lundi 28 juin 2021

"Le bouddhisme, une voie de responsabilité " ?

Le bouddhisme, une voie de responsabilité ?

Le mot responsabilité a plusieurs sens. Le premier étant :
1. Obligation faite à une personne de répondre de ses actes du fait du rôle, des charges qu'elle doit assumer et d'en supporter toutes les conséquences.
Je ne crois pas qu’il existe un mot tibétain qui couvre toutes les charges de ce mot. On trouve par exemple “(thugs) khag” pour un rôle, un devoir, une tâche, une mission, un mandat, une charge ...
Ou “(las) ‘gan”, commandement, direction, conduite, administration, management qui est utilisé dans les expressions comme prendre et donner la direction (‘gan len pa, 'gan theg pa). 

En revanche, dans le sens de porter, assumer la responsabilité en cas d’un incident, d’un échec, etc., je ne suis pas certain que cette association d’idées existe. Il n’y a qu’un supérieur qui pourrait demander à un haut dignitaire de se justifier, de rendre compte, etc. Dans une théocratie, celui qui porte la plus haute charge ne doit des comptes à presque personne.

Selon la moralité bouddhiste, toute personne est moralement responsable de ses actes, et en supportera toutes les conséquences. Mais ce n’est pas aux hommes de gérer le karma, ils en seraient d’ailleurs incapables, car la loi du karma en tant que rétribution spécifique d’actes spécifiques a un côté surnaturel, magique et divin. Je pense notamment aux fruits karmiques traditionnels de certains actes sexuels dits “négatifs”, tels qu’on peut les trouver dans l’Abhidharmakoṣa. Conformément à ce texte, j’estime que 99,9% de la population mondiale actuelle peut compter sur une naissance dans le monde des preta (esprits avides). La surpopulation de la terre n’est rien comparée à celle du monde des preta.

Comme la loi du karma se charge de la responsabilité des actes de chacun, y compris des plus puissants, il n’est pas nécessaire de demander des comptes aux plus puissants, surtout éclairés, quand ils prennent des décisions, ou commettent des actes, que le commun des mortels ne peut pas comprendre. On ne leur demande tout simplement pas de comptes. Si nécessaire, la loi du karma s’en chargera.


Malgré tout cela, le bouddhisme tibétain, notamment sous la personne du Dalaï-Lama, semble depuis peu se présenter comme “une voie de responsabilité” (Le bouddhisme, une voie de responsabilité Sagesses bouddhistes du 27/06/2021, émission proposée par l’Union Bouddhiste de France). Un livre à ce sujet vient d’être publié par Les Arènes : Nouvelle réalité, l’âge de la responsabilité universelle, par le Dalaï-Lama et Sofia Stril-Rever.


Suite au Prix Nobel de la Paix en 1989, le Dalaï-Lama avait créé sa fondation The Foundation for Universal Responsability. En tibétain, gong sa skyabs mgon tA la’i bla ma mchog gi kun phan bde rtsa. Le mot responsabilité dans ce nom correspond au tibétain “phan bde”, bien-être/prospérité et paix. Il y a la notion d’un devoir universel de tous les humains, qui est de se soucier de la planète, mais pas la notion de responsabilité, dans le sens d’une obligation de rendre compte de ses actions. L’idée semble être que la responsabilité pour le monde n’incombe pas à Dieu, aux dieux, au Bouddha ou aux bodhisattvas, mais aux humains eux-mêmes.
Le Dalaï Lama (12:16) nous livre ici un message sans détour, pour nous exhorter à nous engager pour la protection de la vie sur terre, une responsabilité que nous avons tous, liés par l'interdépendance pour éviter le pire aux générations futures”. 
Les activités de la Fondation pour la responsabilité universelle sont :
Education and Ethics
Interfaith Confluence
Women, Youth and Peacebuilding
Explorations into Life & Death

Il y aura beaucoup à dire sur ce programme, mais je me limite pour le moment aux actions pour promouvoir l’égalité et la justice des sexes en Asie du Sud-Est. Un programme spécifique WISCOMP (Women in Security, Conflict Management and Peace) a été créé à cet effet en 1999. Il a notamment pour mission (tib. khag, ‘gan) de lutter contre la violence envers les femmes.
WISCOMP aims at the transformation of gender relations – within the home, at the workplace, the community and in political processes. It foregrounds women’s right to safety and an end to Gender based Violence (GBV). Active participation of men in these processes is facilitated and encouraged.”
Gurukul avec SS Karmapa

La participation active des hommes à ces programmes est facilitée et encouragée. Les instruments principaux pour arriver à cette fin, sont léducation et léthique. L’éducation et l’éthique pourraient-elles être entre de meilleures mains que celles des grands Maîtres ? C’est donc aux grands Maîtres, ici SS Dalaï-Lama et SS Karmapa, d’éduquer les futurs citoyens cosmoresponsables et de leur enseigner l’éthique pendant des rencontres entre Gurus et disciples, “Gurukul” (ou Gurukula), comme c’est la tradition en Inde et au Tibet.

“Applauding Survivors and Crusaders for Justice” “Applaudir les survivants et les défenseurs de la justice”

Le programme WISCOMP a créé (en 2015) le prix SAHAAS[1]Heroes of Courage Award”, qui récompense les efforts des femmes, des hommes et des personnes transgenres courageuses qui agissent pour mettre fin à la Violence contre les genres (GBV).

Voilà pour le côté “mission”, “charge”, “action”, "incentives", “éducation” et “sensibilisation” éthiques, etc. du mot “responsabilité”. 

Côté assumer la responsabilité pour les actes, ratages, abus de pouvoir et dérives sectaires commis sous le couvert du bouddhisme tibétain et du guruvāda dans un cadre “gurukula, il n’y a plus personne. On n’applaudit pas les victimes et les survivants dans les centres bouddhistes tibétains en Occident, on ne récompense pas non plus ceux qui se battent pour obtenir justice ou qui combattent la Violence contre les genres (GBV). On accepte à la limite de recevoir une délégation de survivants sous la pression des médias et des pétitions. On leur fait une promesse qui ne sera probablement pas tenue, et on continue à parler de responsabilité universelle, d'amour universelle et de compassion universelle.

***

[1] SAAHAS Awards: Applauding Survivors and Crusaders for Justice
WISCOMP seeks to generate wider acceptability for a nuanced understanding of gender identity, which allows women, men and transgender persons to become active partners in efforts to end all forms of violence. Towards this end WISCOMP acknowledges and honors the efforts of women, men and trans persons who step up to end GBV with the Heroes of Courage Award. Initiated in 2015, the award applauds low profile but extraordinary crusaders for justice
. Source

samedi 26 juin 2021

Du sens critique, oui ou non ?


Je lisais hier un blog sur lesprit critique dans le cadre du bouddhisme tibétain. L’auteur y comparaît le comportement du futur Bouddha dans le Sīlavīmaṁsana-jātaka (n° 305) et celui d’un disciple du vajrayāna, tel qu’il est exposé souvent dans les hagiographies tibétaines. Il m’a semblé que c’était une bonne occasion pour montrer la différence entre l’approche du bouddhisme classique envers un “ami de bien” et du bouddhisme guruvādin ("lamaïste") envers le Maître-vajra (vajrācārya).

Dans ce Jātaka, un maître, sans moyens, doit marier sa fille et aurait besoin d’argent pour la dote, la cérémonie, la fête etc. Tous ses élèves lui ramènent de l’argent sauf le futur Bouddha, qui sait que le Dharma enseigne de s’abstenir du vol. Il a donc refusé l’instruction du maître et s’est appuyé sur le Dharma. A sa mort, le Bouddha avait dit à ses disciples de prendre le Dharma pour guide. Pour rappel, le premier des quatre refuges (skt. catuḥpratisaraṇa) enseigne : “La Loi est le refuge et non l'homme[1]. Sur ce point le futur Bouddha du Jātaka et le Bouddha sont en accord. Les Jātaka font partie de la littérature bouddhiste la plus ancienne.

Voyons maintenant du côté du bouddhisme ésotérique guruvādin. Des hagiographies tibétaines, souvent datant du XVIème siècle, y servent de modèles à la relation maître-disciple. Notamment, les hagiographies racontant la relation entre Tilopa et Nāropa. Tilopa est très probablement un personnage totalement fictionnel, et ce que nous savons de Nāropa, et plus particulièrement de sa relation avec Tilopa, est également fictionnel. Tilopa fait subir des épreuves à Nāropa pour tester sa foi en lui. Au cours de douze épreuves, l’esprit critique de Nāropa étant entièrement sapé, le disciple guruvādin est prêt pour devenir un guru à son tour.

Pour donner un exemple d’une épreuve, à un moment donné, Tilopa et Nāropa se promenant rencontrent un ministre qui conduit sa femme nouvellement mariée, à dos d’éléphant, chez lui. Tilopa dit à Nāropa, “si j’avais un bon disciple, il les aurait tirés du dos de l’éléphant, et les aurait traînés par terre”. N’ayant plus d’esprit critique et une foi entière en son maître, Nāropa s’exécute, et se fait presque battre à mort par la suite du ministre. Les autres épreuves sont de la même teneur. Contrairement au futur Bouddha du Jātaka, qui s’appuie sur le Dharma, pour dire non à son maître, Nāropa s’appuie sur un homme, un guru, pour lui obéir, tout en transgressant le Dharma, probablement dans l’espoir d’obtenir quelque instruction ésotérique.

L’auteur du blog écrit :
"Ainsi arrive-t-il qu'un maître mette ses disciples à l'épreuve. Pour en avoir quelques exemples, il suffit de relire les biographies des pratiquants du passé : Tilopa en fit voir de toutes les couleurs à Naropa, qui agit de même vis-à-vis de Marpa, lequel poursuivit la tradition à l'égard de Milarepa. Même ce dernier usa de cette méthode, en particulier avec ses deux principaux élèves – Réchungwa et Gampopa. Car le "baptême du feu" est réservé en priorité aux pratiquants avancés, qui allient foi et discernement à un point tel qu'ils ne se laissent plus décontenancer par les apparences ordinaires".
Il y a un fossé entre les deux approches. Le futur Bouddha s’appuie sur le Dharma pour dire non à son maître, quand celui-ci lui demande de transgresser le Dharma. Il garde son sens critique. Dans le cas des modèles hagiographiques, le disciple met sa foi entièrement entre les mains du maître, abandonne son sens critique (“doutes”), et transgresse le Dharma à sa demande. Cette opération de soumission totale serait un “baptême du feu”, permettant de trier les “pratiquants avancés” des pratiquants plus frileux, plus hésitants, sans doute avec un résidu de sens critique.

Les hagiographies ont alors pour fonction d’encourager leurs lecteurs de se comporter comme des “pratiquants avancés”, afin de renoncer à leur “ego”, et avoir accès aux bénédictions, siddhi, etc., et de devenir des maîtres à leur tour. Ceux qui passent le "baptême du feu" “ne se laissent plus décontenancer par les apparences ordinaires". Ce qui peut sembler comme une transgression du Dharma, ou comme un abus de pouvoir ne l’est pas réellement. Ce n’est pas ainsi qu’un pratiquant avancé verrait la chose. Des mauvaises langues diraient que sa réalisation n’est pourtant autre que de la dissonance cognitive... Pour bien comprendre le sens de la relation de Maître à disciple souhaitée, les Maîtres tibétains recommandent la lecture des hagiographies de Tilopa et Nāropa (aux hommes) et celles de Padmasambhava et Yéshé Tsogyel (aux femmes), y compris actuellement en Occident.

***

[1] 1. La Loi est le refuge et non l'homme
2. l'esprit de la lettre est le refuge et non la lettre
3. Le sūtra de sens définitif (S. nītārtha T. nges don) est le refuge et non le sūtra de sens à élucider (S. neyārtha T. drang don).
4. La connaissance principielle (S. jñāna T.ye shes) est le refuge et non pas les perceptions sensorielles avec la conscience mentale (S. vijñāna T. rnam shes)

dimanche 20 juin 2021

Rappel de la clause de non-responsabilité à Sagesses bouddhistes (20/06/2021)


Sagesses bouddhistes 20/06/2021
Quest-ce quun maître authentique ? Invité : Matthieu Ricard interrogé par Sandrine Colombo Aoun
Sagesses Bouddhistes propose aujourd’hui une rencontre avec Matthieu Ricard, en Dordogne, une belle région de France où, le long de la Vézère, plusieurs centres tibétains se sont implantés dès les années 70, fondés par de grands maîtres tibétains aux qualités spirituelles exceptionnelles.”
   *Les sous-titres (si vous les activez) ne reflètent pas toujours la formulation exacte. Je résume ici les thématiques qui m'intéressent plus particulièrement, parfois avec mes propres formules, et place quelques commentaires personnels précédés d’un *.

Maître


Il y a différents degrés de maîtres spirituels. Un instructeur (skt. ācārya tib. mkhan po), un “ami de bien” (skt. kalyāṇamitra), celui qui vous donne des voeux de libération personnelle, celui qui donne les voeux de bodhisattva, et finalement le maître ésotérique (skt. guru tib. bla ma), qui vous “montre la nature de l’esprit”, et qui est votre maître-racine.

Idéalement, ce maître emblématique du vajrayāna est “comme un grand-père ou une grand-mère éminemment bienveilant(e)”.

Ce dernier type de Maître (ci-après avec un M majuscule) a 1. une sagesse illimitée, 2. une compassion illimitée, et 3. pas la moindre considération pour des préoccupations mondaines. Ce type de Maître, authentique, est rare comme une étoile en plein jour.

Lignée

Les Maîtres, rares et précieux, appartiennent à une “Lignée”, une transmission et une tradition ininterrompue (00:00:05 “un chaîne de maillons d’or ininterrompu") depuis le premier “maître”, le Bouddha. Une tradition ne se réinvente pas du tout à tout, et ne peut se préserver que par une transmission orthodoxe et conforme, qui “garantit” son efficacité, ainsi que l’authenticité du Maître. Fort de la tradition, de la lignée et de son expérience authentique, un Maître est comme un “marin expérimenté”, qui à l’aide d’une carte, et d’une boussole montre le Pôle Nord de la nature de l’esprit au disciple.

Il y a beaucoup de Maîtres, mais peu de Maîtres “authentiques”. Il y a aussi beaucoup de charlatans, et l'Occident, où il n’ y a aucune “substance derrière” les spiritualités proposées, y est très sensible, tandis qu'au Tibet, les charlatans, on les voyait arriver de loin.

Nécessité d’examiner un Maître


Il est difficile de trouver un “Maître authentique”, qui en plus vous corresponde. Il est donc bon au début de rencontrer plusieurs Maîtres, et de les examiner, ce qui est très clairement expliqué dans les textes… [quand-même...]. C’est un point extrêmement important. Les “Maîtres non-authentiques” se reconnaissent à leur orgueil, au manque de cohérence entre leurs paroles et leurs actes, etc.

Les dérives (00:06:40)

L’existence de “Maîtres non-authentiques” (ou de charlatans) est extrêmement dangereuse, peu souhaitable, mais cela arrive dans un milieu “non-traditionnel”. 

   *J’observe, si les Maîtres “authentiques” sont rares comme des étoiles en plein jour, les “Maîtres non-authentiques” devraient logiquement être aussi nombreux que les étoiles dans un ciel dégagé pendant la nuit. C’est malheureux. Ce problème mériterait sans doute davantage d'attention.


Au Tibet, tout le monde connaît les “lamas qualifiés” et les charlatans n’ont aucune chance. En Occident, il en va autrement, les Maîtres entourés d’une aura venant du Tibet, s’ils n’ont pas les qualités “authentiques”, “cela peut mal tourner”.

   *J’interprète, c’est la naïveté et la crédulité des Occidentaux, qui fait que des Maîtres “non-authentiques” et “non-qualifiés” “du Tibet” sont pris pour des Maîtres “authentiques”. La "certification ISO-Tulku" existe cependant au Tibet, mais elle doit être déficiente. Les textes précisent clairement qu’il faut toujours examiner un Maître, avant de s’engager auprès de lui. Lisez le manuel, et les petites lettres…

Quelques causes possibles
Les gens vulnérables cherchent une source de réconfort ou d’enseignement, et ils se fient à ces personnes. C’est très risqué.” (00:07:35)

Il y a eu des cas. Alors, ça peut aussi bien être des défauts individuels, dans toute population il y a 3% de psychopathes, de pervers, etc.”

Il y a aussi un système, parce que bon, le Maître jouit d’une certaine autorité.” (00:00:58)

Le soi-disant Maître spirituel peut utiliser cette autorité pour obtenir des faveurs de tout genre, financières, sexuelles ou autres.” 
Et il y aussi des dérives sectaires. Il faut être très attentif à tout ça.”
   *Les gens "vulnérables" tombent plus facilement victimes des charlatans. Leur vulnérabilité n'est pourtant pas imputable au bouddhisme tibétain.  Il y a toujours quelques pommes pourries partout. Le risque d'un système très autoritaire aurait mérité davantage d'attention, surtout quand il s'agit d'abus de pouvoir. Les dérives sectaires ne sont pas inhérents au bouddhisme tibétain et sont possibles y compris en dehors des religions. 

Dénoncer les dérives et accueillir les victimes
Le Dalaï-Lama a très souvent dit que si on voit qu’un enseignement n’est pas conforme à l’enseignement du Bouddha, s’il est cause de souffrances, il ne faut pas hésiter à dénoncer ça, ceux qui en ont été victimes, ceux qui en ont été témoins (00:08:20).”

Il faut, malgré tout, qu’il y ait une certaine forme d’accueil pour toutes ces victimes (00:008:30), qui souffrent d’abord, ensuite sont laissées pour compte, pour qu’elles puissent s’exprimer suffisamment tôt. Ca c’est valable dans toutes les communautés humaines. Tout ça c’est un petit peu ce qui se passe dans un contexte où le bouddhisme a été déraciné."
   *On note que le facteur Shangrila persiste même chez une personne aussi savante et avertie que Matthieu Ricard. Il semble suggérer que dans les communautés tibétaines, ces dérives n’existeraient pas. Uniquement en Occident, dans un contexte d’un bouddhisme un peu déraciné, où les nouveaux convertis sont crédules, naïfs, “manquant de [bons ?] repères” (00:08:53), les adeptes ne suivent pas les textes qui disent pourtant très clairement d’examiner les Maîtres, et deviennent ainsi les victimes d’abus de pouvoirs de Maîtres non-authentiques. Dans les communautés tibétaines, où le bouddhisme est parfaitement enraciné, il n’y aurait pas besoin d’alerter les médias, d’accueillir les victimes, etc. Après avoir expliqué que les abus de pouvoir arrivent “dans toutes les communautés humaines”, voici que Matthieu Ricard nous semble dire implicitement qu’ils n’existeraient pas dans les communautés tibétaines. C’est du niveau du président Iranien Ahmadinejad, quand il déclarait quil ny avait pas dhomosexuels en Iran
C’est donc très important d’être éminemment attentif, d’autant plus que “le bouddhisme est peu organisé de manière hiérarchique” (00:09:00). Vous n’avez pas tout un échelon de personnes qui sont censées regarder ce qui se passe à droite et à gauche. La plupart des centres sont indépendants, comme les monastères au Tibet”.
Conclusion

Donc, beaucoup de vigilance, et surtout étudier les textes décrivant les caractéristiques des Maîtres authentiques” (00:09:10).
   *Des ”Disclaimers” (“Dégagement de responsabilité”), on appelle de tels "textes" à notre époque.
Si quelque chose ne semble pas en accord avec le Dharma, ne pas hésiter à le faire savoir.”

Finissons sur ce bon conseil. La suite de l’entretien se poursuit sur les aspects plus connus de la fonction du maître bouddhiste tibétain.  





























jeudi 17 juin 2021

Sa Sainteté Karmapa et Mr. Dorje

le viol de Io par Zeus sous la forme d'un nuage, Antonio da Correggio

Le Plérôme c’est le monde symbolique (superstructure), où l’on vivrait vraiment. C’est là, où les décisions seraient prises et d’où des missionnaires de tout genre seraient envoyés dans le monde des produits.

Officiellement, le terme gnostique “plérôme” n’existe pas dans le bouddhisme mahāyāna ésotérique. Une influence gnostique sur le bouddhisme ésotérique resterait à prouver, mais il est certain qu’il ait subi des influences “étrangères” sur la route de la soie. Ainsi, il existe bien des paradis bouddhistes ésotériques et le plus haut monde situé juste au-dessus du saṃsāra s’appelle Akaniṣṭha (tib. ‘og min). C’est là que Bouddhas et bodhisattvas se réunissent pour décider des actions de sauvetage pour libérer les êtres du saṃsāra. De temps à autre, tel ou tel bodhisattva est envoyé en mission. Les bodhisattva envoyés restent ancrés en Akaniṣṭha, et ce sont leurs corps émanés (nirmāṇakāya) qui partent en mission. Un bon bodhisattva multiplie les contacts et crée des liens avec autant d’êtres que possible, car chaque “lien établi” (tib. rten ‘brel) sera un beau jour un être sauvé des geôles du saṃsāra. Que ces liens soient positifs ou négatifs importe peu, car de toute façon, ces êtres doivent encore épuiser leur mauvais karma, l’essentiel est que leur salut futur est garanti du fait de leur lien avec un bodhisattva, qui un jour reviendra comme un parfait Bouddha pendant un kalpa auspicieux. Ce lien est tout, le reste n’est rien. D’où limportance debrilleret d’ “attirer. Les messies vont à la pêche des hommes et des femmes, en utilisant tous les moyens du bord (upāya).

Le viol d'Europe par Zeus, sous la forme d'un taureau, Titien 

Que le corps d’émanation de l’envoyé du Plérôme ne se comporte pas conformément à nos attentes, ou même conformément à la Doctrine, n’est vraiment pas la question. Les maîtres tibétains savent bien, et depuis des siècles, que les bodhisattva/corps d’émanation peuvent être de véritables énergumènes dun point de vue humain. Quand des disciples de Trungpa et de son régent vajra se plaignaient ou se vantaient d’avoir eu des rapports sexuels forcés ou non avec eux, Gyatrul Rinpoché les réprimandait :
N’ayez pas de pensée ordinaire à ce sujet, du type “Oh, il a couché avec moi, alors je suis son égal ; cela fait de moi quelqu’un de spécial, car il a couché avec moi”. Ce n’est pas la façon de penser qui convient à une sangyum [partenaire sexuel d’un maître tantrique]. Il est de la responsabilité d’une sangyum de considérer qu’il voyait en vous une connexion karmique à cultiver. Et n’oubliez pas que c’était à cause de sa bonté qu’il avait reconnu votre karma de cultiver cette connexion et de l’actualiser. Si votre attitude en est une d’humilité et de dévotion, et que vous suivez ses instructions, cela pourra être très bénéfique pour vous à cause de la nature particulière de votre connexion avec lui. Si vous cultivez cette situation, vous pourrez progresser, et être très utile aux autres. Mais si vous ne reconnaissez pas le niveau de cette connexion et la percevez comme quelque chose d’ordinaire, en vous gonflant d’orgueil et d’ego, vous aurez réellement manqué cette opportunité. Ce serait plutôt comme coucher avec un roi, mais [votre maître] n’était pas un roi, mais un bodhisattva. C’est une grande différence.”[1]
Le viol de Ganymède par Zeus sous la forme d'un aigle, Rubens

Ce serait un honneur et une grâce quand un astre du Plérôme daigne ainsi se tourner vers un être mortel, pour le meilleur et pour le pire. Voilà, l’idée qui se tient quelque part dans la tête d’un “corps émané”. On ne sait d’ailleurs jamais qui est un “corps émané” ou un bodhisattva, et qui ne l’est pas. Mieux vaut s’abstenir de juger.
Le [Sūtra du samādhi de la marche héroïque] met en garde contre les jugements hâtifs des comportements de bodhisattva laïques respectés. Quand on n’est pas soi-même un Bouddha, on ne peut pas juger de la réalisation d’un autre, qui pourrait être un bodhisattva de haut niveau pratiquant la marche héroïque (ci-après “bodhisattva héroïque”).”
Quand on vit dans un “monde symbolique”, où un seul système ne prévaut, il n’y a pas de critiques à porter sur un “corps émané” et il n’y aura pas de litiges. L’idéologie intégrée par les “corps émanés” dès leur jeune âge, a aussi été intégrée dès leur jeune âge par les sujets d’une théocratie. Quel que soit leur comportement, les “corps émanés” n’auront pas de procès. Il n’y a d’ailleurs pas de victimes. La faute de Mme Han serait de ne pas avoir considéré l’intérêt que lui aurait témoigné Mr. Dorje comme une grâce, ou de ne pas avoir gardé le silence (du moins selon la théorie de la grâce plérômique de Gyatrul Rinpoché, très largement partagée dans le monde bouddhiste tibétain).

Leda violée par Zeus sous la forme d'un cygne, RMalijan

Mais quand lidéologie théocratique s’exporte dans une démocratie (occidentale), elle doit cohabiter avec d’autres systèmes symboliques. Et là cela *peut* se passer différemment. Hormis une éventuelle “justice à deux vitesses”, ou un arrangement extrajudiciaire, toujours possible, le “corps émané” sera traité comme un “corps” ordinaire, et son lien allégué avec le Plérôme ne sera pas pris en compte. Exit Sa Sainteté, "prenez place derrière la barre Mr. Dorje". Les arguments de “corps émané”, “envoyé du Plérôme”, “sauver les âmes du saṃsāra”, “établir autant de liens possibles”, le témoignage de Gyatrul Rinpoché, le “mais puisque je vous dis que c’est un saint” de Zopa Rinpoché (sur Dagri Rinpoché), etc., tout cela sera irrecevable. Pour l’éventuel test de paternité, on ne s’intéresse pas à Sa Sainteté, l’ADN est-il bien celui de Mr Dorje ? voilà la seule question à laquelle il s’agit d’apporter, en premier, la réponse. Si ensuite quelqu’un devait être condamné, ce serait Mr. Dorje. Tandis que Sa Sainteté, à Akaniṣṭha, gardera son odeur de sainteté. C’est la fameuse théorie des “deux corps du roi”, un peu comme une variante de la distinction entre l'artiste et son oeuvre.
« Parce qu'il est naturellement un homme mortel, le roi souffre, doute, se trompe parfois : il n'est ni infaillible, ni intouchable, et en aucune manière l'ombre de Dieu sur Terre comme le souverain peut l'être en régime théocratique. Mais dans ce corps mortel du roi vient se loger le corps immortel du royaume que le roi transmet à son successeur. »[2]
Le corps symbolique du roi (ou du tulkou) appartient au monde symbolique (superstructure), s’il s’agit d’une monarchie, d’une théocratie (ou pour certains de la Vème république…). Si des “corps émanés” fautent, cela ne met pas en cause leur contrepartie à Akaniṣṭha, ni le monde symbolique ésotérique, qui restera de vigueur parmi les fidèles, sans en changer la moindre virgule. Quand les “corps émanés” fautent, cela créerait d’ailleurs une occasion de tester la ferveur de la foi des fidèles. Si ça se trouve, c’est même volontaire… dans une optique pédagogique (tib. smin grol) évidemment.

Le Dalaï-Lama, qui doit sans cesse jongler avec divers mondes symboliques semble néanmoins se lasser un peu de cette Plérôme féodale.
I feel some of this lama institution is some sort of interference of feudal system, that is out of date. It now must end.”
Il est cependant très seul à s’exprimer ainsi, et il est âgé… La fameuse réunion sur les abus sexuels dans le bouddhisme tibétain n’a pas eu lieu, et il n’y a pas beaucoup de chance qu’elle ait lieu un jour, du vivant du grand quatorzième. Les chefs tibétains intégristes n’ont pas l’air de s’en émouvoir particulièrement. Ils sont en mission...

Avez-vous remarqué qu’on n’a pas parlé un seul instant d’ “éveil” dans ce blog ?


***

[1] "So if you are doing the Shambhala training, and if you have faith in the place of Shambhala and in those great enlightened beings who have manifested in this place for our welfare, then the blessings that enter your mind will be very swift, and this will help increase your own understanding of your Buddha nature. … Shambhala is not to be mistaken with Shangri-la. Everyone thinks: ‘I want to go there.’ But that’s just made up, that’s a movie…. Now this is really not my business, but I want to mention anyway, to some of the women who are the sagyum, or the consorts, of Trungpa Rinpoche, you should be very careful about your attitude. Don’t have an ordinary mind about it, thinking in an ordinary sense: ‘Oh, he slept with me, so I’m equal to him; this makes me special, because he slept with me.’ This is not the way that a sagyum of someone like this should think. It’s the sagyum’s responsibility to consider that he saw in you a karmic connection that could be cultivated. And consider that it was because of his kindness in recognizing your karma that there was an ability to cultivate that and bring that out. If you have an attitude of him with humility and devotion, then if you follow whatever teachings he gave you, because of the special aspect of your connection with him this can be of tremendous benefit to you. If you cultivate your situation, you can then go ahead and be of tremendous benefit to others. But if you fail to see the level of the connection and think of it as being only ordinary, and elevate your pride and ego, you’ve really failed in that connection. That would be like sleeping with a king-but he was not a king, he was a great bodhisattva. There’s a difference."

Gyatrul Rinpoche, Oral Commentary on the Natural Great Perfection by Dudjom Lingpa, given in Boulder, 1992, trans. Sangye Khandro, ed. Ian Villarreal, later published by (Ashland, Oregon: Mirror of Wisdom Publications, 2000), 58-59

[2] ‘Les Deux Corps du roi’ d'Ernst Kantorowicz, Patrick Boucheron L'Histoire, no 315 - décembre 2006.

mercredi 16 juin 2021

Ils vivent, nous dormons

They live, We sleep, film de John Carpenter (en ce moment sur Arte-tv)

Le discours sur la chose n’est pas la chose, le symbole indiquant la chose n’est pas la chose, le doigt pointant vers la lune n’est pas la lune. Presque tout le monde le comprend.

L’informatique/la cybernautique nous aide à créer un monde “virtuel”. Au service du management (Menschenführung), l’objectif final semble être de doubler chaque chose, personne et action dans le monde virtuel, pour contrôler toutes les choses dans le monde réel à partir d’un monde virtuel. A terme, ce qui n’existe pas dans ce monde virtuel n’existera pas, point barre. Il ne sera pas “reconnu” et n’aura pas accès. C’est comme s’il n’existait pas. Vivent “réellement” seuls ceux qui sont présents dans le monde virtuel et participent à la vie véritable” (le discours).

They live, We sleep : les messages sous-jacents des lumières de la ville 

L’informatique opère un basculement à travers le monde virtuel qu’il crée : le pouvoir est transféré au monde virtuel. On peut désormais faire tout “en ligne” et bientôt on doit sans doute faire tout “en ligne”. Chaque chose, identité et acte doit à tout moment être identifiable et traçable.

Ce monde virtuel n’est pas nouveau, des mondes symboliques ont toujours existé, mais cette fois-ci, le monde virtuel a su se doter de moyens puissants quasiment divins. Il n’est pas certain qu’un retour en arrière sera possible, sauf si des mondes symboliques se rebellent ou que le monde réel se rebiffe. Un monde symbolique pourrait prendre la place des Menschenführer du monde virtuel, et rien ne changerait vraiment. Le monde réel pourra en revanche signer l’arrêt de mort définitif du virtuel. On n’a jamais accès au monde réel, à travers le monde virtuel. La fosse ne peut pas être comblée. Passons maintenant à autre chose.

La conscience et l’éveil ne sont pas des choses. Elles ne sont accessibles qu’à travers des discours et des symboles qui ne sont pas “la conscience et l’éveil”. Une personne dite “éveillée” n’a rien à voir avec l’éveil. Si c’est “l’éveil” que l’on souhaite, pourquoi parler d’une personne, de ses faits et gestes, de sa vie, de son apparence physique ? Pourquoi publier des photographies de son corps physique ? Qu’a-t-il à voir avec “l’éveil” ?

Si une telle personne serait - conformément au discours - arrivé à “l’éveil” à travers une certaine série d’événements, pensées, paroles et actes (“la méditation”), qu’est ce qui dit qu’une autre personne en reproduisant la même série de pensées, paroles et actes arriverait au même “éveil”, ou que “l’éveil” se laisserait enfermer dans une telle série, autrement dit dans “une méditation”. “L’éveil” dépend-il d'une sorte de checklist ? Pas selon les prajñāpāramitā-sūtra ou le madhyamaka.

Personne éveillée (John Nada) grâce à un gadget (They live)
Voir aussi l'interprétation de Slavoj Zizek

Avec des discours et des symboles, le bouddhisme a construit des “personnes éveillées”, détenant “l’éveil” où y ayant accès, et qui seraient capables de guider d’autres personnes vers “l’éveil”. La pratique qui les y conduirait est appelée de divers noms, la plus populaire de nos jours étant “la méditation”. “La méditation” pourrait conduire tous ceux qui la pratiquent à “l’éveil”, ou sinon leur procurer toute une série de bienfaits, dont les scienti-spiritualistes et les spirito-scientifiques ont su prouver la réalité par le principe de la reproductibilité. “L’éveil” et “la méditation” sont désormais en voie de “scientification”. C’est important dans un monde de matérialistes et de mécréants, et cela sert à donner plus de corps à “l’éveil” et “la méditation” par le biais de “la science”. On pouvait pratiquer “la méditation” pour pleins de raison, mais bientôt aussi, si Dieu le veut, par nécessité scientifique. Elle pourrait dans ce cas peut-être être prescrite par un Conseil scientifique. Les essais scientifiques en matière de “la bienveillance” et de “l’altruisme” sont encore en cours.

“L’éveil”, “la méditation”, “la bienveillance” ne sont pas si éloignés d’un mot comme “la philosophie”, mais les philosophes ne semblent pas avoir eu l’idée de prouver “scientifiquement” les bienfaits de la philosophie, ou d’examiner si “la philosophie” fait baisser la tension artérielle etc.

L'apothéose de "Francisco Varela"

Pour “la méditation” c’est chose faite. Non seulement, les premiers adeptes de “la méditation” (les “méditationistes”) avaient déjà leurs héros qu’ils appelaient “des éveillés”. Désormais, des scientifiques spirituels, tel que Francisco Varela, commencent à rejoindre leurs rangs. Les acolytes” (followers) des nouveaux héros aiment parler d’eux, de leur vie, de leurs faits et gestes, plutôt que de leur “science”. Comme dans le bouddhisme, on préfère parler des éveillés et de leurs pouvoirs plutôt que de “l’éveil” de façon plus concrète. Dans les cercles scienti-spirituels, la science et léveil, ça sert surtout à être célébrés. Ne soyez pas trop étonnés si sur les futurs thangkas du quatorzième Dalaï-Lama des scientifiques figureront au premier plan aux pieds du Dalaï-Lama.

Ce sont les formes fétiches de “l’éveil” et de “la science” qui se prêtent plus particulièrement à la marchandisation et au merchandising. On y évolue dans des mondes symboliques qui ne donneront jamais accès ni au monde réel ni à “l’éveil”. Les bienfaits que produiraient “l’éveil”, “la méditation”, etc., ainsi que le charisme et les pouvoirs des “éveillés” appartiennent au domaine symbolique. Y a-t-il véritablement un monde réel et un éveil, et un accès direct est-il possible ? C’est une autre question. Est-ce que cet accès aurait une quelconque utilité ? Voilà encore une autre. En absence de lunes, vers quoi pointent les doigts ?

They live, librairie

Chögyam Trungpa avait expliqué sans fard à Allen Ginsberg que "tout l'enseignement se réduit finalement à la vacuité et la docilité".  
[Chögyam Trungpa] dit, eh bien le problème avec Merwin — c'était il y a quelques jours — il dit, le problème de Merwin était la vanité. Il dit, je voulais me charger de lui en m'ouvrant totalement à lui, en mettant de côté toutes les barrières. “C'était un pari.” dit-il. Alors je demandais était-ce un erreur ? Il répondit “Non.” Alors je dis que si c'était un pari et que cela n'avait pas marché, pourquoi ne serait-ce pas une erreur? Eh bien, parce que maintenant tous les étudiants doivent y réfléchir, cela servira d'exemple, et leur fera peur. Alors je rétorquai “Et si tout le monde en parle à l'extérieur, cela ne causerait pas un scandale énorme?” Et Trungpa de répondre, “Eh bien, ne sois pas étonné de découvrir que tout l'enseignement se réduit finalement à la vacuité et la docilité.”

" [Chogyam Trungpa] said, well, the problem with Merwin — this was several years ago — he said, Merwin’s problem was vanity. He said, I wanted to deal with him by opening myself up to him completely, by putting aside all barriers. “It was a gamble.” he said. So I said, was it a mistake? He said, “Nope.” So then I thought, if it was a gamble that didn’t work, why wasn’t it a mistake? Well, now all the students have to think about it —so it serves as an example, and a terror. But then I said, “What if the outside world hears about this, won’t there be a big scandal?” And Trungpa said, “Well, don’t be amazed to find that actually the whole teaching is simply emptiness and meekness.” 
When the Party’s Over, interview avec Allen Ginsberg dans Boulder Monthlymars 1979
They live

 

"Le vainqueur a dit que tous les phénomènes sont semblables à des illusions 
Mais aujourd'hui il y a même des “hyper-illusions” 
Des illusionnistes combinent des illusions trompeuses 
Redoute les illusions de cet âge dégénéré."

chos kun sgyu ma lta bur rgyal bas gsungs//
da ni sgyu ma las kyang sgyu chen te//
g.yo sgyu’i sgyu ma shom pa’i mig ‘phrul mkhan//
snyigs spyod sgyu ma ‘di la ‘jigs par mdzod//

Extrait de : Le Joyau du Coeur (thog mtha’ bar gsum du dge ba’i gtam lta sgom spyod gsum nyams len dam pa’i snying nor), Patrul Rinpoche





























jeudi 10 juin 2021

Le difficile parcours d'une nonne bouddhiste

Nonne bouddhiste tibétain (photo Katie Lee Flickr)

Suite à la première Réunion hivernale Arya Kshema[1], SS Karmapa XVII (SSKXVII) présida le 30 janvier 2014, au monastère de Tergar à Bodhgaya (Inde), au “Rituel spécial pour les nonnes”. Le rituel avait pour but de dissiper les nuisances, les difficultés et les obstacles au “dharma des nonnes[2].

C’est suite à cet événement et durant ce rituel, que Vikki Hui Xin Han (Mme Han) décida de devenir une nonne bouddhiste. A cette occasion, elle eut une brève rencontre avec SSKXVII, qui approuva son choix de devenir nonne.

Lors de la deuxième Réunion hivernale Arya Kshema, SSKXVII fit lannonce historique de la décision de restaurer la lignée des nonnes pleinement ordonnées (skt. bhikṣuṇī tib. dge slong ma), qui avait été interrompue au Tibet. Ce projet allait commencer l’année d’après avec l’ordination des nonnes novices (tib. dge tshul ma) durant la troisième Réunion hivernale Arya Kshema[3].

En 2016, Mme Han prit les voeux de nonnes novice (“nun in training”), et commença également une retraite de trois ans et de trois mois dans un centre de retraite dans l’état de New York, pour apprendre les pratiques et les enseignements de la lignée Kagyu (Han v Dorje, 2021 BCSC 939 (CanLII)). Dans le procès devant la court Canadienne, SSKXVII est désigné par le nom “Mr. Dorje”. Je vais suivre l’exemple du Tribunal et utiliser ce nom pour tout ce qui concerne les allégations. Pendant le séjour de Mme Han dans le centre de retraite, Mr. Dorje y fit deux visites.

Le 14 octobre 2017, Mr. Dorje aurait agressé sexuellement Mme Han dans sa chambre, dans l'enceinte du centre de retraite. C’est suite à cette agression sexuelle, que Mme Han serait tombée enceinte. Durant un entretien privé en présence des gardes de corps de Mr. Dorje, Mme Han lui aurait dit qu’elle était enceinte de lui. Mr. Dorje aurait nié sa responsabilité, mais lui aurait quand-même donné son téléphone et e-mail personnels, et promis de l’aider financièrement.

Suite à cette rencontre Mme Han abandonne son projet de devenir une nonne [pleinement ordonnée], quitte la retraite, et rentre au Canada. Mme Han et Mr. Dorje auraient par la suite régulièrement communiqué au sujet de l’enfant à naître, et d’un éventuel futur à deux. Le 19 juin 2018, Mme Han donne naissance à une fille. Mr. Dorje lui aurait dit à cette occasion que “prendre soin d’elle et de toi sera mon devoir à vie”. Le dernier projet dont ils auraient parlé était l'immigration de Mme Han et l’enfant aux Etats-Unis, pour y vivre au centre de retraite de l’état de New York. Mr. Dorje les aurait pris en charge dans ce cas.

Depuis janvier 2019, il n’y eut plus de contacts entre les deux, et le procès fut initié le 17 juillet 2019.

A cause de ses projets pour raviver la tradition moniale tibétaine en donnant aux femmes presque les mêmes possibilités d’une carrière religieuse que les hommes, Adele Wilde-Blavatsky du Huffington Post, avait qualifié SSKXVII de “moine tibétain féministe”. SSKXVII aurait lui-même des voeux de moine. Il ne serait pas certain de quel type (novice, moine pleinement ordonné). Le Vinaya interdit aux moines, qu’ils soient novices ou pleinement ordonnés, d’avoir des rapports sexuels. Transgresser ce voeu est une des offenses les plus graves (pārājika), et entraîne une expulsion définitive de l'Ordre.

S’il s’avérait que les allégations étaient fausses, et que Mr. Dorje ne pourra pas être mis en cause (ou qu'il y aura un accord amiable extrajudiciaire par la suite), il reste le fait qu’une femme, qui avait le projet de devenir nonne, inspirée par le projet de revalorisation des nonnes bouddhistes tibétaines (Arya Kshema) et la restauration de l’ordination des bhikṣuṇī, qui avait pris les voeux de novice, et faisait une retraite de trois ans - montrant par là le sérieux de son engagement - ait pu tomber enceinte dans le centre de retraite Karma-Kagyu de l'état de New York.

En dehors des accusations personnelles contre SSKXVII, ce fait mériterait d’être examiné et expliqué, et des mesures devraient être prises, pour éviter que d'autres religieuses en retraite subissent le même sort, et pour véritablement protéger les femmes, et leurs corps, dans le cadre du projet annoncé. Ce n’est pas une tâche qui incombe à des Dharmapāla, ou à “Avalokitesvara et Ānanda”[4] par le biais d’un “rituel spécial”, qui d'ailleurs n’a clairement pas fonctionné dans ce cas.

***

MàJ 19062021 Mme Han est défendue par l'avocate Anne Olivarius du cabinet McAllister Olivarius, spécialisé en procès pour abus de pouvoir.
"We have built an international reputation for providing skillful and supportive representation to people unfairly treated by employers, universities, online harassers, government bodies and others. We’ve represented many victims of sexual harassment and discrimination at major institutions, including Amazon, Oxford, Cambridge, Deutsche Bank, the University of California, the University of Rochester, TIME Magazine, the Catholic Church, Jehovah’s Witnesses, Mount Sinai Health System and other major banks, law firms and companies. We’ve taken on some of the world’s most powerful, sophisticated and legally aggressive institutions, successfully; and are glad to be able to offer our accumulated experience in the service of others who have been wronged."
Le cabinet a dédié une page spéciale à cette affaire avec un appel à témoins (vidéo). [MàJ 29062021 la page a été supprimée depuis. L'article pour la presse est toujours présent "McAllister Olivarius representing former nun in rape claim against the 17th Karmapa, considered a deity in Tibetan Buddhism"].

MàJ09072022 Diffi-Cult "DNA test confirms Karmapa fathered a child, source says

[1] Ārya Kṣemā fut une nonne bouddhiste, et une des disciples directes du Bouddha.

[2]At this auspicious moment, when nuns in the Karma Kagyu tradition are stepping forward to more fully inhabit their valuable place within the sangha, and to take full advantage of the opportunities opening up for them, the Gyalwang Karmapa decided to perform this ritual so that the Buddhist teachings in general, and the community of nuns in particular can thrive.

The ritual aims to dispel any harms, difficulties or obstacles to the nuns’ dharma, through powerful supplications to Avalokitesvara and the Buddha’s own personal attendant, Ananda.” Kagyu Office A Special Ritual for the NunsDharma to Flourish 30/01/2014

[3] Beginning with the restoration of the novice ‘getsulma’ and training ‘shikshamana’ nun’s vows next year, which will be conferred with the assistance of a special contingent of nuns from the Dharmagupta tradition, this will then lay the necessary framework leading to ‘gelongma’ or ‘bhikshuni’ full nun’s vows in the future.

The biggest event during next year’s Third Arya Kshema Winter Dharma Gathering will be reinstituting the novice and training vows for nuns within the Tibetan tradition,” he said. “This will be a historical event.” Kagyu Office Gyalwang Karmapa Makes Historic Announcement on Restoring NunsOrdination 24/01/2015

[4]The ritual aims to dispel any harms, difficulties or obstacles to the nuns’ dharma, through powerful supplications to Avalokitesvara and the Buddha’s own personal attendant, Ananda.” Kagyu Office A Special Ritual for the NunsDharma to Flourish (30/01/2014)