mercredi 13 janvier 2021

L'autre livre sur le Vajradhatu-Shambala de Trungpa


Couverture du livre "Enthralled"

Le livre “Enthralled, The Guru Cult of Tibetan Buddhism” de Christine A. Chandler[1] est un livre inégal, mais très intéressant, car il ouvre de nombreuses pistes à explorer davantage, et donne de nombreuses informations, souvent sourcées. Le titre “Enthralled” peut se traduire en français par Subjugué(e)(s). L’auteure est psychologue et thérapeute familiale, spécialisée en systèmes dysfonctionnels et en abus sexuels. Elle a un “passé bouddhiste” de trente ans, dont six ans à s’occuper du fils aîné sévèrement handicapé (Tagtruk Mukpo, “Taggie”) de Chogyam Trungpa et de Diana Mukpo (nom de jeune fille Pybus). Son livre parle essentiellement de son expérience avec Vajradhatu-Shambala (Chogyam Trungpa, Thomas Rich (Osel Tendzin) et Sakyong Mipham), mais aborde aussi la situation du bouddhisme tibétain en général. Elle a prolongé ses explorations dans un blog du même nom que le livre “Enthralled, The Guru Cult of Tibetan Buddhism”. La partie la plus intéressante du livre suit après un rappel assez long et répétitif des thèses de Victor et Victoria Trimondi (Herbert Röttgen et sa femme Mariana Röttgen) publiées dans leur livre “Lombre du Dalaï-lama, sexualité, magie et politique dans le bouddhisme tibétain” (1999), ainsi que des thèses du livre “Traveller in Space, Gender, Identity and Tibetan Buddhism” (1996) de June Campbell, et concerne l’expérience personnelles et les analyses de Christine A. Chandler, et des informations sur l’organisation et des membres de Vajradhatu-Shambala. L’ensemble donne l’air d’un premier jet, qui aurait dû être édité avec soin, mais qui constitue néanmoins un bon point de départ pour des recherches plus approfondies.

On ressent bien la douleur et la colère d’une personne qui a laissé trente ans de sa vie dans ce que l’on ne peut pas décrire autrement qu’une “secte”, une “religion” qui coche quasiment toutes les cases des dérives sectaires[2], avec la bénédiction et le soutien appuyé des plus hauts hiérarques du bouddhisme tibétain. Elle tente de prendre le point de vue de la psychologue, mais souvent le sujet est trop proche d’elle-même, ce qui n’enlève rien à la force de son propos, au contraire. La distance entre ce point de vue très informé, personnel et professionnel, et celui du converti bouddhiste tibétain, qui n’a pas (encore) été confronté aux dysfonctionnements décrits dans ce livre est sans doute trop grande pour pouvoir l’atteindre. Les thèses, à mon goût un peu trop complotistes des Trimondi rappelées dans ce livre, n’aideront pas à convaincre des bouddhistes tibétains à regarder de plus près ces sujets. Il n’est simplement pas nécessaire d’aller jusque là, pour condamner ce qui est inacceptable dans ce que le bouddhisme tibétain nous a révélé de lui-même dans ces épisodes et ailleurs, par rapport à son image Shangri-la, rationnel, "scientifique", sagesse et compassion, etc. 

Les analyses de Chandler méritent d’être lus, notamment par rapport à tout ce qui, et à tous ceux qui ont contribué à rendre possible cette énorme entreprise de déstabilisation mentale et emprise mentale systématique d’un groupe, qui a facilité et conduit à des dysfonctionnements, des abus, des crimes, qui ont commencé à émerger réellement depuis 2018. Réellement, c’est-à-dire que même la maîtrise des dégâts très organisé par les cadres de Vajradhatu-Shambala ne pouvait plus contenir leur diffusion générale et les procès en justice. 

Après son expérience douloureuse et son réveil douloureux, Christine A. Chandler ne semble plus rien laisser passer, et sa lucidité fait mal à ceux qui y ont cru ou y croient toujours. D’autres l’ont suivie[3] (et précédée, il est vrai). Plus rien ne semble échapper à leur analyse, y compris les nombreuses tentatives de maîtrise des dégâts, passées et actuelles… Le bénéfice du doute est désormais passé de l’autre côté. Un autre basculement a eu lieu. Le premier, le prix Nobel de la paix attribué au Dalaï-Lama (1991), avait levé tous les doutes que l’occident aurait pu encore avoir sur le bouddhisme tibétain, et cela ne lui a pas fait du bien... L’autre basculement était l’affaire Sogyal en 2017. Le Dalaï-Lama était au courant depuis au moins 1993. Le bouddhisme tibétain n’a qu’à bien se tenir. L'exceptionnalisme bouddhiste est terminé. 

Le grand avantage de tout ce qui concerne Vajradhatu-Shambala est que tout a été documenté en large et en travers. Trungpa n’était pas cachotier, ses disciples se chargeaient néanmoins de couvrir ses derrières et surtout son image publique, également en France. Depuis, les témoignages de disciples, y compris très proches[4], ont montré la profondeur des dysfonctionnements, de l’emprise, des dérives sectaires, des abus, et de projets délirants d’une "dictature spirituelle" (propos verbatim de Trungpa lui-même), qui ne sont plus si loin des thèses des Trimondi…

Je vais sans doute explorer plusieurs sujets abordés dans le livre de Christine A. Chandler. Où commencer ? Tout cela est tellement navrant. Une traduction française, bien retravaillée et éditée, serait indispensable comme un énorme bémol à l’hagiographie de Fabrice Midal, “Trungpa, L’homme qui a introduit le bouddhisme en Occident”.

En attendant, des anciens instructeurs (15) de Trungpa et les membres de Rigpa se sont déjà retrouvés pour le premier "Dathün" (retraite d'un mois), tenu à lérab Ling en février 2018.                    

[1]Christine, A. Chandler, M.A.; C.A.G.S. licensed as a certified social worker, psychologist and family systems therapist, specializing in the areas of dysfunctional systems and sexual abuse. I also spent nearly thirty years as a practicing Tibetan 'Buddhist'; six of those years taking care of the handicapped son of Chogyam Trungpa Rinpoche, giving me access to the celebrity Tibetan lamas of the Kagyu and Nyingma sects and their western inner circles, as well as the back-stage of their theatre and deceptions, created for the western world. It was not until I managed to extricate myself from these lamas and their guru-worshipping influences, that I realized I had actually been in an authoritarian, thought-controlling cult, that disguises itself as representing the 'highest teachings of the Buddha'' the 'diamond vehicle' of Vajrayana Tantric Lamaism, that uses the same techniques and engages in the same destructive behaviors found in the most dysfunctional of sexually abusive family systems: those that use religion to justify their abuse.” Extrait du site web de Christine Chandler.

[2]Il s'agit d'un dévoiement de la liberté de pensée, d’opinion ou de religion qui porte atteinte à l'ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits fondamentaux, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes. Elle se caractérise par la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société.” Site des Miviludes

[3] P.e. Charles Carreon, l'auteur d'un résumé de la carrière de Trungpa qui fait très mal. Crazy Like a Fox - InCrazy Wisdom,” Trungpas Heirs Sacrifice Truth to Profit (2019).

[4] Je pense notamment à son butler John Riley Perks, l’auteur de “The Mahasiddha and His Idiot Servant”. Le chapitre sept The Court est particulièrement intéressant. Le chapitre dix The Last Journey montre la déchéance de Trungpa, qui totalement ivre, veut s’en prendre à une hôtesse de l’air à bord d’un avion. Ses disciples doivent le retenir.

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