vendredi 27 mai 2016

La critique critiquée


Les Lumières

On assiste depuis quelque temps à un certain retour du religieux et à une mise en garde contre les tendances « laïcisantes » du bouddhisme. Il se peut que dans le sillage du thème du choc des civilisations, certains imaginent, aussi en matière de bouddhisme, une opposition entre l’occident et l’orient et accusent l’occident de fabriquer un orient à son image en lui imposant ses propres vues (orientalisme). En dehors de la question du bien-fondé de cette accusation, il me semble quasi impossible pour tout un chacun de ne pas fabriquer des images et de ne pas les imposer sur le monde qui l'entoure. Qui n’est pas coupable de cela ?

On a vu apparaître ces dernières années de nouvelles appellations bouddhistes, péjoratives pour une grande partie. Une des plus anciennes étant sans doute le nom « bouddhisme protestant », qui serait selon Wikipédia synonyme de « modernisme bouddhiste », « bouddhisme moderniste » ou encore « bouddhisme moderne ».

Le terme « modernisme bouddhiste » (Buddhistischer Modernismus) est le nom donné par l’indianiste allemand Heinz Bechert au mouvement d'élites Sri-Lankais de moderniser le bouddhisme. C’est Gananath Obeyesekere, un anthropologue sri-lankais, qui, en 1970, remplaçait ce nom par « bouddhisme protestant », pour qualifier le même phénomène. En 1988, il publia avec Richard Gombrich un livre sur les transformations du bouddhisme sri-lankais, intitulé « Buddhism Transformed: Religious Change in Sri Lanka ». Cette forme de bouddhisme, où Henry Steel Olcott joua un rôle, est protestante dans la mesure où il diminue le rôle du moine (en tant qu’intermédiaire) et rend chacun responsable de son propre salut ou éveil. Gombrich and Obeyeseke semblaient avoir fait du Sri-lankais Anagarika Dharmapala (1864-1933) le prototype du « bouddhiste protestant ». Cet ancien théosophe fut le fondateur de la Société de la Maha Bodhi (Mahabodhi Society).
« Ce bouddhisme est protestant de deux manières. Tout d'abord, il est influencé par les idéaux protestants tels que la liberté des institutions religieuses, la liberté de conscience, et la concentration sur l'expérience intérieure individuelle. Deuxièmement, il est en lui-même une protestation contre les prétentions de supériorité chrétienne, le colonialisme et le travail missionnaire chrétien visant à affaiblir le bouddhisme. « Sa caractéristique saillante est l'importance qu'il attribue aux laïcs ». Il est né au sein de la classe moyenne nouvelle et instruite, à Colombo et aux alentours. »
Wikipédia donne quelques caractéristiques du modernisme bouddhiste :
1. l’importance des laïcs face à la sangha ;
2. la rationalité et la diminution de l’accent porté sur les aspects surnaturels et mythologiques ;
3. la cohérence avec la science moderne ;
4. l'accent sur la spontanéité, la créativité et l'intuition ;
5. le caractère démocratique et anti-institutionnel ;
6. l’accent porté sur la méditation par rapport aux rituels et aux cérémonies.
Le « bouddhisme protestant » ou « modernisme bouddhiste », né à Sri Lanka dans les classes moyennes, comporte une partie modernisation, influencée par les Lumières, et une partie politique anti-colonialiste.

Ce ne fut cependant pas le premier effort de modernisation du bouddhisme. Le roi du Siam, Mongkut (1804 -1868) ouvrit son pays à l'influence étrangère et le sauva ainsi de la colonisation. Il reforma aussi le bouddhisme en fondant un nouvel ordre (Dhammayuttika Nikaya, ou Thammayut Nikaya). Il voulut « réformer les règles de discipline monastique et les rendre plus proches de celles des canons Pālis enseignés dans les pagodes. Il voulait aussi supprimer les différentes pratiques superstitieuses qui avec le temps étaient devenues parties intégrantes du bouddhisme siamois. » (Wikipédia)

La volonté de réforme de Mongkut rejoint celle d’Anagarika Dharmapala sur certains points des 6 caractéristiques ci-dessus. Notamment 2. la rationalité et la diminution de l’accent porté sur les aspects surnaturels et mythologiques et 3. la cohérence avec la science moderne et dans une certaine mesure 6. l’accent porté sur la méditation par rapport aux rituels et aux cérémonies.

Buddhadasa Bhikkhu (1906 - 1993), fut un moine bouddhiste thaïlandais dont on peut dire qu’il avait pour aspiration de moderniser le bouddhisme. Son aspiration s’inscrit dans quasiment toutes les caractéristiques du modernisme bouddhiste mentionnées ci-dessus.
« 1. la critique du bouddhisme tel qu’il est pratiqué en Thaïlande, 2. le retour au bouddhisme primitif par la publication de textes choisis du Tipiṭaka traduits en thaï, puis, plus tard, l’appel au Tch’an, appelé Zen au Japon, 3. les tentatives du réveil du bouddhisme opérées à l’étranger, en Asie comme en Occident, 4. l’examen de tous les mouvements de réforme religieuse non bouddhistes, mais surtout indiens (p. 33-53). »[1]
Il y aura beaucoup plus à dire à son sujet, Buddhadasa fut vraiment un personnage extraordinaire. Les trois bouddhistes dont nous venons de parler peuvent difficilement être considérés comme des victimes d’un « impérialisme culturel occidental ».  Ils s’opposaient chacun à leur manière contre les tendances colonialistes de leurs époques, mais semblaient vouloir embrasser et diffuser les valeurs des Lumières et moderniser le bouddhisme. Pourquoi le bouddhisme et les autres religions orientales devraient-ils s’abstenir de l’influence des Lumières ? De quoi ceux qui parlent d’orientalisme, de bouddhisme protestant, de bouddhisme Yavanayāna (voir ci-dessous) de bouddhisme agnostique, de bouddhisme blanc, etc. voudraient-ils exactement préserver le bouddhisme et comment ?

Walpola Rahula (1907 - 1997), fut un moine bouddhiste théravadin Sri-lankais, engagé politiquement, et l’auteur de L'Enseignement du Bouddha (1961), préfacé par Paul Demiéville. « Voici une apologie du bouddhisme conçue dans un esprit résolument moderne par un des représentants les plus qualifiés et les plus éclairés de cette religion. » Trop moderne cependant selon certains qui qualifient son bouddhisme de bouddhisme grec ou « bouddhisme yavanayāna », qui ignore les dieux et les esprits (2), qui diminue le rôle de la sangha (1), et qui donne plus d’importance à l’engagement politique qu’à la méditation.[2]

Et au Tibet ? Amdo Gendün Chöphel (1903 - 1951) fut un des premiers intellectuels tibétains célèbres, qui voulaient sortir le Tibet de son isolement. 
« En 1937, Gendün Chöphel s’illustra en publiant dans la revue ronéotypée le Melong un article intitulé « La Terre est-elle ronde ou plate ? » Question résolue au Siam par le roi Mongkut[3] un siècle plus tôt. « En 1945, avec des intellectuels tibétains à Kalimpong, il fonde le parti progressiste tibétain, un parti ayant dans ses objectifs le renversement de l’ordre établi à Lhassa. »
Plus tard, il sera arrêté et incarcéré dans la prison située au pied du Potala, dont il sera libéré en 1949 moralement et physiquement affaibli. Il mourra en 1951.

Il n’y a pas réellement eu des réformateurs ou candidats-réformateurs au Tibet ou dans le bouddhisme tibétain exilé, dans le sens d’un modernisme bouddhiste. Les plus originaux furent sans doute Chogyam Trungpa et Namkhai Norbu, mais sans véritable mises en question. Le Dalai-Lama exprime quelquefois sa sympathie pour des idées marxistes et pour la science. Il a abdiqué en tant que chef séculier du Tibet et a introduit des principes démocratiques dans le gouvernement en exil. Samdong Rinpoché est un grand amateur de Krishnamurti, qui fut un modernisateur religieux à sa façon (Se libérer du connu). Karmapa Orgyen Trinley Dorje s’intéresse à l’écologie, promeut le végétarisme et l’ordination des femmes (bhikkunis) que l’on peut considérer comme des caractéristiques modernistes. Mais cela ne semble pas avoir eu de véritables répercussions au niveau de la théorie et de la pratique du bouddhisme tibétain. Quand le Dalai Lama avait aboli le culte du dharmapala Shougden, ce n’étaient pas des éléments du culte en lui-même qui furent visés mais certains phénomènes périphériques d’intolérance. La théorie et la pratique du bouddhisme tibétain n’ont pas fait l’objet d’une modernisation sur le fond.

D’autres noms étaient inventés par la suite pour qualifier les diverses tentatives de moderniser le bouddhisme. « Bouddhisme agnostique », notamment suite à la publication de Le bouddhisme libéré des croyances de Stephen Batchelor, qui adopta lui-même plus tard le nom de « bouddhisme séculier ». Ce type de bouddhisme fut qualifié de « bouddhisme lite » par certains bouddhistes plus traditionalistes, qui lui reprochaient notamment ses attaques sur la doctrine du karma et de la réincarnation, qu’ils considéraient comme les fondations du bouddhisme, sans lesquelles tout l’édifice s’écroulerait.

Le « bouddhisme engagé » fut au départ un nom inventé par Thích Nhất Hạnh, inspiré par le « bouddhisme humaniste » des « bouddhistes modernes » chinois Taixu (1890-1947) et Yinshun (1906 – 2005). Le « bouddhisme humaniste » voulait intégrer les pratiques bouddhistes dans la vie de tous les jours et faire du rituel une action centrée sur les vivants plutôt que sur les morts. Le « bouddhisme engagé » né au Vietnam fut une réponse bouddhiste aux souffrances de la société vietnamienne. La pratique de la pleine conscience pouvait aussi se faire en se mettant au service des autres, dans le domaine social, politique, environnemental, économique, et en combattant les injustices. C’est l’humain et sa vie sur cette terre qui constituent le défi central du bouddhisme engagé, qui n’est évidemment pas apolitique, tout comme le bouddhisme traditionnel d’ailleurs.

La quatrième caractéristique du modernisme bouddhiste (voir ci-dessus) « l'accent sur la spontanéité, la créativité et l'intuition », qui est une autre forme de distanciation du dogme religieux fait l’objet de nombreuses attaques de tous les côtés. De la part des traditionalistes théravadins, c’est Thanissaro Bhikkhu qui lui reproche de s’inspirer du romantisme allemand et de la psychologie occidentale. Il parle de « bouddhisme romantique », caractérisé par un idéal de « interconnectivité, complétude, spontanéité, transcendance de l’égo, absence de jugement (non-judgmentalism), et intégration de la personnalité (integration of the personality). »[4] Disons l’aspect plutôt ancien-hippie et philosophie pérenne/philosophie éternelle du bouddhisme en occident. David Chapman (proche du mouvement vajrayāna « Aro ») parle de « bouddhisme consensus » (Consensus Buddhism) ou de « bouddhisme gentillet » (Nice Buddhism) « psychothérapeutiquement correct », qui veut se distinguer de la Pleine conscience ™ par l’éthique bouddhiste, mais celle-ci ne différerait, selon lui, en rien de l’éthique séculière américaine et réduirait le bouddhisme à une méditation psychothérapeutique[5].

Tous les modernismes bouddhistes trouvent plus radical que soi en le « non-bouddhisme spéculatif » (Speculative non-buddhism)[6]. Spéculatif dans le sens de « regarder à travers » le bouddhisme, une sorte d’évaluation autocritique de toutes les réponses ou solutions du bouddhisme (x-bouddhisme)[7]. Le non-bouddhisme se veut ni le bouddhisme ni la négation du bouddhisme. La question principale qui la guide étant « une fois dépouillé de ses représentations transcendantales, que le bouddhisme peut-il nous offrir ? ». Il est très probable que le bouddhisme X durera plus longtemps que le non-bouddhisme spéculatif, mais il faut espérer que l’évaluation autocritique restera. Un des principaux reproches faits au bouddhisme X qui inclue le modernisme bouddhiste est le fait que les bouddhistes ne voient pas « la structure syntaxique du bouddhisme ». Le Dharma, qui s'enseigne, n’est pas une Loi transcendantale et spontanée, elle est produite et perpétuée par l'homme. Dans ses formes occidentales elle reproduit inconsciemment les anciennes structures et la pensée capitaliste occidentale. « Pratiquer le Dharma » peut alors aussi contribuer sciemment ou inconsciemment à perpétuer les anciennes structures et peut conduire à un quiétisme politique. Surtout si cela s'accompagne d’injonctions anti-intellectualistes comme ne pas penser, laisser aller etc.

C’est dans le cas de la pleine conscience et de la réduction du stress basée sur la mindfulness (MBSR), initialement conçues comme traitement médical et psychiatrique, et surtout ses applications pratique dans la société, que l’on voit comment elle permet aux cadres, employés, soignants, militaires, policiers etc. de mieux fonctionner et faire face « à la tourmente » (en gros, par l'acceptation) sans forcément intervenir au niveau structurel dans celles-ci. La pleine conscience est sortie des cliniques et c'est désormais aussi un produit marketing.

Cela permet à Richard K. Payne, doyen de l’Institut des études bouddhistes à San José, spécialisé en le bouddhisme ésotérique[8], de qualifier le modernisme bouddhiste de « bouddhisme blanc », qui serait le contraire du bouddhisme birman, thaï ou japonais, et qu’il définit maintenant comme « discours sur le bouddhisme qui a une domination hégémonique dans la société contemporaine due au statut social privilégié de ceux qui le promeuvent. ».[9] Et pour Payne, cette promotion est une forme d’impérialisme culturel[10]. On retrouve chez lui également les termes de l’opposition spiritualité – religion, où la spiritualité est au fond la philosophie pérenne et où la religion est symbolisée par l'anecdote de la pratique d’une grand-mère taïwanaise lançant des blocs de bois en forme de lune pour prédire l’avenir.[11] Le bouddhisme blanc est donc, selon Payne qui le formule différemment, l’expression d’un bouddhisme moderne, spirituel, et pratiqué par des personnes de statut privilégié et occidentales. Un bouddhisme arrogant qui domine le bouddhisme religieux populaire qu’il méprise par ailleurs.

Le « bouddhisme blanc » s’inscrit donc dans « l’orientalisme », terme inventé par Edward Wadie Saïd (L'Orientalisme. L'Orient créé par l'Occident, 1978), où il développe quatre thèses, parmi lesquelles la domination politique et culturelle de l'Orient par l'Occident. Ce terme est repris par Donald S. Lopez, Bernard Faure[12] et d’autres, pour qualifier l’attitude des bouddhistes occidentaux par rapport aux formes du bouddhisme traditionnel. Selon Bernard Faure, les « néobouddhistes occidentaux » ont la présomption de comprendre le vrai message du Bouddha, tandis que les peuples d’Asie qui l’avaient pratiqué pendant des siècles ne le comprenaient pas.[13] Faure condamne par ailleurs à la fois les néobouddhistes rationalistes (le bouddhisme serait « extrêmement religieux ») et les bouddhistes occidentaux de tendance anti-intellectualiste (4) (« Pour une religion, le bouddhisme est plutôt philosophique. ») pour leur manque d'équilibre. Tous ceux qui 'sen prennent au modernisme bouddhiste semblent souhaiter que modernité et tradition, raison et foi, science et religion marcheraient main dans la main.

Reste que même en matière philosophique, les universitaires occidentaux se rendraient coupables d’ « eurocentrisme »[14]. Les minorités et les femmes sont sous-représentées en philosophie parce que la perception générale est « que les facs de philo sont des temples dédiés aux accomplissements de mâles d’origine européenne ».[15] Jay L. Garfield et Bryan W. Van Norden préconisent qu’on ajoute au cursus des auteurs d’autres cultures, et fournissent une liste d'auteurs indiens qui sont par ailleurs souvent religieux, souvent mâles, souvent de classe supérieure (brahmanes)…

Les Lumières inauguraient un renouveau intellectuel et culturel, qui voulait faire « triompher la raison sur la foi et la croyance », en combattant l’irrationnel, l’arbitraire, l’obscurantisme et la superstition des siècles qui les précédaient. Ce mouvement ne fut pas, initialement, celui d’une culture cherchant à dominer une autre ou d’une race contre une autre, mais cherchait à lutter contre les oppressions religieuses et politiques dans son sein d’abord. Cela a abouti à, ou fait avancer la séparation de l’état et de la religion, la séparation entre les sciences et la religion, entre la philosophie et la religion etc. Car la religion (monothéiste) était encore omniprésente dans toute la société et dans quasiment toutes les disciplines. Elle « dominait hégémoniquement »[16] peut-on dire… Les Lumières et leurs objectifs visaient-ils exclusivement le bien des mâles européens protestants privilégiés (blancs) et leur hégémonie ? Non, mais il se trouve que quel que soit l’objectif (religieux, spirituel, séculier…), ceux-là ne s’en sortent jamais si mal quelle que soit la situation... Pourquoi seraient-ils les seuls à se servir des Lumières ? Si Mongkut, Anagarika Dharmapala, Buddhadasa, Walpola Rahula, Amdo Gendün Choephel, etc. s’en inspirent, est-ce pour faire, sciemment ou inconsciemment,  le jeu de "mâles européens protestants privilégiés (blancs)" et leur hégémonie, ou auraient-ils pu le faire pour leurs propres raisons à eux ? L’occident a bien adopté des religions du Moyen-Orient, l’Orient ne pourrait-il pas se laisser inspirer par un courant né en Occident ? Et qui en plus fut à l’origine de nombre d’avancées ?

C’est donc par peur d’être taxé d’orientaliste, de bouddhiste protestant, de bouddhiste lite, romantique, eurocentrique et blanc qu'un bouddhiste occidental devrait mettre en veilleuse la pensée critique ? Pour que les générations futures de grand-mères taïwanaises puissent continuer à lancer les « blocs de lune », etc. etc. Et peut-être même, pour montrer son ouverture à d’autres cultures religieuses, et "pour ne pas manquer d'équilibre", faudrait-il encore qu'il intègre lui-même la pratique du lancement de « blocs de lune » etc. etc. comme si les Lumières n’avaient jamais eu lieu ici. J'ai d'ailleurs personnellement une petite pensée émue pour la grand-mère allemande achetant des indulgences et dont Luther, longtemps avant les Lumières, avait cruellement détruit tout espoir de rémission.

Il y a d’ailleurs dans ces attaques contre les formes de modernisme bouddhiste comme une tentative de faire des aspects surnaturels et mythologiques et des rituels et cérémonies une partie essentielle du bouddhisme classique. Dérober l’orient de celle-ci serait selon les anti-orientalistes comme un assaut sur l’identité bouddhiste. Mais c'est oublier que les bouddhistes orientaux n’avaient pas attendu les Lumières et l’occident pour mettre en question ces mêmes aspects (les 6 caractéristiques du modernisme bouddhiste ci-dessus), à commencer par le Bouddha des suttas. Et cette critique s’est poursuivie tout au long de l’histoire du bouddhisme. Dans les écrits de maîtres ch’an ou ceux attribués au roi Indrabhūti, à Lakṣmīṅkārā, à Saraha, Maitrīpa/Advayavajra (X-XIème siècle), pour se limiter à ceux-ci pour l’instant. À se demander qui est le véritable orientaliste ? Qui projette son idée d'orient sur l'orient ?

Pour revenir au début de cet article, pourquoi les religions semblent faire leur retour partout dans le monde ? « La mondialisation capitaliste entraîne une déshumanisation des sociétés. Elle est perçue à raison comme sans âme, destructrice. » (Henri Pena-Ruiz) Cela crée une angoisse identitaire, qui conduit à des replis identitaires, un retour au connu.
« Si les religions renaissent et se renouvellent sans cesse, si elles semblent se marier si bien avec la modernité, c'est sans doute qu'elles répondent à des attentes individuelles et à des besoins collectifs dont aucune société n'a su, à ce jour, s'affranchir. Ces aspirations sont de plusieurs ordres : idéologico-politiques, morales, sociales, identitaires, communautaires, existentielles, matérielles et même thérapeutiques. »[17]
Mais certains bouddhistes religieux refusent que l’on réduise le bouddhisme à ces éléments ou à une thérapie. Philippe Cornu, par exemple, avertit contre le « danger » de réduire le Bardo Thödol à une préparation « psychologique » à la mort et de prendre les six mondes pour des états psychologiques, tout en critiquant les autres interprétations (psychologiques, symboliques, thérapeutiques...)[18]

Dans un message très récent[19], Karmapa Orgyen Trinley Dorje rappelait la division du bouddhisme par le Dalai-Lama en trois catégories (je n'en connais pas la source) : le bouddhisme en tant que science, philosophie et religion. Il préconisait une relation harmonieuse entre la science et la religion, avec une compréhension mutuelle, l’une soutenant l’autre. La science regarde le monde extérieur et nous renseigne sur lui, mais ne nous permet pas de trouver notre véritable nature et de découvrir le sens de la vie. La religion, elle, peut donner du sens et de la profondeur à notre vie en nous montrant la direction à suivre.[20]

Est-il encore réellement besoin d’une religion au sens propre pour faire cela ?

MàJ 28052016
From Protective Deities to International Stardom: An Analysis of the Fourteenth Dalai Lama’s Stance towards Modernity and Buddhism, Georges B. Dreyfus
***
L'opinion de Carl-Gustav Jung

[1] Voir ceci

[2] « If you read the whole [Pāli sutta] collection you would get a very, very different picture of Buddhism than the one Rahula gives you:a world inhabited by gods and spirits, focused on monks, with limited emphasis on meditation and almost none on politics. What people like Rahula did is a genuine innovation. »

[3] « Accompanying the influx of Western visitors to Siam was the notion of a round earth. By many Siamese, this was difficult to accept, particularly by religious standards, because Buddhist scripture described earth as being flat. The Traiphum, which was a geo-astrological map created before the arrival of Westerners, described "…a path between two mountain ranges through which the stars, planets, moon and sun pass." Religious scholars usually concluded that Buddhist scriptures "…were meant to be taken literally only when it came to matters of spiritual truth; details of natural science are revealed figuratively and allegorically." Mongkut claimed to have abandoned the Traiphum cosmology before 1836. He claimed that he already knew of the round state of earth 15 years before the arrival of American missionaries, but the debate about Earth's shape remained an issue for Siamese intellectuals throughout the 1800s »

[4] Voir l'article

[5] https://meaningness.wordpress.com/2012/09/18/what-do-you-want-buddhism-for/

[6] https://thenonbuddhist.com/2014/06/02/what-is-non-buddhism/

[7] https://speculativenonbuddhism.com/categories/

[8] https://rkpayne.wordpress.com/about/publications/

[9] « discourse regarding Buddhism that holds a hegemonic domination in present-day society as a consequence of the socially privileged status of those who promote it. »

[10] https://rkpayne.wordpress.com/2016/04/29/white-buddhism-a-skeptics-guide/

[11] « These are wooden blocks, shaped like a quarter moon, flat on one side, round on the other, painted red, and used for fortune telling. »

[12] Notamment dans Bernard Faure, Bouddhismes, philosophies et religions, Aséanie, 1998 et Unmasking Buddhism.

[13] Bernard Faure, Unmasking Buddhism, p. 38 « It would be presumptuous, however, for us Westerners to assume that we can easily identify and understand the true teaching of the Buddha after centuries of oblivion and deviations, while arguing that the people of Asia, who practiced it for such a long time, never really understood it. »

[14] If Philosophy Won’t Diversify, Let’s Call It What It Really Is, Jay L. Garfield and Bryan W. Van Norden http://www.nytimes.com/2016/05/11/opinion/if-philosophy-wont-diversify-lets-call-it-what-it-really-is.html?smid=fb-share&_r=0

[15] « Part of the problem is the perception that philosophy departments are nothing but temples to the achievement of males of European descent. »

[16] Voir la citation de Payne ci-dessus

[17] P.L. Berger dans Le Réenchantement du monde. Cité dans Le retour du religieux, un phénomène mondial, Jean-François Dortier et Laurent Testot, publié le 01/05/2005. http://www.scienceshumaines.com/le-retour-du-religieux-un-phenomene-mondial_fr_4912.html

[18] Livre des morts tibétain, pp. 965-966

[19] The Gyalwang Karmapa on the Relationship Between Buddhism and Science

[20] « The Gyalwang Karmapa began this afternoon by referring to His Holiness the Dalai Lama’s division of Buddhism into three categories: Buddhism as a science, as a philosophy, and as a religion. »

« Today it is important that we find a harmonious relationship between science and religion,” the Karmapa stated, “one in which there is mutual understanding and support, so that the two can balance each other.” One way to understand this relationship is to consider the focus of these two approaches, he said: the scientific way turns outward to look at the exterior world, whereas the spiritual path turns inward to look at the interior world of the mind. Science can give us information about the outer world but with this alone, it is difficult to find one’s true nature and to discover the meaning of this life.
Religion, however, can bring meaning and profundity into our lives, and show us the right direction to take.
»

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