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vendredi 17 janvier 2025

Loyautés renouvelées entre Rigpa et Dzongsar Khyentsé


Sogyal Lakar (1947-2019)[1] avait démissionné de son rôle de directeur spirituel de l'organisation Rigpa en août 2017, suite à de graves accusations d'abus envers certains de ses étudiants, et la mention par le Dalai-lama de cette situation le 1er août 2017. Après la démission de Sogyal Lakar, Rigpa avait nommé un “Conseil de vision” (Vision Board), composé d'éminents lamas bouddhistes tibétains, dont Dzongsar Khyentsé (DJK) et Mindrolling Jetsün Khandro Rinpoché. Ce conseil avait pour mission de clarifier la vision de Rigpa, de veiller à la qualité des enseignements et de garantir un environnement sûr et bienveillant pour les étudiants. Des lamas Nyingmapa comme Khenpo Namdrol, Orgyen Tobgyal et DJK avaient recommandé aux disciples de Sogyal Lakar de purifier et restaurer leur engagement samaya auprès de lui.

En mars 2019, Mindrolling Jetsün Khandro Rinpoché avait accepté d'assumer la fonction de directrice spirituelle de la congrégation de Rigpa Lerab Ling. Ainsi Lerab Ling pouvait être restitué comme membre de lUnion Bouddhiste de France. Le 9 juillet 2022, lors d’une petite cérémonie en présence de Jetsün Khandro Rinpoché, et de Khenchen Namdrol Rinpoché, quelques disciples de la première heure de Sogyal Lakar furent nomméssenior teachers, en renouvelant leur allégeance devant la photo de leur maître décédé Sogyal Lakar.

Le 8 décembre 2024, DJK fait une visite éclair (“An afternoon with DJK in Paris”, part 1, part 2) au centre Rigpa de Paris, où il rencontre les disciples de Sogyal Lakar. Une liste de questions[2] est soumise auxquelles DJK donna des réponses. Il y aurait d’autres choses à dire au sujet de ces deux vidéos, notamment sur le statut du tulku, mais je me limiterai ici à certaines questions particulières concernant la gestion de la "Seigneurie" de Sogyal.
Question : “Après le parinirvana de Sogyal Rinpoché, il y a 5 ans, nous avons été conseillés de ne pas chercher d'autres maîtres, mais de commencer à transmettre les enseignements nous-mêmes. Comment le faire de manière raisonnable avec une formation limitée ?” (part 2, 59:20)
Traditionnellement dans le bouddhisme tibétain, il est courant pour les disciples de chercher d'autres maîtres après le décès de leur enseignant principal, plutôt que de commencer immédiatement à enseigner eux-mêmes. Mais les étudiants de Rigpa avaient donc été conseillés de ne pas chercher d'autres maîtres, et de commencer à transmettre les enseignements eux-mêmes. Sans doute pour préserver l’héritage de Sogyal Lakar. Conseillés par qui ? Peut-être par Sogyal avant sa mort, par DJK et Khandro Rinpoché, par le Vision Board ? Ou par les maîtres tibétains qui avaient visité Lerab Ling et Rigpa Paris depuis 2017[3] ? Ce conseil explique par ailleurs la cérémonie de consécration de senior teachers qui eut lieu en 2022. Les enseignants “séniors” pouvaient ainsi transmettre l’héritage de Sogyal Lakar aux nouveaux venus, qui n’avaient pas personnellement connu Sogyal Lakar.

Lors des échanges à Paris en décembre 2024, DJK semble approuver cela. Il mentionne les défis (“obstacles”) auxquels Rigpa a été confrontée après le parinirvana de Sogyal Rinpoché. Il fait l'éloge de la résilience de Rigpa, la qualifiant d'« accomplissement extraordinaire » et de « signe encourageant pour le Bouddha Dharma ». Il encourage les étudiants de Sogyal Rinpoché à continuer à partager le Dharma malgré les difficultés.
DJK : “J’ai observé Rigpa. J'ai toujours dit que Rigpa était vraiment important le pour le Dharma en général et particulièrement pour le Dharma de lignées tibétaines. Non seulement Sogyal Rinpoché est passé au parinirvana, mais devait faire face à des défis énormes, extérieurs, intérieurs et secrets. Et cela continue toujours. C’est un accomplissement extraordinaire. Je dirais bien sûr que c’est la bénédiction des gourous, des dharmapalas, et la dévotion des étudiants. Le Dharma a toujours eu beaucoup d’obstacles. Certains obstacles sont vraiment énormes. Regardez ce qui s’était passé avec les universités de Nālandā et Taxila. Elles ont disparu. Regardez Peshawar, en Afghanistan (Oḍḍiyāna), le berceau des tantras, plus aucune trace.”
Nālandā, Peshawar, Sogyal et Rigpa, même niveau..., mêmes “obstacles”. DJK mentionne ses discussions avec des étudiants séniors et leur hésitation de transmettre et d’enseigner. Ils ont besoin d’une structure pour les soutenir. Ce sera le programme Milinda de la Fondation Khyentsé, donné par une équipe denseignants.

Question suivante :
Dans Le livre tibétain de la vie et de la mort, Sogyal Rinpoché a dit que dans le Dzogchen la vue est présentée directement à l'étudiant par le maître, qui doit avoir une réalisation complète et incarner cette réalisation, afin que le l'étudiant puisse recevoir cette présentation. L'étudiant doit avoir aussi atteint le point où il possède à la fois l'ouverture d'esprit et la dévotion, qui va lui permettre d'être réceptif au vrai sens du Dzogchen. Que se passe-t-il pour les étudiants qui ont rejoint Rigpa après le décès de Sogyal Rinpoché ou qui ne l'ont pas rencontré ? Quelle place doit prendre la dévotion, et comment concilier cela avec le d'autres grands maîtres qui viennent à Rigpa comme vous-même, pour présenter la nature de l’esprit et enseigner le Dzogchen ? Le souci c’est que ces étudiants pourraient alors décider de suivre ces maîtres et de rejoindre leur saṅgha respectif, et quitter Rigpa progressivement. Est-ce que vous avez des recommandations ou des clarifications à faire ?

DJK : “Un pratiquant du vajrayāna n’est pas un pratiquant śrāvaka. Il faut prendre le voeu de bodhisattva. En ce qui concerne les instructions de présentation (ngo sprod), de Dzogchen, je m’en suis déjà expliqué au début de cette séance. Certaines peuvent l’avoir directement. C’est tout à fait personnel. Un pratiquant de Dzogchen doit pratiquer la bodhicitta, c’est-à-dire être concerné par l’éveil d’autrui. Il lui faut faire tout ce qui est en son pouvoir. Cela pourrait être simplement de faire des photocopies, ou de nettoyer une pièce. Je vois un centre bouddhiste comme Rigpa, ou un monastère, vraiment comme un “véhicule” pour un bodhisattva débutant. C’est un véhicule facile à utiliser à cet effet. Cela implique évidemment des émotions humaines. Par exemple, moi-même, (Sogyal) Rinpoche, Khyentsé Chökyi Lodrö, à chaque fois que je viens ici, ou à chaque fois qu’il y a un Européen qui veut aller quelque part dans un centre, je leur dis “Va à Rigpa !” (rires). Même si je ne suis pas un membre du Saṅgha, ou du Vision Board, etc. Donc j’utilise ce “véhicule”, voilà ce que je veux dire. Notamment des gens qui sont un peu enclins à …. (rires) … je ne sais pas… un peu sauvage, avec un certain caractère … Va à Rigpa ! (rires). Je vous donne un exemple. Des gens qui croient en la méditation assise, le végétarisme, pas d’alcool, pas de “guru business”, ceux-là, je ne les envoie pas ici (rires). Mais de toute façon, ceux-là ne viennent pas me voir. (rires) Ce que je veux dire c’est qu’il faudrait vraiment utiliser (Rigpa) comme un “véhicule”, vraiment. (Rigpa) est très bien établi. Et qui a traversé de très gros tests, de nombreuses fois.”
La séance se termine avec une question sur la nouvelle collaboration entre Siddhartha's Intent et Rigpa.
C'est la première fois que Siddhartha's Intent et Rigpa, les deux sanghas, organisent ensemble votre visite à Paris. La collaboration entre les deux sanghas se retrouve aussi sur le projet de Milinda, qui est pour entraîner les enseignants du futur. Est-ce que vous pouvez partager votre vision de comment nous pourrions rendre cette collaboration encore plus forte dans le futur ?
DJK commence par rassurer l'auditoire en disant qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter, car la façon dont les Tibétains fonctionnent est déjà très efficace pour ce genre de collaboration. Il compare cela à une "famille mafieuse italienne", soulignant l'importance de la fidélité et de la gratitude au sein de la lignée. Le “clan Khyentse” (K-clan) pourrait-on dire... Il illustre ce point en évoquant l’énorme gratitude pour la contribution extraordinaire de Lerab Lingpa (1856-1926) en écrivant le commentaire du lCe btsun snying thig, qui est "tellement beau" que DJK l'avait lu 40 fois. C’est ce genre de loyauté de clan Yakuza que DJK dit ressentir envers Lerab Lingpa et sa “famille”. Probablement la même loyauté que ressent Shechen Rabjam Rinpoché, un autre membre de la "famille".

Dernière question :
Comme vous êtes la réincarnation de Jamyang Khyentsé Chökyi Lodrö, le maître racine de Sogyal Rinpoché, vous jouez vraiment un rôle crucial dans notre lignée, et en particulier pour le saṅgha de Rigpa. Est-il donc possible que vous veniez plus souvent pour enseigner et transmettre votre esprit de sagesse à nous tous ?"

Je crois que j’ai déjà répondu à cela, n’est-ce pas ?
L’enjeu de la rencontre entre Rigpa et Dzongsar Khyentsé est le sort de la "Seigneurie[4]” de Sogyal et de ses “âmes”. Pour préserver l’héritage de Sogyal Lakar, Rigpa, il avait été conseillé “de ne pas chercher d'autres maîtres”. L’héritage spirituel étant assez maigre, les enseignants séniors ne se sentaient pas toujours à la hauteur. La loyauté au clan des anciens était plus ou moins acquise, mais les nouveaux candidats arrivant à Lerab Ling et à Rigpa n’avaient pas ce lien privilégié (“présentation” Dzogchen) avec le maître. Les maîtres tibétains de visite à Lerab Ling ou à Rigpa pourraient facilement les débaucher, et ainsi appauvrir le “véhicule”. Que faire pour arrêter ou éviter la saignée ? Jamyang Khyentsé Chökyi Lodrö était le maître de Sogyal Lakar, et Dzongsar Khyentsé étant une réincarnation du maître du maître, il était logique de faire appel à ce dernier, puisqu’il est de la même famille “mafieuse” ou “yakuza”.

Sogyal Lakar and Dzongsar KR in the UK, September 2016
(gratte-dos ajouté par mes soins)

La majorité des questions se rapportait au resserrement des liens du clan et au sort des “âmes” en dérive. DJK rassure Rigpa, il ne prendra pas de “serfs” à Rigpa, il leur envoie même de nouveaux candidats “un peu sauvages”. “va à Rigpa !” Les nouveaux candidats, fraîchement équipés de voeux de bodhisattva, pourront être mis à la tâche (“karma yoga”) dans leur nouveau “véhicule”. Les enseignants séniors de Sogyal Lakar feront de la formation continue Milinda, pour étoffer leur savoir et échafauder leur confiance, et pourront ainsi transmettre un héritage de Sogyal plus consistant que l’original. Les “serfs” qui n’ont pas reçu de “présentation Dzogchen” de Sogyal Lakar, pourraient la recevoir d’autres lamas. Avec Dzongsar Khyentsé , cela restera de toute façon dans la même famille. Une famille où l’on n’oublie jamais où se situent ses loyautés. Évidemment que Dzongsar Khyentsé viendra les voir plus souvent pour enseigner et transmettre son esprit de sagesse. Ce qui est arrivé à Nālandā et à Peshawar ne doit pas arriver à Rigpa.



[1] Lire le livre Sex and Violence in Tibetan Buddhism - The Rise and Fall of Sogyal Rinpoche, de Mary Finnigan et Rob Hogendoorn. Voir mon blog Sexe et violence dans le bouddhisme tibétain.

[2] •Le Vajrayana est-il fait sur mesure pour les gens de l'époque moderne, malgré le temps requis pour la pratique formelle ? Pourquoi ne pas rendre les enseignements du Zen ou du Mahamudra plus accessibles ?
•Quelle est la différence entre Samaya et engagement de pratique dans le Vajrayana ?
•Comment vous assurez-vous que les samayas entre vous et vos étudiants restent purs, étant donné le grand nombre de disciples et leurs attentes ?
•Comment comprendre les citations apparemment contradictoires qui disent qu'un yogi ne devrait jamais passer de temps avec un briseur de samaya, tout en étant heureux en toute compagnie ?
•Quelles sont les principales différences entre donner des enseignements et des transmissions de pouvoir en Occident et en Asie, et entre les donner à des pratiquants laïcs ou à des moines ?
•Comment surmonter le manque de confiance en soi que de nombreux maîtres attribuent aux Occidentaux ?
•Pourquoi y a-t-il tant de problèmes et de controverses autour du système des tulkous ces derniers temps ? Quel est le problème ?
•Le système des tulkous, apparemment initié au Tibet avec les Karmapas pour préserver les lignées et maintenir une influence politique, a-t-il toujours eu cette dimension de pouvoir ?
•Après le parinirvana de Sogyal Rinpoché, il y a 5 ans, nous avons été conseillés de ne pas chercher d'autres maîtres, mais de commencer à transmettre les enseignements nous-mêmes. Comment le faire de manière raisonnable avec une formation limitée ?
•Concernant les instructions directes du Dzogchen, quelle place doit prendre la dévotion pour les étudiants qui ont rejoint Rigpa après le décès de Sogyal Rinpoché ou qui ne l'ont pas rencontré ? Comment concilier cela avec le suivi d'autres maîtres ?
•Comment renforcer la collaboration entre Siddhartha's Intent et les centres Rigpa, notamment dans le cadre du projet Milinda pour former les enseignants du futur ?
•Est-il possible que vous veniez plus souvent pour enseigner et transmettre votre sagesse, étant donné votre rôle crucial en tant que réincarnation de Jamyang Khyentsé Wangpo ?

[3] Entre autres Dzongsar Khyentse Rinpoché, et Mindrolling Jetsün Khandro Rinpoché, conseillers spirituels de Rigpa. Khenchen Namdrol Rinpoché, Dzogchen Ponlop Rinpoché, Sa Sainteté le 42e Sakya Trizin Ratna Vajra Rinpoché, Son Éminence le 7e Kyabje Yongzin Ling Rinpoché ?

[4] Le statut des serfs est caractérisé par : une liberté restreinte, l'impossibilité de quitter la seigneurie sans autorisation, l'obligation de travailler pour le seigneur, des limitations sur le mariage et l'héritage

vendredi 9 juillet 2021

Une journée mémorable pour renforcer les liens

Centième anniversaire de Dilgo KR 5 mars 2010 à Shechen (Népal) (photos Jurek Schreiner)
Toutes les photos de ce billet ont été prises par Jurek Schreiner lors de la même cérémonie 

Pour prendre la mesure de l’importance de DJKR dans le bouddhisme tibétain Nyingma conservateur.

Dzongsar Jamyang Khyentse Rinpoche (DJKR) est né en 1961, comme le fils de Thinley Norbu Rinpoché (1931-2011), à son tour le fils de Dudjom Rinpoché (1904-1987), ancien chef de l’école Nyingmapa. Il fut reconnue comme la réincarnation de Jamyang Khyentse Chökyi Lodrö par Sakya Trizin. A partir de l’âge de 7 ans, il commença son apprentissage auprès de Dilgo Khyentse R (1910-1991), un fils de ministre du roi de Dergé, qui fut reconnu comme une réincarnation de Jamyang Khyentse Wangpo par Shechen Gyaltsap Rinpoche (1871–1926) à Shechen. Ce dernier était en même temps que Dzongsar Khyentse Chokyi Lodro (1893–1959) le lama-racine (mulaguru) de Dilgo R. Il était donc normal selon la tradition que DJKR eut des liens forts avec Shechen et avec Dilgo KR. Dans les familles de tulkous, les liens de sang et les liens spirituels sont indifférenciables. Les frères Taviani auraient pu faire un film “Mon Père, mon Guru”, ou mon Grand-père ou Oncle etc.

Dilgo KR était le fondateur du monastère de Shechen au Népal, dont l’actuel abbé Shechen Rabjam R. est également un des ses disciples cœur, à cause de leurs liens karmiques (voir ci-dessus).

Thrulshig R, en haut à droite, DJKR à ses côtés (photo Schreiner)

Lors des grandes cérémonies de l’école Nyingma, la hauteur des trônes de rinpoché donne une indication sur le rang hiérarchique de celui qui s’y asseoit. Par exemple, à l’occasion de l’anniversaire de cent ans de Dilgo KR à Shechen, le chef de l’école Nyingma Trulshik Rinpoche (1923–2011) fut assis au plus haut rang. Immédiatement à sa droite fut assis DJKR. Sur le rang en face, la réincarnation actuelle (Yangsi) de Dilgo KR occupe la plus haute place. Selon la tradition, Shechen Rabdjam, l’abbé de Shechen est son instructeur. Mais DJKR aurait aussi bien pu prendre ce rôle, vu les liens entre maîtres et disciples.

Yangsi Dilgo KR avec son papa plus à droite (photo Schreiner)

DJKR est le fondateur de Dzongsar Institute à Bir en Inde (désormais Dzongsar Khyentse Chökyi Lodrö College of Dialectics à Chauntra). Il gère deux monastères au Bhoutan et a établi des centres de dharma en Australie, Europe, Amérique du Nord et en Asie.

Tskoknyi R (fils de Tulku Urgyen), Sogyal Lakar de Rigpa, et CNR (photo Schreiner)

Bourses accordées par la Khyentse Foundation

DJKR est également à l’initiative de plusieurs fondations internationales.
Siddharthas Intent organise, distribue et archive les enseignements de DJKR

Khyentse Foundation finance tous les projets de DJKR

84000 projet de traduction en langues modernes (d’abord en anglais) de toutes les paroles du Bouddha

Lotus Outreach aide aux réfugiés tibétains, projets caritatifs

Samdrup Jongkhar Initiative (SJI) un projet deretraditionalisationdurable du Bhoutan

Lhomon Society un projet pour soutenir et promouvoir support le développement durable dans le Royaume du Bhoutan à travers les traditions (“grassroots”) et “une éducation et des formations holistiques”.[1]
DJKR avec Philip Philippou et Mauro de March de Rigpa (photo Schreiner)

DJKR produit également des films et écrit de nombreux livres, où la relation maître-disciple prend une place prépondérante. Dans son dernier livre, “Poison is Medecine” expose sa vision du vajrayāna et du guruvāda, qui selon lui, constitue le coeur et le sommet du bouddhisme. Un pays dirigé de main ferme selon ces principes, idéalement par un guru ou un mahāsiddha, ou par un dharmaraja assisté par des conseillers religieux deviendrait une source d’éveil, et serait une “dictature bienveillante”. Son projet semble être au fond de (ré)instaurer ou de préserver une théocratie, avec l’aide de ses disciples et de ceux qui soutiennent ses nombreux projets.

On apprécie DJKR ou pas, mais son projet est désormais clairement discernable pour tous, qu'on on le soutient en celui-ci ou non.

Mauro de March aidant Sogyal Lakar à descendre une marche (photo Schreiner)

En matière des abus dans le bouddhisme tibétain, on voit vaguement émerger deux camps dans le silence de plomb général. Pour DJKR et les lamas fondamentalistes, on ne peut pas changer le guruvāda[2], on l’aime ou on le quitte en silence. Pour le Dalaï-Lama et Mingyur Rinpoché[3], des disciples qui ont été victimes d’abus sont en droit de rendre public des dysfonctionnements graves, et ce n’est pas une transgression du “lien sacré” (samaya).

Shechen Rabjam R et Matthieu Ricard (photo Schreiner)

Cela étant dit, les victimes et les survivants d’abus dans le bouddhisme tibétain n’ont jusque là reçu aucune autre forme de soutien concret que ces quelques déclarations. Les services de signalement d’abus et l’accompagnement psychologique internes aux centres ne suffisent pas pour éviter les abus (rapport Lewis Silkin) et peuvent même contribuer à la stratégie de maîtrise des dégâts.

Matthieu Ricard faisant des photos (photo Schreiner)

"If you set your thoughts free,
Where nothing arises, remains, or ends,
They will vanish into emptiness. 
That naked emptiness is the guru
"

[1]The Lho Mon Society was founded by Dzongsar Khyentse Rinpoche in 2010 and formally registered as a Civil Society Organization (CSO) in 2012. Our mandate is to uphold, support, and promote sustainable development in the Kingdom of Bhutan through grassroots, holistic education and training initiatives.”

Bhutan is facing a tidal wave of consumerism, conflicts, and waste that comes with modernization. There is no turning back and no way to keep the floods at bay. Through Lho Mon’s grassroots initiatives, we are creating small islands of refuge, beacons to guide, and essential skills training to help the people chart a sustainable course that encourages equitable economic development, environmental conservation, cultural promotion, authentic education, and good governance.”

[2] “However you describe Sogyal Rinpoche’s style of teaching, the key point here is that if his students had received a Vajrayana initiation, if at the time they received it they were fully aware that it was a Vajrayana initiation, and if Sogyal Rinpoche had made sure that all the necessary prerequisites has been adhered to and fulfilled, then from the Vajrayana point of view, there is nothing wrong with Sogyal Rinpoche’s subsequent actions.”

Frankly, for a student of Sogyal Rinpoche who has consciously received abhisheka and therefore entered or stepped onto the Vajrayana path, to think of labelling Sogyal Rinpoche’s actions as ‘abusive’, or to criticize a Vajrayana master even privately, let alone publicly and in print, or simply to reveal that such methods exist, is a breakage of samaya.”

I’m sorry, but we can’t bend the rules on this point. When both the giver and receiver of a Vajrayana initiation are fully aware and clear about what has happened, they must then both accept that pure perception is the main view and practice on the Vajrayana path. There is no room whatsoever for even a glimmer of an impure perception.”

It may not be “popular” to talk of such western threats to the dharma, and I know that many see my postings on this as too negative. But being positive about everything, living in La La Land, and comfortably going along with and accommodating all popular and prevailing cultural assumptions, isn’t necessarily helpful.” Dzongsar Jamyang Khyentse, Guru and Student in the Vajrayāna.

[3]When the issue is people being hurt or laws being broken, the situation is different.

In that case, the violation of ethical norms needs to be addressed. If physical or sexual abuse has occurred, or there is financial impropriety or other breaches of ethics, it is in the best interest of the students, the community, and ultimately the teacher, to address the issues. Above all, if someone is being harmed, the safety of the victim comes first. This is not a Buddhist principle. This is a basic human value and should never be violated. The appropriate response depends on the situation. In some cases, if a teacher has acted inappropriately or harmfully but acknowledges the wrongdoing and commits to avoiding it in the future, then dealing with the matter internally may be adequate. But if there is a long-standing pattern of ethical violations, or if the abuse is extreme, or if the teacher is unwilling to take responsibility, it is appropriate to bring the behavior out into the open.

In these circumstances, it is not a breach of samaya to bring painful information to light. Naming destructive behaviors is a necessary step to protect those who are being harmed or who are in danger of being harmed in the future, and to safeguard the health of the community
.” Extrait de Lion’s Roar, When a Buddhist Teacher Crosses the Line, 26/10/2017 Mingyur Rinpoche

lundi 5 juillet 2021

Libérons nos bardes gaulois


Pendant sa tournée de 2018, DJKR avait fait une conférence au centre Rigpa de Berlin. Susanne Billig, une journaliste de Buddhismus Aktuell, le magazine de l’Union Bouddhiste d’Allemagne l’avait interviewé à cette occasion sur son livre “The Guru Drinks Bourbon”. Par la suite, la journaliste lui avait envoyé une série de questions supplémentaires, auxquelles DJKR avait répondu. Les réponses ont été publiées (en allemand) dans le numéro 3 de 2021. Le titre de l’article est “Von der Hingabe an einen Guru, wohlwollenden Diktaturen und dem gesunden Menschenverstand” : de la dévotion au gourou, de la dictature bienveillante et du bon sens humain.

Les déclarations de DJKR ont été considérées choquantes par certains bouddhistes allemands. L’article en ligne est payant, les deux réponses les plus choquantes sont néanmoins disponibles en ligne (en allemand). Les voici traduites en FR avec Deepl, puis éditées un peu.
Question : Que doivent faire des disciples si leur maître ne se limite pas à boire de l’alcool ou à demander à ses disciples de “harceler une princesse” - vous racontez cette histoire [de Tilopa et Nāropa] dans votre livre - mais qu’il est physiquement violent envers ses disciples ou les viole ?

Réponse : Comme je l'ai dit, si vous n'avez pas examiné ce gourou et si vous n'avez pas décidé de l'accepter entièrement comme votre gourou, alors vous devriez appeler la police et rendre son comportement public. Mais si, après un examen approfondi, vous avez entièrement accepté cette personne comme votre gourou, alors à ce moment-là, lorsqu'elle boit de l'alcool ou harcèle une princesse ou autre, vous ne considérerez pas son comportement comme inapproprié. Parce qu'entre-temps, votre projection, votre perception a changé.[1]

Question : Vous écrivez qu'une dictature bienveillante pourrait être plus bénéfique pour son pays qu'un gouvernement démocratique. Les pays démocratiques occidentaux doivent-ils transformer leurs systèmes de gouvernement en dictatures bienveillantes ?

Réponse : Mon point de vue s'applique non seulement à l'Ouest, mais aussi à l'Est, au Sud et au Nord. Si notre mérite [puṇya] amène au pouvoir un dictateur bienveillant quelque part, où que nous soyons, alors nous devrions convertir notre système de gouvernement en une dictature bienveillante dans les 24 heures. Absolument ! Il n'y a aucun doute là-dessus[2].
L’interview se termine sur cette réponse avec un simple “Merci beaucoup pour cette interview" de la part de la journaliste.

Pour le “harcèlement” (“ärgern”), il s’agit (épreuve #7) de tirer une jeune mariée d’un éléphant et de la traîner par terre, et (épreuve #8) de jeter une reine à terre et de la traîner par terre. Ceci pour que les invités et les courtisans se mettent en colère et lynchent Nāropa (The Life and Teaching of Naropa, mkhas grub mnyam med dpal ldan nA ro pai' rnam par thar pa dri med legs bshad bde chen 'brug sgra).

Pour DJKR, il ne s’agit pas d’histoires allégoriques, mais de faits réels, qui même s'ils ne l'étaient pas le seraient quand-même ("choose to believe"). Selon lui Tilopa a existé, et les douze épreuves ont réellement eu lieu, telles qu’elles ont été écrites (600-700 ans après Nāropa).
Modern people tend to lump Milarepa and Naropa’s life stories in with myths and fairy tales. In his article, Why I Quit Guru Yoga, Stephen Batchelor suggests that Tilopa and Naropa were characters in fables and their life stories mere allegories. Unable to imagine them in a contemporary setting, he chooses to believe that they didn’t exist at all. I, on the other hand, choose to believe not only that Milarepa and Naropa lived, but that their stories are true. “ - Poison is Medecine
Tilopa et Nāropa étant considérés comme des mahāsiddha, et les mahāsiddha étant - pour des Tibétains comme DJKR - un état réalisable et/ou un modèle à suivre, leurs actes ne peuvent servir qu’à nous “libérer”. Si un mahāsiddha pouvait prendre le pouvoir et instaurer une dictature forcément bienveillante, ce serait une chose merveilleuse selon eux. Le poison est le remède et l'asservissement est la libération.

On pourrait dire qu’une théocratie est une dictature bienveillante, car ce que peut “choisir de croire” une communauté religieuse (ou politique) avec ses adeptes, une autre le peut aussi bien.

La vision guruvādin de DJKR est irresponsable et dangereuse, car imaginez une communauté bouddhiste tibétaine autour d’un guru/lama, dont plusieurs membres ont déjà fait le choix de s’engager dans un “lien sacré” avec le guru, et d’autres non. Le cercle intérieur du Gourou est alors incapable (ou non-autorisé par la pression des pairs) de “percevoir” des fautes en le guru, puisqu’ils pratiquent (ou subissent) la perception pure (tib. dag snang) conjointement. Le cercle intérieur est souvent constitué des disciples les plus anciens, qui ont contribué à développer le groupe, et qui ont souvent des postes de responsabilité au sein de la communauté. Etant dans l’incapacité de voir les fautes du Maître, tout en ayant avec lui le lien le plus fort possible selon le guruvāda, ils sont incapables d’assumer une responsabilité pour garantir la sécurité des autres étudiants. Leur obligation de “perception pure” et leur “lien sacré” avec le guru les rendent incapables d'exercer une quelconque responsabilité.

Cela s’est avéré dans le cas de Rigpa de Sogyal Lakar, dans le cas de deux autres membres anglais (Patrick Gaffney et Susan Burrow) qui avaient été interdits (19/11/2020) dexercer par la Charity Commission for England and Wales, pour avoir mis en danger les disciples de Rigpa. Patrick Gaffney était la main droite de Sogyal Lakar depuis ses débuts. Son “lien sacré” et sa “perception pure”, faisait qu’il n’était pas capable d’exercer conformément ces responsabilités.

Il est évident que dans la vision de DJKR, le “dictateur bienveillant”, à qui l’on devrait confier le pouvoir "dans les 24 heures", afin qu’il instaure sa “dictature bienveillante”, est un guru, idéalement même un mahāsiddha, et que sa “dictature bienveillante” est une théocratie féodale, où les cercles de pouvoir sont tous liés par un “lien sacré” (samaya), et incapables de voir les erreurs et les fautes de leurs hiérarques gurus. Ce serait un système totalement irresponsable, contrairement à ce que lon veut parfois nous faire croire. DJKR semble partager les mêmes fantasmes de dictature théocratique que Chogyam Trungpa avant lui.
“...une fois engagé auprès d’un maître et dûment accepté par lui (ou elle), il ne peut rien y avoir de pire que de lui tourner le dos et le renier, quelle que puisse être la (bonne) raison de le faire. Quand bien même son maître serait un habile charlatan, le renier, c’est faire trop peu de cas du lien sacré qui lie un apprenti bouddha à un ami intime de la bouddhéité, qu’il ou elle soit ou non bouddha effectivement, parce que, en y pensant bien, tout cela se passe dans l’esprit du (ou de la) disciple.” Bouddhanews, Le gourou boit du bourbon de Dzongsar Jamyang Khyentsé, Patrick Carré, 21-02-2019
Malgré les tentatives théocratiques (sectaires) échouées, et les scandales à répétition dans le bouddhisme tibétain occidental, des bardes occidentaux continuent à faire les louanges de leurs maîtres, du “lien sacré” et de la “perception pure”, et même de la “responsabilité”, probablement parce qu’ils sont eux-mêmes des prisonniers du guruvāda, et incapables de percevoir ce qui ne va pas.

Puissent-ils tous être libérés de la prison du “lien sacré” et de la “perception pure”, et trouver l’état de la parfaite responsabilité pour le bien de tous les êtres !

***

[1]F: Was sollten Lernende tun, wenn ihr Meister nicht nur Schnaps trinkt oder sie bittet, eine Prinzessin zu ärgern – Sie erzählen da eine entsprechende Geschichte in Ihrem Buch –, sondern körperliche Gewalt gegen seine Schülerinnen und Schüler ausübt oder sie vergewaltigt?

A: Wie gesagt: Wenn Sie diesen Guru nicht geprüft haben und wenn Sie sich nicht entschieden haben, ihn vollständig als Ihren Guru anzunehmen, dann sollten Sie die Polizei rufen und sein Verhalten öffentlich machen. Wenn Sie aber nach intensiver Prüfung diesen Menschen vollständig als Ihren Guru angenommen haben, dann werden Sie sein Verhalten in diesem Augenblick, wenn er Schnaps trinkt, eine Prinzessin ärgert oder was auch immer tut, nicht als unangemessen ansehen. Denn inzwischen hat sich Ihre Projektion, Ihre Wahrnehmung verändert.” Buddhism Controversy Blog, Tenzin Peljor

[2]Frage: Sie schreiben, ein wohlwollender Diktatur könnte für sein Land vorteilhafter sein als eine demokratische Regierung. Sollten westlich-demokratische Länder ihre Regierungssysteme in wohlwollende Diktaturen umwandeln?

Antwort: Meine Auffassung trifft nicht nur auf den Westen, sondern auch auf den Osten, den Süden und den Norden zu. Wenn unser Verdienst irgendwo, wo auch immer wir sind, einen wohlwollenden Diktator beschert, dann sollten wir unser Regierungssystem binnen 24 Stunden in eine wohlwollende Diktatur umwandeln. Unbedingt! Das ist gar keine Frage.” Buddhaland, Fragwürdiges Interview mit Dzongsar Jamyang Khyentse in "Buddhismus Aktuell"

mercredi 13 janvier 2021

L'autre livre sur le Vajradhatu-Shambala de Trungpa


Couverture du livre "Enthralled"

Le livre “Enthralled, The Guru Cult of Tibetan Buddhism” de Christine A. Chandler[1] est un livre inégal, mais très intéressant, car il ouvre de nombreuses pistes à explorer davantage, et donne de nombreuses informations, souvent sourcées. Le titre “Enthralled” peut se traduire en français par Subjugué(e)(s). L’auteure est psychologue et thérapeute familiale, spécialisée en systèmes dysfonctionnels et en abus sexuels. Elle a un “passé bouddhiste” de trente ans, dont six ans à s’occuper du fils aîné sévèrement handicapé (Tagtruk Mukpo, “Taggie”) de Chogyam Trungpa et de Diana Mukpo (nom de jeune fille Pybus). Son livre parle essentiellement de son expérience avec Vajradhatu-Shambala (Chogyam Trungpa, Thomas Rich (Osel Tendzin) et Sakyong Mipham), mais aborde aussi la situation du bouddhisme tibétain en général. Elle a prolongé ses explorations dans un blog du même nom que le livre “Enthralled, The Guru Cult of Tibetan Buddhism”. La partie la plus intéressante du livre suit après un rappel assez long et répétitif des thèses de Victor et Victoria Trimondi (Herbert Röttgen et sa femme Mariana Röttgen) publiées dans leur livre “Lombre du Dalaï-lama, sexualité, magie et politique dans le bouddhisme tibétain” (1999), ainsi que des thèses du livre “Traveller in Space, Gender, Identity and Tibetan Buddhism” (1996) de June Campbell, et concerne l’expérience personnelles et les analyses de Christine A. Chandler, et des informations sur l’organisation et des membres de Vajradhatu-Shambala. L’ensemble donne l’air d’un premier jet, qui aurait dû être édité avec soin, mais qui constitue néanmoins un bon point de départ pour des recherches plus approfondies.

On ressent bien la douleur et la colère d’une personne qui a laissé trente ans de sa vie dans ce que l’on ne peut pas décrire autrement qu’une “secte”, une “religion” qui coche quasiment toutes les cases des dérives sectaires[2], avec la bénédiction et le soutien appuyé des plus hauts hiérarques du bouddhisme tibétain. Elle tente de prendre le point de vue de la psychologue, mais souvent le sujet est trop proche d’elle-même, ce qui n’enlève rien à la force de son propos, au contraire. La distance entre ce point de vue très informé, personnel et professionnel, et celui du converti bouddhiste tibétain, qui n’a pas (encore) été confronté aux dysfonctionnements décrits dans ce livre est sans doute trop grande pour pouvoir l’atteindre. Les thèses, à mon goût un peu trop complotistes des Trimondi rappelées dans ce livre, n’aideront pas à convaincre des bouddhistes tibétains à regarder de plus près ces sujets. Il n’est simplement pas nécessaire d’aller jusque là, pour condamner ce qui est inacceptable dans ce que le bouddhisme tibétain nous a révélé de lui-même dans ces épisodes et ailleurs, par rapport à son image Shangri-la, rationnel, "scientifique", sagesse et compassion, etc. 

Les analyses de Chandler méritent d’être lus, notamment par rapport à tout ce qui, et à tous ceux qui ont contribué à rendre possible cette énorme entreprise de déstabilisation mentale et emprise mentale systématique d’un groupe, qui a facilité et conduit à des dysfonctionnements, des abus, des crimes, qui ont commencé à émerger réellement depuis 2018. Réellement, c’est-à-dire que même la maîtrise des dégâts très organisé par les cadres de Vajradhatu-Shambala ne pouvait plus contenir leur diffusion générale et les procès en justice. 

Après son expérience douloureuse et son réveil douloureux, Christine A. Chandler ne semble plus rien laisser passer, et sa lucidité fait mal à ceux qui y ont cru ou y croient toujours. D’autres l’ont suivie[3] (et précédée, il est vrai). Plus rien ne semble échapper à leur analyse, y compris les nombreuses tentatives de maîtrise des dégâts, passées et actuelles… Le bénéfice du doute est désormais passé de l’autre côté. Un autre basculement a eu lieu. Le premier, le prix Nobel de la paix attribué au Dalaï-Lama (1991), avait levé tous les doutes que l’occident aurait pu encore avoir sur le bouddhisme tibétain, et cela ne lui a pas fait du bien... L’autre basculement était l’affaire Sogyal en 2017. Le Dalaï-Lama était au courant depuis au moins 1993. Le bouddhisme tibétain n’a qu’à bien se tenir. L'exceptionnalisme bouddhiste est terminé. 

Le grand avantage de tout ce qui concerne Vajradhatu-Shambala est que tout a été documenté en large et en travers. Trungpa n’était pas cachotier, ses disciples se chargeaient néanmoins de couvrir ses derrières et surtout son image publique, également en France. Depuis, les témoignages de disciples, y compris très proches[4], ont montré la profondeur des dysfonctionnements, de l’emprise, des dérives sectaires, des abus, et de projets délirants d’une "dictature spirituelle" (propos verbatim de Trungpa lui-même), qui ne sont plus si loin des thèses des Trimondi…

Je vais sans doute explorer plusieurs sujets abordés dans le livre de Christine A. Chandler. Où commencer ? Tout cela est tellement navrant. Une traduction française, bien retravaillée et éditée, serait indispensable comme un énorme bémol à l’hagiographie de Fabrice Midal, “Trungpa, L’homme qui a introduit le bouddhisme en Occident”.

En attendant, des anciens instructeurs (15) de Trungpa et les membres de Rigpa se sont déjà retrouvés pour le premier "Dathün" (retraite d'un mois), tenu à lérab Ling en février 2018.                    

[1]Christine, A. Chandler, M.A.; C.A.G.S. licensed as a certified social worker, psychologist and family systems therapist, specializing in the areas of dysfunctional systems and sexual abuse. I also spent nearly thirty years as a practicing Tibetan 'Buddhist'; six of those years taking care of the handicapped son of Chogyam Trungpa Rinpoche, giving me access to the celebrity Tibetan lamas of the Kagyu and Nyingma sects and their western inner circles, as well as the back-stage of their theatre and deceptions, created for the western world. It was not until I managed to extricate myself from these lamas and their guru-worshipping influences, that I realized I had actually been in an authoritarian, thought-controlling cult, that disguises itself as representing the 'highest teachings of the Buddha'' the 'diamond vehicle' of Vajrayana Tantric Lamaism, that uses the same techniques and engages in the same destructive behaviors found in the most dysfunctional of sexually abusive family systems: those that use religion to justify their abuse.” Extrait du site web de Christine Chandler.

[2]Il s'agit d'un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l'ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société.” Site des Miviludes

[3] P.e. Charles Carreon, l'auteur d'un résumé de la carrière de Trungpa qui fait très mal. Crazy Like a Fox - InCrazy Wisdom,” Trungpas Heirs Sacrifice Truth to Profit (2019).

[4] Je pense notamment à son butler John Riley Perks, l’auteur de “The Mahasiddha and His Idiot Servant”. Le chapitre sept The Court est particulièrement intéressant. Le chapitre dix The Last Journey montre la déchéance de Trungpa, qui totalement ivre, veut s’en prendre à une hôtesse de l’air à bord d’un avion. Ses disciples doivent le retenir.