jeudi 21 novembre 2019

La connaissance des choses cachées


L'âme humaine, Orbus pictus de Comenius

La théosophie signifie “sagesse de Dieu” ou “connaissance des choses divines”. Porphyre (234-305) aurait été le premier à l’utiliser, mais son sens a beaucoup varié et il est impossible de donner une orientation unique à la “théosophie”. Certains, comme Antoine Faivre dans Accès de l’ésotérisme occidental, préfèrent alors parler de “théosophies” au pluriel, que l’on pourrait classer en deux “grands massifs” : les courants ésotériques apparus à partir de la fin du XVIème siècle et les sociétés constituées au XIXème siècle, notamment la Société Théosophique (1875) de Mme Blavatsky.
“Ce courant nous paraît avoir parcouru quatre périodes distinctes : 1° A la fin du XVIe et tout au long du XVIIe siècle, la création d'un corpus spécifique de textes, qu'à partir de cette époque on qualifiera de « théosophiques ». C'est en quelque sorte le premier « âge d'or » de ce courant. 2° L'extension de ce corpus, et sa réception par l'historiographie de la philosophie, dans la première moitié du XVIIIe siècle. 3° Le renouveau de ce courant à l'époque préromantique, puis romantique (second âge d'or). 4° Son effacement, mais aussi sa permanence, depuis le milieu du XIXe siècle jusqu'aujourd'hui.” (Conférence de M. Antoine Faivre)
A la fin du XVème siècle, il y eut les premières tentatives pour réactualiser ou adapter des traditions plus anciennes et de relier les divers champs de recherche et de savoir (Faivre). Le pape Jean XXII (1244-1334) sétait inquiété de la magie savante, importée de l'Orient ou de l'Espagne, et de la science naturaliste, et avait voulu restreindre leur influence. Parmi les traditions anciennes intéressant plus particulièrement les “théosophes” il y avait l’hermétisme alexandrin, la Kabbale chrétienne, lamagia” (Pic de la Mirandole), l’alchimie et l’astrologie. Paracelse (1493-1541) joue un rôle important, mais se serait plutôt occupé des causes secondes (Nature) et pas des principes (Theos) (Faivre, vol. I, p.50), plutôt “naturosophe” que théosophe. Ses productions sur la Nature ont cependant été intégrées dans la théosophie.

La théosophie s’est d’abord développée en terre luthérienne pour diverses raisons. Le catholicisme avait interdit le recours aux savoirs recherchés par lesthéosophes. Faivre mentionne quatre facteurs du luthéranisme qui ont favorisé ce développement.
“Le luthéranisme autorise, du moins théoriquement ou par définition, le libre examen, qui chez certains esprits inspirés peut prendre une tournure prophétique. Ensuite, cette religion est caractérisée par un mélange paradoxal de mysticité et de rationalisme, d'où le besoin de mettre en discours l'expérience intérieure et, inversement, d'écouter des discours pour les transformer en expérience intérieure. De plus, au début du XVII° siècle, moins de cent ans après la Réforme, la pauvreté spirituelle de la prédication protestante, la sécheresse de sa théologie sont parfois douloureusement ressenties, d'où un besoin de ressourcement. À ces trois facteurs s'ajoute un quatrième élément, qui se présente comme un défi à relever : si dans les milieux (de nobles, de médecins) où est née la théosophie luthérienne l'on jouit d'une certaine liberté vis-à-vis des pasteurs, l'activité prophétique n'est pas bien tolérée pour autant; à Gerlitz, Boehme est la cible du ministre du culte et, en maints endroits, le peuple est farouchement orthodoxe. Les mêmes facteurs rendent compte, à la même époque, de l’apparition du courant rosicrucien, lui aussi nouveau venu dans le paysage ésotérique occidental, et lui aussi courant « réformateur ». Aussi bien peut-on observer que depuis la Renaissance la plupart des penseurs ésotérisants sont, à des titres divers, des « réformateurs », si nous donnons à ce mot un sens général qui ne se confond pas avec le protestantisme.” (Faivre, p. 55-56)
La pièce maîtresse de la théosophie allemande de l’âge d’or est Jacob Boehme (1575-1624), où l’idée de régénération ou de seconde naissance est importante. Avec Boehme, la théosophie acquiert ses caractéristiques définitives, selon Faivre :
● Dieu, l'homme et la nature sont associés pour faire l'objet d'une spéculation basée sur des phénomènes d'illumination ;
● Les aspects mythiques de la révélation chrétienne sont privilégiés par le théosophe, lequel met en scène Adam, Lucifer, les anges, mais aussi la Sophia ou l'androgyne primitif;
● L'être humain possède la capacité d'accéder immédiatement au monde divin, de sorte qu'il peut espérer, avec une interpénétration du divin et de l'humain, associer son esprit à un corps de lumière afin de connaître une seconde naissance.
Parmi ceux qui s’intéressent au triangle Dieu-Nature-Homme, il y en a qui orientent leur interprétations plutôt sur Dieu (“théosophes”) et d’autres plutôt sur la Nature (pansophie, philosophie de la Nature - Naturphilosophie, anthroposophie, ...), avec des liens entre les deux. Toutes les variantes sont possibles, des plus mythologiques aux plus scientifiques, c’est-à-dire celles où l’on tente de justifier les thèses Naturphilosophiques et équivalentes par la science (notamment à base de statistiques). Et il y a toujours des ponts permettant d’aller de l’un à l’autre.

Tel que je le vois, les courants (avec un Dieu hardcore ou softcore) aspirant à une connaissance de choses divines, de la Nature, de l’Esprit, de l’âme à la façon d’une science, réifient le dualisme esprit-matière, en donnant la primauté aux choses de l’esprit, et sont “spirituels” ou “spiritualistes”. Ainsi, l'anthroposophe Rudolph Steiner affirme l'existence d'un monde spirituel qui est à la base du monde matériel, et dont la connaissance permet d’exercer de l’influence sur l’autre.

Ce sont souvent des courants “nostalgiques”, même si ce dont les spiritualistes sont nostalgiques n’est peut-être jamais réellement advenu. Au cours de leur histoire, ces courants ésotériques ont dû surmonter les interdictions, lopposition, le dépassement par les sciences empiriques etc. Mais rien ne semble pouvoir en venir à bout. Ils continuent de jaillir de l’imagination et doivent correspondre à un besoin profond, lequel ? L’envie de savoir les choses naturellement énigmatiques, ou cachées parce que “on” nous les cache ?

Orbis pictus
Ces courants se veulent être des savoirs ou des sciences authentiques et aimeraient être reconnues comme telles par les sciences empiriques. Ils s’organisent en instituts et tiennent des conférences,, où ils échangent avec les scientifiques. Le Dalaï-Lama en est friand. Il a déclaré que si la science prouve que des éléments de la doctrine du Bouddha sont faux, les bouddhistes devraient les abandonner. Il a déclaré aussi qu’il s’attend à ce qu’un jour les scientifiques arriveront à prouver la réincarnation. Les sciences empiriques auraient beaucoup à apprendre du bouddhisme et sa science de l’Esprit. 

Par exemple, le thème de la “plasticité” (neuronale ou autre), de nouveau à la mode, vient de l’idée ancienne de la force de l’imagination (créatrice, vis imaginitiva), où l’esprit (l’astre en l’homme) transforme la matière. “Concevoir, c’est engendrer”, la pensée magique n’est pas loin. Ni le spiritualisme matériel.
Par la spéculation imaginative le fluide vital (semen) se convertit en semence active, à l’instar du soleil qui enflamme le bois.”

Puisque nous sommes composés de matière céleste, le ciel est susceptible d'être touché par nous comme nous le sommes par lui.” (Faivre, faisant référence à Paracelse, vol. I, p. 179)
A condition de distinguer la fausse imagination de la vraie. “L'image vraie donne corps à notre pensée, la transforme en désir ; elle est le corps même de cette pensée et de ce désir, qui en elle s'incarnent.” (Faivre, vol. I, p. 180)

Orbis pictus
Sur le spectre spéculatif de la connaissance des choses cachées, on peut aller de Dieu à l’Esprit, voire jusqu’à la Raison comme objet de culte. J’inclurais volontiers certains transhumanistes, dont le fluide cérébral prend facilement feu, parmi les dérobeurs du feu céleste.


La providence divine, Orbis pictus
  

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