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dimanche 10 février 2013

La pensée lumineuse et pure



« Lumineuse est cette pensée, mais parfois elle est souillée par les passions adventices ; parfois elle est libérée des passions adventices. »[1] La pensée est originellement lumineuse (cittaṃ prabhāsvaram), mais peut être dénaturée (kliṣṭa) par les passions (kleśa), ou libérée (vipramukta) des passions, qui sont adventices (āguantuka).[2]

En quoi la nature de la pensée (cittaprakṛt) est-elle lumineuse (prabhāsvara) ou pure (vi-mala) ? Selon le Traité mahāyāna de la continuité insurpassable (Ratnagotravibhāga), en ce qu’elle partage les mêmes qualités que le soleil. Les qualités solaires et de la pensée lumineuse sont au nombre de quatre.

1. L’intellect ultime, supramondaine et non-représentationnelle (lokottara nirvikalpāyāḥ paramajñeya). Telle la lumière du soleil, elle déchire l’obscurité qui empêche de voir l’essence de tout ce qui peut se connaître (prajñāyā)[3].

2. L’intuition de tous les connaissables (sarvajñajñānasya) qui vient à la suite (pṛṣṭhalabdhasya) de celui-ci. Il pénètre toutes les représentations (sarvākāra) de tous les connaissables et ressemble à la diffusion (spharaṇa) du filet (jāla) des rayons de lumière (raśmi).[4]

3. La dissociation (vimukta) de la nature de la pensée (cittaprakṛti), qui est le support des deux [précédents], ressemble par son absence de souillure et par sa luminosité au disque du soleil parfaitement pur (arkamaṇḍalaviśuddhi).[5]

4. Par la nature (svabhāvata) indissociable (saṃbheda) de l’élément des qualités (dharmadhātva) de ces trois, il ressemblent à l’indissociabilité des trois qualités [du soleil].[6]

Les trois qualités du soleil et inhérentes à lui, à savoir la lumière, son rayonnement et sa pureté sont indivisibles. Et cette indivisibilité est alors une quatrième qualité. On y retrouve les trois/quatre qualités du triple/quadruple corps (trikāya). Selon Gampopa :
« La conscience-en-soi naturelle (sahaja) est le véritable corp spirituel (S. dharmakāya)
Les apparences naturelles sont la lumière du corps spirituel
Les représentations naturelles sont le rayonnement du corps spirituel
Leur indissociabilité naturelle est le sens du corps spirituel. »[7] 
La lumière, le rayonnement, la pureté et l’indivisibilité de ces qualités du soleil sont des analogies pour la pensée et ses qualités. Les analogies ne doivent pas être prises à la lettre. Ce n’est sans doute pas un hasard que cette imagerie du soleil et de la lumière soit utilisée dans un traité attribué à Maitreya, le bouddha solaire.

Au niveau de l'évolution du nombre des corps de bouddha et des "intuitions", nous semblons être à trois corps et à "deux" "intuitions". Dans ce texte cependant, le terme "intuition" (T. ye shes) semble réservé à ce qui est relatif à la connaissance de ce qui est manifeste, "du monde", et fonctionnel. La connaissance supramondaine et non-représentationnelle est elle appelée prajñā (T. shes rab). Ces deux types de connaissance correspondent aussi au couple intuition du recueillement (T. mnyam bzhag ye shes S. samāhita-jñāna) et intuition fonctionnelle post recueillement (Litt. rjes thob ye shes S. pṛṣṭha-labdha).

Dans ces deux types de connaissance la première, supramondaine et non-représentationnelle, est primaire et la deuxième, l'intuition (T. ye shes), secondaire. Elle est le rayonnement de la première. La pratique gravite encore principalement autour de l'accès à la première connaissance qui est non-représentationnelle.

Plus tard, avec l'introduction du yoga de l'immortalité et son système pneumatico-hydraulico-énergétique psychique, et l'importance des pratiques visionnaires, l'intuition monte en grade et devient quelqu'un.     

***


[1] Aṅguttara, « pabhassaram idaṃ bhikkhave cittaṃ tañ ca kho āgantukehi upakkilesehi upakkiliṭṭhaṃ … tañ ca kho āgantukehi upakkilesehi vippamuttaṃ. »

[2] Etienne Lamotte, L’Enseignement de Vimalakīrti, p. 53

[3] ’jig rten las ’das pa rnam par mi rtog pa’i shes rab ni shes bya’i de kho na nyid dam pa’i mun pa sel ba nye bar gnas pa’i phyir//’od gsal ba dang chos mtshungs so/

[4] de’i rjes la thob pa’i shes bya thams cad kyi ye shes ni shes bya’i dngos po ma lus pa’i rnam pa thams cad la ’jug pas na/’od zer gyi dra ba ’phro ba dang chos mtshungs so/

[5] sems kyi rang bshin rnam par grol ba ni shin tu dri ma med cing ’od gsal ba nyid kyis nyi ma’i dkyil ’khor rnam par dag pa dang chos mtshungs so/

[6] gsum ka yang chos kyi dbyings dang dbyer med pa’i raṅ bzhin nyid kyis gsum po de rnam par dbye ba med pa dang chos mtshungs so/

[7] rang sems lhan cig skyes pa chos sku dngos//
snang ba lhan cig skyes pa chos sku'i 'od//
rnam rtog lhan cig skyes pa chos sku'i rlabs//
dbyer med lhan cig skyes pa chos sku'i don//
Extrait de : chos rje dwags po lha rje'i gsung*/ snying po don gyi gdams pa phyag rgya chen po'i 'bum tig bzhugs so/

samedi 9 février 2013

Retour aux racines



Le Traité mahāyāna de la continuité insurpassable (Ratnagotravibhāga / Mahāyānôttaratantraśāstra) est un texte immense, dont il ne faut pas sous-estimer l'influence sur les suiveurs de la conscience du Dzogchen radical et sur la Mahāmudrā, qui ne sont sans doute pas aussi anciens qu'on ne veuille le faire croire. Ci-après une traduction toute fraîche de quelques passages choisis du chapitre VIII (Analyse du germe) du commentaire (S. Mahāyānottaratantraśāstravyākhyā T. theg chen rgyud bla ma'i bstan bcos gyi rnam bshad). Le commentaire avait été traduit en tibétain à Anumapamapura/Srinagar par Sajjana et Ngog lotsawa blo ldan shes rab (1059–1109) sous la direction du grand maître laïque (upasāka) Ratnavajra, accessoirement le grandpère de Sajjana.

Pour rappel, le RGV aurait été redécouvert par Advayavajra, après "avoir été absent en Inde" pendant plusieurs siècles. Mais il aurait déjà été traduit en Chine par Ratnamati (勒那摩提) en 508. Ce qui est intéressant, c'est qu'un certain (bodhisattva) Ratnamati (autrement relativement inconnu) figure à une place proéminente dans l'hommage que rend Advayavajra avant de commenter les Distiques (dohākośagīti) de Saraha, et qui est en fait la lignée de transmission de ce commentaire.

Ratnamati , bodhisattva émané
Śrī Mahā yogeśvara, le Tailleur de flèches
Śrī Sarapa (Śabara-pa)

Sans doute simplement un hasard ; des homonymes, il y en a plein. D'un autre côté, il y a eu tellement de trafic sur la route de la soie, et on a tellement joué sur et avec l'authenticité réelle ou fictive des écritures, qu'il ne faut pas totalement exclure la possibilité de la rédaction du RGV par un des nombreux équipes de pandits et de traducteurs, quelque part sur la route de la soie. On était conscient très tôt que pour authentifier un texte, l'existence d'une version en langue indienne pourrait aider...  J'y reviendrai une autre fois.

Le texte tibétain utilisé pour la traduction qui suit, vient du site des norvégiens.

55. La terre se fonde (S. pratiṣṭhitaḥ) sur l'eau, l'eau sur l'air
Et l'air sur l'espace
Tandis que l'espace n'est fondé ni sur l'air, ni sur l'eau
Ni sur l'élément terre.

56. De même, les constituants psychophysiques (skandha), les éléments constitutifs (dhātu) et les facultés [sensorielles] (indriya)
Se fondent sur l'agir (karma) et sur les passions (kleśa)
Et l'agir et les passions sont toujours fondés sur
L'engagement mental incorrect (ayoniṣomanaskāra).

57. L'engagement mental incorrect
Se fonde sur les [créations] pures de la conscience (cittaśuddhi)
Mais la nature (prakṛti) de la conscience ne se fonde
Sur aucune chose (dharma).

58. Semblables à la terre, ainsi doivent être connus
Les constituants psychophysiques (skandha), les domaines perceptuels (āyatana) ainsi que les éléments constitutifs (dhātu)
Et semblables à l'eau, ainsi doivent être connus
L'agir et les passions des êtres vivants (śarīra).

59. L'engagement mental incorrect
Doit être considéré comme semblable à l'élément air
La nature (prakṛti), tout comme l'élément espace,
Est sans racine ni lieu (tadamūlāpratiṣṭhānā).

60. L'engagement mental incorrect 
Se fonde sur la nature (prakṛti) de la conscience
Mais c'est par l'engagement mental incorrect
Que l'agir et les passions apparaissent (prabhave).

61. C'est de l'agir et des passions, semblables à l'eau,
Que se produisent les constituants psychophysiques (skandha), les domaines perceptuels (āyatana) ainsi que les éléments constitutifs (dhātu)
La destruction et la naissance (saṃvartavivartavat) [des mondes]
Est comme la naissance et la destruction [des skandhāyatanadhāta].

62. La nature (prakṛti) de la conscience, tout comme l'élément
Espace, n'a ni cause (hetu) ni condition (pratyaya)
Elle n'est pas un regroupement [de facteurs], elle est sans naissance,
Sans destruction et sans durée (sthiti).

63. La nature (prakṛti) de la conscience est lumineuse (prabhāsvarā)
Et inchangeant comme l'espace[3]
La convoitise ainsi que les autres [passions] sont produites par des représentations incorrectes (abhūtakalpajaiḥ)
Mais ces souillures adventices (āgantukai rāgamala) ne la détérioreront pas. »

Plus loin :

Ainsi au niveau des créations impures/non-authentiques, l'affliction totale (saṃkleśa) par les passions, l'agir et la naissance (janma), qui se manifeste comme la naissance et la destruction dans ce qui a l'air d'un monde réceptacle, mais ce qui est inconditionné est le Coeur du Bienheureux (tathāgatadhātu [2]), qui tout comme l'espace, est sans naissance et sans cessation. Il est révélé comme le fond des choses (dharmatā) qui ne change pas.

Et cette analogie de l'espace, qui est l'instruction initiale de la lumière, l'authenticité de la nature [de la conscience] (prakṛtiviśuddhimukhaṃ dharmālokamukham), doit être comprise telle qu'elle est expliquée en large dans les soutras. 

« Ô voyants (mārṣā, mahāṛṣi), le dénaturé (kleśa) est obscurité, l'authentique est lumière. 
Le dénaturé est faible, la perspicacité (vipaśyanā) est forte.
Le dénaturé est accidentel, l'authentique est fondamental.
Le dénaturé est imaginé, le naturel n'est pas imaginé.

Ô voyants, c'est ainsi. Cette vaste terre se fond sur l'eau. L'eau se fond sur l'air et l'air se fond sur l'espace. Mais l'espace, lui, ne se fond sur rien.
Ainsi, parmi ces quatre éléments, l'élément espace est plus fort que les éléments terre, eau, et air. Il est plus stable, immuable, il n'est pas sujet à la décroissance, ni à la naissance et à la cessation. Il demeure égale à lui-même.

Tandis que les autres trois éléments sont bien sujets à la naissance et à la destruction. Ils ne durent pas, et ils ne durent pas longtemps. On perçoit bien les changements dans ces [trois éléments], mais l'espace, lui, ne change point.

De la même façon, les constituants psychophysiques (skandha), les éléments constitutifs (dhātu) ainsi que les domaines perceptuels (āyatana) se fondent sur l'agir (karma) et le dénaturé (kleśa).
L'agir et le dénaturé se fondent sur l'engagement mental incorrect (ayoniṣomanaskāra). Et l'engagement mental incorrect se fonde sur ce qui est authentique par nature (prakṛtipariśuddhi). C'est pourquoi, il est dit que la nature (prakṛti) de la conscience est lumineuse, et ne peut pas être dénaturée (upakliśyata T. négation) par le dénaturé (upakleśa).

A ce propos, toutes les choses dues à l'engagement mental incorrect, l'agir et les passions,  les constituants psychophysiques (skandha), les éléments constitutifs (dhātu) ainsi qu'aux domaines perceptuels (āyatana), sont constituées (T. bsdus pa) et produites par des causes et des conditions. Si elles sont privées de ces causes et conditions, elles cesseront. Mais ce qui est naturel ne dépend pas de causes et de conditions, n'est pas sujet à un regroupement [de facteurs], à la naissance et à la cessation.

La nature (prakṛti) [de la conscience] est semblable à l'espace.
L'élément air est semblable à l'engagement mental incorrect (ayoniṣomanaskāra).
L'élément eau est semblable à l'agir (karma) et au dénaturé (kleśa).
L'élément terre est semblable aux constituants psychophysiques (skandha), aux domaines perceptuels (āyatana), et aux éléments constitutifs (dhātu). 
C'est pourquoi il est dit que toutes les choses sont totalement dépourvues de racine : elles ont des racines sans essence (asāramūlā), elles ont des racines qui ne se fondent sur rien (apratiṣṭhānamūlāḥ), [tout en ayant] des racines authentiques (śuddhamūlā], [c'est-à-dire] des racines sans racine (amūlamūlā).

***

[1] Les termes en sanscrit svabhāva et prakṛti se traduisent en tibétain par le même mot "rang bzhin". Dans ce texte, en parlant de la nature de l'esprit, c'est le terme prakṛti qui est utilisé en sanscrit. C'est le côté actif de la nature ("naturante"), qui est visée ici. Plutôt "ensemble de l'univers, en tant qu'il est le lieu, la source et le résultat de phénomènes matériels" que la nature dans le sens philosophique et théologique d'essence (svabhāva).
[2] L'élément du tathāgata en sanscrit, au lieu de Coeur du Bienheureux
[3] 51 Jamais ne fut le ciel brûlé,
Jusqu’à présent, par aucun feu.
A son instar, ne le consument
Mort, maladie ou bien vieillesse. Site Khenpo.fr

Textes tibétains en Wylie


sa ni chu la chu rlung la//
rlung ni mkha’ la rab tu gnas//
mkha’i ni rlung dang chu dag dang//
sa yi khams la gnas ma yin//

de bzhin phung po khams dbang rnams//
las dang nyon mongs dag la gnas//
las dang nyon mongs tshul bzhin min//
yid la byed la rtag tu gnas//

tshul bzhin ma yin yid byed ni//
sems kyi dag pa la rab gnas//
sems kyi rang bzhin chos rnams ni//
thams cad la yang gnas pa med//

sa dang ’dra bar phung po dang//
skye mched khams rnams shes par bya//
chu khams dang ’dra lus can gyi//
las dang nyon mongs shes bya ste//

tshul bzhin ma yin yid byed ni//
rlung gi khams dang ’dra bar blta//
rang bzhin nam mkha’i khams bzhin du//
de bzhin can min gnas pa med//

tshul bzhin ma yin yid byed ni//
sems kyi rang bzhin la gnas te//
tshul bzhin ma yin yid byed kyis//
las dang nyon mongs rab tu phye//

las dang nyon mongs chu las ni//
phung po skye mched khams rnams ’byung//
de ’jig pa dang ’chags pa ltar//
skye dang ’jig par ’gyur ba yin//

sems kyi rang bzhin nam mkha’i yi//
khams ltar rgyu med rkyen med de//
tshogs pa med cing skye ba dang//
’jig dang gnas pa’ang yod ma yin//

sems kyi rang bzhin ’od gsal gang yin pa//
de ni nam mkha’ bzhin du ’gyur med de//
yang dag min rtogs las byung ’dod chags sogs//
glo bur dri mas de nyon mongs mi ’gyur//

2ème passage

de ltar ma dag pa’i gnas skabs na snod kyi ’jig rten bzhin du nyon mongs pa dang/ las dang skye ba’i kun nas nyon mongs pa mtha’ dag skye ba dang ’jig kyang/ ’dus ma byas ba de bzhin gshegs pa’i snying po ni nam mkha’ bzhin du skye ba med cing ’gag pa med ba shin tu mi ’gyur ba’i chos nyid du bstan pa yin no//

rang bzhin gyis rnam par dag pa’i sgo’i chos snang ba’i sgo las brtsams pa/ nam mkha’i dpe ’di rgyas par ni mdo ji lta ba bzhin rtogs par bya ste/
drang srong chen po nyon mongs pa ni mun pa/ rnam par dag pa ni snang ba’o//
nyon mongs pa ni stobs chung ba/ lhag mthong ni stobs dang ldan pa’o//
nyon mongs pa ni glo bur pa/ rang bzhin gyis rnam par dag pa ni rtsa ba’o//
nyon mongs pa ni kun tu brtags pa/ rang bzhin ni kun tu ma brtags pa’o//

drang srong chen po ’di lta ste/ sa chen po ’di ni chu la rab tu gnas pa/ chu ni rlung la rab tu gnas pa/ rlung ni nam mkha’ la rab tu gnas pa yin la/ nam mkha’ ni gnas pa med pa’o//
de bzhin du khams bzhi po ’di rnams las/ sa’i khams dang/ chu’i khams dang/ rlung gi khams pas ni nam mkha’i khams nyid stobs dang ldan pa/ brtan pa/ mi g-yo ba/ ’grib pa med pa/ skye ba med pa/ ’gag pa med pa ste/ rang gi ngang gis gnas pa’o//

de la khams gsum po gang yin pa de dag ni skye ba dang ’jig pa dang ldan pa/ mi gnas pa yun ring du mi gnas pa ste/ ’di dag la ni rnam par ’gyur pa mthong gi/ nam mkha la ni rnam par ’gyur ba ’ga’ yang med do//

de bzhin du/ phung po dang/ khams dang/ skye mched dag ni las dang nyon mongs pa la rab tu gnas pa’o//
las dang nyon mongs pa ni tshul bzhin ma yin pa yid la byed pa la rab tu gnas pa/ tshul bzhin ma yin pa yid la byed pa ni rang bzhin gyis yongs su dag pa la gnas pa ste/ des na sems kyi rang bzhin ni ’od gsal ba ste/ glo bur gyi nyon mongs pas nyon ma mongs pa’o zhes brjod do zhe’o//

de la tshul bzhin ma yin pa’i yid la byed pa gang yin pa dang/ las dang nyon mongs pa gang yin pa dang/ phung po dang/ khams dang/ skye mched gang yin pa’i chos ’di mtha’ dag ni rgyu rkyen gyis bsdus pas skye ba rgyu rkyen dang bral na ’gag par ’gyur gyi/ rang bzhin gang yin pa de ni rgyu med pa/ rkyen med pa/ tshogs pa med pa/ skye ba med pa/ ’gag pa med pa’o//

de la nam mkha’i khams ji lta ba de ltar ni rang bzhin no//
rlung gi khams ji lta ba de ltar ni tshul bzhin ma yin pa yid la byed pa’o//
chu’i khams ji lta ba de ltar ni las dang nyon mongs pa’o//
sa’i khams ji lta ba de ltar ni phung po dang/ skye mched dang/ khams rnams so//
des na chos thams cad ni rtsa ba yongs su chad pa ste/ snying po med pa’i rtsa ba can/ mi gnas pa’i rtsa ba can/ dag pa’i rtsa ba can/ rtsa ba med pa’i rtsa ba can zhes brjod do zhe’o//
  

lundi 4 février 2013

Le Fils qui éclaire l’infiniment grand et l’infiniment petit



Le mot espace que l’on voit si souvent dans les traditions Dzogchen, Nyingmapa et Bön, en association avec l’Intelligence/discernement (T. rig pa) se dit dbyings en tibétain, et est la traduction du terme dhātu en sanscrit. J’avais déjà fait un billet à ce sujet il y a un an. Généralement, l’image que l’on se fait du mélange de l’Intelligence et de l’espace, quand le mot dhātu est traduit ainsi, c’est que l’Intelligence s’étale dans l’espace et devient très vaste, aussi vaste que l’espace qui est infiniment grand. Quand nous parlons en revanche de la dissolution des éléments (dhātu), les uns dans les autres, les plus grossiers dans les plus subtils, ou de la dissolution d’un maṇḍala élaboré, celui-ci rétrécit et disparaît dans la syllabe-germe puis dans le symbole de nasalisation de la syllabe (anusvāra) et celui-ci dans le point/la goutte (bindu) qui la surmonte. Ce point s’évanouit et fond dans la vacuité. L’espace/élément (dhātu) est donc à la fois un infiniment grand et un infiniment petit[1], qui forment finalement un seul espace.

Cet espace est considéré comme l’essence (T. ngo bo) de toute chose, la base de tout (T. kun gzhi) : c’est-à-dire à la fois du saṁsāra que du nirvāṇa. Il est la vérité ultime du prajñāpāramitā. Dans le prajñāpāramitā comme dans la tradition aurale de Zhang Zhung, il est considéré comme la Mère (T. ma) ou la Mère universelle (T. yum chen mo).

Cet Espace englobe trois aspects d’espace différents. L’espace externe vide, le ciel, (T. mkha’), l’espace intérieur (T. klong) où se manifestent les éléments qui est l’espace des choses, et l’espace caché ou secret (T. dbyings) qui est l’espace mental. Extérieur – intermédiaire - intérieur. Le premier espace, extérieur, le ciel (T. mkha’), est la métaphore ou l’exemple (T. dpe). Le deuxième (T. klong) correspond à la signification (T. don) et le troisième (T. rtags) est le signe.

Dans ces trois espaces ont lieu l’émergence, le développement, la fonction et la libération (quatre phases) respectivement des phénomènes naturels, des choses (dharma) et des représentations. La Mère, qui est l’espace total englobant ces trois, a quatre qualités :
1. La pureté primordiale (T. ka dag), non souillée par les obnubilations et les extrêmes/contraires
2. La perfection spontanée (T. lhun sgrub), saṁsāra et nirvāṇa, ainsi que tous les contraires y sont parfaits (T. grub)
3. La neutralité (T. lung ma bstan), sans parti-pris ni limites
4. La sphère unique de la totalité (T. thig le nyag cig), parce qu’elle englobe les trois aspects de l’espace
Qui dit Mère, dit enfant ou Fils. C’est l’Intelligence. L’espace vide Mère est obscur et indéterminé (T. med pa). C’est la lumière de l’Intelligence/discernement (T. rig pa) qui l’éclaire. L’espace est alors toujours vide, mais en même temps lumineux, car la Mère Base-de-tout/vacuité (T. stong), est inséparable du Fils luminosité (T. gsal), la présence ou l’intuition (T. ye shes) autoproduite (T. rang byung) et autodiscernante (T. rang rig).
32 L’aspiration au Véhicule
Ultime est comme la semence
D’où naît un fils du Puissant.
Sa mère est le discernement,
Généreuse en dharmas d’éveil.
Sa matrice est le samādhi,
Sa nourrice est la compassion.  (Traité de la Continuité ultime du Grand Véhicule (T. theg pa chen po rgyud blama'i bstan chos)] 

***

Source principale : Tenzing Wangyal, Les prodiges de l'esprit naturel

[1] Blaise Pascal « Qu'un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ses jambes, du sang dans ses veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ses humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours ; il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là dedans un abîme nouveau. Je lui veux peindre non seulement l'univers visible, mais l'immensité qu'on peut concevoir de la nature, dans l'enceinte de ce raccourci d'atome. Qu'il y voie une infinité d'univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible; dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné… ». Vois aussi les mondes infinis dans les pores du corps du Bouddha cosmique.

mardi 26 juin 2012

Le singe, le chat, le village fantôme et le trésor du roi




Rongzompa, Theg tshul pp. 312-317

[312 :3] Qu'en est-il des absorptions du Bienheureux sur la saisie, la catégorisation, la fermeture et l'ouverture ?
Voici les propos de l'Éveillé :
« Même si c'est le singe concupiscent qui veut saisir [les objets]
C'est le chat voleur qui met à exécution l'acte.
Des maisons vides démontées pièce par pièce
On ferme la porte (T. gser/gseb khung) et les fenêtres.
Mais quand la chambre de trésor royal est ouverte
[Les richesses] sont depuis toujours éveillées. »
A propos du singe concupiscent qui saisit[1].
Il veut saisir tout ce qu'il estime digne d'être saisi parmi les faits (dharma) des [cinq] appropriations (skandha), des [dix-huit] éléments (dhātu) et les [douze] domaines psychosensoriels (āyatana). Aussi, la conscience mentale (mano-vijñāna) est comme le singe concupiscent. [313] Même si elle cible spécifiquement l'objet réel (artha) en passant par la logique (nyāya), elle ne pourra pas l'atteindre.
L'objet réel, sans avoir à passer par la logique, et sans que celui-ci y soit incité, se dévoile de lui-même. Il faut donc faire entrer dans le récipient de l'attention vigilante, celui qui commet toujours des fautes ('phyan pa = 'phan pa) sans raison. Ainsi, il ne sera plus perturbé par autre chose [à l'extérieur].

A propos du chat voleur qui catégorise[2].
De la même façon, il catégorise parmi les faits ceux qu'il estime dignes d'être catégorisés. Par exemple, un chat, en agissant très agilement et doucement, sans que l'autre [animal] s'en aperçoive, lui dérobe de sa vie. Il en va de même de la conscience affligée (kliṣṭa-citta). D'une façon très manipulatrice et subtile, quand la conscience réceptacle est tournée vers l'intérieur, elle la fait se [mé]prendre pour un soi. Cela suscite une idée similaire, quand la conscience mentale se tourne vers les perceptions sensorielles du monde. Tout (sarva) en devient alors contaminé et tombe sous son influence.
De ce fait, si on n'applique pas à tous les faits mentaux (S. dharma) la perspective (S. dhāraṇī) du discernement (S. prajñā) qui accède à l'absence de soi (P. anatta), l'opportunité de s'en libérer ne se présentera jamais. C'est l'approche du discernement lucide (vipaśyanā). La précédante [le singe] étant celle du repos mental (śamatha).

A propos des maisons vides démontées pièce par pièce.
Les [cinq] appropriations (skandha) et les [douze] domaines psychosensoriels (āyatana) sont des maisons vides. N'ayant plus de propriétaires, elles forment un village fantome. Elles sont démontées, car aucune essence propre ne peut y être avérée. La substance (T. nyid S. tva, -tā) de ce village fantome vide peut être comprise comme étant semblable à celle de l'espace. Cela aussi est l'approche du discernement lucide (vipaśyanā).

A propos des portes et fenêtres fermées.
Les cinq portes [sensorielles] sont les perceptions sensorielles. Ce qui se présente devant les fenêtres des cinq facultés sensorielles nous disperse naturellement. C'est par force de la conscience mentale coordinatrice où [les perceptions sensorielles] se regroupent, que [les portes et fenètres] sont fermées, en ne se laissant pas distraire (T. 'phro ba). C'est de nouveu l'approche du repos mental (śamatha).

A propos de l'ouverture de la chambre de trésor royal.
C'est ainsi qu'on appelle l'expertise en les caractéristiques (S. lakṣaṇa) de la conscience réceptacle (S. ālaya-vijñāna). Par exemple, la chambre de trésor royal contient des richesses d'une valeur inestimable comme les pierres précieses etc. Mais aussi des substances dangereuses etc. comme substances médicinales.
De même, la conscience réceptacle (S. ālaya-vijñāna) est un trésor qui contient à la fois des qualités contaminées (sāsrava = ici : dualistes) et non-contaminées (S. anāsrava). Elle est le réceptacle (T. gnas) de tous les connaissables (S. sarva-jñeya).
Dans les approches des véhicules inférieurs, les caractéristiques (S. lakṣaṇa) du réceptacle de tout (ālaya) évoluent et aboutissent dans l'essence de l'enchainement causal de toutes les qualités contaminées (S. sāsrava) [315]. Comme des fruits qui mûrissent [à partir de graines etc.].
Mais [la conscience réceptacle (S. ālaya-vijñāna)] n'est que le support et le réceptacle des [qualités] non-contaminées (anāsrava). En cela, elle est comme un vase contaminé (T. dug) contenant le remède.
Fin de l'explication.

L'approche des véhicules supérieurs[3] est différente.
Les caractéristiques (S. lakṣaṇa) du réceptacle (ālaya) sont dès l'origine authentiques (śuddha) dans la nature du Coeur de la conscience éveillée (bodhicitta), ce qui leur fait dire que « Le réceptacle (ālaya) est la conscience éveillée (bodhicitta) ». Les afflicitions (kleśa) et les dispositions inconscientes négatives (S. dauṣṭhulya) sont des souillures (S. mala) accidentelles. C'est comme de l'or recouvert de saleté (T. gya'). Ou comme une pierre précieuse enfouie dans la boue. Leurs qualités ne peuvent pas se manifester, mais leur matière propre (svabhāva) reste inaltérée.
Voici les propos de l'Éveillé :
[Extrait] de la Structure fulgurante (T. rdo rje bkod pa)[4] :
«  Le joyau flamboyant de la lampe
Même enfoui dans la boue d'un lieu insalubre
Ses propres qualités restent visibles à lui-même
Sa lumière éclairant l'espace
Il en va de même pour le joyau de la conscience-en-soi (cittatva).
Même enfoui dans un corps insalubre du saṃsāra
Sa nature est toujours la Lumière rayonnante
Son discernement éclairant l'espace du fond des choses (S. dharmatā). »
Pour résumer, en tous les cas, tous les faits positifs et négatifs (litt. blancs et noirs) ne sont que le reflet de la conscience réceptacle (S. ālaya-vijñāna). Ces reflets apparaissent à cause des traces (S. vāsanā) de schémas inconscients (saṃskāra). Tout en apparaissant, [ces reflets] ne sont pas pour autant existants. Si on aborde tous les faits par leur nature naturellement quiescente (S. nirvāṇa), on aura réussi à ouvrir la chambre de trésor royal.
A partir de là, le singe peut saisir [les objets sensoriels] [en toute tranquillité], et le chat peut catégoriser [à volonté]. Les maisons vides continuent à être démontées. Et leurs portes à être fermées. Avec une telle attitude, on n'aura pas besoin de chercher ailleurs le chemin vers l'éveil. »



[1] Quand la conscience se tourne vers l’extérieur.
[2] Quand la conscience se tourne vers l’intérieur.
[3] Véhicules supérieurs, car s’appuyant sur la doctrine de la nature éveillée. Ratnagotravibhāga.
[4] La source est indiquée par une note ajoutée (mchan).

Texte tibétain (theg tshul, Rongzompa) en Wylie

\[312 :3] de la bzung brtags bkag phye bcom pa dang ldan pa’i ting nge ‘dzin gang zhe na/
‘di skad du//
gtogs ‘dod spre’u ‘di bzung na kyang*/
rkun mo byi la btags byas ste//
khang stong phang phung kun bshig nas//
gser khung skar khung kun bkag ste//
rgyal po’i dkor mdzod kha phye na//
de dag rtag tu sangs rgyas yin//
zhes gsungs pa  ste//
de la gtogs ‘dod spre’u gzung ba ni/
phung po dang khams dang skye mched kyi chos las gzung bar ‘os pa gzung ba ste/
‘di ltar yid kyi rnam par shes pa spre’u’i gtogs \[313] ‘dod ltar/
rigs pa dang ldan pa’i don la ni ched du gtad kyang ‘jug par mi nus/
rigs pa dang mi ldan pa’i don la ni skul ba med par rang zhugs byed de/
rtag tu don med par ‘phyan pa ‘di shes bzhin dran pa’i snod du bcug ste/
gzhan du mi g.yo bar bsdam dgos so//
rkun mo byi la gdags pa ni/
de bzhin du chos rnams las gdags par ‘os pa gdags pa ste/
dper na byi la ni shin du dal zhing ‘jam pa’i spyod pas/
gzhan kyi ma tshor bar zghan gyi srog rku bar byed do/
de bzhin du nyon mongs pa can gyi yid ni/
shin tu rgyu ba phra ba’i tshul gyis kun gzhi la kha nang du bltas te bdag du rlom sems pas/
de’i dbang gis yid kyi rnam par shes pa’ang ‘jig tshogs la lta ba dang mtshungs par ldan par skye ste/
thams cad zag pa dang bcas pa par byin kyis rlobs par byed do/
de bas na ‘di chos thams cad la bdag med par rtogs pa’i shes rab kyi gzungs kyis ma btags na/
rnam yang thar pa’i go skabs mi ‘byed do//
‘di ni lhag mthong spyod pa yin no//
snga ma ni zhi gnas spyod pa yin no//
khang stong phang phung \[314] bshig pa ni/
phung po dang skye mched kyi grong stong pa shig pa ste/
‘di rnams la bdag po med pas grong stong yin te/
rang gi ngo bo yang ma grub par bshig pas grong stong nyid kyang med de nam mkha’ lta bu rtogs par bya’o//
’di yang lhag mthong spyod pa’o/
Gseb khung skar khung dgag pa ni//
sgo lnga’i rnam par shes pa ste//
dbang po lnga’i skar khung nas byung nas yul la rang bzhin gyis gyeng ba ’di dag yid nang du bsdus pa’i mthus bkag ste//
mi ‘phro bar byas pa ste/
‘di yang zhi gnas spyod pa yin no/
rgyal po’i dkor mdzod kha phye zhes bya ba ni/
kun gzhi rnam par shes pa’i mtshan nyid la mkhas pa’ byas pa ste/
dper na rgyal po’i mdzod na nor bu rin po che la sogs pa nor rin thang med pa’ang yod la/
dug la sogs pas dman pa’i rdzas kyang yod do//
de bzhin du kun gzhi rnam par shes pa ni zag pa dang bcas pa dang*/ zag pa med pa’i chos thams cad kyi mdzod yin te//
shes bya thams cad kyi gnas yin no//
de yang theg pa ‘og ma pa’i tshul gyis/
kung gzhi’i mtshan nyid ni zag pa dang bcas pa’i chos thams cad kyi rgyu dang ‘bras \[315] bu’i ngo bor gnas shing smin pa yin pas/
shing thog smin pa dang ‘dra la/
zag pa med pa rnams kyi ni rten dang gnas tsam yin te/
dug gi bum pa’i nang na sman gnas pa lta bu’o//
zhes bshad//
theg pa gong ma’i tshul las ni/
kun gzhi’i mtshan nyid ni gdod ma nas byang chub kyi snying po’i rang bzhin du dag pa yin pas kun gzhi byang chub kyi sems zhes bya la/
nyon mongs pa dang gnas ngan len kyi bag chags ni blo bur gyi dri ma ste/
gser gyas gyogs pa’am/
nor bu rin po che’i che ‘dam du bsubs pa bzhin yon tan chung zad mi snang bar zad de/
rang bzhin nyams par byas pa med do/
ji skad du//
rdo rje bkod pa las sgron ma ‘bar ba’i rin chen ni//
gnas ngan ‘dam du bying ‘gyur yang*//
de nyid yon tan rang snang bas//
‘od ni mkha’ la gsal ba yin//
de bzhin sems nyid rin po che//
lus ngan ‘khor bar bying ‘gyur yang*//
de nyid rang bzhin ‘od gsal bas//
shes rab chos nyid mkha’ la gsal//
zhes gsungs pa lta bu yin no//
mdor na gang ltar yang rung ste dkar nag gi chos thams cad kun gzhi rnam par shes pa’i sngang ba tsam yin la//
snang ba de’ang ‘du’ byed \[315] kyi bag chags kyi dbang gis snang ba yin te/
ji ltar snang ba de bzhin yod pa ma yin pas//
chos thams cad rang bzhin gyi mya ngan ‘das par rtogs na//
rgyal po’i dkor mdzod kha phye ba yin te//
de’i tshe spre’u yang bzung ba yin no//
byi la yang btags pa yin no//
khang stong yang bshigs pa yin no//
skar khung yang khegs pa yin no//
‘di lta bu’i blo dang ldan na sangs rgyas kyi lam gzhan nas btsal mi dgos so zhe’o/

mardi 18 mai 2010

La transmission chez Maitripa


La Mahāmudrā de Maitrīpa n'est pas transmise par les consécrations tantriques et les pratiques afférentes, ni même est-elle accessible par aucune méditation, qu'elle soit tantrique ou pas. La transmission, telle qu'elle transparait de son commentaire sur les distiques de Saraha, s'apparente en effet davantage à la pratique de l'introduction (T. ngo sprod), dont on trouve des exemples dans les Chants de Milarepa. Par exemple les rencontres de Milarepa avec un jeune berger ou un moine scolastique.
Chez Maitrīpa, l'introduction ou la révélation a simplement pour but de révéler au disciple la méditation "continue", "sans effort" et "naturellement présente" en lui. Le rôle du guide "indirecte" se limite à cette introduction et après celle-ci, c'est le guide "direct" qui prend la relève et qui continuera "l'enseignement" à travers des symboles mentaux[1]. Cette introduction à la nature de l'esprit est exposée dans le commentaire du Dohākośagīti de Saraha par Advaya Avadhūta[2], mais l'historien 'gos lotsāwa (1392-1481) le résume brièvement dans son commentaire sur le Ratnagotravibhāga, un traité attribué à Maitreya et retrouvé et diffusé par Maitrīpa. C'est par le biais d'Atiśa qu'il était introduit au Tibet, où il devint " le texte fondamental de notre doctrine de la Mahāmudrā"[3]. Le commentaire de 'Gos a été traduit en anglais et annoté par Dr. Klaus-Dieter Mathes.


Voici ce qu'écrit 'Gos lotsāwa au sujet de la méthode de Maitrīpa et de ses disciples :

Les synonymes [de la vacuité énumérée dans le Madhyāntavibhāga[4]] devraient aussi être appliqués aux deux types de vacuité, que sont la "négation n'impliquant aucune affirmation" et la "vacuité de la présence immédiate" (T. rig pa'i stong pa nyid). Les propriétaires de cette instruction[5] (dharma) sont Maitrīpa et ses disciples qui ont nommé "Voie du milieu intermédiaire" (S. madhyama-madhyama) " la vacuité enseignée dans le Madhyamakāvatāra. La "vacuité de la présence immédiate" était aussi appelée "Voie du Milieu suprême" (S. madhyama-uttama[6]).

Ceux qui suivent la Voie du milieu (S. madhyamika) déterminent d'abord la vacuité par inférence, puis se familiarisent avec elle. C'est comme lorsqu'on produit du feu par la friction de bouts de bois et que le feu consume ensuite ces mêmes bouts de bois. De la même façon, en se familiarisant avec ce qui a été établi par inférence on contrarie par là même les constructions mentales et l'on développe une perception directe[7] (S. pratyakṣa). Est-ce qu'il s'agit de la vacuité de la présence immédiate, enseignée pendant le dernier tour de la roue, qui surgit puisqu'elle n'en est plus empêchée [par les constructions mentales] ?

Cette connaissance valide[8] (S. prāmāna) qui recherchait [une perception directe] est-elle réelle ou non ? Et si elle est réelle, comment est-elle ?

Dans la tradition de ceux qui suivent les instructions [S. amanasikārāmnāyaṁ T. yid la mi byed pa'i man ngag], certains sont instruits ainsi : "Cherchez bien jour et nuit comment est votre conscience." Il y a donc en premier une recherche conceptuelle[9]. D'autres s'abstiennent (T. dor) des remémorations (S. smṛti) du passé, du présent et du futur et ainsi leur fixation (P. patti) est dotée des caractéristiques (S. lakṣana) de la perception directe. Cela produit ce qui est appelé " l'absorption en un point" (S. ekāgra) . Quand celle-ci est produite, [on leur] instruit ainsi : "Contemplez la conscience qui cultive en retournant la perception directe vers l'intérieur." Ils s'engagent ainsi uniquement (T. 'ba' zhig du) dans la pure (T. tsam) contemplation (T. lta ba).

C'est par exemple comme lorsqu'on examine (T. rtog pa) de l'eau pour voir si elle comporte des insectes[10] ; on force alors uniquement le regard. Il s'agit d'une façon de recherche par la perception directe, sans l'intervention de la conceptualisation (T. rtog pa). A travers [la perception directe] on verra toutes les qualités (S. dharmā) sans essence (S. ātman). Dans ce cas, l'organe visuel qui inspecte l'eau est l'inspiration (S. adhimukta T. mos pa) par et l'admiration pour le guide qui voit la vérité (T. bden pa). La perception visuelle est la perception directe qui est tournée vers l'intérieur. De cette façon, puisque l'être propre de la conscience est la Lumière et son reflet (T. 'od gsal ba), les affections (S. kleśa) sont perçues comme étant sans essence (T. ngo bo).

C'est en les termes suivants que [le RGV][11] expose "l'absorption en un point" (S. ekāgra).
"...devant ceux qui ont parfaitement pénétré la fine pointe du non-soi de tous les êtres [comme étant] pacification..."
Tandis que c'est en les termes suivants que "la pénétration directe du non-soi" est exposée,
["dont le regard perçoit la non-substantialité des souillures grâce au rayonnement naturel de la pensée de ces êtres ;"][12]
à laquelle on a donnée le nom "réintégration de l'absence de jugement" (S. aprapañca-yoga). L'absence de jugement (S. aprapañca) n'est pas seulement une négation n'impliquant aucune affirmation, elle n'est pas non plus avérée par aucune caractéristique comme une qualité de l'Intelligence (T. rig pa'i chos).Le doigt de la Mahāmudrā pointe vers l'instant d'Intelligence qui ne se perd ni du côté des apparences, ni de celui de la vacuité. Voilà ce qu'en disent ceux qui connaissent les instructions[13] (T. man ngag rig pa dag).

Bien que cette tradition appartienne au système des pāramitā, on lui a donnée le nom "Mahāmudrā ", comme il s'avère du commentaire sur les "Dix versets sur le Réel" (S. tattva-daśaka-ṭīkā) composé par Sahajavajra. Cela est exposé également dans le texte racine et le commentaire de "L'entrée dans le Réel" (S. tattvāvatāra), composé par Jñānakīrti.
"Le véritable chemin de la libération est la réintégration de la Mahāmudrā, l'Intelligence vide [d'essence]. Elle n'est pas atteinte par la culture de la vacuité, établie à travers une analyse rationnelle. Vous avez beau cultiver pendant des millénaires la vacuité établie rationnellement, vous n'arriverez pas à vous défaire de ces liens en or."
Voilà ce qu'en dit le glorieux Phag mo gru pa (1110-1170). Et ses meilleurs disciples précisent :
"La condition externe est le guide authentique Celui-ci nous fait mûrir, mais Tout comme le soleil et son rayonnement Et le fait qu'un fruit soit conforme à sa graine Cela se produit par une relation profonde [entre causes et effets] La relation entre les conditions et les effets de l'inspiration et de l'admiration est merveilleuse C'est proportionnellement à l'inspiration et à l'admiration investies Que sera la réalisation Si l'inspiration et l'admiration sont insuffisantes C'est la connaissance analytique développée par l'étude et la réflexion qui aboutira à la vacuité à travers un travail intellectuel Notre guide appelait cela "la vacuité par la raison" Les expériences et les qualités de l'expérience directe, Les propos profonds du Vainqueur, Les chants des siddha du passé, Ainsi que les écrits sur les quatre réintégrations (yoga) Peuvent être compris de façon intellectuelle Par des personnes où l'inspiration et l'admiration font défaut, Cela se produit facilement, mais Ceux qui ne s'abstiennent pas des affections et des constructions mentales Comment traverseront-ils l'océan de l'existence ? Ne connaissant pas l'absence de jugement (S. aprapañca) Comment s'abstenir des caractères des jugements ? Sans accéder à la Lumière et le rayonnement de la non-production, Comment interrompre le courant des productions ?"
Ils ont par ailleurs beaucoup écrit sur le même sujet.

***

Fin de la citation. Dans cette dernière citation, on remarquera par ailleurs l'importance croissante, au fil du temps, du rôle de l'inspiration et de l'admiration (T. mos gus) pour le guide indirecte, la condition externe. J'y reviendrai une autre fois. Les deux types de vacuité ainsi que l'absence de jugement (S. aprapañca) feront aussi l'objet de blogs futurs.

[1] "Après que le guide spirituel indirect l'ait révélé à l'aide de symboles , le guide direct le fera à l'aide de symboles mentaux (T. yid kyi brdas). N'ayez pas de doute à ce sujet." P. 255
[2] N° 3120 dohākoṣa hṛdayārtha gītā ṭīkā, composé par/attribué à Advaya Avadhūta
[3] Gampopa à Phag mo gru pa
[4] Autre traité attribué à Maitreya
[5] selon Mathes le Ratnagotravibhāga
[6] Il existe aussi trois types de siddha selon l'Essence des tantra (Tantrasāra) d'Abhinavagupta : uttama, madhyama et adhama
[7] L'immédiat, ce qui se présente tel quel. Un des 4 moyens de connaissance légitimes [pramāṇa].
[8] moyen de connaissance légitime. L'école de logique indienne Nyāya en reconnaît quatre, selon leur instrument (karaṇa) de connaissance: la constatation directe par perception (pratyakṣa) des matérialistes (cārvākās), l'inférence (anumāna) des logiciens, l'analogie (upamāna) et l'autorité de la parole (śabda) révélée (śruti) ou transmise par un locuteur digne de foi (āptopadeśa).
[9]Voir Milarepa et le berger
[10] Les moines bouddhistes ont huit possessions (Thaï : borikharn), parmi lesquelles un filtre à eau pour enlever les insectes de l'eau
[11] RGV I.13 Le message du futur Bouddha, François Chénique, Dervy, p. 72
[12] RGV I.13 Chénique p. 72
[13] S. amanasikārāmnāyaṁ T. yid la mi byed pa'i man ngag, principalement, les 25 textes de l'Advayavajrasaṃgraha TG n° 2229-2252


Le texte tibétain correspondant au passage ci-dessus peut être téléchargé ici.
L'image de 'Gos Lotsawa provient du site www.himalayanart.org