mardi 31 décembre 2019

Mental et non-mental


Frontispice d'un manuscrit du  Rājayogāvivaraṇa (attribué à Gorakṣanātha)

Le mot “amanaska” signifie “absence d’activité mentale” dans le contexte du Haṭha-yoga-pradīpikā (HYP, XVème s.).[1] Il a un usage plus ancien dans la tradition jaïn, notamment dans le Tattvārthsūtra, qui se nomme encore Tattvārth-adhigama-sūtra et, plus intéressant pour nous, le Mokṣa-śāstra[2]. Dans ce texte jaïn, les êtres sont divisé en deux catégories, ceux qui possèdent un esprit (samanaska) et ceux qui sont sans esprit (amanaska).

Jason Birch a fait une thèse[3] sur un texte connu sous le nom de Amanaska, aussi connu comme Amanaska-yoga depuis le XIXème siècle. Il s’agit d’un texte de Śaiva-yoga datant du XIIème siècle dont la deuxième section (Amanaska) serait le texte le plus ancien du Rāja-yoga[4]. Le texte compte 198 vers et se divise en deux sections : Tāraka et Amanaska. Le texte avait été attribué à Gorakṣanātha, mais pour Jason Birch son véritable auteur est inconnu. Selon ses recherches, les deux sections étaient initialement deux textes séparés. La section Amanaska présente des similitudes avec le Dohākoṣagīti de Saraha et le commentaire d’Advayavajra Avadhutipa, le Dohākoṣahṛdayārthagītāṭīkā (D2267).

Selon Jason Birch, la définition la plus ancienne du terme Rājayoga se trouve justement dans la deuxième section de l’Amanaska. Elle proclame le système du Rājayoga supérieur à tous les autres yogas et systèmes sotériologiques indiens de son époque. Du XIIème au XVème siècle, le mot Rājayoga fut utilisé comme synonyme du mot samādhi.[5]

La définition du Rājayoga est donné dans les vers 3-6 de la deuxième section (trad. Tara Michaël).
3. C'est ce qu'on appelle le Rāja-yoga, ô taureau d'entre les sages. Parce qu’il est le roi de tous les yoga[6], on le connaît comme ‘le yoga royal’.
4. S’il est dénommé Rāja-yoga, c'est aussi parce qu'il fait atteindre à l'être incarné ce suprême, impérissable Brahman qui règne et qui resplendit.
5. Qui connaît en vérité la grandeur du Rāja-yoga ? La Délivrance est atteinte grâce à cette connaissance, et cette connaissance s'obtient grâce au Guru.
6. Celui qui connaît dans leurs traits distinctifs le yoga intérieur et le yoga extérieur, cet être doit être honoré par moi-même et par toi, combien à plus forte raison par le reste des hommes ![7]
Jason Birch (Rajayoga, p. 408) explique que dans ce contexte, il vaut mieux rendre “yoga” par “méthode”. Une méthode pour atteindre le Soi, qui est l’Âme suprême, le Roi. Cette méthode est “l’état non-mental” (amanaska, ‘no-mind state’). Le "mental" qu'il s'agit de neutraliser ou déraciner, ce sont en fait les pensées intentionnelles (saṅkalpa).
"23. [2.22 JB] Cette sorte de Dissolution des mondes [layah ko 'pi], où toutes les idéations sont déracinées, où toutes les agitations sont anéanties, ne peut être comprise que par soi-même, car elle est hors du domaine de la parole." (TM, p. 193)
ucchinnasarvasaṅkalpo niḥśeṣāśeṣaceṣṭitaḥ |
svāvagamyo layaḥ ko 'pi jāyate vāgagocaraḥ ||
Chez Tailopa, on trouve le même type d'instructions. Les yeux clos ou ouverts (ou mi-clos, mi-ouverts) pourraient être une référence au śāmbhavīmudrā. Tailopa semble cependant être allé au-delà de toute artifice et pensée intentionnelle.
"Moi, Tailopa, je n’ai rien à enseigner, alors…
Que le lieu soit isolé ou non
Que les yeux soient ouverts ou clos
Que la pensée soit avec ou sans artifice." (Dohākoṣa-nāma de Tailopa, vers 4 Chants de Plénitude p. 63) 
"La pensée non dirigée, c'est le Sceau universel (Mahāmudrā)
Se familiariser avec elle, c'est atteindre l'insurpassable éveil." (Mahāmudropadeśa de Tailopa, vers 10, Chants de Plénitude p. 91).
L’Amanaska est la révélation que Shiva fait à Vāmadeva. C’est la raison pour laquelle il s’intitule aussi parfois “Dialogue entre le Seigneur et Vāmadeva” (Īśvara-Vāmadeva-samvāda). Une autre variante du titre est Svayambodha (l’Eveil spontané) ou Svabodha (l’Eveil au Soi) (TM, p. 150). La première section s’appelle dans certaines versions “Section de la dissolution de l’espritLaya-khaṇḍa), et la deuxième “Yoga royal” (Rāja-yoga).

Bjarne Wernicke Olesen[8] mentionne que la deuxième section est antérieure d’un ou deux siècles au Dattātreyayogaśāstra, et qu’elle a 22 vers en commun avec le Kulārṇavatrantra. La "dissolution" graduelle (résorption) de l’esprit, qui est l’objet de la première section, est un des résultats de la deuxième section, ce qui présente des possibilités d’approches “subitistes”. Une des techniques principales de la deuxième section est le śāmbhavīmudrā, où le yogi a le regard tourné vers l’extérieur (sans cligner les yeux), tout en dirigeant l’attention vers l’intérieur. Cette technique du regard (s.dṛṣṭi tib. lta stang) provoque le dépassement du mental (unmanī). Le Rājayoga de l’Amanaska n’a nul besoin d’éveiller la Kuṇḍalinī, ou de progresser en étapes (vers 2.14). “Rien que l’application attentive à ce yoga confère la suprême réalisation” (TM).

L’Amanaska pratique l’ironie tout comme le Dohākoṣagīti de Saraha. Il n’est pas toujours très aisé de deviner quand il faut interpréter un vers de façon ironique. Mais le vers 2.16 est un peu ironique, et c’est ainsi que Tara Michaël l’a interprété.
16. Innombrables, ô Sage, sont les guru qui s’adonnent au Kula-âcâra. Il est difficile de trouver un seul guru qui soit dépourvu de Kula-âcâra.”

“Jeu de mots. Le Kula-âcâra, c’est la voie des Kaula, une secte de yogin adorateurs de Shakti fondée par Matsyendranâtha. Mais ceci est le sens apparent. La plupart des guru s’adonnent au mode d ’agir, aux conduites (âcâra), de leur secte, de leur lignée, de leur famille spirituelle (kula). Ils sont donc conditionnés dans leur mode d’agir et de penser, limités par leurs croyances, leurs vues et leurs pratiques. Ils n’ont pas atteint ce qui est akula, non déterminé par le milieu social et spirituel, non conditionné, c’est-à-dire amanaska, l’état non mental. D’autre part, Kula est le nom de Shakti, Akula le nom de Shiva. Ceux qui suivent la voie de Kula sont ceux qui appartiennent encore au domaine de la manifestation, qui n’ont pas atteint Shiva, le Transcendant, l’inconditionné. Shiva réside dans le Lotus à mille pétales, siège de la Libération, siège de l’amanaska, tandis que ‘le chemin de Kula’ (Kula-patha), c’est la Sushumnâ depuis le mûlâdhâra jusqu’à l’âjña-cakra”. (TM, p. 191)
On peut comparer la kula, la śākti, à la Sophia ou la Nature (la Manifestation). Il y a ceux qui veulent faire la remontée à l’Un, au Seigneur, au Soi de façon progressive (krama), en passant par la Sophia/Nature et une dissolution progressive du mental dans celle-ci, pour que plus rien ne puisse séparer du Seigneur l’âme délestée et purifiée. Pour progresser ainsi, le yogi fait appel à l’imagination créatrice et l’Imaginal. La voie royale est une voie directe à l’éveil, principalement par la technique du śāmbhavīmudrā.

Le vers 2.42b (43 chez Tara Michaël) rejette les autres techniques de yoga à cause de leur difficulté et leur objectif douteux.
43. A quoi bon pratiquer pendant des durées interminables des centaines de prânâyâma qui, quoique purificateurs, entraînent des malaises, sont difficiles à accomplir, ainsi que d’innombrables techniques, douloureuses et difficiles à maîtriser?
Pour l’Amanaska, le samādhi est un état naturel (sahajāvasthā), sans étapes. Les vers suivants auraient pu être écrits par Saraha/Advayavajra :
33. Il y a des gens qui boivent de l'urine qui est l'excrétion de leur propre corps ; d'autres utilisent des techniques [khecari-mudrā] qui provoquent une abondante salivation. Certains, qui vont jusqu’à la limite, font remonter leur sperme même une fois tombé dans le vagin d’une jeune femme. Il y en a qui absorbent les substances corporelles (dhâtu), habiles qu’ils sont à faire passer l’énergie vitale dans tous les canaux du corps. Chez aucun de tous ces gens ne se trouve la perfection du corps, en l’absence du Râja-yoga qui opère la cessation des fonctions mentales.
34. Certains ont l’esprit endurci à force de logique et de dialectique, d’autres sont bouffis d’orgueil et d’arrogance, certains sont emplis de présomption du fait de leur caste, d’autres s’embrouillent dans les méditations et autres rites, pour ainsi dire toute la masse des êtres animés est dans la confusion et entretient des conceptions diverses, au lieu de se plonger dans l’unique jouissance, celle de la Béatitude innée qui est vide de conceptions [nirvikārasahajānanda].” (pp. 195-196)
Le Rājayoga de l’Amanaska n’annonçait pas la fin des autres yogas, au contraire. Il fut intégré par eux et devint le synonyme du samādhi, et leur objectif ultime… Pour atteindre le Rājayoga, il fallait passer par les autres yogas, notamment le Haṭhayoga. Pourtant, l’état non-mental suffisait pour y arriver.

Advayavajra/Avadhūtipa est sans doute l’auteur du Dohākoṣagīti de Saraha, et le commentaire Dohākoṣahṛdayārthagītāṭīkā (D2267) lui est attribué. Ce texte partage beaucoup d’éléments avec l’Amanaska. Advayavajra est l’inventeur (par attribution) du Cycle de traités appelé Advayavajrasaṁgraha[9], et de la méthode dite “Amanisakāra” (tib. yid la mi byed pa’i chos skor)”, un élément essentiel du système de Mahāmudrā du bouddhisme tibétain. Ce terme est la composition du mot “manisakāra”, préfixé de la lettre A (non-privatif[10]). Il se traduit le plus souvent par quelque chose comme “non-engagement mental”. Klaus-Dieter Mathes propose la traduction “réalisation non-conceptuelle”, à cause de la définition d’Amanisakāra donnée dans Justification de la réalisation non-conceptuelle (Amanasikārādhāra, texte n° 23 du Cycle). C’est une définition à deux niveaux :

1. la négation d’engagements conceptuels dualistes qui renforcent la croyance en la dualité sujet-objet
2. “l’autoconsécration lumineuse” (‘luminous self-empowerment’), où la syllabe “A” représenterait l’adjectif lumineux (s. prabhāsvara tib. ‘od gsal ba) et “manasikāra” le mot autoconsécration (s. svādhiṣṭhāna tib. bdag la byin gyis brlab)[11].

Cette défense de la théorie du non-engagement mental et cette définition à deux niveaux me font penser à l’expression de Shakespeare dans Hamlet The lady doth protest too much. C’est comme si un texte qui aurait été écrit par Advayavajra (X-XIème s.) prévoit déjà les polémiques qui suivraient aux XIII-XVIème siècles. Padma Karpo avait également écrit une défense[12], contre l’accusation (notamment par Sakya Pandita) que cette doctrine serait une via negationis manquant d’une via eminentiae. Cette "définition" d’Advayavajra, qui est d’ailleurs plutôt une des explications accessoires qu’une définition, tombe alors à pic. Oui, il existe un original en sanskrit, et ce texte est alors considéré comme authentique. Utiliser cet élément spécifique à deux aspects pour fabriquer la traduction anglaise d’Amanisakāra me paraît aller un peu loin. Il faudrait faire une recherche sur les arguments des adversaires, et sur la possible identité de ces adversaires, pour essayer de comprendre pourquoi Advayavajra ou ses disciples étaient tellement sur la défensive au X-XIème siècle.

Je compte écrire davantage au sujet des similitudes entre l’Amanaska et le Dohākoṣagīti de Saraha avec le commentaire Dohākoṣahṛdayārthagītāṭīkā attribué à Advayavajra Avadhūtipa.




Un article intéressant et bien informé par David Higgins Padma dkar po’s (1527–92) Defence of Bka’ brgyud Amanasikāra Teachings

***

[1] Le HYP 4.3-4 mentionne nirañjana comme synonyme de Rāja-yoga-samādhi. On y trouve également unmanī (dépassant le mental - manas), manomanī (extinction ou dépassement du mental), amaratva (immortalité), laya, tattva, śūnya-aśūnya, para-pada, amanaska (absence d’activité mentale), advaita, nirālamba (absence de support), jīvanmukti, sahaja et turya. Source : Dattātreya, The Immortal, Guru, Yogin, and Avatarā, Antonio Rigopoulos, p. 221, n.46

[2] Le Mokṣopāya ou Mokṣopāyaśāstra est considéré comme un traité (donc écrit par l’homme) sur la libération (mokṣaśāstra).

[3] The Amanaska: king of all yogas. A critical edition and annotated translation with a monographic introduction. Oxford University, 2013.

[4] “The second chapter of the Amanaska – the earliest extant Rāja Yoga text
The Amanaska is a medieval Sanskrit yoga text of one hundred and ninety-eight verses in two chapters (adhyāya). Seventy-five manuscripts have been consulted for this edition and thirty-two were selected for the full collation on the basis of stemmatic analysis on a sample collation of all the manuscripts. The critical apparatus contains references to parallel verses in other works. On the importance of the Amanaska in the history of Rājayoga, see Birch 2014: 406-408 (title: “Rājayoga: The Reincarnations of the King of All Yogas”), available on his academia.edu page.” Source

[5] Rājayoga: The Reincarnations of the King of All Yogas, jason Birch, International Journal of Hindu Studies, 2013

[6] Selon Birch, sans doute le Mantrayoga, le Layayoga, et le Ha†hayoga.

[7] Le Yoga de l’éveil, La voie vers l’inconcevable, Tara Michaël, Fayard, p. 186

[8] Goddess Traditions in Tantric Hinduism: History, Practice and Doctrine, Bjarne Wernicke Olesen

[9] Klaus-Dieter Mathes en a publié une traduction anglaise sous le titre de “A Fine Blend of Mahāmudrā and Madhyamaka: Maitrīpa’s Collection of Texts on Non-conceptual Realization (Amanasikāra)”

[10] Une des explications accessoires : la lettre A représente la nature non-produite de l’engagement mental.

[11] Anglais : “Moreover, a stands for the word ‘luminous’, and manasikāra for the word ‘self-empowerment’ (svādhiṣṭhāna).658 It is both a and manasikāra, so we get amanasikāra.659 Because of that, the words a, manasikāra, and so forth, refer to the inconceivable state of being luminous and [the one of] self-empowerment, [that is,] an awareness which continues as something that is not separate from emptiness and compassion, [i.e.,] not distinct (advaya) from [the level of] indivisible union.”

Tibétain : | yang na a zhes bya1 ba ni ‘od gsal ba’i tshig la | yid la byed pa ni bdag la byin gyis brlab2 pa’i tshig ste | ‘di la’ang a yang yin la yid la byed pa’ang yin pas yid la mi byed pa’o | | ‘dis ni yid la mi byed pa’i gnas bsam gyis mi khyab pa’i3 ‘od gsal ba bdag byin gyis brlab4 pa’i bdag nyid stong pa nyid dang snying rje dbyer med pa zung du ‘jug pa gnyis su med pa’i rgyun yang dag par rig pa bskyed par ‘gyur ro | 1 DP om. 2 P brlabs 3 BP pa 4 BP brlabs

Sanskrit : yadi vā | a iti prabhāsvarapadam | manasikāra iti svādhiṣṭhānapadam | aś cāsau manasikāraś cety amanasikāraḥ | etenāmanasikārādipadair acintyaprabhāsvarasvādhiṣṭhānapadaṃ śūnyatākaruṇābhinnayuganaddhādvayavāhisaṃvedanam āpāditaṃ bhavatīti |

[12] Voir Padma dkar pos (1527–92) Defence of Bkabrgyud Amanasikāra Teachings. Journal of the International Association of Buddhist Studies (JIABS). Volume 39, 2016-17, pp. 333-389.

lundi 30 décembre 2019

Comment "se conformer" au monde ?


Le sage Vāsiṣṭha parlant au prince Rāma  ("1602 Allahabad for Salim")
Grâce aux efforts d’une équipe de chercheurs de luniversité de Halle-Wittenberg qui travaillent à l’édition critique du texte, sous la direction de Walter Slaje, nous en savons plus sur le traité de “la Voie de la libération” (Mokṣopāya, MU). Il s’agit d’un texte, qui aurait été composé sur la colline Pradyumna à Śrīnagar (Cachemire) au Xème siècle. Ce texte existe en plusieurs versions, couches, commentaires et traductions, notamment des versions védantisées connue sous le nom de Yogavāsiṣṭha / Yoga-Vāsiṣṭha[1].

Le MU pourrait être l’oeuvre d’un seul auteur (ou d’un groupe d’auteurs), qui avait développé une philosophie propre à lui. Le texte semble avoir subi une forte influence bouddhiste (y compris dans la terminologie des premières versions) et présente un monisme différent que celui de l’Advaita Vedanta. Les autres voies / vues (darśana)[2] sont intégrées et considérées comme autant de voies valides.
À propos de cet espace de la conscience, paix parfaite, certains parlent de l'immense [Brahman], d'autres décident que c'est une vacuité, d'autres que c'est la pure et simple expérience (sans sujet ni objet), d'autres que c'est l'essence du Seigneur. Il se querellent. Toi, sois sans reproche : renonce à tout, dans le plus profond silence. Éteint, sans cogitation, l'esprit anéanti, l'intelligence sérène, ayant renoncé à tout en toi-même, agis au-dehors selon ce qui arrive.” (LEssence du Yoga selon Vasistha, David Dubois, p. 199)
La citation ci-dessus est extraite de la traduction française du Vāsiṣṭhasaṃgraha de Jñānānanda Bhārati, un moine du monastère de Śṛṅgeri[3]. Il s’agit d’un des quelques textes découverts dans le cadre du projet MU. Cette version avait été translittérée et traduite en allemand par Peter Thomi[4].

Le MU aurait été composé autour de 950 au Cachemire dans des milieux kṣatriya, et serait une sagesse destinée au rois (rājavidyā), ou sinon à des individus actifs (gr̥hastha, gahapati[5]) dans la société, leur permettant d’atteindre le statut de libéré-vivant (jīvanmukti). Les versions principales de cette constellation de la Voie de la libération sont le Yogavāsiṣṭha (YV), dont les recherches avaient commencé dès 1880), une version abrégée, le Laghuyogavāsiṣṭha (LYV) et donc le Mokṣopāya (MU). Des tentatives ont été entreprises de “reconstituer” une version avec les couches les plus anciennes (Peter Thomi), mais sans succès selon Jürgen Hanneder[6]. Aucune des manuscrits du MU n’est tout à fait libre de révisions à la YV[7]. Fait est qu’au cours des siècles le récit-cadre s’est enrichi et s’est progressivement védantisé et “bhaktisé”[8]. Au départ, il était destiné aux laïcs et son point de vue était une sorte de māyāvāda extrême (abhāvabrahmavāda/śānta- brahmavāda, où le monde a son origine dans le néant ?[9]). Voir aussi le blog Astika et Nastika.

Le MU consiste en 6 sections (prakaraṇa). Les 6 sections sont 1. Le détachement (vairāgya), 2. La quête d’un chercheur (mumukṣuvyavahāra) 3. L’origine [du monde] (utpatti), 4. Le maintien ([du monde] (sthiti), 5. L’apaisement (upaśānti t.nye bar zhi ba) 6. L’extinction (nirvāṇa, deux parties : Pūrva et Uttarārdha)[10]. Les trois étapes ou moyens de la libération sont la pensée rationnelle (vicāra), la compréhension juste (jñāna) et le détachement (vairāgya). Le MU est un traité (śāstra), ce qui indique qu’il est d’origine humaine (pauruṣa), et pas une Révélation. La libération qu’il propose est accessible à tous, quelque soit sa naissance (caste), son sexe et son éducation.

Contrairement au YV, le MU ne contient pas les récits-cadres brahmaniques, la mise en scène à la cour de Daśaratha, Vāsiṣṭha qui enseigne le prince Rāma, les cadres du Mahābhārata et du Rāmayāna font défaut, ainsi que Vālmīki.[11]

Les recherches de l’équipe du Mokṣopāya Project ont démontré deux filières principales du Mokṣopāya/Yogavāsiṣṭha. La première est la filière dite “Cachemirienne” (région) ou śārāda” (écriture privilégiée de cette transmission), qui ne réfère jamais à elle-même comme “le Yogavāsiṣṭha”, mais comme le Mokṣopāya ou le Mokṣopāya-śāstra. Un śāstra, un traité, est une oeuvre sotériologique ou philosophique au sujet de la “libération” (mokṣaśāstra), ou sur les moyens (upāya) pour atteindre la “libération” (mokṣa). Cette filière aurait continué d’exister au Cachemire jusqu’au XVIIIème siècle (Julia Leslie).

L’autre filière, celle du Yogavāsiṣṭha, se présente comme une Révélation, utilise le cadre mythologique du Mahābhārata et du Rāmayāna, fait intervenir des personnages mythiques, ainsi que des dieux, des avatars, des démons et de nombreux éléments surnaturels, et prône une voie où l’adoration (bhakti, Seigneur ou Soi) joue un rôle important. Ces éléments peuvent aussi être présents dans la filière du Mokṣopāya, mais sans y avoir la même importance.

Dans les traditions spirituelles de l’Inde et d’ailleurs, on voit souvent des tensions entre des voies ascétiques (sortie du monde) et non-ascétiques (actifs dans le monde). Dans les filières Mokṣopāya et Yogavāsiṣṭha, le monde est une illusion, voire il est l’illusion. Le thème du roi voulant renoncer à son royaume est ancien (Mahābhārata). Le Yogavāsiṣṭha reprend ce thème dans l’histoire du roi Bhagīratha, qui fait penser à celle du roi bouddhiste légendaire Indrabhūti, qui renonce à deux reprises : d’abord à son royaume, puis à son ascétisme, pour reprendre sa règne. Le tout sous la direction de sa soeur Lakṣmīṅkārā (voir Le Guide du Naturel, traduction française du Sajahasiddhipaddhati). Dans le Yogavāsiṣṭha, le prince Rāma est en crise et en dépression : que faire face à l’illusion, y compris celle de son statut de prince ? Guidé par le rishi Vāsiṣṭha, il prendra la même solution qu’Arjuna. Puisque tout est illusion et sachant que toute est illusion, il peut assumer son rôle (svadharma), aussi illusoire qu’il soit, pour le bien de tous. Chacun est invité à faire de même, en jouant son propre rôle.
“... to know that a course of action is intrinsically unreal is an argument to do it, not an argument not to do it. When Arjuna realizes that he is not really killing his cousins, he can go and kill them; when Rāma realizes that he is not really a king, he can go on and rule.” Dreams, Illusion, and Other Realities, Wendy Doniger O'Flaherty
Tu es roi. Tu dois donc satisfaire les espoirs de ceux qui se tournent vers toi”, dit le zombie au roi Bhagīratha (DD, p. 159). Le roi Śikhidhvaya, guidé par sa femme Cūḍālā verra qu’il faudrait aller plus loin pour renoncer totalement. Il faut encore renoncer à l’esprit (manas). “Seule la réflexion sur l’essence de notre Soi peut anéantir la racine de l’esprit”. A force de méditer, le roi “devint lui-même le royaume du Soi”, mais il lui restait toutefois encore “un résidu d’existence” (⋍ vāsanā). Sa femme Cūḍālā “s’établit au plan de la conscience”, fit vibrer l’esprit du roi, retourna dans son propre corps, et se mit à chanter le Sāmaveda. Cela avait pour effet d’éveiller totalement le roi Śikhidhvaya, qui avait atteint l’autre rive de l’océan du devenir, mais reprenait néanmoins la règne de son royaume (DD pp. 175-186).
Je suis sans projet.
Je suis impartial.
Je repose en l’état naturel, la santé, sans point d’appui.
Je suis simplement ce qui est.
Je ne puis rien dire de plus
.”
“Royaume du Soi”, “Soi suprême”, “le Seigneur immuable”[12], “vacuité”, “non-dualité” … On a vu dans la première citation que Vāsiṣṭha dit qu’on “Lui” (“Toi”) donne différents noms, en se querellant. On voit bien qu’en décrivant son éveil dans les termes ci-dessus (“Je suis sans projet… etc.), les identifications religieuses font défaut dans l’expérience directe du roi Śikhidhvaya. L’auteur du YV avait néanmoins besoin de marquer l’expérience, ou de la connecter au Sāmaveda. Le bouddhisme ésotérique tibétain fera la même chose avec le parcours vers l’éveil du roi Indrabhūti, guidé par sa soeur/épouse mystique Lakṣmīṅkārā[13]. L’hagiographe prendra soin de marquer l’identité de l’éveil ou expérience mystique du roi et de sa soeur. Les descriptions des grands mystiques chrétiens, et notamment des “quiétistes”, pouvaient manquer de facteurs permettant l’identification religieuse, et pouvaient être condamnés pour cette raison.
Constituer le champ de l’image en système linguistique, c’est en effet, se prémunir contre les marges suspectes de l’expérience mystique : le langage est le garant de la foi orthodoxe, parce que, sans doute (entre autres raisons), il authentifie la spécificité de la confession chrétienne. Le langage – dans sa nature expressément articulé – c’est précisément ce que Bossuet oppose à l’hérésie quiétiste (dont on sait les rapports historiques avec Jean de la Croix) : contre Mme Guyon qui définit l’oraison vide comme « un profond recueillement sans acte ni discours », Bossuet édicte que « l’acte de foi doit se manifester de manière discursive, l’âme doit demander explicitement son salut » : en un mot, il n’y a de prière qu’articulée. L’articulation est en effet ce qu’Ignace [de Loyola] apporte à l’image, la voie dont il se sert pour lui donner un être linguistique, et partant une orthodoxie.“ (Sade, Fourier, Loyola - Roland Barthes p. 72)
Le Mokṣopāya, le Yogavāsiṣṭha, l’Amanaska(-yoga), le Sahajasiddhi(paddhati) et les histoires des vies des (84) mahāsiddhas de la Mahāmudrā etc., apparus au X-XIIème siècle, ont en commun de dépasser le cadre de transmissions religieuses identifiables et de s’adresser à tous, sans distinction. Ils racontent comment des humains de toutes les couches de la population peuvent avoir accès à une expérience directe de la nature de leur esprit. A ce niveau, les marqueurs religieux identitaires n’opèrent plus. Cela n’empêche pas ces “éveillés”, comme on le voit dans le Sahajasiddhipaddhati, de reprendre leur activité ou leur religion (bouddhiste, shivaïte, brahmaniste, etc. confondus) d’avant. Après cette courte âge d’or d’une mystique sauvage ou transreligieuse, les identités religieuses se sont renforcées et ont accentué l’importance de leur religion respective dans la production de l’expérience mystique.

Ce qui commença sans doute comme un enseignement destiné à des rois (le Bouddha aurait été lui-même un kṣatriya, tout comme Arjuna, Rāma et Indrabhūti), s’est “démocratisé” dans des royaumes d’abord, et dans les démocraties par la suite. Ce que les rois et les citoyens ont en commun, c’est d’être actifs dans le monde (gr̥hastha) et d’y avoir un rôle à jouer (svadharma). Même ceux qui ne sont pas des princes, à l’instar de Rāma, peuvent être perdus dans le monde (l’illusion) et douter de leur action dans celui-ci. Il faut alors se (re)centrer et se ressourcer avant de retourner dans l’illusion et de reprendre son svadharma… Nous avons actuellement un marché très florissant de méthodes pour des princes Rāma en dérive qui ont besoin de réinsertion. Les coachs ne manquent pas.

On aura tendance à y ajouter “et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants”... Depuis, nous avons eu Marx avec son aliénation et son opium du peuple, Nietzsche avec son Dieu est mort, Darwin, les sciences et leurs “progrès”, les oligarques ont pris la place des rois et mettent à mal les démocraties et la planète, le néolibéralisme est le nouveau dharma qui fait tourner le monde et l’humanité (l’illusion), vers des catastrophes dont on voit les débuts... Dans ce contexte, faire son devoir (svadharma) en se conformant au “dharma” et en s’y ré-insérant le cas échéant, comme prince Rāma et les autres n’a plus de sens. Il n’est pas besoin d’abandonner la mystique sauvage/transreligieuse, mais notre svadharma (passive/quiétiste) exige sans doute plus de participation active.

***

[1] Il existe trois grandes versions de ce texte :
Until recently only three "Yogavasisthas" were known and edited: the Yogavasistha proper, alias Brhadyogavasistha, the Laghuyo-gavasistha and the Vasisthasara (printed as Yogavasisthasara). The

[2] Vedanta, Yoga, Samkhya, Saiva Siddhanta, Trika, Jainisme et bouddhisme Mahāyāna… Le Vijnanavada et Madhyamika sont nommément mentionnés.

[3] Studies on the Moksopaya, Jürgen Hanneder, p. 11

[4] Yogavāsiṣṭha. Die Lehren des Weisen Vasistha. Nach der Version des Vāsiṣṭha-saṃgraha aus dem Sanskrit übersetzt. [Translation:] Interlaken: Ansata Verlag 1988. [Text:] Wichtrach: Institut für Indologie 1988. An English version of the same appeared as: The Essence of the Yogavaasishtha. Complied by Jnanananda Bharati. Translated by Samvid. Madras: Samata Books 1982.

[5] Slaje 2000:177, 191

[6] Moksopaya, Yogavasishtha and Related Texts, J. Hanneder

[7] Review of Mokṣopāya vol.s 1-2-3 Judit Törzsök

[8] Voir l’exemple intéressant donné par Hanneder d’un vers du YV, dont le commentaire d’Anandabodhendra donne une interprétation très différente (3.66.14). p. 16
cidghanaikaprapātasya rūdhasya parame pade
nairātmyaśūnyavedyādyaiḥ paryāyaiḥ kathanaṃ bhavet (3.66.14)

qui se lit dans le MU :

cidghanaikyaṃ prayātasya rūdhasya parame pade
nairātmyaśūnyavādādyaihparyāyaih kathanaṃ bhavet (3.66.14).

Où le passage “un bhikṣu dans un vihara”, interprété comme un parivrāj, c’est-à-dire un saṃnyāsin, dans un jardin.

[9] “Another paper (Slaje 2001:780) mentions that the Mokṣopāya's author may belong to a school of thought that is called the abhāvabrahmavāda (also, possibly śānta- brahmavāda?) in contemporary Kashmirian sources.” Judit Törzsök “die Brahmanlehre, die die Entstehung der Welt aus dem Nichtsein vertritt , Praty. Hṛd. 17 , 10.”

[10] Pour un résumé des sections du Yogavāsiṣṭha

[11] “To sum up, much of what is associated with the Yogavasistha today - the brahminical frame stories, the epic setting at Dasaratha’s’s court, Vasistha teaching Rama, the underlying bhakti context, the overarching frame of the Ramayana as marked by Valmiki’s presence, even the benevolent tone - is absent. There is no explicit evidence of Valmiki here.” Authority and Meaning in Indian Religions: Hinduism and the Case of Valmiki, Julia Leslie

[12]Mais il est encore une autre personne, la plus haute, celle qui porte le nom de ‘Soi suprême’ ; pénétrant les trois mondes, elle les soutient dans l’être, elle, le Seigneur immuable”. La Baghavad-Gītā, suivie du commentaire de Śaṅkara (extraits), trad. Emile Senart et Michel Hulin, XV, 17 p.109

[13] Cela est expliqué dans la partie hagiographique concernant Guru Suptabhikṣu (Kambala/Lvavapa, Indrabhūti) et Lakṣmīṅkārā dans le Sahajasiddhipaddhati (Le Guide du Naturel, Joy Vriens p. 115-118) et dans la partie concernant le roi Indrabhūti dans la Vie des 84 mahāsiddhas d’Abhayadatta (XI-XIIème s.).

mardi 10 décembre 2019

Quels chantiers pour l'imagination créatrice ?


"Combien de possibilités de Terres pures avec 6 briques LEGO ?"
Les théosophes au sens large, les ésotériques et les spiritualistes ont en commun l’utilisation d’un cadre dualiste esprit-matière et/ou leur dépassement. L’Esprit et la Matière peuvent prendre plusieurs formes. Une fois posés un Esprit et une Matière ainsi que leur dualisme, des problèmes peuvent émerger qui demandent à être résolus, et pour lesquels les solutions prolifèrent. L’Esprit est en quelque sorte à l’origine de la Matière (même si cette dernière était son ombre[1]), éventuellement par le biais d’une Sophia (sagesse divine) dans laquelle Il se repose, ou par une Nature naturante, qui prend en charge de façon quasi autonome la gestion de la Création/Émanation (en fonction du degré de réalité de la Création). La Sophia et/ou la Nature servent alors de sas entre l’Esprit et la Matière, tout en permettant leur dualité, et la transcendance de l’Esprit le cas échéant.

La Sophia/Nature (telle que nous La “connaissons”) prend une position intermédiaire (mésocosme) entre la transcendance et l’immanence, et propose une troisième solution : l’Imaginal, le Mundus Imaginalis de Henry Corbin, le Saṃbhogakāya des bouddhistes ésotériques, le Bardo de la Réalité (chos nyid bar do) des Nyingmapa et du Bön, etc.

L’Imaginal est l’ensemble des idées éternelles, avec ses mythes (cosmogonie, théogonie, anthropogonie, etc.). Il peut prendre une forme minimaliste ou maximaliste, et il est accessible à la gnose (jñāna), qu’Antoine Favre définit comme “l’imagination active” ou “l’imagination créatrice”, qui se situe entre le savoir et le croire. Le savoir est la connaissance intellectuelle, la foi est la connaissance des “données traditionnelles”, et l’Imaginal est accessible à “une connaissance ou vision intérieure” et à une “révélation intuitive”. (Faivre, I, 19)

Pour Faivre, la gnose et la mystique sont liées : “la mystique, plus nocturne, cultiverait volontiers le renoncement ; la gnose, plus solaire, observerait le détachement et pratiquerait la mise en structure.” (Faivre, I, 21)

La “mise en structure” peut être vue comme l’équivalent de la notion orientale de “formation gnostique” (s. vyūha t. bkod pa, p.e. 'og min pad ma bkod pa, la formation de lotus d’Akaniṣṭha, ou Sukhāvatīvyūha - bde ba can gyi bkod pa). Le lotus symbolise ce qui pousse de, et s’élève au-dessus de la matière, sans en être souillée et sans être le ciel..., entre Ciel et Terre, Esprit et Matière. Les Terres Pures et le Saṃbhogakāya constituent l’Imaginal ou le mundus imaginalis bouddhiste mahāyāna ésotérique.

Les deux phases spiritualistes, gnostique et mystique, semblent bien compatibles avec les deux phases dite de l’engendrement (utpannakrama) de la structure de gnose et de l’achèvement (niṣpannakrama ou saṃpannakrama). Le “détachement” de la phase de gnose dans le bouddhisme ésotérique est la notion de vacuité. Son instrument est l’imagination créatrice (s. bhāvanā t. bsgom pa). Tous les éléments visualisés lors de la phase d’engendrement sont immatériels, imaginés activement, faits “de gnose” (jñāna t. ye shes kyi)[2].
L'attitude ésotérique, au sens de ‘gnostique’, est donc une expérience ‘mystique’ à laquelle viennent participer l'intelligence et la mémoire, qui toutes deux s'expriment sous une forme symbolique en reflétant divers niveaux de réalité. La gnose, selon une remarque du théosophe Valentin Tomberg, serait l'expression d'une forme d'intelligence et de mémoire ayant effectué un passage à travers une expérience mystique. Un gnostique serait donc un mystique capable de communiquer à autrui ses propres expériences d'une manière qui retient l'impression des révélations reçues en passant à travers les différents niveaux du ‘miroir’ “. (Faivre, I, 21)
Tout ce qui contribue à la “mise en structure” gnostique est appelée “méthode salvifique” ou “expédient” (Upāya) dans le bouddhisme ésotérique. Par extension, l’ensemble de l’entreprise gnostique peut être résumé sous ce nom. Et un maître expert en gnose est appelé “expert en la Méthode“ (s. upāya-kauśalya t. thabs la mkhas pa). Le sens, y nettement plus gnostique, a changé de celui de lUpāyakauśalyasūtra.

Après avoir été initié dans une structure gnostique (maṇḍala), l’imagination créatrice est entraînée à travers des exercices d’imagination (sādhanā). Grâce à la sympathie universelle, la loi de correspondance, et la théorie des signatures, “ce qui est en haut est en bas” et vice versa, et la même chose vaut pour le Milieu gnostique (mésocosme), dans les deux sens, haut et bas.

Différents degrés de réalité peuvent être accordés à l’imagination créatrice et ses “créations”. Faivre cite Georg von Welling (inspirateur du Naturphilosophe Goethe) :
Chacun est attiré, après sa mort, par les rayons de son imagination comme par un aimant puissant, vers ce qu'il a imaginé pendant sa vie, et il lui adviendra alors ce qui est en dans l’Apocalypse, XIV, 13: ‘Car leurs oeuvres les suivent [...]’. Les effets de notre imagination sont insondables a presque incompréhensibles, comme nous en instruit l'expérience quotidienne des femmes enceintes. Quels effets étranges leur imagination (Imagination oder Einbildungskraft) n'a-t'elle pas eu sur le fruit de leurs entrailles.”[3]
Puis Friedrich C. Oetinger :
L'imagination peut être au début une pensée sans substance ; mais ensuite elle se fait substance[4], et elle n'est plus un rien mais un quelque chose qui s'est développé organiquement tout en s'étant engendré de lui-même. Sois donc sur tes gardes.”[5]
Comme preuve, les théosophes citaient souvent des anecdotes de femmes enceintes dont l’imagination avait été marquée un moment donné[6], et qui avaient donné naissance à un enfant avec des marques physiques rappelant cette expérience spécifique. Je me souviens d’un vieux tourbier dans mon village qui racontait (années 1970, Sud des Pays-Bas) que la marque du crapaud qu’il avait sur l’épaule, était le fruit d’un crapaud qui avait sauté sur l’épaule de sa mère enceinte de lui, et qui l’avait effrayé.

Ce n’est pas, et cela n’a pas toujours été, un travail purement spirituel, comme on peut lire dans des livres spiritualistes vulgarisateurs. Le spiritualisme peut être très matériel ou pensé de façon matérielle. L’âme n’imagine pas, c’est l’esprit (mens), l’imagination, qui imagine comme son nom l’indique. Néanmoins, dans la doctrine tibétaine des états intermédiaires (bardo), l’âme du défunt, séparé du corps de sa dernière (provisoire) existence, semble toujours être doté de la faculté de l’imagination[7], nécessaire pour les exercices d’imagination, qui du coup ne sont plus des exercices, mais la véritable épreuve de feu. Quelles que soient les justifications et les interprétations[8] des pratiques postmortem, ces idées ne sont pas celles de la doctrine du bouddhisme originel.

L’imagination créatrice des théosophes semble s’apparenter de la magie, une magie minimaliste s’entend, ou de la foi, capable de créer de la substance (substantia, voir la note sur Saint Paul). Il ne s’agit pas d’une foi opérant dans un vide, mais une foi bien encadrée. Cet encadrement est l’Imaginal, le plus souvent un Imaginal collectif et partagé (superstructure). Le collectif et le partage d’un Imaginal donnent davantage de “substantia” (gnose, jñāna) à la foi et l’imagination créatrice. Ce cadre peut aussi être fourni par une “sympathie universelle” ou une “coproduction conditionnée”. Il peut même être réduit à une simple loi psychologique où le désir-volonté et l’imagination créatrice, sans cadre religieux ou spirituel (ni même social d’ailleurs), suffisent pour faire advenir la chose voulue ou désirée (“réaliser son rêve”), seul ou sous la direction d’un coach. Je pense ici à la Pensée positive, la méthode Coué, etc. Ce que l’on veut souvent, c’est d’aller mieux, a titre individuel, parce qu’on ne va pas bien, ou ce n’est pas le top. Nous avons nous-mêmes toutes nos ressources et tout notre potentiel en nous, nous répète-t-on partout. Pour y avoir accès, il faut d’abord s’en convaincre, se faire confiance. Au besoin, il faut se régénérer, pour “guérir”, parce qu’on est comme malade, quand on n’arrive pas à réaliser ses rêves ou qu'on "souffre du stress". On n’a pas accès à tout son potentiel et à tous ses pouvoirs. On le constate bien dans sa vie et dans celle des autres, qui cherchent aussi leur bien-être à titre individuel… Tout un marché de bien-être se met en place, pour répondre à ce besoin croissant. D’ailleurs comment se porte votre attention et celle de votre famille ? Comment sont vos taux d’ego (attention : faire la distinction entre l'ego à haute densité HDE et à basse densité LDE) et de compassion ? Avez-vous déjà vu un professionnel ?

J’ai bien peur que “le bien-être” soit un problème qui se règle d’abord de manière collective, sociale, politique, et pas individuelle. “We are social animals” répète le Dalai-Lama, et “prayer is not enough”, “man created the problems and man has to resolve them”. Espérons qu’il ne pensait pas à une quelconque magie. Tant que l’imagination créatrice reste ainsi enfermée dans de la magie (minimaliste ou maximaliste) à des fins individuelles, les professionnels de la sympathie universelle auront de beaux jours devant eux. Chacun faisant en peu de magie dans son coin.

***

[1] Quelle est la Lumière qui produirait l’ombre (“matériel”) de l’Esprit en l’éclairant ? Quel genre d’Esprit (opaque) empêcherait la Lumière de passer pour jeter son ombre ?

[2] Faivre établit un lien entre gnose et engendrement (genèse), dont le Gn serait dérivé de la racine Kn. Vol. I, p 18

[3] Opus mago-cabbalisticum et theosophicum, Commentaire sur Hébreux, xi, 1.

[4] “Saint Paul rapproche ces deux notions : “Or la foi est une ferme assurance (substantia) des choses qu'on espère, une démonstration (argumentum) de celles qu'on ne voit pas . C'est par la foi que nous reconnaissons (intellegimus) que le monde a été formé par la parole de Dieu, de sorte que ce qu'on ne voit pas a été fait de choses visibles '. “ Faivre, I, 138

[5] Dictionnaire biblique et emblématique.

[6] Faivre donne un exemple cité par Nicolas de Lyra selon lequel “une femme espagnole fut injustement soupçonnée de rapports illicites avec un homme de couleur parce qu'elle avait donné naissance à un enfant noir, alors que selon elle il s'agissait de l'effet produit sur elle par un tableau pendu dans sa chambre et représentant un groupe d'Éthiopiens.” (Faivre, II, 174)

[7] Et donc du mental, qu’il avait pourtant dû perdre durant le processus de dissolution progressive au moment de la mort. On explique cela par l’idée que l’âme prend un corps mental, ayant les mêmes capacités sensorielles, mais comme du corps dans un rêve.

[8] Principalement, il s’agit de guider un être au niveau où il se trouve vers un niveau supérieur. Pour faire cela, il faut souvent se servir des idées et des arguments qu’il comprend. Voir les enfants dans la maison en feu du Soutra du Lotus.
L’histoire de la maison en feu, racontée dans le troisième chapitre du Saddharma-pundarīka-sūtra (Soutra du Lotus). Des enfants absorbés dans leur jeu se trouvent dans une maison en feu. Leur père, très riche, leur promet de superbes objets (des chars tirés par des animaux) afin de les faire sortir de la maison. Les chars qu’il leur offrira en réalité dépassent les descriptions des chars promis.

lundi 9 décembre 2019

De numérologie et de gnosticisme aryen


Exposition internationale d'hygiène de 1911

Désolé en avance pour un blog potentiellement plus nauséabond. Il s’agit d’analyser le contenu de déjections spiritualistes, pour voir quelles ingestions (et indigestions) aient pu les rendre possibles.

Johan Huizinga, lauteur de Déclin/Automne du Moyen-Âge, écrit dans le chapitre XV Le symbolisme à son déclin, comment une société en déclin s’accroche à son symbolisme en multipliant l’usage des symboles. Devenus vides, ceux-ci n’ont plus de puissance, et l’on pense qu’en les multipliant, leur nombre compensera leur manque de puissance. Mauvais calcul, cela deviendra au contraire un facteur qui accélère le déclin, parce que le manque de puissance des symboles deviendra de plus en plus évidente.
Du point de vue causal, le symbolisme se présente comme une espèce de court-circuit de la pensée. Au lieu de chercher le rapport de deux choses en suivant les détours cachés de leurs relations causales, la pensée, faisant un bond, le découvre, tout à coup, non comme une connexion de cause ou d'effet, mais comme une connexion de signification et de finalité. Un rapport de ce genre pourra s'imposer dès que deux choses auront en commun une qualité essentielle qu'on peut rapporter à une valeur générale. Ou, pour employer la terminologie de la psychologie expérimentale : toute association basée sur une similitude quelconque peut déterminer immédiatement l'idée d'une connexion essentielle et mystique. Fonction mentale assez pauvre, si l'on en restait là.” (Huizinga)
Le “court-circuit de la pensée” se traduit notamment dans la loi de correspondance basée sur la sympathie universelle. L’utilisation des correspondances par le nombre est très populaire. Les religions qui, par souci de rester traditionnelles, ont souvent conservé des arguments “Scientifiques” (numérologiques, etc.) très anciennes, comportant toujours de nombreuses correspondances de nombres.
L'assimilation ne repose souvent que sur une égalité de nombre. Une perspective immense de dépendances d'idées s'ouvre de ce fait, mais ce ne sont que des exercices d'arithmétique. Ainsi, les douze mois signifieront les apôtres; les quatre saisons, les évangélistes ; l'année, le Christ. Il se forme tout un agglomérat de systèmes de sept. Aux sept vertus correspondent les sept prières du Pater, les sept dons du Saint-Esprit, les sept béatitudes et les sept psaumes de la pénitence. Tous ces groupes de sept sont en rapport avec les sept moments de la Passion et les sept sacrements. Chacun d'eux s'oppose aux sept péchés capitaux qui sont représentés par sept animaux et suivis par sept maladies.” (Huizinga)
Le nombre sept est un argument numérologique universel, parce qu’il est dérivé du nombre des sept planètes connues à l’époque de la naissance de l’astronomie, de l’astrologie et de la magie astrale. Les sept jours de la semaine, les sept notes de la gamme pythagoricienne[1] en musique (dans un octave, la huitième note est un do tout comme la première), etc. Dans les systèmes émationnistes (comme p.e. le platonisme), le nombre 7 (ou 9, 7+2) revient régulièrement pour marquer les étapes dans les phases d’émanation et de résorption. En architecture, Les fameux ziggurats avaient sept étages. Dans sa descente dans le monde souterrain, la déesse Ishtar (akkadien)/Inanna (sumérien) doit passer sept portes en se séparant d’un de ses attributs à chaque fois. Idem pour remonter. Pour atteindre le monde de Brahma, l’âme du brahmane doit dépasser le soleil, pour y arriver. Au bout de sept naissances en brahmane... La déesse Tārā soumet les sept mondes[2] dans le louange qui lui est attribué.

Ceux qui sont attachés à une Tradition, et même ceux qui veulent la rénover ou créer une nouvelle Tradition avec des éléments d’anciennes Traditions, se soucieront toujours des arguments de type numérologique et de la loi de correspondance de la sympathie universelle. La théosophie et “lanthropologie gnostique” (source Institut gnostique) pensent pouvoir épauler “l’anthropologie officielle” ou “matérialiste”, en fouillant dans les “Archives Akashiques” (“qui se trouvent dans les Dimensions Supérieures”), et qui sont les archives de la Nature ou de la Sophia, si l’on veut. On pourrait même dire les archives de Dieu, en quelque sorte. Elles sont accessibles aux initiés, grâce à leurs “facultés internes”.

C’est ainsi que la théosophie et l’anthropologie gnostique ont découvert l'existence des races humaines vivant pendant les différents cycles de l'évolution terrestre, au nombre de sept. L’évolution en sept races était nécessaire pour que l’espèce humaine ait un corps “adapté à un monde qui n'avait pas fini de se matérialiser”. La Terre, “comme toute planète de l'espace Infini doit porter sept races, et chacune des ses races aura sept sous-races”. Je laisse découvrir les détails à ceux qui s’y intéressent.

Les Lémures étaient la première race humaine (la troisième) à avoir un corps physique matériel dans une Terre solide. La race Atlante était la quatrième, elle a vécu dans l’Atlantide. elle était plutôt impressionnante, des scientifiques et de mages à la fois ! Inventeurs de vaisseaux cosmiques et de l’énergie atomique... La cinquième race était la race Aryenne, née il y a 12.000 ans au niveau de l’Himalaya (race indo-afghane au Tibet), où vivait la première sous-race. L’humanité vivait dans une théocratie, et les Hommes faisaient la volonté de leur Père céleste, leur “Intime”. C’est l’âge d’Or de l’humanité, puisque les Dieux habitaient la Terre. En même temps, c’est le début de la dégénérescence.  (source Institut gnostique)
Les dieux décidèrent que la sixième sous race sera composée d'hommes et de femmes de tous les pays, ce qui se fait actuellement aux U.S.A. C'est l'âge de fer, la terrible époque du Kali Yuga, qui vît tant de Boddhisattvas échoués dans leur réincarnation.”  (source Institut gnostique)
Kafka avait rencontré Rudolph Steiner et avait raconté cette rencontre en 1911, dans son journal :
« Fin atlantique du monde, fin lémurienne et maintenant fin par l’égoïsme. – Nous vivons à une époque décisive. »
Ces délires de races humaines et de dégénérescence n’étaient malheureusement pas si innocentes que cela.
La cinquième sous race, correspond à la race Germanique, Anglo-saxonne. C'est l'époque des chevaliers de la table ronde, du roi Arthur…”  (source Institut gnostique)
C'est le début de l'âge de fer. Il y a encore deux autres races à venir, après la dégénérescence et la disparition de la race aryenne.
Comment pouvons-nous enrayer le déclin de notre race, s'interroge Adolf Hitler, devons nous former un cercle d'élus, véritablement initiés d’un ordre, d’une confrérie de templiers réunis autour du Saint Graal du sang pur ? Près de dix ans après leur création, les SS sont en passe de devenir cette confrérie de templiers voulue par Hitler. La garde rapprochée du führer, triée sur le volet, disciplinés et fidèles jusqu'à la mort, se transformait peu à peu en élite aryenne, en un ordre mystique voué à la création d'un empire.” (La folie aryenne - documentaire histoire)
Heinrich Himmler est celui qui voulait constituer une aristocratie raciale de surhommes à partir de cette élite, entre autre par le biais de sa Société pour la recherche et l'enseignement sur l'héritage ancestral” (Ahnenerbe).
A l'aube du XXème siècle, les villes d'Allemagne et d'Autriche sont méconnaissables. Les paysans ont fui la misère de la campagne par millions pour se plonger dans celle des usines et des fonderies de la révolution industrielle. L'afflux des masses laborieuses transforme d’élégants quartiers commerçants et aristocratiques en taudis d'ouvriers surpeuplés. Dans les villes, les valeurs de l'ordre établi sont menacés. Les appels à la démocratie, au socialisme mettent en péril le pouvoir des élites dirigeantes traditionnelles. Les croyances religieuses sont ébranlées par la science et la montée du matérialisme. Pour beaucoup, ce nouveau monde n'est que discorde et chaos. Dans les classes aristocratiques et instruites en ce début de siècle l'humeur est à la nostalgie. Les élites regrettent amèrement une époque désormais révolue, un passé qu'elle imagine plus harmonieux, structuré et spirituel.”  (La folie aryenne - documentaire histoire)
Les sources des idées alimentant les théories du retour à la nature ou à une harmonie pré-industrielle, du renouveau spirituel et de l’évolution des races humaines sont diverses. Il y a la Lebensreform (la réforme de la vie), inspirée par la Naturphilosophie (où l’on retrouve Rudolph Steiner). Elle se traduit en amour pour l’Allemagne éternelle (folklorique, “völkisch”) et un retour à la nature dans des mouvements de jeunesse (Wandervogel, Hitlerjugend, ..), pour préparer les futures élites à travers l’éducation ou la ré-éducation.
Des milliers de jeunes allemands rejoignent les Wandervogel. Ils partagent un amour mystique pour la campagne allemande, le folklore et les traditions germaniques, tandis que la science et la médecine sont rejetées comme étant des produits de la révolution industrielle. La mode est au végétarisme, aux plantes médicinales, au naturisme, à la vie en communauté, et à la méditation.

Dans toutes les villes importantes, les adeptes du Lebensreform se passionnent pour le spiritisme, l'astrologie, la magie et les sciences de toutes les doctrines privilégiée par le mouvement. Les plus influentes seront celles enseignées par une aventurière et télépathe russe, Madame Helena Blavatsky ”  (La folie aryenne - documentaire histoire)
Elle se serait faite initier au Tibet par des “élus secrets”. Ce sont ces maîtres qui lui auraient transmis l’histoire de la race humaine, celle mentionnée ci-dessus. Dès 1914, ces théories de Madame Blavatsky s’étaient répandues en Allemagne et en Autriche. Au niveau politique naissait alors parmi les peuples germanophones l’idée d’une réunification sous un empire germanique. Les écrits d’un des maîtres à penser néopaganiste d’Himmler, Guido von List (1848-1919) étaient très appréciés. Celui-ci s’intéressait à l’ésotérisme et aux écrits de Madama Blavatsky. Von List publiait dans le journal théosophique Die Gnosis (fusionné plus tard, en 1903, avec "Lucifer" en "Lucifer-Gnosis" par Rudolph Steiner), et prétendait être le dernier descendant réincarné du clergé aryen armaniste. Il croyait en l'avènement d’un nouveau millénaire aryen et en des “élus secrets”, qui étaient des “prêtres-rois” ("maîtres-rois" ?). Il appelait sa doctrine Armanenschaft ouAriosophie” (armanisme), la sagesse ("sophie") des aryens, qui avait pour rôle de protéger l'héritage occulte de leurs ancêtres aryens. Malgré la conversion forcée des tribus germaniques au christianisme, celles-ci auraient continué de pratiquer en secret leurs traditions. L'ensemble de ce savoir occulte aurait ainsi été préservé au cours des siècles par les francs-maçons, les rosicruciens et les ordres chevaleresques, tels que les templiers. Du petit-lait pour les idéologues national-socialistes germanophones.  (La folie aryenne - documentaire histoire)

De nombreux officiers militaires rejoignaient une organisation cultistes secrète inspirée par les enseignements de von List. L'ordre germanique fondée en 1912 avait des loges dans dix villes allemandes et était dirigé par un concile secret de 12 initiés. Selon von List, le futur empire armaniste serait gouverné par une assemblée similaire, une nouvelle Armanenschaft. Lors de la future création des SS l’assemblée armaniste de von List ne serait pas oubliée.  (La folie aryenne - documentaire histoire)

La science, et notamment la “survie du plus fort” du darwinisme, sera intégrée dans le nazisme sous forme d'eugénisme. Science et spiritualisme main dans la main.
Chez les sauvages, les faibles de corps et l'esprit sont vite éliminés, en revanche nous autres hommes civilisés faisons notre possible pour enrayer le processus d'élimination. Ainsi prolifèrent les membres faibles de la société moderne.”  (La folie aryenne - documentaire histoire) (Darwin - La Descendance de l’homme)
La tendance eugéniste n’était pas une exclusivité nazie, elle était venu d'ailleurs. Le documentaire La folie aryenne, mentionne Le Planning familial de Marie Stopes en Angleterre et son projet de reproduction sélective. Stope publie en 1918 “une version abrégée de Wise Parenthood qui s'adresse aux couches les plus pauvres de la société, intitulé A Letter to Working Mothers on how to have healthy children and avoid weakening pregnanciesLettre aux travailleuses, comment avoir des enfants en bonne santé et éviter les grossesses affaiblissantes »)”. Ce livre est dédié à “ à tous ceux qui souhaitent voir notre race gagner en puissance et en beauté”. “Aux Etats-Unis, la stérilisation obligatoire des handicapés mentaux des alcooliques et des criminels multirécidivistes est légale dans certains états depuis 1907”. L’eugénisme est importé en Allemagne, où il prend le nom d’ “Hygiène raciale”. “L’eugénisme endoctrine profondément la doctrine des occultistes”, raconte le voix-off du documentaire.

[texte du documentaire] A la mort de von List en 1919, “prophète du millénaire aryen”, Jörg Lanz, un ancien moine cistercien (chassé de son ordre pourpéché contre la chair ‘ “) et théologien de renom, lui succède à la tête des mystiques allemands et des visionnaires aryens. Il aura un profond impact sur le développement de l'idéologie nazie et sur celui des structures et des rites SS. Mélangeant l'occultisme aryen de Guido von List aux principes pseudo-scientifiques de l'eugénisme, Lanz crée une nouvelle doctrine : “la théozoologie” (“Die Theozoologie oder die Kunde von den Sodoms-Äfflingen und dem Götter-Elektron” - “Théozoologie, ou la science des singes de Sodome et de l’électron des dieux[3]). Il s'agit là d'une religion au culte de la race inspirée par l'histoire mystique de l'évolution raciale, relatée par Madame Blavatsky. Lanz prétend ainsi que le déclin des aryens a été provoquée par leur métissage avilissant avec une espèce sous-humaine. Il en aurait résulté l'apparition de diverses races mixtes, dont l'existence menacerait la légitime domination des aryens, qui les aurait fait perdre leurs pouvoirs paranormaux. [Fin de citation]

Lanz propose entre autres la polygamie comme méthode de purification raciale (des mères porteuses recevant la semence d’hommes raciaux purs, on pense évidemment aux élites SS). Par ailleurs, un vague petit rappel de la semence divine de Seth censé sauver l’humanité (ou des mythes de la même teneur). La stérilisation pour les plus faibles, et la déportation des races inférieures (vers Madagascar, l'île des lémuriens singes...), ou leur mise en esclavage, constituent l’autre volet du projet. Lanz avait prévu, grâce à l’astrologie, que l’Europe serait envahi par l’Est. Tout le monde connaît la suite de ces idées funestes.

Je renvoie ici encore à l’idée de lInde (et de lHimalaya) comme berceau de la religion primitive des Indo-aryens et des expéditionsraciologuesde lAhnenerbe au Tibet.

Ce qui est important en ce qui concerne “le chiffre sept”, que les sciences astrales anciennes partagent avec les sept cycles et les sept races humaines de Madame Blavatsky, n’est évidemment pas le chiffre sept. C’est l’idée de race, associée à des idées de hiérarchie, de dégénérescence, de purification, de régénération, etc. empruntés au patrimoine ésotérique, qui, lui, fait grand cas de ce genre d'idées.


***


[1] Dans la gamme pythagoricienne, le si est attribué à Saturne, le do à Jupiter, le ré à Mars, le mi au Soleil, le fa à Mercure, le sol à Vénus et le la à la Lune. Dorémifasol la science

[2] “« Je rends hommage à celle qui par « tuttara » et la syllabe « houng » emplit l’espace, le monde du désir et ses prolongement ! à la Puissante qui met à ses pieds les sept mondes et les rassemble sans exception ! »
Extrait du commentaire (Stotratantra) de Taranatha du Louange à Tārā :
“5. La cinquième stance " Hommage à celle qui de Tuttāra…" etc.
[44] Du son des formules tuttāre et hūṃ elle pénètre et remplit tous les lieux de l'univers de concupiscence (S. kāmadhātu), "les cieux", c'est-à-dire les lieux de l'univers des formes (S. rūpadhātu) et "les directions", c'est-à-dire tous les univers de mondes dans les dix directions. Tout en faisant cela, elle écrase sous ses pieds et soumet les sept mondes. Si, par la force des formules (S. vidyā) que tu as consacrées, tu as le pouvoir d'attirer même les grands dieux comme Maheśvara etc. comme tes esclaves/serviteurs, que dire de tes pouvoirs mineurs ?
Les "sept mondes" dans ce [vers] peuvent être les sept habitats (t. snod), les sept types d'habitants (t. bcud), la combinaison des sept habitats et des sept types d'habitants etc. Il y a différentes façons de l'interpréter. Dans ce cas, ce sont les sept mondes de support (t. mthu dang ldan pa'i 'jig rten) : les mondes des nāga, des preta, des asura, des humains, des vidyadhara, des kinnara et des deva.”

[3] On craint le pire avec ce genre de titre. Je n’ai pas lu le livre, mais dans les cercles ésotériques on peut lire des passages comme celui-ci:
Descendants de la race Lémurienne. – Les aborigènes de l'Australie et de la Tasmanie proviennent de la 7ème sous-race Lémurienne. Les Malais, Papous, Hottentots et les Dravidiens du sud de l'Inde proviennent d'un croisement de cette 7ème sous-race et des 1ères sous-races Atlantes. Toutes les races nettement noires ont une descendance Lémurienne.
L'occultisme affirme que les singes anthropoïdes sont les derniers descendants d'un métissage d'hommes et d'animaux qui se fit vers la fin de la 3ème race.” http://misraim3.free.fr/divers2/la_genealogie_de_l_homme.pdf