Affichage des articles dont le libellé est sens. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est sens. Afficher tous les articles

dimanche 24 août 2014

Bouddhisme et langage 1

Extrait du Soûtra de l'Entrée à Lankâ, chapitre 3.9, traduction de Patrick Carré

Le bodhisattva grand être Mahâmati demanda encore au Bouddha :
—Vénéré des mondes, l’Ainsi-venu a dit : «Les bodhisattvas et toi-même, vous ne devriez pas chercher à me comprendre en vous basant sur la lettre de mes propos.» Pourquoi ne le devrions-nous pas? Qu’est-ce que le langage (T. sgra) ? Qu’est-ce que le sens (T. don)[1] ?
— Écoute avec attention ce que je vais t’expliquer.

Mahâmati acquiesça et le Bouddha poursuivit :
— Le langage a pour cause ce qu’on appelle les idées fictives (T. rnam par rtog pa) et les habitudes (T. bag chags). Prenant appui sur la gorge, la langue, les lèvres, le palais et les dents, il produit les sons articulés et les mots qui permettent la conversation.Voilà pour le langage. Quant au sens, le voici : s’étant retiré dans la solitude, le bodhisattva grand être usera de la connaissance née de l’écoute, de la réflexion et de la méditation afin de concentrer sa pensée et sa puissance d’analyse sur le nirvana, l’Éveil et la sphère de sa propre intelligence pour renverser toutes ses habitudes et s’exercer aux différentes qualités des terres [de sagesse] .Voilà pour le sens.

Mahâmati, le bodhisattva grand être versé dans le langage et le sens sait que langage et sens ne sont ni les mêmes ni différents. Si le sens était autre que le langage, ce dernier ne pourrait pas le manifester, car le langage montre le sens comme la lumière montre les formes. Mahâmati, de même que l’on allume une lampe pour retrouver ce qui se cache dans l’obscurité d’une pièce, de même le bodhisattva grand être recourt à la lampe des mots pour accéder à la sphère de la réalisation intérieure qui est, pour sa part, indépendante de tous les mots. Mahâmati, en ce qui concerne le nirvana naturel, qui est libre de naissance et de cessation, [ou encore], les trois véhicules et le Véhicule Unique, les cinq catégories (T. chos lnga), les pensées, les [trois" natures[2], et ainsi de suite, la compréhension littérale [de ce que je dis] ne peut mener qu’à des opinions [dont l’erreur consiste à affirmer [ceci] en niant [cela], puisque [ce que je veux dire" n’a rien à voir avec les idées fictives que l’on peut s’en faire, ni l’image des sots qui jugent réelles les illusions du magicien — ce qui n’est pas le cas pour les sages et les saints.

Le Vénéré des mondes reprit alors en vers :

Si vous me prenez au sens littéral,
Vous aurez [des opinions] à affirmer sur les choses,
Et ces affirmations [qui sont des surestimations]
Vous précipiteront dans les enfers à votre mort.

Il n’y a pas de moi dans les agrégats
Et ceux-ci ne sont pas le moi,
Comme certains s’en font l’idée,
Même s’il ne s’agit pas de tout nier [en bloc].
Si, comme les sots en [cultivent] l’idée,
Tout existait réellement,
Leur vision permettrait aux sots
De voir le réel.

Or tout ce qui relève du pur et de l’impur
Est totalement dépourvu d’essence
Au contraire de ce que voient les sots,
Mais il ne s’agit pas davantage de néant.

***

[1] Don (S. artha) peut signifier le sens ou l'objet (réel ou irréel) désigné par le langage, ce qui n'est pas forcément la même chose. Le lien entre un mot et sa signification est indéniable, et dans ce sens sa signification est "réelle". Mais l'objet désigné par le mot ne l'est pas toujours. Dans ce type de discussion (entre bouddhistes et non-bouddhistes), il faut être conscient de cette nuance. Notamment dans la discussion s'il existe un lien entre les mots (le langage) et les objets (S. artha T. don) qu'il désigne. Il est indéniable que le mot Ātman a un sens, et ce sens est "réel". Mais l'objet que désigne le mot Ātman est il réel ?

Extrait de Aux origines de la philosophie indienne, Johannes Bronkhorts, Infolio, p. 99

“D’après Dignāga, on évite ces contradictions en étudiant soigneusement la manière dont les mots se réfèrent à leurs objets. La désignation ne procède pas en vertu d’une relation unissant un mot à un objet (de sorte qu’on pourrait demander où est l’objet lié à tel ou tel mot). Il n’est pas question de référence à des universaux non plus, les bouddhistes n’admettant pas l’existence des universaux.
La référence procède bien plutôt par exclusion (apoha).
Le mot « cruche » n’a pas plus de lien avec telle cruche donnée qu’avec l’universel cruchéité, mais exclut tout ce qui n’est pas cruche. La phrase « la cruche se produit » ne requiert donc plus une situation qui comprendrait une cruche, car il ne subsiste aucun lien direct entre le mot « cruche » et l’un des objets dans la situation décrite.”    

[2] Il semble exister des versions du Lanka où l'on mentionne explicitement les "trois natures". Mais dans le texte ci-dessous (ACIP et donc Dergé), on ne le trouve pas explicitement.

Texte tibétain Wylie (site ACIP)

de nas yang byang chub sems dpa' sems dpa' chen po blo gros chen pos bcom ldan 'das la 'di skad ces gsol to// gang bcom ldan 'das kyis byang chub sems dpa' sems dpa' chen po dang gzhan dag gis sgra ji bzhin gyi don du gzung bar mi bya'o zhes de skad gsungs na/ bcom ldan 'das/ ji ltar na byang chub sems dpa' sems dpa' chen po sgra ji bzhin gyi don du 'dzin pa ma lags/ sgra gang/ don gang lags/ bcom ldan 'das kyis bka' stsal pa/ blo gros chen po/ de'i phyir shin tu legs par nyon la yid la gzung zhig dang/ ngas khyod la bshad do// legs so// bcom ldan 'das zhes gsol nas/ byang chub sems dpa' sems dpa' chen po blo gros chen pos bcom ldan 'das la slar nyan pa dang/ bcom ldan 'das kyis de la 'di skad ces bka' stsal to//

de la/ blo gros chen po/ sgra gang zhe na/ 'di lta ste/ tshig dang yi ger phrad pa'i rnam par rtog pa yin te/ so dang/ 'gram pa dang/ rkan dang/ lce dang/ mchu sbyar ba las byung ba phan tshun smra bar rnam par rtog pa'i bag chags kyi rgyu las skyes pa ni sgra zhes bya'o//
de la/ blo gros chen po/ don gang zhe na/ 'di lta ste/ byang chub sems dpa' sems dpa' chen po gcig pu dben par song nas thos pa dang/ bsams pa dang/ bsgoms pa'i shes rab kyis mya ngan las 'das pa'i grong khyer du 'gro ba'i lam rang gi blos bag chags kyi gnas rab tu gyur pa sngon du 'gro ba so so rang gis rig pa 'phags pa'i spyod yul sa dang sa'i gnas gzhan gyi bye brag dang/ don gyi mtshan nyid 'jug pa la rab tu dpyod na/ don la mkhas pa yin no//

gzhan yang/ blo gros chen po/ sgra'i don la mkhas pa'i byang chub sems dpa' sems dpa' chen po ni sgra dang/ don dang/ don dang sgrar yang gcig pa'ang ma yin/ tha dad pa'ang ma yin par yang dag par rjes su lta ste/ blo gros chen po/ gal te sgra dang/ don tha dad na ni/ don gsal bar byed pa'i rgyu sgra ma yin par 'gyur na/ nor rdzas la mar me bzhin du don de la sgras rjes su 'jug go / 'di lta ste/ blo gros chen po/ skyes bu la la zhig mar me thogs nas phyogs 'di na nga'i nor 'di lta bu 'di na yod do zhes nor la lta ba de bzhin du/ blo gros chen po/ tshig tu rnam par rtog pa'i sgra'i mar mes byang chub sems dpa' sems dpa' chen po rnams tshig gi rnam par rtog pa dang bral ba/ so so rang gis rig pa'i don gyi yul la rjes su 'jug go / gzhan yang/ blo gros chen po/ ma skyes pa dang/ ma 'gags pa dang/ rang bzhin gyis yongs su mya ngan las 'das pa dang/ theg pa gsum dang/ theg pa gnyis dang/ theg pa gcig dang/ chos lnga dang/ sems dang/ rang bzhin la sogs pa la sgra ji bzhin du mngon par chags pa la brten nas mngon par chags pa' phyir sgyu ma sna tshogs mngon ba'i rnam par rtog pa lta bur sgro 'dogs pa dang/ skur pa'i lta bar lhung ba yin no//

rnam pa gzhan du gnas pa la rnam pa gzan du so sor rnam par rtog pas 'di lta ste/ blo gros chen po/ sgyu ma sna tshogs ni rnam par gzhan du lta ba yin na/ byis pa rnams rnam pa gzhan du so sor rnam par rtog ste/ 'phags pa rnams kyis ni ma yin no//

de la 'di skad ces bya ste/

ji bzhin sgra la rnam brtags nas//
chos nyid la yang sgro 'dogs te//
de dag de la sgro btags pas//
sems can dmyal ba'i gnas su lhung//

phung po rnams la bdag med de//
phung po rnams kyang bdag la med//
rnam rtog bzhin du de dag med//
de dag med pa ma yin no//

dngos po thams cad yod par ni//
ji ltar byis pas rnam brtags bzhin//
de ste mthong bzhin de yod na//
thams cad yang dag mthong bar 'gyur//

chos rnams thams cad med pas na//
nyon mongs pa dang dag pa'ang med//
ji ltar mthong ba bzhin min te//
de dag med pa'ang ma yin no//

mardi 11 décembre 2012

Capturer des mots et des figures, saisir le sens, puis les relâcher



« La figure, c'est ce qui manifeste le sens. Les mots, c'est ce qui explique la figure. Pour aller jusqu'au fond du sens, rien ne vaut la figure; pour aller jusqu'au fond de la figure, rien ne vaut les mots. La parole naît de la figure, aussi peut-on scruter les mots pour considérer la figure. La figure naît de l'idée, aussi peut-on scruter la figure pour considérer le sens. C'est la figure qui permet d'aller au fond du sens, ce sont les mots qui permettent d'éclairer la figure. Ainsi donc, les mots sont faits pour expliquer la figure, mais une fois qu'on a saisi la figure, on peut oublier les mots. La figure est faite pour fixer le sens, mais une fois qu'on a saisi le sens, on peut oublier la figure. C'est comme le piège dont la raison d'être est dans le lièvre : une fois le lièvre capturé, on oublie le piège. Ou comme la nasse dont la raison d'être est dans le poisson : une fois le poisson attrapé, on oublie la nasse. Or donc, les mots sont le piège qui capture la figure ; la figure est la nasse qui attrape l'idée.
Voilà pourquoi celui qui s'en tient aux mots n'arrivera jamais à la figure ; et celui qui s'en tient à la figure n'arrivera jamais au sens. La figure naît du sens, mais si l'on s'en tient à la figure, ce à quoi on tient n'est pas vraiment la figure. Les mots naissent de la figure, mais si l'on s'en tient aux mots, ce à quoi on tient ne sont pas vraiment les mots. Aussi, c'est en oubliant la figure que l'on arrive au sens ; et c'est en oubliant les mots que l'on arrive à la figure. L'appréhension du sens est dans l'oubli de la figure, et l'appréhension de la figure est dans l'oubli des mots. »

- Wang Bi (226-249), d’après Zhuangzi 26, dans Remarques générales sur le Livre des Mutations (Zhou Yi Lüeli). Traduction d’Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, pp. 334-335. Wang Bi est à l'origine de l'école du Mystère (C. xuanxue).

***

Illustration : La Pêche chinoise de François Boucher, Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie, Besançon

mardi 25 octobre 2011

Métaphore, signe et sens


Bru rGyal-ba gYung-drung (1242-1296)


A la fin de l’empire tibétain en 842 (et du bouddhisme monastique au Tibet), commence une période sur laquelle nous savons encore trop peu et qui s’étend jusqu’à environ 978, le début de la « renaissance tibétaine » (978-1276) et le retour d’un bouddhisme monastique. Ce n’est qu’à partir de 1900 avec la découverte des manuscrits de Dunhuang, au bord du désert de Gobi, en Chine occidentale, qu’une nouvelle source d’informations devenait disponible. La grotte, où étaient gardés les manuscrits, fut scellée et occultée autour de 1010 jusqu’à sa redécouverte en 1900. Hormis la fourniture de manuscrits jusqu’alors inconnus elle donne une indication sur quel textes étaient connus avant 1010 et sous quelle forme.

Pendant ce qu’on appelle quelquefois « l’âge obscure » (842-978), il semble ne pas y avoir eu une véritable religion organisée. Les deux religions présentes encore actives, mais en mode de survie, étaient l’école bouddhiste qui allait être désignée à la renaissance par le nom « ancien » (T. rnying ma) et la tradition locale dite « Bön ». Les deux traditions, « Bön » et « Ancienne », ont développé des systèmes auxquels elles donnent le nom « Grande perfection » ou « Grande complétude » (T. rdzogs chen), et qui sont devenus leurs systèmes emblématiques.

Pendant la période d’inventorisation, d’approvisionnement supplémentaire et de systématisation qui a suivi à la renaissance tibétaine, différents types d’instructions issues de différentes filières furent classés (T. sde) ensemble de par leur ressemblance, portée, origine attribuée, techniques… Puis, il fallait garantir l’authenticité et l'AOC de chacun. Ce fut l’essor des hagiographies. Tāranātha (1575–1634), n’était pas un historien, dans le sens accepté de nos jours, mais il était très conscient des lacunes en cette matière et plus exigeant que ses contemporains.
« Quand les tibétains racontent l’histoire du débat entre [Maitrīpa] et Śāntipa, ils le font de manière tout à fait incorrecte et il n’existe même pas de compte-rendu oraux à Āryadeśa à ce sujet. [Les indiens] disent ceci au sujet des tibétains : « Bhotā Svana Bāktya Samaya Coteka Siddhi Sādhaka Kya », ce qui veut dire, « ce que racontent les tibétains ne sont que des aboiements de chiens (Note : un chien qui aboie en fait en aboyer un autre etc.) , ou des propos d’un Siddha ou Sādhaka qui a abandonné ses voeux ». Il faut savoir que les mensonges communs des tibétains stupides ont été compilés de la sorte. » [1]
Nous sommes donc avertis et devraient prendre toutes les précautions à notre disposition en matière d’hagiographies, affiliations et attributions, en nous appuyant sur ce dont nous pouvons être raisonnablement certains et en gardant notre sens critique.

Quand nous parlons de lignées, ou de cycle d’enseignements, celles-ci ou ceux-ci sont composées d’instructions (ce qui est indiqué par le terme « catégorie » (T. sde) dans p.e. sems sde, klong sde etc.) qui peuvent avoir leur propre histoire et filiation et qui à un certain moment ont été inclus dans un « package ». C’est vrai pour la Mahāmudrā, c’est vrai pour le Lamdré, c’est vrai pour le Dzogchen.

Sans nous préoccuper de l’origine du « Dzogchen » de la tradition Bön éternel (T. g.yung drung bon), il se compose en trois parties A-rdzogs-snyan-gsum, c'est à dire : Les instructions sur A (l’Inconditionné), (T. A khrid), la « Grande perfection » proprement dite (T. rdzogs chen) et les Instructions orales de Zhangzhung (Tibet occidental) (T. Zhang zhung snyan rgyud).

Le type d’instructions qui ont le plus de ressemblance avec celles de Maitrīpa ce sont les Instructions sur A (T. A khrid). L’origine de ces instructions est attribuée à rMeu dGongs mdzod (1038-1096), ce qui les situe au 11ème siècle. Malheureusement, à ma connaissance, le cycle de 80 sessions composé par Gongdzeu n’ont pas laissé de trace. Ce qui existe et ce qui sert de base aux Instructions sur A est un texte sur un cycle de 15 sessions (T. man ngag khrid kyi rim pa lag len thun mtshams dang bcas pa), composé par Bru rGyal-ba gYung-drung (1242-1296). Donc au treizième siècle. Ce cycle de méditation A-khrid a été étudié par Dr. P. Kvaerne[2].

Dans le bouddhisme tibétain, le « Grand ermite » (T. ri khrod pa chen po) c’est Śavaripa, et la transmission père-fils du Grand ermite est celle de Śavaripa et Maitrīpa. Dans la transmission des Instructions sur l’Inconditionnel (T. A khrid), nous trouvons l’expression « dans la transmission orale de père-fils du grand ermite » (T. ri khrod pa yab sras kyi zhal nas). Dans ce cas, le grand ermite est dGongs-mdzod (1030-1096), à qui est attribué l’origine de A khrid, et ses fils sont A-zha blo gros rgyal mtshan (1198-1263) et Bru rGyal-ba gYung-drung (1242-1296), l’auteur des 15 sessions de l’Inconditionnel (A).

Son texte se divise en trois parties : préparatifs (T. sngon ‘gro), pratique fondamentale (T. gnos gzhi) et conclusions (T. mthar phyin pa). L’extrait fait partie de la pratique fondamentale, et plus précisément dans celle qui explique comment stimuler notre pratique du recueillement (T. mnyam bzhag). La pratique est stimulée par l’adoption d’une posture corporelle adéquate, par l’utilisation du regard yoguique (T. lta stangs) et par une Introduction (T. ngo sprod) ou Confrontation (traduction utilisée par Per Kvaerne), qui est dite être « le point essentiel du chemin des expédients (T. ngo sprod thabs lam gyi gnad)  ! Cette Introduction, « face-à-face », « rencontre des faces », a lieu à l’aide de trois facteurs que sont la métaphore, ou l’exemple (T. dpe), le signe (T. rtags) et le sens ou la réalité (T. don), et qui vont converger pendant la « Confrontation ». L’utilisation de l’Introduction avec la triade métaphore-signe-sens n’est pas l’exclusivité du système A khrid, ni du « Dzogchen » des anciens[3] ou de Longchenpa[4], mais se trouve aussi dans le sillage d’Advayavajra[5]. Pour trouver son origine, il faudra sans doute chercher du côté de l’intuitionnisme de Bhartṛhari, qui s'était peut-être inspiré à son tour de l'Entrée à Lankâ

---


Séquence des instructions de la transmission (S. amnāya) avec les sessions de pratique

3. [les points essentiels de la méthode d'Introduction]

Quand le ciel est clair et découvert et qu'il n'y a pas de vent, [l'adepte] adopte le regard et la posture corporelle expliqués ci-dessus, tout en fixant son esprit (T. rig pa) sur le ciel environnant (T. bar snang). Le ciel et son esprit se confondent entièrement (T. khrug gis) et se rencontrent (T. phrod) soudainement (T. kad kyis). Au moment où il n'y a plus aucune distinction, il est introduit (T. ngo sprad) à l'aide d'une métaphore, d'un signe et du sens.

Extrait du Gab pa[6] :
« L'identité de la métaphore, du signe et du sens est dit être la contemplation de la réalité non duelle dans l'esprit de la personne introduite (T. skal ldan). »
A cet instant, dans le ciel extérieur aucune identifcation de substance, forme géométrique, couleur, limite, centre, quartier ou caractéristiques n'étant possible, cette limpidité radieuse (T. sang nge ba) sans fondation, ce dénouement dans la vacuité (T. khrol le ba) sont la métaphore.

A l'intérieur est perçue telle quelle[7] (T. gcer gyis mthong), sans distinction entre extérieur et intérieur, l'effervescence cognitive (T. rig rig po) et lumineuse[8] (T. sal sal po) que l'on appelle « son esprit ». Cette réalisation vive est le signe.

L'identité entre les deux est établie : le ciel étant comme le principe conscient et le principe conscient étant comme le ciel, les deux se confondent et sont indistinguables. De l'état d'identité universelle de la non dualité, [surgissent] continuellement (S. nirantaram) les [expériences] éphémères (T. kad de ba). Voilà le sens du principe spirituel (T. bon nyid), que l'on appelle « Corps de réalité » (T. bon sku), et une fois qu'il s'est revélé, il convient de l'appliquer à tous les objets et perceptions (T. yul shes).

Extrait des Six enseignements (T. lung drug) :
« Toutes les apparences diverses sont Samantabhadrī et toutes les actions (T. mdzad spyod) sont les expédients, le principe masculin (T. yab). Ce qui ne s'écarte pas [de l'alliance des deux principes] est dit être Shenlha (T. gshen lha)[9]. Il faut comprendre qu'il s'agit de la même instruction essentielle (T. gnad). » 
Extrait du commentaire :
« La distinction en métaphore, signe et sens a été enseignée uniquement pour guider les êtres dans l'Errance (S. saṃsāra). »
Ensuite, au moment où ces instructions sont transmises comme pratique spirituelle, il faut les laisser pratiquer pendant neuf, onze, quinze etc. [jours] et cultiver conjointement le repos mental (S. śamatha) et la perspicacité (S. vipaśyanā).

La session de stimulation (T. bog 'don), développée conformément aux propos de mon maître, le protecteur des êtres, est le septième chapitre.

*** 
Illustration : Dru Gyelwa Yungdrung

[1] « The Tibetans when reconting the story of [Maitrīpa’s] debate with Śāntipa, give the meaning quite incorrectly and in Āryadeśa there are not even any oral accounts of it. The following is said about Tibet – « Bhotā Svana Bāktya Samaya Coteka Siddhi Sādhaka Kya », which means, « What the Tibetans say is like the sounds of dogs barking, or like the sound of a Siddha or Sādhaka who has abandoned his vows ». One should know how the common lies of the silly Tibetans have been thus compiled. ». (Templeman, 1983.), p12 Bod rnams de rjes shAnti pa dang rtsod pa byas sogs kyi lo rgyus ‘chad pa ni don la yang mi rigs par snang zhing*/ ‘phags pa’i yul na kha skad tsam yang med gsung*/ bod na de ltar grags zhus pas/ bhoTA svana bAkya sAmaya tshoTeka siddha sādhaka kyA/ zhes gsungs te bod pa khyi’i la ba dam tshig spangs pa’i grub thob dang sgrub pa po gang zhes pa’o/ des na de ni bod blun po rnams kyi brdzun phal ka sgrigs su shes par bya’o/ Extrait de : bka' babs bdun ldan gyi brgyud pa'i rnam thar ngo mtshar rmad du byung ba rin po che'i khungs lta bu'i gtam, http://www.tbrc.org/#library_work_ViewByOutline-O01CT0029d1e2490%7CW22276
[2] « Bonpo Studies : The A-khri system of Meditation », Kailash, I, (Kathmandu 1973).
[3] Ngo sprod rin po che spras pa'i zhing khams bstan pa'i rgyud (abr. ngo sprod spras pa’i rgyud), "The Tantra of the Buddhafields of Precious Direct Introduction", dont la traduction est attribuée à Vimalamitra et sKa ba dpal brtseg
[4] Chos dbyings mdzod, chapitre 3
[5] dpal sa ra ha dang mnga' bdag mai tri pa'i zhu ba zhus lan "Réponses aux questions de Maitrīpa à Śrī Saraha" (otani beijing: 5048 ). Lire ce texte en regard de la traduction présentée ici est très instructif.
[6] Le Cycle des neuf secrets (T. gab pa dgu skor) et le Coucou de l'Intelligence (T. rig pa'i khu byug) sont une part essentielle de la Section de l'Esprit (T. sems sde) dans la tradition Bön.
[7] gcer gyis = nu = « L'habit de l'intellect étant enlevé, l'Intelligence rayonne librement. (T. blo yis g.yan lug bud nas rig pa gcer bur 'char/) ». Extrait du snyan rgyud.
[8] Dérivé du sens de « mdangs sal sal ». Continuellement radieuse.
[9] « gShen-Lha-Od-Dkar, dans la religion Bön tibétaine, était le « dieu de la lumière blanche » à partir duquel tous les autres dieux émanèrent. Avant l'existence de toute chose, deux lumières apparurent : une noire et une blanche. Puis vint un arc-en-ciel qui donna naissance à la dureté, à la fluidité, à la chaleur, au mouvement et à l'espace. Ces phénomènes se mêlèrent les uns aux autres pour créer un oeuf  gigantesque. De cet oeuf, la lumière noire produisit la maladie, les affections la douleur et d'innombrables démons, tandis que la lumière blanche donna la joie, la prospérité et de nombreux dieux. » Source :  http://mythologica.fr/tibet/gshen.htm. Il est aussi appelé Corps de perfection (rdzogs-sku),l’ équivalent du sambhogakāya.

Texte tibétain Wylie

3. [ngo sprod thabs lam gyi gnad do] gsum pa sprin dan lhag rlung med pa'i nam mkha' dangs pa la/ gong gi lta stangs lus gnad 'char bcug ste/ rig pa bar snang la gtad de/ nam mkha' dang rig pa khrug gis 'dres/ kad kyis 'phrod/ dbye yis mi phyed par gyur pa'i dus su dpe don rtags gsum gyi sgo nas ngo sprad de/
gab pa las dpe don rtags dang gsum du mnyam pa 'di/ skal Idan sems la gnyis med don du sgoms gsungs pas/
de'i dus na phyi nam mkha' la dngos po dbyibs kha dog mtha' dbus phyogs mtshams mtshan nyid ngos bzung gang du yang grub pas rtsa bral du sang nge/ stong nyid du khrol le ba 'di dpe yin/
nang du bdag gi sems zer ba'i rig rig po sal sal po 'di yang phyi nang dbyer med par gcer gyis mthong*/ sal gyis rtogs pa de rtags yin/
de gnyis mnyam kha de bcad/ nam mkha' ci bzhin sems nyid/ sems nyid ci bzhin nam mkha' khrug ge 'dres/ dbye yis mi phyed pa gnyis med mnyam pa chen po'i nang las rgyun chags su kad de ba de la/ don bon nyid bon sku bya ste/
de yis mtshon nas yul shes thams cad la sbyar du rung ste/
lung drug las/ snang ba sna tshogs 'di ni kun tu bzang mo la/ mdzad spyod thams cad thabs te yab/ de las ma g.yos pa de gshen lha’ang gsungs pa dag dang gnad gcig tu go ste/
'grel pa las/ dpe don rtags dan gsum du phye ba yang*/ 'khor ba'i sems can bkri drang cam du zad gsungs so/
de nas gdams pa 'di 'ang/ dge sbyor ston pa'i dus su dgu'am/ bcu gcig bco Inga las sogs su bskyang du gzhug cing*/ zhi gnas lhag mthong zung 'brel du bskyed cing*/ bog 'don pa'i thun mtshams/ 'gro mgon bla ma' i gsungs bzhin spros pa ste bdun pa'o/