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samedi 10 mai 2025

L'autre Conclave de 2025

Photo : OSV News photo/Dylan Martinez, Reuters
Toute la philosophie occidentale n’est qu’une série de notes en bas de page à Platon” (Alfred North Whitehead[1])
On pourrait dire la même chose pour les cultes, religions et spiritualités ayant subi l’influence helléniste, gréco-romaine depuis Platon et Aristote. Platon lui-même était inspiré par Pythagore, Parménide, “l’Egypte”, etc. Les écoles philosophiques et les courants religieux portaient les marques d’éléments cosmogoniques, théogoniques, anthropogoniques, mythologiques, etc., antérieurs, et ces éléments peuvent avoir des traces dans la philosophie occidentale et dans les religions actuelles. Attribuer “tout cela” à Platon est sans doute et avant tout une boutade.

Il est difficile de se libérer du connu”, dit et écrit un messie universel démissionnaire, et il avait raison sur ce point. Il s’agit de Jiddu Krishnamurti, désigné comme messie par la Société théosophique, dont certains membres se séparèrent pour créer leur propre mouvement, comme p.e. Rudolf Steiner (1861-1925), fondateur de la Société anthroposophique en 1913.

Lucis Publishing Company

Un autre membre qui avait fini par créer son propre mouvement était Alice Bailey (1880-1949), qui fonda Lucis Trust en 1922, initialement appelé Lucifer Publishing Company. Généralement, les spiritualistes pour qui “le connu” se rapporte surtout au “spirituel” ne cherchent pas du tout à s’en libérer, et se sentent parfaitement à l’aise dans les “notes en bas de page à Platon”, notamment sa théorie de lharmonie des sphères. Bailey reprend la doctrine des “sept rayons” [planétaires], héritée de la théosophie. Chacun de ces rayons correspond à une qualité divine, un type d’énergie et une mission spécifique dans “le Plan Divin”, qui avait été télépathiquement transmis à Bailey par un des mahatmas de la Société théosophique, le nommé Djwhal Khul, surtout connu comme “le Tibétain”. Bailey le décrit comme un membre avancé de “la Hiérarchie”, chef d’un ashram subsidiaire du mahatma Koot Humi, et porteur d’une mission de renouvellement de la “Sagesse Éternelle” pour l’ère nouvelle, celle du Verseau. “La Hiérarchie” est dirigée par le Christ-Maitreya, le futur Messie.

“La Hiérarchie” tient des Conclaves à “Shamballa”, tous les cent ans, pour réviser le “Plan Divin”. Le premier est dit avoir lieu en 1425, et cette année, en 2025, aura lieu un Conclave déterminant, car le Messie serait sur le point à revenir, pour aider l’humanité à franchir la prochaine étape évolutive. Cette manifestation du Messie et l’exécution de son Plan est appelé “Externalisation”. Nous étions dans “lÉtape du Précurseur” jusqu’au 21 mars 2025, date qui marquerait par ailleurs la fin du Kaliyuga selon des calculs savants, et l’entrée dans l’ère transitionnelle de 1200 ans, dite de la “Conflagration”, selon Bibhu Dev Misra. Ces données sont tirés du “Traité du feu cosmique” (A Treatise on Cosmic Fire), publié par Lucis Trust.

Le Messie à venir est un “Avatar de Synthèse”. Il est présenté comme un avatar extra-planétaire dont l'origine est un grand mystère, même pour les “Logoi Planétaires[2]. Sa fonction est d'apporter la mort aux vieilles formes limitantes ("le connu") et à ce qui abrite le mal. Le chaos et le désastre liés à son approche sont causés par ceux qui résistent au changement et par le fait que sa force est aussi la force de destruction divine qui détruit les formes cristallisées pour permettre l'émergence d'un nouveau monde. L'Avatar de Synthèse arrive sur Terre pour promouvoir l'unité, la solidarité et l'interrelation, en maniant l'énergie du “premier rayon”, l'énergie spirituelle de la Volonté, du Pouvoir et de la Synthèse. Chacun verra cet Avatar, ce Messie, comme le Messie, Imam, etc. de sa tradition propre.

Kalki sur son cheval blanc

H.P. Blavatsky affirma que Vishnu reviendra sur Kalki, le Cheval Blanc, le dernier Avatar. Elle dit aussi que le Kalki Avatar et le Seigneur Maitreya (le Christ et le futur Bouddha) sont les mêmes. De plus, Helena Roerich, la femme de Nicolas Roerich (1874-1947), identifie Kalki / Maitreya comme le Seigneur de Shambhala. Dans le livre de l'Apocalypse, St. Jean le Théologien prophétise la venue de l' Avatar comme le "Cavalier sur un cheval blanc". Paul Davidson note la similarité évidente entre l' Avatar Kalki hindou chevauchant un cheval blanc et le Cavalier sur le cheval blanc de l'Apocalypse. H.P. Blavatsky considère également Sociosh, le sauveur mazdéen, comme le prototype du "fidèle et du vrai" de l'Apocalypse, et le même que Vishnu dans le Kalki-Avatara. Il y en aura pour tout le monde. L'événement de sa venue est perçu comme une convergence de différentes prophéties mondiales.

Couverture "The Coming Avatar" Dorje Jinpa

Que “La Hiérarchie” tient ses Conclaves centenaires à “Shamballa” n’est évidemment pas un hasard, puisque le mahatma Djwhal Khul, qui communique télépathiquement avec Baily, est “le Tibétain”, et que “Shamballa” a nourri tous les fantasmes sur ce royaume caché, notamment depuis la fin du 18e et le début du 19e siècle. Le Conclave de 2025 décidera de la suite, mais selon Bailey, la venue de “l’Avatar de Synthèse” serait imminente.

Le Kālacakra Tantra et textes dérivés sont la source tibétaine de tout ce qui concerne “Shamballa”. Ils prophétisent le futur règne du dernier roi (rigs ldan) de Shambhala après la bataille de la fin des temps. Sans doute inspiré par le Purāṇa de Viṣṇu, dont Livre 4, chapitre 24, raconte la généalogie des rois à venir à la fin des temps. C’est alors que Viṣṇu “descendra” (avatara) sous la forme du héros millénariste Kalki, qui naîtra dans la maison d'un brahmane éminent de “Śambhala”, pour restaurer l’ordre cosmique.
“26. Au temps où se perdront toutes les vertus, le bienheureux Vasudeva, descendu glorieux sous la forme de Kalki dans la maison d'un brahmane éminent de Sambhala, détruira tous les Mlêtchtchas [mleccha], tous les hommes abjects et adonnés à de mauvaises pratiques ;

27. Et, par ses propres vertus, il rétablira le monde entier. Alors, à l'expiration du kaliyuga, les âmes des hommes, qui se seront réveillées, seront purifiées. et deviendront semblables à un cristal sans tache.” (Viṣṇu Purāṇa, Livre IV, sect. 24, sl. 26-27).
Le but est de rétablir la justice (dharma) sur Terre et d'établir un Âge d'or (Krita Yuga).

Chinggis Khan (19-20e s.), Badγar Coyiling süme (Wudang zhao 五當召), Isabelle Charleux

Ce règne est vu comme le modèle d'une théocratie dirigée par un "maître-roi" (dharmaraja), où le pouvoir séculier et religieux sont unis. La figure de Gésar de Ling est associée à Shambhala dans la croyance tibétaine, où il est censé résider et servir de général aux armées du roi Rigden dans la bataille finale. Ça va péter !

Baron Ungern-Sternberg vu par Hugo Pratt

Les théosophes et d’autres spiritualistes, des candidats-théocrates, et parfois des simples adversaires d’idéologies socialistes et communistes (“matérialisme”), se sont servis de la légende de l’avatar de Shambala. Un des plus pittoresques est le Baron Ungern-Sternberg (célébré par Hugo Pratt), “le baron fou”, qui voulait restaurer les monarchies et les théocraties avec l'aide d'un "ordre de bouddhistes militaires". Il y a les tentatives théocrato-diplomatiques du Russo-tibétain Agvan Dorjiev (1853-1938, le "Great Game"), et de Nicolas Roerich, théosophe, qui recevait des ordres du Mahatma El Morya. La théocratie Shambala était la Terre promise des théosophes.

De la BD "Man of Peace", Bob Thurman, 2015

Le 14ème Dalaï-lama avait reçu la permission onirique de répandre le Kālacakra dans le monde, y compris à des non-bouddhistes, avec l'intention de "transformer le monde entier en Shambhala". Il avait donné des initiations Kālacakra à de larges audiences dans le monde. L'objectif derrière la diffusion du Kālacakra est de planter des "graines karmiques" dans les êtres pour préparer leur entrée dans l'Âge d'or et de promouvoir des thèmes universels comme la responsabilité, la compassion et l'altruisme.

Chögyam Trungpa, en roi de Shambala, photo Andrea Roth

Chogyam Trungpa avait développé un projet "Shambhala" visant à établir une "société éveillée séculière". Il aurait reçu des "termas" (enseignements cachés) directement des Rigden, rois de Shambhala. Il s'était présenté comme un "Sakyong" (protecteur de la terre), un maître-roi dont le rôle est d'établir une société humaine en joignant le ciel et la terre (théocratie). Il avait été formellement sacré "Sakyong" par de hauts lamas tibétains (Dilgo Khyentse et Karmapa XVI), reconnaissant ainsi l'union de son activité à la fois spirituelle et temporelle. Trungpa avait mis en place des structures rappelant des aspects militaires occidentaux, comme les Kasung (gardes vajra), pour "transmuter le militarisme". Le Baron Ungern-Sternberg aurait apprécié. Le concept du “maître-roi” a conduit à des séries d’abus (Trungpa, son régent vajra, son fils le Sakyong, OKC, etc.) dans différents mouvements bouddhistes-tibétains en Occident, où la théocratie n’est/n’était pas une évidence.

Donald Trump en prière collective lors d'un événement de Turning Point Action,
une organisation conservatrice fondée pour "sauver l'Amérique", Etat de Géorgie, octobre 2024

Il est donc tout naturel que pour “l’Internationale Spiritualiste”, Shambala soit le siège de “la Hiérarchie”, où lors d’un Conclave centenaire il serait décidé du retour du Messie Christ-Maitreya, comme “l’Avatar de Synthèse”. Surtout dans un monde qui semble se diviser de plus en plus.
Apparemment, l'année 2025 est la date limite pour que l'humanité reconnaisse que nous sommes des âmes divines, que les dieux décrits dans de nombreuses traditions anciennes sont les gardiens de la civilisation humaine, et que c'est notre obligation sacrée d'agir en accord avec le plan divin, qui consiste à vivre dans la paix et l'harmonie, et à purifier progressivement notre conscience en suivant les anciens enseignements de sagesse. Si nous sommes incapables de le faire d'ici 2025 – et, pour être honnête, cela semble assez irréaliste à ce stade – des changements catastrophiques balayeront inévitablement la terre.[3]
L'opinion de Bibhu Dev Misra, auteur de Yuga Shift, semble très répandue, toutes confessions confondues. Le pape Léon XIV, fraîchement élu, “déplore le recul de la foi au profit de l'argent du pouvoir et du plaisir”. Que le “matérialisme” soit marxiste ou capitaliste, il faut revenir à “la foi”.

Ces idées sont profondément ancrées dans une vision millénariste et utopique qui aspire au rétablissement d'un ordre idéal, souvent perçu comme théocratique et basé sur des traditions et des valeurs anciennes. Cette aspiration se définit en opposition claire au "matérialisme" et aux forces (comme la révolution et l'égalitarisme associés au marxisme/communisme) qui sont vues comme les agents du déclin de l'âge sombre (Kali Yuga).

Statue d'un artiste chinois ? (posté sur X par xuynx)

Cette convergence millénariste autour de “Shambala”, et, pour Bailey et d’autres, autour de l'année 2025, révèle une aspiration profonde et transversale à un renouveau spirituel face aux crises du monde contemporain. Qu'il s'agisse des théosophes attendant l'Avatar de Synthèse, des bouddhistes tibétains préparant l'avènement du roi Rigden, de Kalki, ou du pape Léon XIV déplorant le recul de la foi, tous partagent un diagnostic commun : celui d'un monde en fin de cycle, dominé par “le matérialisme” et nécessitant une intervention divine.

Image IA postée par Trump sur X

Mais cette nostalgie d'un ordre théocratique idéalisé pose question. L'histoire récente nous a montré les dérives autoritaires des tentatives de fusion entre pouvoir spirituel et temporel - du "baron fou" Ungern-Sternberg aux abus dans les communautés bouddhistes occidentales. Le rêve d'une société parfaite guidée par des "maîtres-rois" théocrates se heurte inexorablement aux réalités humaines.

Peut-être que le véritable défi n'est pas d'attendre un Messie ou de restaurer d'anciennes théocraties, mais de trouver comment les valeurs spirituelles peuvent coexister avec la pluralité du monde moderne. Car si "toute la philosophie occidentale n'est qu'une série de notes en bas de page à Platon", l'humanité a aussi appris, douloureusement, que les utopies théocratiques portent en elles les germes de leur propre corruption. L'année 2025 sera sans doute moins celle d'une apocalypse que celle d'un choix : celui de chercher le sacré dans la complexité du réel plutôt que dans la pureté d'un ordre fantasmé.

***
[1]the safest general characterization of the European philosophical tradition is that it consists of a series of footnotes to Plato

[2] The Coming Avatar, Dorje Jinpa, Pentarba Publications, 2012

[3]Apparently, the year 2025 is the cut-off date for humanity to recognize that we are divine souls, that the gods described in many ancient traditions are the guardians of the human civilization, and it is our sacred obligation to act in accordance with the divine plan, which is to live in peace and harmony, and to progressively purify our consciousness by following the ancient wisdom teachings. If we are unable to do so by 2025 – and, to be honest, that seems quite unrealistic at this stage – catastrophic changes will inevitably sweep over the earth.” Bibhu Dev Misra, Alice Bailey’s Prophecy about 2025 and its links to the Kalachakra Tantra, 2024

vendredi 21 octobre 2022

Grandir dans une secte bouddhiste tibétaine*

Trungpa and Tom Ryken (photo : chronicleproject)

Les enfants du Dharma
- "Dharma Brat" - un bouddhiste, en particulier un bouddhiste Shambhala, âgé de huit à vingt ans, notamment les enfants des élèves de Chögyam Trungpa Rinpoché. -

La première génération de "bouddhistes" tibétains occidentaux de l'organisation Shambhala Vajradhatu de feu Chogyam Trungpa a maintenant passé quarante ans ou plus - sa jeunesse, son âge moyen et sa vie d'adulte avancée - à étudier le bouddhisme. Ils se prosternent, rendent hommage et s'assoient aux pieds des gourous tibétains, leurs lamas, et obéissent à tous leurs désirs comme à des ordres.

Leurs enfants, la deuxième génération née dans ce groupe - les enfants du dharma - sont maintenant d'âge moyen et ont été imprégnés du mème "mon gourou est parfait" depuis leur enfance. Ils sont également les plus activistes et les plus fervents dans leur tentative de créer la bouddhocratie du monde éveillé de Trungpa.

Contrairement à leurs parents, ils n'ont connu que ce scénario et ce récit de l'adoration du gourou dans leur monde androcentrique, qui inclut l'acceptation de l'exploitation sexuelle par leurs lamas et le cercle intérieur occidental des lamas. L'exploitation sexuelle des jeunes femmes, et parfois des jeunes hommes, devient aussi normale dans leurs groupes que celle d'une secte polygame de chrétiens fondamentalistes, dont les chefs religieux sont aussi des chefs de file.

Les enfants du dharma peuvent dire "non" aux abus sexuels, et un nombre considérable d'entre eux le font probablement, mais cela ne les empêche pas de les tolérer (“enabling”) et d'obéir à leurs lamas dans tous les autres domaines, notamment en faisant le vœu de garder secrets les abus sexuels de leurs gourous. Ils se sont fait les dents sur la philosophie du "monde n'est qu'une illusion" et sur la vision "pas de bien, pas de mal" du Tantra. Ainsi, bien qu'elles puissent croire qu'elles sont des "féministes" et des promotrices de l'égalité des sexes dans le monde extérieur, à l'intérieur de leurs sanghas, on leur a appris à ignorer et à recadrer les comportements misogynes flagrants de leurs lamas tibétains et de certains adultes masculins occidentaux de leur entourage, en considérant ces comportements comme normaux. Comme on leur a appris à voir les lamas comme des êtres parfaits toute leur vie - leurs parfaits "bouddhas vivants" - qui ne peuvent rien faire de mal, ils croient maintenant que ces actions sont effectivement des "bénédictions" et non des abus et de l'exploitation sexuels
.” Traduction automatique (DeepL) d’un extrait de Enthralled: The Guru Cult of Tibetan Buddhism, Chapitre 19, The Dharma Brats, Christine A. Chandler.**
"midsummers riding drala"

Une des “enfants du Dharma”, Una Morera, raconte son enfance et jeunesse dans cet univers, dans une série de podcasts appeléeUncoverage. Elle avait eu l’idée en voyant que les livres de Trungpa se vendaient toujours comme des petits pains et que personne ne semblait connaître la réalité sordide de l’univers de Trungpa. Puisque personne n’était au courant, elle se sentait le devoir de raconter son histoire (Episode 2, 3:16). Voici son introduction traduite en français.
Una Morera a été élevée dans la plus grande communauté de bouddhistes d'Amérique, dirigée par l'énigmatique et scandaleux Chögyam Trungpa, Rinpoché, à Boulder, dans le Colorado.
S'échappant du Tibet en 1959, Trungpa Rinpoché s'est rendu en Amérique pour enseigner le dharma et s'entourer d'étudiants occidentaux.

Juste après la naissance d'Una, sa mère a rencontré Trungpa Rinpoché, et quatre ans plus tard, ils ont rejoint sa communauté florissante à Boulder, dans le Colorado.

Responsable de l'introduction de la méditation en Occident, Trungpa Rinpoché était également responsable de sa propre folle sagesse autoproclamée, qui incluait la consommation excessive d'alcool, les relations sexuelles avec ses étudiants et les transgressions des limites de la conventionalité.

En grandissant dans cette communauté, Una a assisté à la naissance d'une société secrète de pratiquants de dharma qui, avec l'aide de Trungpa Rinpoché, a créé un environnement mortel de prédation sexuelle, de classisme et d'assentiment aveugle.

Una a appris que les enseignements de dharma et les actions des étudiants du dharma étaient deux choses très différentes.

C'est l'histoire de la découverte de sa véritable identité après une vie passée à vivre et à respirer une voie spirituelle basée sur des secrets anciens et des tromperies modernes
.”

"Uncoverage" podcasts
"Growing up in a Tibetan Buddhist Cult" - "Grandir dans une secte bouddhiste tibétaine"

Una regarde son passé avec une grande lucidité et franchise, ce qui nous permet d’avoir un aperçu de cet univers. Tous les 12 podcasts méritent d’être écoutés, mais le podcast n° 9 The Garden Party, est comme un concentré de la perversion de cette secte, car c’est ainsi qu’il convient de qualifier le projet de Chogyam Trungpa.

La description de cet épisode mentionne : “Una participe à une garden-party pour les adolescents avec Trungpa Rinpoché à Kalapa Court, la maison de Trungpa Rinpoché.” A cette époque, Una a 11 ans. Une de ses amies qui lui apprend les choses de la vie, “Leyla”, a 13 ans. La meilleure amie de “Leyla” est “Sarah” qui a également 13 ans. Una est très jalouse de cette amitié et de “Sarah”. La mère d’Una avait participé à un séminaire de trois mois et venait de rentrer. Una était restée à Boulder pendant ce temps. La Garden Party était organisée dans la maison de Trungpa (“Kalapa Court”) pour célébrer son retour du séminaire. Les “enfants du Dharma” y étaient invités pour être officiellement introduits à Trungpa. Cela se passa dans le grand jardin de la Cour de Kapala. Una mentionne la “maison de thé” japonaise, spécialement importée du Japon et offerte à Trungpa par ses disciples. Les enfants étaient placés dans un cercle autour du fauteuil où Trungpa s'asseyerait. Il y avait également des gardes militaires (kasung) et des servantes, tous en uniforme. Tout le monde attend l’arrivée de Trungpa.

Le personnel de maison de la cour de Kalapa, Mapleton Avenue 1976

Une servante entre dans le jardin, place un brocard sur le fauteuil, et deux verres en argent sur une petite table, l’un est rempli d’eau et l’autre de saké, selon l’étiquette de la Cour. Una est debout, diagonalement derrière le fauteuil de Trungpa. Trungpa arrive en uniforme militaire blanche avec des gardes et s'assoit. Una voit bien les enfants qui sont présentés à Trungpa. Un par un, les enfants rencontrent Trungpa. Certains restent debout devant lui, d’autres se mettent à genoux. Una surveille bien le comportement des enfants plus âgés, pour savoir comment se comporter selon l’étiquette. On incline le corps, en attendant d’être demandé à se présenter par la garde militaire. Les conversations restent privées à cause de la distance et du brouhaha dans le jardin.

C’est le tour de “Sarah” (13 ans), la meilleure amie de son amie, d’avancer. Una la regarde avec une attention particulière et jalouse. Sarah se met à genoux. Puis Una voit Trungpa lui donner un baiser avec la langue de façon passionnelle. Una sent à la fois une grande jalousie et de l’antipathie pour “Sarah”. Elle regarde autour d’elle, et personne ne semble réagir. Les adultes présents, les servantes, les gardes militaires regardent, sans réagir, mais Una les voit néanmoins s’échanger des regards inquiets. Tout le monde voit et ne voit pas ce qui se passe devant leur yeux (“seeing and not seeing what was right in front of us”). Après le baiser, Sarah, qui a l’air étourdie, le visage tout rouge, cherche sa chaise. Un adulte l’aide à la retrouver et l’accompagne.

Photo d'un autre événément : Elephant Journal

C’est alors le tour d’Una. Elle s'incline profondément. Elle se sentait anxieuse et soumise[1], ne voulant pas faire d’erreurs, comme dans le passé (écouter les épisodes précédentes).

- Good afternoon Sir
- (Il fait un long “mmmmhhh”) Pourrais-tu me donner un câlin ?

Una sait qu’il a une paralysie partielle et ne veut pas lui faire mal, donc elle lui fait un câlin très prudemment.

- Sais-tu aussi comment faire des câlins aux hommes ?
- Yes Sir

Cette fois-ci, Una lui fait un câlin plus serré, mettant ses bras autour sa veste militaire.
Ça y, son audience est terminée. Elle s’incline profondément et retourne à sa chaise.

Sa mère et d’autres tentent d'interpréter ce que Trungpa voulait dire exactement, car chaque parole du gourou est débattue et interprétée. “Peut-être était-il inquiet que tu n’avais pas été élevée avec un père ?” suggère sa mère. Una elle-même pensait une fois de plus ne pas avoir été à la hauteur, le câlin n’était-il pas assez bien ? Ne savait-elle pas faire de bons câlins ? Fallait-il qu’elle fasse davantage de câlins à des hommes ? Elle en conclut que quelque chose n’allait pas avec elle.

Ne pas se sentir à la hauteur, et vouloir bien faire est peut-être ce par quoi un gourou nous manipule et nous exploite. Dans lépisode E6 - Welcome to Shambhala, à Shambala, des enfants dès 8 ans parlent de la méditation avec Trungpa. “Combien de temps passes-tu à méditer ?” Una, et sans doute d’autres enfants, mentent pour ne pas décevoir leur gourou. Une fille dit qu’elle se sent déprimée en méditant. “Médite davantage” “Do you ‘sit’ a lot ?” Il faut s’asseoir davantage quand on est déprimé, dit Trungpa. Una (3:00) explique qu’en écoutant ces extraits, elle entend la gentillesse de Trungpa, elle sent sa propre émotion et celle des autres enfants, mais parlant maintenant, elle sait ce qui va arriver, elle sait comme l’histoire va changer, elle sait que des gens vont mourir… et des centaines et même des milliers d’autres vont subir des abus d’une manière ou d’une autre.

On ne “médite”, ne “s’assoit” ou ne “pratique” sans doute jamais assez, et on se sent nul devant le gourou. Un gourou pervers peut si facilement en abuser.

***

[1] 12:50 “I didn’t need to stirr anything up, it was already quite clearly “stirred up” “. Una prononce ces mots très lentement et ironiquement. Trungpa semblait visiblement encore excité par ce qui venait de se passer.

* Uncoverage: Growing up in a Buddhist Cult, titre du podcast d'Una Morera

** Original en anglais de la citation en tête

"The Dharma Brats

Dharma Brat” - a Buddhist, particularly a Shambhala Buddhist, between the ages of eight and twenty, especially children of students of Chögyam Trungpa Rinpoche.

The first generation of western Tibetan ‘Buddhists’ of the late Chogyam Trungpa’s Shambhala Vajradhatu organization has now spent forty years or more—their youth, middle age, and elder adult lives—prostrating, worshiping and sitting at the feet of Tibetan gurus, their lamas; obeying their every wish as a command.

Their children, the second generation born into this group—the dharma brats—are now middle-aged and soaked in the “my-guru-isperfect” meme since toddlerhood. They are also the most activist and fervent in attempting to create Trungpa’s Enlightened World Buddhocracy.

Unlike their parents, they have known little else than this script and narrative of guru-worship in their androcentric world that includes the acceptance of sexual exploitation by their lamas and the lamas’ western inner circle. Sexual exploitation of young females, and sometimes young men, become as completely normal in their groups as that of a fundamentalist Christian’s polygamous cult, where the religious leaders also keep harems of western women and girls, but, unlike the lamas, these Christian sexual abuse leaders are jailed.588 The dharma brats can say “no” to the sexual abuse, and probably a considerable number do, but that doesn’t stop them from enabling it, and obeying their lamas in all other things; including taking vows to keep their gurus’ sexual abuses a secret. Their teeth have been cut on the philosophy of the “world is just an illusion” and the “no right-no wrong” view of Tantra. So, while they might believe they are “feminists” and promoters of gender-equality in the outside world, inside their sanghas they have been taught to ignore and reframe egregiously misogynistic behavior by their Tibetan lamas and some of the western male adults around them, seeing these behaviors as normal. Since they have been taught to see the lamas as perfect beings their whole lives—their perfect “living Buddhas” –who can do no wrong, they now believe these actions are indeed ‘blessings’ and not sexual abuse and exploitation."

mercredi 13 janvier 2021

L'autre livre sur le Vajradhatu-Shambala de Trungpa


Couverture du livre "Enthralled"

Le livre “Enthralled, The Guru Cult of Tibetan Buddhism” de Christine A. Chandler[1] est un livre inégal, mais très intéressant, car il ouvre de nombreuses pistes à explorer davantage, et donne de nombreuses informations, souvent sourcées. Le titre “Enthralled” peut se traduire en français par Subjugué(e)(s). L’auteure est psychologue et thérapeute familiale, spécialisée en systèmes dysfonctionnels et en abus sexuels. Elle a un “passé bouddhiste” de trente ans, dont six ans à s’occuper du fils aîné sévèrement handicapé (Tagtruk Mukpo, “Taggie”) de Chogyam Trungpa et de Diana Mukpo (nom de jeune fille Pybus). Son livre parle essentiellement de son expérience avec Vajradhatu-Shambala (Chogyam Trungpa, Thomas Rich (Osel Tendzin) et Sakyong Mipham), mais aborde aussi la situation du bouddhisme tibétain en général. Elle a prolongé ses explorations dans un blog du même nom que le livre “Enthralled, The Guru Cult of Tibetan Buddhism”. La partie la plus intéressante du livre suit après un rappel assez long et répétitif des thèses de Victor et Victoria Trimondi (Herbert Röttgen et sa femme Mariana Röttgen) publiées dans leur livre “Lombre du Dalaï-lama, sexualité, magie et politique dans le bouddhisme tibétain” (1999), ainsi que des thèses du livre “Traveller in Space, Gender, Identity and Tibetan Buddhism” (1996) de June Campbell, et concerne l’expérience personnelles et les analyses de Christine A. Chandler, et des informations sur l’organisation et des membres de Vajradhatu-Shambala. L’ensemble donne l’air d’un premier jet, qui aurait dû être édité avec soin, mais qui constitue néanmoins un bon point de départ pour des recherches plus approfondies.

On ressent bien la douleur et la colère d’une personne qui a laissé trente ans de sa vie dans ce que l’on ne peut pas décrire autrement qu’une “secte”, une “religion” qui coche quasiment toutes les cases des dérives sectaires[2], avec la bénédiction et le soutien appuyé des plus hauts hiérarques du bouddhisme tibétain. Elle tente de prendre le point de vue de la psychologue, mais souvent le sujet est trop proche d’elle-même, ce qui n’enlève rien à la force de son propos, au contraire. La distance entre ce point de vue très informé, personnel et professionnel, et celui du converti bouddhiste tibétain, qui n’a pas (encore) été confronté aux dysfonctionnements décrits dans ce livre est sans doute trop grande pour pouvoir l’atteindre. Les thèses, à mon goût un peu trop complotistes des Trimondi rappelées dans ce livre, n’aideront pas à convaincre des bouddhistes tibétains à regarder de plus près ces sujets. Il n’est simplement pas nécessaire d’aller jusque là, pour condamner ce qui est inacceptable dans ce que le bouddhisme tibétain nous a révélé de lui-même dans ces épisodes et ailleurs, par rapport à son image Shangri-la, rationnel, "scientifique", sagesse et compassion, etc. 

Les analyses de Chandler méritent d’être lus, notamment par rapport à tout ce qui, et à tous ceux qui ont contribué à rendre possible cette énorme entreprise de déstabilisation mentale et emprise mentale systématique d’un groupe, qui a facilité et conduit à des dysfonctionnements, des abus, des crimes, qui ont commencé à émerger réellement depuis 2018. Réellement, c’est-à-dire que même la maîtrise des dégâts très organisé par les cadres de Vajradhatu-Shambala ne pouvait plus contenir leur diffusion générale et les procès en justice. 

Après son expérience douloureuse et son réveil douloureux, Christine A. Chandler ne semble plus rien laisser passer, et sa lucidité fait mal à ceux qui y ont cru ou y croient toujours. D’autres l’ont suivie[3] (et précédée, il est vrai). Plus rien ne semble échapper à leur analyse, y compris les nombreuses tentatives de maîtrise des dégâts, passées et actuelles… Le bénéfice du doute est désormais passé de l’autre côté. Un autre basculement a eu lieu. Le premier, le prix Nobel de la paix attribué au Dalaï-Lama (1991), avait levé tous les doutes que l’occident aurait pu encore avoir sur le bouddhisme tibétain, et cela ne lui a pas fait du bien... L’autre basculement était l’affaire Sogyal en 2017. Le Dalaï-Lama était au courant depuis au moins 1993. Le bouddhisme tibétain n’a qu’à bien se tenir. L'exceptionnalisme bouddhiste est terminé. 

Le grand avantage de tout ce qui concerne Vajradhatu-Shambala est que tout a été documenté en large et en travers. Trungpa n’était pas cachotier, ses disciples se chargeaient néanmoins de couvrir ses derrières et surtout son image publique, également en France. Depuis, les témoignages de disciples, y compris très proches[4], ont montré la profondeur des dysfonctionnements, de l’emprise, des dérives sectaires, des abus, et de projets délirants d’une "dictature spirituelle" (propos verbatim de Trungpa lui-même), qui ne sont plus si loin des thèses des Trimondi…

Je vais sans doute explorer plusieurs sujets abordés dans le livre de Christine A. Chandler. Où commencer ? Tout cela est tellement navrant. Une traduction française, bien retravaillée et éditée, serait indispensable comme un énorme bémol à l’hagiographie de Fabrice Midal, “Trungpa, L’homme qui a introduit le bouddhisme en Occident”.

En attendant, des anciens instructeurs (15) de Trungpa et les membres de Rigpa se sont déjà retrouvés pour le premier "Dathün" (retraite d'un mois), tenu à lérab Ling en février 2018.                    

[1]Christine, A. Chandler, M.A.; C.A.G.S. licensed as a certified social worker, psychologist and family systems therapist, specializing in the areas of dysfunctional systems and sexual abuse. I also spent nearly thirty years as a practicing Tibetan 'Buddhist'; six of those years taking care of the handicapped son of Chogyam Trungpa Rinpoche, giving me access to the celebrity Tibetan lamas of the Kagyu and Nyingma sects and their western inner circles, as well as the back-stage of their theatre and deceptions, created for the western world. It was not until I managed to extricate myself from these lamas and their guru-worshipping influences, that I realized I had actually been in an authoritarian, thought-controlling cult, that disguises itself as representing the 'highest teachings of the Buddha'' the 'diamond vehicle' of Vajrayana Tantric Lamaism, that uses the same techniques and engages in the same destructive behaviors found in the most dysfunctional of sexually abusive family systems: those that use religion to justify their abuse.” Extrait du site web de Christine Chandler.

[2]Il s'agit d'un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l'ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société.” Site des Miviludes

[3] P.e. Charles Carreon, l'auteur d'un résumé de la carrière de Trungpa qui fait très mal. Crazy Like a Fox - InCrazy Wisdom,” Trungpas Heirs Sacrifice Truth to Profit (2019).

[4] Je pense notamment à son butler John Riley Perks, l’auteur de “The Mahasiddha and His Idiot Servant”. Le chapitre sept The Court est particulièrement intéressant. Le chapitre dix The Last Journey montre la déchéance de Trungpa, qui totalement ivre, veut s’en prendre à une hôtesse de l’air à bord d’un avion. Ses disciples doivent le retenir.