anthropométriques.

Selon ce type de théorie, le Bouddha était comme prédestiné pour devenir un Bouddha, comme un criminel pouvait être considéré destiné par ses qualités psychométriques et anthropométriques de devenir un criminel. Dante suit un raisonnement comparable de « généalogie d’ennoblissement ».
« Pensée à la fois biologiquement, psychologiquement et cosmologiquement, la connexion parfaite du monde d’en haut avec le monde d’en bas donne donc lieu à un type d’homme nouveau : l’homme noble, l’« intellectuel » au sens de l’homme selon l’intellect. » Penser au Moyen-Âge.
Ou encore le « Bouddha » du sambhogakāya... Les théories des qualités positives du mahāpuruṣa, déterminées physiquement, peuvent conduire à l'autre bout du spectre à la détermination de qualités négatives par psychométrie, anthropométrie etc. Ce qui est étonnant est que dans ces différentes généalogies d'ennoblissement, les qualités sont comparées positivement ou négativement à celle attribuées à des animaux. On trouve cela dans les qualités des hommes, des femmes et des mahāpuruṣa chez Varāhamihira  dans les catégories d'hommes et des femmes du Kamasutra, et puis dans les théories criminologiques et raciales plus tard. Des hiérarchies, toujours des hiérarchies et sur des bases quelquefois plus que douteuses.

RACE : Josiah Nott and George Gliddon's 800-page illustrated volume, Types of Mankind
   
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[1] Sen, Samarendra Nath; Shukla, Kripa Shankar (2000). History of astronomy in India. Indian National Science Academy. pp. 85, 114, 345.

[2] Sloka 7.—A man with a small penis becomes wealthy, but without issue ; one with a stout one, poor ; with one bent towards the left, devoid of children and wealth ; with one turned towards (bent) the right, blessed with sons; with one bent on the lower side, indigent; with one full of veins, begets few children ; with one with a thick knot, becomes happy; and with a soft one, dies of gonorrhoea and the like.

Sloka 8.—Men with the genital organ hidden in sheath-like skin become kings ; with a long and split one, devoid of wealth ; and with a straight and round one as well as with one having slender veins, wealthy.