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mercredi 25 juin 2025

Sur le besoin d'atténuer la radicalité du Dohākośagīti

Saraha, Collection Pan-Asiatique Ellsworth (source : 
原文網址)

Le livre Saraha’s Spontaneous Songs[1] (SSS 2024) contient la traduction de deux commentaires du Dohākośagīti de Saraha : le Dohākoṣapañjikā de Mokṣākaragupta (DKPM, D 2258) et le Dohākoṣapañjikā d'Advayavajra (DKPAT, Tōh. D 2256). Ce Mokṣākaragupta n’est probablement pas Mokṣākaragupta, le célèbre logicien du Bengale, auteur du Tarkabhāṣā, et l’auteur Advayavajra est sans doute un érudit Newar. Aucun original sanskrit correspondant au commentaire de Mokṣākaragupta n'a été découvert. Cette absence, combinée à la constatation que le Dohākoṣapañjikā de Mokṣākaragupta (DKPM) correspond souvent à la traduction tibétaine du commentaire d'Advayavajra (DKPAT) lorsque celle-ci s'écarte de l'original sanskrit, suggère que le DKPM pourrait ne jamais avoir existé dans son original indien. Cela implique qu'il pourrait s'agir d'une composition tibétaine ou d'un commentaire élaboré en tibétain, basé sur les versions tibétaines existantes des Distiques de Saraha et des commentaires antérieurs[2]. Il y avait trois manuscrits en sanskrit du DKPAT, mais celui retrouvé par Haraprasād Śāstrī a été perdu de nouveau, à l'exception d’un feuillet. La qualité du sanskrit est “loin de l'usage classique” (SSS 2024).

Le DKPM fut traduit en tibétain par Gya Tsöndrü Sengé (Rgya Brtson ’grus seng ge, 1186–1247). Le traducteur tibétain du DKPAT est Ba ri Lo tsā ba Rin chen grags (1040-1112, rattaché au monastère de Sakya). Admiré tant par Peta, la soeur de Milarapa... Śrī-Vairocanavajra (de Kosala) et Dīpaṃkararakṣita (de Kosala, en Inde) sont des érudits qui ont également joué un rôle clé dans la traduction et la finalisation du texte en tibétain. Il n’est pas exclu que les deux commentaires soient des créations tibétaines[3], ni faut-il, à mon avis et dans l’intérêt du point de vue historique, exclure le phénomène de rétro-traductions (“back translations” Jan Nattier) en sanskrit (apocryphes)[4], ou de productions de textes (ad hoc) de paṇḍits en déplacement, en collaboration avec des traducteurs locaux, à la demande de disciples locaux.

Advayavajra “le Newar” (DKPAT) interprète les critiques dans les Distiques de Saraha comme une réfutation des six systèmes philosophiques indiens, y compris les systèmes bouddhistes eux-mêmes. Il adopte une position fortement anti-institutionnelle et anti-monastique[5]. Il affirme que la réalisation directe du "Co-émergeant[6]" (sahaja) prôné par Saraha transcende même le concept de la voie bouddhiste institutionnelle[7]. C’est évident, en lisant les distiques, et le commentaire d’Advaya-Avadhūtipa (D2268, P3120) le confirme explicitement[8]. La radicalité excessive d’Advayavajra “le Newar” (DKPAT) semble cependant passer à côté d'un message plus subtile du Dohākośagīti. C’est du moins mon opinion.

Mokṣākaragupta fait peu de cas de la réfutation des systèmes philosophiques, et interprète plutôt les critiques de Saraha comme un avertissement contre les pommes pourries, les "faux gourous", au sein de ces systèmes, et qui n'ont pas obtenue la réalisation authentique[9]. Mokṣākaragupta joue surtout la carte de l’orthodoxie ésotérique. Son approche est moins une critique des écoles en tant que telles, qu'une mise en garde contre l'absence de réalisation spirituelle authentique. Le commentaire de Mokṣākaragupta intègre de nombreuses explications issues du système Kālacakra, en particulier le concept de "reflets de vacuité" (śūnyatābimba)[10]. Il s'efforce d'harmoniser les Distiques de Saraha avec cette tradition tantrique plus tardive, datant probablement de la fin du XIe siècle au XIIIe siècle, période de la traduction de son commentaire. L’objectif et la réalisation deviennent nettement plus positifs et substantiels.

L’étape suivante sur le chemin de l’atténuation est Chomden Rikpai Raldri (Bcom ldan Rig pa’i ral gri, 1227–1305), un maître renommé de la tradition Narthang de l’école Kadampa. Son ouvrage, "Les Fleurs ornementales des Dohā" (Do ha rgyan gyi me tog, bdr:MW1KG4324), est un autre commentaire du Dohākośagīti de Saraha. Il s’appuie principalement sur le commentaire de Mokṣākaragupta, qu’il cite abondamment. Dans son introduction, il exprime ses doutes sur différentes oeuvres attribuées à “Saraha le Grand brahmane”, qu’il distingue de Śavareśvara/Śavaripa. L’approche “Kālacakrayāna” qui met l’accent sur les pratiques du corps vajra, est également la grille de lecture, qui détermine le sens de son commentaire : un bouddhisme ésotérique orthodoxe avec une réalisation spirituelle authentique bien définie à l’horizon.

Je vais traduire une partie du début de son commentaire, pour montrer qu’au XIIIème siècle, la réception des textes attribués à “Saraha le Grand brahmane” n’était pas si évidente que cela, et qu’on le disait sans ambages. Chomden Rikpai Raldri ne fut pas le seul à mettre en doute des textes attribués à Saraha, certaines traductions, et certains traducteurs. d'abord quelques autres exemples.
Dans son catalogue du Tengyur, Buton Rinchendrup (1290–1364) admet qu'il y a des raisons de douter de l'authenticité des Dohā de la Reine et du Roi (voir plus loin).

Drakpa Dorje Palzangpo (né en 1444), un savant Sakyapa, accepte la possibilité que les Dohā du Roi et de la Reine aient été créés par quelqu'un d'autre que Saraha. Contrairement à d'autres, il suggère que le faussaire n'était pas Balpo Asu, mais son petit-étudiant Parbuwa Lodro Senge. Il rejeta l'authenticité des deux derniers dohā de la Trilogie des Dohā de Saraha et a offert une défense détaillée de cette position. Drakpa Dorje utilisait la présence ou l'absence de textes indiens comme critère principal pour distinguer le Dohā du Peuple des Dohā du Roi et de la Reine. Drakpa Dorje est également listé parmi les "opinions dissidentes"

Celui qui semblait tenir une telle liste était le “trilogiste” Karma Trinlaypa (1456–1539). Bien que Karma Trinlaypa lui-même accepte et propage l'authenticité des trois Dohā (y compris ceux du Roi et de la Reine), il rapporte que "des gens méprisables" ont affirmé que les Dohā du Roi et de la Reine n'étaient pas réellement composés par Saraha et qu'ils avaient été "faits par des faussaires".

Padma dkar po (1527-1596) contesta l'attribution du commentaire du Dohākoṣa (DKPAT) à Maitrīpa (Advayavajra). Il affirma dans son Phyag chen rgyal ba’i gan mdzod que ce commentaire n'était pas l'œuvre du "maître souverain" (mnga' bdag), mais plutôt d'un frère cadet moins important d'un vénérable népalais portant le même nom (thèse Newar). Padma dkar po recommanda le commentaire de Mokṣākaragupta (DKPM) comme alternative.

Tārānātha (1575-1634) a qualifié l'histoire des dohās et des caryās de "corrompue" (Chattopadhyaya, 1990)[11].

Jamgon Amyeshap (Ngawang Kunga Sonam, 1597–1659), un autre érudit Sakyapa, suivait la vision de Buton Rinchendrup, et affirmait que seul le “Dohā du Peuple” (Dohākośagīti) était une œuvre authentique et vérifiable de la Trilogie des Dohā. Dans sa version de l'hagiographie de Saraha, il omet délibérément la mention de Saraha chantant les dohā du roi et de la reine, ce qui est interprété comme un signe de son opinion qu'ils n'étaient pas composés par Saraha. Il fait également partie des "opinions dissidentes".
Il y a des arguments d’authenticité et d’orthodoxie (et par conséquent d’ “hérésiologie”) autour des oeuvres attribuées à “Saraha le Grand brahmane”, et aux commentaires de ces oeuvres. Mais regardons d’abord la traduction de l’Introduction de Chomden Rikpai Raldri de son Commentaire “Les Fleurs ornementales des Dohā” (bdr:MW1KG4324 422:1-424:1).
En commentaires de ce texte canonique (gzhung) il y a celui composé par Ācārya Mokṣakaragupta (Tharpa'i 'byung gnas sbas pa), et celui que l'on dit composé par Advayavajra (gNyis med rdo rje) et qui semblerait avoir été traduit par Guru Vairocana(vajra). Il en existe un composé par sKor Nirūpa[12], et il y a "la Réalisation de la non-dualité" (gnyis med rtog pa[13]) composée par Maitrī[pa].

Il y a des vers-racine [du Dohākoṣagīti] qui ne s'accordent pas avec les [vers] authentiques[14], et [des vers] qui ont été composés par Śavareśvara (ri khrod dbang phyug)[15]. Celui-ci qui est appelé le siddha chasseur (grub thob rngon pa ba), et qui est devenu siddha après avoir relâché du gibier n'est pas le même que le grand brahmane [Saraha]. Comme ce commentaire[16] contient diverses assertions arbitraires, il n'est pas fiable.

Même dans les [textes] que l'on dit composés par le Grand brahmane, tels le Ka kha'i do hā [N1909][17], les trois Dohā[18] [nommés] sKu['i mdzod 'chi med rdo rje'i glu N1911], gSung [gi mdzod 'jam dbyangs rdo rje'i glu, N1912] et Thugs [kyi mdzod skye med rdo rje'i glu, N1913], etc., il existe de nombreux inclusions [inauthentiques, apocryphes...] : les deux Dohā du roi et de la reine[19].

Les deux Dohā [dits] du roi et de la reine ont été composés par Bal po A su (Asu le Newar).

L'aveuglement [spirituel] est à la mesure du ciel :
Par le savoir, l'amas d'aveuglement est tranché.
D'abord, dans un ciel parfaitement pur, regarde !
À force de regarder, la vision cesse.

Comme instruction [spirituelle], cela suffit.
À quoi bon en dire davantage ?
Les yeux mi-ouverts, regardant vers le haut,
Les yeux le sauront par leur stabilité
.[20]
Ces vers et d'autres que l'on appelle "liens dohā" sont extraits du commentaire "Goutte de Nectar" sur le [Mañjuśrī]nāmasamgīti (mtshan brjod kyi 'grel pa bdud rtsi'i thigs pa). Il n'y a pas de doute que ces textes [les "Liens Dohā" et le Dohākoṣagīti] ont été composés par Saraha. Les autres, dont on dit qu'ils ont été composés par le Grand brahmane, n'ont pas été tirés des textes canoniques indiens, et, de ce fait, m'apparaissent douteux.

À propos du nom de ce texte canonique, "dohā" signifie libre (lhug pa) ou "non-artificiel" (ma bcos), pour montrer la pensée authentique (sems rnal ma), non altérée par les afflictions (kleśa) et les conceptualisations (vikalpa)
.[21]
Ce qui semble se jouer ici, hormis l’authenticité des textes canoniques, à géométrie variable, c’est l’efficacité des pratiques ésotériques relatives au corps vajra, et des yogatantras supérieurs en général, que Saraha semble mettre en doute dans le Dohākośagīti, dans le commentaire attribué à Advayavajra “le Newar”, et dans celui attribué à Advaya-Avadhūtipa (D2268, P3120). Pour Mokṣakaragupta, Chomden Rikpai Raldri, et au fond quasiment toute la tradition tibétaine, cela ne fait aucun doute, Saraha n’aurait jamais pu les mettre en cause dans sa voiefaciledu Sahaja. Ils se rabattent pour cela sur le vague concept des "Liens Dohā"[22], sur des commentaires considérés comme orthodoxes, et plus tard, même, et surtout, sur la “trilogie des Dohā”. Après sa publication de la traduction anglaise du Dohā du Roi[23] en 1973, il publie toute la trilogie de Saraha, “Saraha’s Three Cycles of Dohā”, en 1993, afin de pouvoir lire et interpréter toute la Pensée de Saraha, sous le titre “Ecstatic Spontaneity[24]. “Spontaneity” pour le côté Sahaja, et “Ecstatic” pour les qualités positives associées.
"Commençant par un bref récit de la vie de Saraha à partir du peu que l'on en sait, le livre examine son œuvre majeure, sa trilogie de chants : les Dohā du Peuple, du Roi et de la Reine. La rareté du matériel source indien indigène nécessite une référence constante à la riche tradition tibétaine, en particulier l'enseignement rDzogs-chen/sNying-thig."
La Pensée de Saraha, telle que constituée par la Trilogie, et éclairée par le rDzogs-chen/sNying-thig. On comprend que "Le Tailleur de flèches n’a de cesse de le répéter", son message...

Il n’y a donc pas de voie facile et naturelle, ou alors uniquement pour des êtres vraiment très exceptionnels. Pas de souci, vous n’en êtes pas. Il semblerait que l’opposition à cette voie facile et naturelle date du moment même de son introduction au Tibet. Une dernière citation de Chomden Rikpai Raldri.
Il est dit qu'autrefois, quand Atiśa fit l'éloge des dohā, et qu'il les traduisait dans l'ermitage au-dessus du monastère de Samye (bsam yas mchims phu), 'Brom ston pa dit "cela va faire obstacle à l'enseignement". Au cours de la traduction, il dit "j'ai le pressentiment que cela causera des problèmes", et il s’opposa et cacha la traduction terminée dans un stupa.

Enseigner que de faire des offrandes aux divinités bouddhistes ne libère pas réellement, ne veut pas dire de cesser de faire d'offrandes tout court. Cela montre que la cause directe de l'émergence du Naturel (sahaja) est ce qui est appelé l'arrêt de"l'oeil", [la vision, etc., 'gags pa] et la cessation [des sens, 'gog pa] [aboutissant à] l'immobilité (mi g.yo ba), obtenue par le guru
[25].”
Le rôle indispensable du guru dans ce qui ressemble à une Introduction (ngo sprod) n’est pas contesté, tous semblent d’accord sur ce point. Que ce soit un guru qui initie un disciple dans les yogatantras supérieurs, et qui l’instruit à édifier un corps vajra, et tout ce que cela implique, n’est pas du tout évident. Le pressentiment de 'Brom ston pa était fondé. Que l’auteur véritable du Dohākośagīti (Saraha ou un autre) voulait enseigner une voie naturelle “Sahaja”, cela semble hors de doute pour moi. La tradition tibétaine a tranché et choisi pour une voie moins naturelle, davantage “kālacakrayāna”.

***

[1] Klaus-Dieter Mathes & Péter-Dániel Szántó, Saraha’s Spontaneous Songs, With the Commentaries by Advayavajra and Mokṣākaragupta, Wisdom 2024.

[2] Chapitre The Development of the Textual Tradition in Four Steps (SSS 2024)

[3] La recherche a révélé que la traduction tibétaine du commentaire d'Advayavajra (DKPAT) dévie souvent de son original sanskrit, avec des passages omis, résumés ou reformulés. Un point crucial est que lorsque le DKPAT s'écarte du sanskrit, le texte racine tibétain standard (DKT) et le commentaire de Mokṣākaragupta (DKPM) s'alignent systématiquement avec la version tibétaine d'Advayavajra, et non avec l'original sanskrit. Cela indique une forte interdépendance entre ces textes tibétains, suggérant que le DKPM et le DKT ont été élaborés en se basant sur la traduction tibétaine existante du commentaire d'Advayavajra, plutôt que directement sur des originaux indiens indépendants. Introduction SSS 2024.

Voir aussi Ronald M. Davidson, Indian Esoteric Buddhism, 2003, p. 203, sur le phénomènes des “textes gris” composés au Tibet par des tibétains, principalement sous la direction de Sachen Nyingpo (Sa chen kun dga' snying po 1092-1158) et de son fils Drakpa Gyeltsen, qui « se donnaient beaucoup de mal à les faire passer pour des œuvres indiens authentiques ».

[4] Des écrits qui, bien que prétendant être des traductions de textes indiens, ont été en réalité composés en dehors de l'Inde, principalement en Chine. Ces textes ont souvent été créés sur le modèle des écritures indiennes ou serindiennes, parfois dans le cadre d'expériences révélatrices, mais aussi, dans certains cas, intentionnellement forgés.

[5]Among the commentators of Saraha, Advayavajra stands out for his outspoken anti-institutional and anti-monastic attitude. For him, all Buddhist monastics, even those of the Mahāyāna orders, are reincarnations of the retinue of Māra and hell bound. Monks are accused of explaining reality in a way never heard of before based on unknown sūtras, a charge normally levied only by followers of older Buddhism against the Mahāyāna. Given their motive of gaining material wealth, they are also hell bound.” SSS 2024

[6]The term sahaja is often translated as “inborn,” “innate,” or “inherent,” but to avoid the impression that sahaja is incompatible with Madhyamaka, we have decided to render it literally as “coemergent” since it mainly refers to the coemergence or coexistence of the ultimate in the world of relative truth without the kind of ontological commitment that triggers the critique of the Mādhyamika.” SSS 2024

[7]Advayavajra even questions the very foundation of a traditional Buddhist path, such as the taking of vows. In other words, for Advayavajra, the taking of vows is equally superfluous when one is not in possession of sahaja experience.” SSS 2024

[8] Dohākoṣahṛdayārthagītāṭīkā (Do ha mdzod kyi snying po don gi glu'i 'grel pa D2268, P3120) attribué à Advaya-Avadhūtipa.
Je ne déprécierai pas les traditions non-bouddhistes (skt. tīrthika) etc., car ayant eu accès au Sens du Cœur, on ne peut plus s'en écarter”.
mu stegs la sogs gzhan gyi gzhung la mi smod do//
rtogs na de dag snying po'i don las ma g-yos pas//
[9] Chapitre False Gurus and Their Philosophical Systems, SSS 2024

[10] Chapitre Kālacakra Influences in Mokṣākaragupta’s Commentary, SSS 2024.

[11] Tārānātha’s History of Buddhism in India, Lama Chimpa, Alaka Chattopodhyaya, Motilal, 1990, pp. 343-346

[12] Gö Lotsāwa assimile Prajñāśrījñānakīrti à sKor Nirūpa, l'auteur d'un commentaire majeur sur les dohā de Saraha et d’oeuvres attribuées à Advayavajra. Roerich (1995), p. 851. Gö Lotsāwa le mentionne aussi comme le fondateur de l'« école haute » (tib. stod lugs) de la mahāmudrā tantrique, distincte de l'« école basse » newar fondée par Asu le Newar (Bal po A su).

[13] Je n’ai pas trouvé de texte sous ce titre, peut-être simplement une référence au cycle Amanasikāra (yid la mi byed pa'i skor).

[14] Il y a différents nombres de vers entre les différentes versions, manuscrits, etc. Chapitre The Development of the Textual Tradition in Four Steps, SSS 2024.

[15] P.e. Do ha mdzod ces bya ba phyag rgya chen po’i man ngag (Dohākoṣa-nāma Mahāmudropadeśa, D2273, P3119), traduit par Vairocanavajra. Traduit en français dans Chants de Plénitudes, Joy Vriens, Yogi Ling, 2015.

[16] Il pourrait s’agir du Dohākoṣahṛdayārthagītāṭīkā (Do ha mdzod kyi snying po don gi glu'i 'grel pa D2268, P3120) attribué à Advaya-Avadhūtipa, qui représente la Pensée (t. dgongs pa) de Śavaripa.

[17] Toh. 2266 : Ka kha'i do hā (Kakhasyadoha nāma)

[18] Toh. 2269 : sKu'i mdzod 'chi med rdo rje'i glu (Kāyakoṣāmṛtavajragīti)
Toh. 2270 : gSung gi mdzod 'jam dbyangs rdo rje'i glu (Vākkoṣarucirasvaravajragīti), traduit par Nag po pa
Toh. 2271 : Thugs kyi mdzod skye med rdo rje'i glu (Cittakoṣājavajragīti), traduit par Nag po pa

[19] Toh. 2224 / N1906 : Do ha mdzod ces bya ba spyod pa'i glu ("Dohā du Roi")

Toh. 2264 / N1898 : Mi zad pa'i gter mdzod yongs su gang ba'i glu ("Dohā de la Reine", traduit par Vajrapāṇi et révisé par Asu le Newar. Prajñāśrījñānakīrti est le traducteur du Commentaire (Mi zad pa'i gter mdzod yongs su gang ba'i glu zhes bya ba'i rgya cher bshad pa, Toh. 2264), attribué à Advayavajra.

[20] rmongs pa nam mkha'i tshad ma ni//
gal te shes na rmongs tshogs gcod//
dang po rnam dag nam mkha' la//
blta zhig blta bas mig ni 'gag/

chos kyi tshad ni 'di tsam chog/
mang po smras pas ci zhig bya//
mig ni phyed mig gyen bzlog nas//
mig ni brtan pa nyid kyis shes//

Ces vers proviennent en réalité du Tengyur D1351 : dBang mdor bstan pa'i 'grel bshad don dam pa bsdus pa ("Commentaire concis sur l'exposé succinct de l'initiation", s. Paramārthasaṃgraha-nāma-sekoddeśa-ṭīkā), attribué à Nāropa et traduit par le paṇḍita kashmiri Dharmādhara et le traducteur Drakpa Gyaltsen à Bal po'i mthil (au Népal), puis révisé par Rinchen Gyaltsen au siège de Sakya. Sakya était réputé pour de nombreux "textes gris" (“grey texts”, selon Ronald Davidson, Tibetan Renaissance), des textes d'attribution douteuse ou de composition hybride indo-tibétaine. Cela pourrait expliquer la confusion de notre auteur concernant la source exacte de ces vers.

[21] Do ha rgyan gyi me tog, bdr:MW1KG4324

[22] Selon le gDams ngag mdzod vol. 18 (Jonang etc.), les chants “liens dohā” existaient en Inde depuis les temps anciens mais ne s'étaient pas beaucoup répandus, ne subsistaient qu'à l'état d'exemplaires dans les deux temples appelés "Rinchen Ribo" et "Lha'i Ribo", de sorte que la lignée des instructions était comme coupée ; le seigneur Maitrīpa, les ayant entendues de Śavaripa, les fit grandement se répandre.

"do ha'i chings kyi glu zhes bya ba la sogs pa 'phags yul du sngon dus nas yod pa ha cang dar rgyas mi che bas/_rin chen ri bo dang*/_lha'i ri bo zhes pa'i gtsug lag khang gnyis na dpe tsam bzhugs pa las/_gdams ngag gi rgyun chad pa ltar gyur pa mnga' bdag mai tri pas sha ba ri pa las gsan nas ches dar bar mdzad" Supplementary Historical Anecdotes of the Lineage Holders (Khrid brgya'i brgyud pa'i lo rgyus kha skong, Tāranātha)

[23] The royal song of Saraha; a study in the history of Buddhist thought, Herbert v. Guenther, Shambhala Publications, 1973

[24] Ecstatic Spontaneity: Saraha's Three Cycles of Dohā, Herbert V. Guenther, 1993, Nanzan studies in Asian religions Livre 4, Jain Publishing Company.
Blurb Google Books :
Beginning with a brief account of Saraha's life from what little is known of it, the book surveys his major work, his trilogy of songs: the People, King and Queen Doha. The scarcity of indigenous Indian source material necessitates constant reference to the rich Tibetan tradition, in particular the nDzogs-chen/sNyingthig teaching.”
[25] 449] sngon jo bo rjes do ha'i bsngags pa brjod nas bsam [450] yas mchims phur 'di bsgyur ba na mar me de ci’'i skabs su 'brom ston pa na re 'di bstan pa la gnod pa cig 'ong bar 'dug ces zer ro// 'di na mar bsgyur tsa na gnod ngo shes pa cig 'ong bar 'dug ces zer nas bkag ste bsgyur zin tsho mchod rten gcig na yod do zhes grag go /de la sangs rgyas pa'i lha la mchod pas ni dngos su mi grol ba ston pa yin gyi mchod pa gtan nas 'gog pa ni ma yin no// lhan skyes 'char ba'i dngos rgyu ston pa ni mig ni zhes pa ste 'gags pa dang 'gog pa ni mi g.yo ba ste bla ma las rtogs par bya'o/ (Do ha rgyan gyi me tog, bdr:MW1KG4324)

mercredi 12 juin 2024

Deities, eternal bliss and luminosity

Copper Coloured Mountain, detail HA90027

I remember someone in our retreat group (1984-1987) asking Tenga Rinpoche (1932-2012) whether deities really existed and whether they actually came from their natural dwelling place, after having been invited (t. spyan drang) and returned there after the sādhana. When Tenga Rinpoche answered they didn’t, being visualized and empty, and that it was merely a practice (sādhana), some in our group were quite surprised. For others, having read about a more pragmatic use of deities[1] or “meditation gods”, such as in e.g. Sāṃkhya and Yoga, or considering them more psychologically as “archetypes” etc., it confirmed their expectation. I have no idea how Tibetan Buddhist practitioners (East and West) see and live deities nowadays, on a more intimate level.

Dr. Benoytosh Bhattacharya (An Introduction to Buddhist Esoterism, chapter XII The Deities p. 109), recalls that Advayavajra says “in a characteristic stanza” that “the deities are nothing but manifestations of Śūnya and are by nature non-existent; and whenever there is manifestation it must be Śūnya in essence.” Bhattacharya quotes some verses (MSP 14) from Advayavajra’s The Manifestation of Great Bliss (Mahāsukhaprakāśa). Below is Klaus-Dieter Mathes’ translation (A Fine Blend of Mahāmudrā and Madhyamaka):
Being mere dependent arising,
[Bliss] is neither existence nor emptiness (i.e., nothing at all);
And [its] manifestation in the form of deities
Naturally lacks an own-being
. (MSP 14)

No matter how [bliss] appears,
It will always have the nature of emptiness;
Whether [bliss] be taken as duality or not—
Here, [in tantric practice,] it is the fruit of mental imprints
. (MSP 15)”
Bhattacharya then explains “the process of evolution of deities from Śūnya”, quoting from the same text (MSP 4[2]).
The process of evolution has four stages: the first is the right perception of Śūnyatā, or voidness; the second is the connexion with the germ syllable, the Bīja; the third is the conception of an Icon [bimbe]; and the fourth is the external representation of the deities. This statement gives a direct lie to the theory that later Buddhism was nothing but gross idolatry. It shows, on the other hand, that their conception of godhead was philosophically most profound, a parallel to which is scarcely to be found in any other Indian religion.”
Therefore, everything arises in dependence”, so ends Advayavajra’s MSP4, including Bliss and its manifestation in the form of deities (MSP14). Also, Bliss [...] is the fruit of mental imprints (MSP15). As for the “dwelling place” of the deities, Bhattacharya adds:
Occasionally information is obtained about the residence of the deities contained in the pantheon; and, so far as can be gathered from the stray references, it can be asserted without hesitation that the abode of the Vajrayāna deities was in the Akaniṣṭha heaven (t. 'og min), which is the topmost of the Rūpa heavens.”
Bhattacharya gives the example of the Vajravārāhī sādhana (Sādhanamāla, 11th c.). In this sādhana, “the rays draw down "a mass of buddhas and so on" from their dwelling place in the Akaniṣṭha heaven, where they reside in a body of enjoyment (saṃbhogakāya).[3]

“Bliss” is imagination, neither existence nor “nothing at all”. It is freedom, the highest form of pleasure. Aesthetics and beauty. A mixture of sensory experiences, emotions, thoughts, feelings, aspirations. “The fruit of mental imprints”. It is “incarnated” and experienced. In dualistic terms it needs both “body” and “mind”. It is neither one nor the other, but where both “meet” in emptiness, in “the topmost of the Rūpa heavens”, “the extreme summit of [ ] reality [bhūtakoṭiṃ]”.

Where does a visualized deity come from, and where does it part? Where does a symbolic body (saṃbhogakāya) come from? Where do memories, dreams, “visions” etc., i.e. “mental imprints” (s. vāsanāphalam), come from? What is their nature? Emptiness, mere dependent arising.

Bhattacharya gives the origin of the Mahāsukhavāda doctrine. Madhyamaka originated with Nāgārjuna who stated that “Nirvāṇa is nothing but Śūnya, [ ], a condition about which neither existence nor non-existence, nor a combination of the two, nor a negation of the two, can be predicated.” This was not entirely “satisfying”, and the Yogācāras “came to their rescue”:
They retained the term ‘Śūnya’; but formulated that it was not an empty Śūnya, as proposed by the Madhyamakas, but a positive Śūnya with a positive element of Vijñana.”

On the attainment of Nirvāṇa, therefore, the individual neither attains complete extinction, nor does he go out like a lamp, nor pass into a condition which cannot be conceived.”
Finally a “satisfying” solution was found with the introduction of “mahāsukha”, great bliss.
This new introduction was known as the Mahāsukhavāda, and the form of Buddhism which was based on this Mahāsukhavāda was known as Vajrayāna, or the adamant-vehicle. In Vajrayāna Nirvāṇa had three elements: ‘Śūnya, Vijñana and Mahāsukha.’ This triple combination of Śūnya was termed by them as Vajra; because, as they said, it is firm and sound, unchangeable, unpierceable, impenetrable, incombustible and indestructible. They formulated that Śūnya is Nirātmā, and a goddess in whose eternal embrace the individual mind, i.e. the Bodhicitta, or Vijñana, is locked, and there remains in eternal bliss and happiness.”
Note that Bhattacharya here explains vijñana as Bodhicitta (t. byang sems). The triple nature of “Śūnya” and “Nirvāṇa” according to Mahāsukhavāda and Vajrayāna seems to relate to the triple experience (t. nyams gsum) of the natural state (t. gnas lugs): bliss (t. bde ba s. sukha), clarity (t. gsal ba s. prakaśa/prabhāsvara) and non-conceptuality (t. mi rtog pa s. nirvikalpa).

Bhattacharya points to the definition of Mahāsukha in chapter 7 of the Jñānasiddhi (t. Ye shes grub pa) attributed to Indrabhūti. My translation:
Bliss produced through the two organs
Is true reality (tattva)’, say [some] bad individuals.
“This is great bliss”
The supreme victorious one didn’t teach this
. (7.1)

How could anything produced by dependent arising (s. pratītyotpādasaṃbhūtaṃ)
Ever be proven as knowledge of true reality (tattva)?
In any [dependent arising]
Nothing exists as an essence (svabhāvena)
(7.2)

The knowledge of all tathāgatas (sarvatāthāgataṃ jñānaṃ)
Has self-awareness as its essence (svasaṃvedyasvabhāvakam)
This being the principal bliss
It is called “great bliss” (mahāsukha).
(7.3)[4]
Could that “self-awareness” be related to the triple experience mentioned above? Bliss, clarity and non-conceptuality? Or to the triple “nirvāṇa” of Mahāsukhavāda, also called “vajra”? In this combination, clarity (t. gsal ba) refers to “self-awareness” (s. svasaṃveda), “bodhicitta”, for which metaphors of (self-)illuminating, etc. can be used, but which is not luminous, luminescent, light etc. in the sens of “giving off or reflecting light”, “shining in the dark; giving out light” or of a “luminous” appearance.

In Atiśa’s Pointing out instructions (Instructions for Selected Disciples - lKog chos), this triple experience is explained as follows (translation by James B. Apple (University of Calgary). These are the instructions of a so called “Introduction” (t. ngo sprod): “In Indian and Tibetan forms of Buddhism “pointing-out instructions” (t. ngo sprod) generally signifies an introduction to the nature of mind by a spiritual teacher to a qualified disciple.”
Directly pointing out [serenity] has three topics: nonconceptuality, clear awareness, and blissful experience. First, non-conceptuality, one resides with one-pointedness of mind (cittaikagratā) non-conceptually by bringing to cessation all subtle and gross discursive thoughts based on external objects and all subtle and gross conceptualization based on the mind within.
Clear awareness [t. rig pa gsal ba]: one resides with one-pointedness of mind in non-grasping selfluminous awareness which, at first, does not engage with conceptually grasping on to vivid sense objects, and then later is free from identifying with the luminous nature of the lucidity of one’s own mind.
Blissful: in a diminished unity of emptiness and lucidity that is free from all torments of afflictions and conceptuality that is possessed in previous experience, and having halted even-minded feelings of suffering, one resides with one-pointedness of mind in naturally occuring unconditioned bliss
[5].”
Further precisions are given in the Instructions for Selected Disciples, where the “three characteristics” of Mahāsukhavādin nirvāṇa are explained: emptiness (t. rang bzhin, s. prakṛti?), clarity (t. ngo bo, svabhāva) and what corresponds to aesthetic “bliss”, the “characteristics” indivisibility of clarity [t. gsal ba] and emptiness.
“(1) First, the union of the ground which is the basis: there is not a buddha which is made manifest through realization [t. rtogs], there is not a mistaken sentient being through nonrealization [ma rtogs], remaining spontaneously perfected from the very beginning, the natural condition being in itself the general ground of all of cyclic existence and nirvāṇa has three characteristics. (a) Its own nature [t. rang bzhin] dwells in emptiness. (b) The nature [t. ngo bo] abides in clarity. (c) The characteristic [t. mtshan nyid] abides indivisibly.12 (a) Among these, first, its own nature dwells in emptiness, there is not an emptiness which is destroyed, entrusted, or purified. It abides as emptiness of inherent nature [t. rang zhin] from the very beginning, free from all phenomenal marks [t. mtshan ma] such as shape, color, and so forth. There is not a realization [t. rtog pa][6] which apprehends a non-existence within. It is the unobstructed clarity of the radiance [t. rang gi mdangs] of one’s own awareness. Abiding like the sun rising in pure space or like the wind of pure space. (c) The characteristic: the indivisibility of lucidity [t. bsal ba = gsal ba] and emptiness, inseparable like a conch shell and its whiteness, abides primordially free from conceptuality[7].”
The singular conch is the result of dependent arising (emptiness), the whiteness of the conch is a characteristic, a conceptualized abstract property. Characteristics or distinguishing marks (s. nimitta) are related to the imaginary nature (s. parikalpita) according to the Yogācāra three nature view. They can be "irreducible particulars” (s. svalakṣana) or universals (s. samanyalakṣana), correctly cognized or not, considered pure (śuddha) or impure, considered conducive to purity or to impurity. This is where moral and religious factors tag on, the triad Ground, Path and Result is introduced, and the “Pointing Out”, the Introduction to the natural state (t. gnas lugs ngo sprod), becomes more than simply pointing out the natural state. It turns into a project, a religious project.

The “Ground” covers the actual Pointing out. But recognizing and knowing is not enough. The ”Path” introduces a necessary action to be carried out. A distinction is made between “appearances” (t. snang ba): “karmic appearances”, (ii) “delusive appearances”, and (iii) “meditative appearances”. These “appearances” all are “the luminous essence of one’s own mind” (t. rang gi sems kyi ngo bo gsal ba), but not all are conducive to purity (s. śuddha). I would like to point out here that ngo bo gsal ba could also be translated as reflections (t. gsal ba) of the essence of mind (t. rang gi sems kyi ngo bo), and to remind that the essence of mind is triple.
“(iii) Meditative appearance [t. nyams snang] is the appearance of one’s own mind, at the time of abiding in non-conceptual meditative stabilization though an appearing external object ceases, the factor of clarity does not cease the appearance of the mind within, like mirage, smoke, star, drops of light [t. ’od kyi thig le] and so forth, subtle and coarse colors and shapes mostly appear, utterly empty like a cloudless sky.”
During the “Path”, impure appearances gradually disappear and make place for “luminous” pure appearances. These are the results of practice (Path), consisting in the gradual purification and transformation of impure in pure appearances. The results, apart from recognizing and knowing the natural state including the nature of the “appearances”, is that all “appearances” are henceforth merely pure appearances: Buddha bodies, pure realms, celestial mansions etc. Pure appearances, religious appearances.
The very embodiment of the awakening mind, one’s own mind, the luminous essence of pristine wisdom [t. byang chub sems kyi rang gzugs rang gi sems ye shes kyi ngo bo gsal ba], wisdom appears like the moon reflected in water and a rainbow in the sky. (c) The unified characteristic: all the bodies, pure realms, celestial mansions and so forth, appearances of true pristine wisdom [t. yang dag pa’i ye shes kyi snang ba], like an illusion, and the actualized realm of reality [s. dharmadhātu] just-as-it-is are inseparably merged. For example, like the inseparability of the sky and a rainbow. The good qualities and activity that manifest from that inseparability mature and liberate those to be trained.”
Technically, individuals, or accomplished Buddhas, have reached their goal, and could abandon the raft on which they crossed the ocean of suffering. They could throw away the ladder they used to climb to the Akaniṣṭha heaven, and live there happily ever after, but they are bodhisattvas and will continue to help others to cross the ocean and to climb the ladder in turn. To do so, they still need the raft and the ladder as is, the Ground, the Luminous Path, and the Luminous Result, until the whole of saṃsāra will have been emptied. This is, in theory, the project of all those engaging themselves in Vajrayāna or already engaged in Vajrayāna. Deity practice and associated practices are not optional. As Ratnākaraśānti said:
“(1) If one meditates on the mind alone, then one would only obtain mundane mental concentration (ting nge ’dzin, *samādhi) like the stage of the infinity of consciousness (rnam shes mtha’ yas skye mched, *vijñānānantyāyatana).

(2) Yet if one meditates on emptiness above all, that [result] too becomes only complete cessation, because of not perfecting the actions of purifying the Buddha qualities.
(3) Or, if one meditates on [the mind] only as having the nature of the deities, in this case, one does not even become awakened at all through that alone because the perfection of actions is incomplete.

(4) Or, if one meditates only on the true nature of what the deities stand for and not the deities, then in this case too, one would attain Buddhahood in many countless aeons but not quickly.

(5) Therefore, the meditation of both [the mind as deities and the true nature of the deities at the same time], because it is extremely pleasant to the mind and because it is a special kind of empowerment, causes one to obtain the highest perfect awakening very quickly.[8]
Buddhist deities may well not “really” exist, but what deities do? What would be the difference? The rafts and ladders that are maintained by every new generation are real enough. The ”Path” (“mechanical practice” BG12.12?) that is followed is real enough. As for the Result? The Ground basically remains an intimate mystical experience.

***


[1] E.g. Bhagavad-gītā 12.12: “Better than mechanical practice is knowledge; better than knowledge is meditation. Better than meditation is renunciation of the fruits of actions, for peace immediately follows such renunciation.” (śreyān dravyamayāt jñānam jñānāt dhyānam viśiṣyate
dhyānāt karmaphala-tyāgas tyāgāt śāntir anantaram)

Yogasūtras, Patanjali, I.23, "Or by surrender to Ishvara" (īśvarapranidhānād vā).

Where a personal god, īśvara, is merely a placeholder or a means to another end (mokṣa) than īśvara.

[2]From the awakening towards emptiness, a seed [syllable] arises. From it, an image [of a deity and so forth]. And for [such] an image there are projection and dissolution [phases]. Therefore, everything arises in dependence”. (MSP 4)
śūnyatābodhito bījaṃ bījādvimbaṃ prajāyate |
bimbe ca nyāsavinyāsau (sa)tasmāt sarvvaṃ pratītyajam ||

[3] VAJRAYOGINI, Her Visualizations, Rituals, & Forms A Study of the Cult of Vajrayogini in India" Elizabeth English, Wisdom Publications 2002

[4] Guhyadi-Astasiddhi-Sangraha, Padmavajrapada, Paperback, CIHTS, Sarnath, Varanasi, 1987

saptamaḥ paricchedaḥ
sukhaṃ dvīndriyajaṃ kecit tattvamāhurnarādhamāḥ । taccāpi mahāsukhaṃ naiva pravadanti jinottamāḥ ॥1॥
pratītyotpādasaṃbhūtaṃ na tattvaṃ jāyate kvacit । na tatsukhaṃ svabhāvena vidyate sarvadā yataḥ ॥2॥
sarvatāthāgataṃ jñānaṃ svasaṃvedyasvabhāvakam । sarvasaukhyāgrabhūtatvāt mahāsukhamiti smṛtam ।।3।।

dbang po gnyis byung bde ba ni//
de nyid yin zhes skye ngan smra//
de ni bde ba chen yin zhes//
rgyal ba mchog gis ma gsungs so//

rten cing 'brel 'byung las skyes pa//
gang du'ang de nyid shes mi 'grub//
gang phyir 'di de thams cad du//
ngo bo nyid kyis yod ma yin//

bde gshegs kun gyi ye shes ni//
rang nyid ngo bo nyid mkhyen pa'i//
bde ba kun gyi gtsor gyur pas//
bde ba chen po zhes bshad do//

[5] Instructions for Selected Disciples (Lkog chos), pp. 513-514: ngo sprad pa la gsum / rnam par mi rtog pa dang / rig pa gsal ba dang / nyams bde ba’o / / dang po ni / phyi yul la brten pa’i rnam rtog phra rags [514] dang / nang sems la brten pa’i kun rtog phra rags thams cad ’gags nas rnam par mi rtog pa la sems rtse gcig tu gnas pa’o / / rig pa gsal ba ni / dang po dbang po’i yul gsal ba la kun rtog gi ’dzin pa ma zhugs pa dang / phyi nas rang sems dang ba’i ngo bo gsal ba ngos bzung dang bral ba’i rig pa rang gsal ’dzin med la rtse gcig tu gnas pa’o / / bde ba ni snga ma’i nyams dang ldan pa’i dus na nyon mongs pa dang rtog pa’i zug rngu thams cad dang bral nas stong gsal gyi nyams pa dang ldan te / sdug bsngal dang btang snyoms kyi tshor ba ’gags nas rang byung zag pa med pa’i bde ba la rtse gcig tu gnas pa’o /.

[6] This ought to be concept (t. rtog pa) not realization (t. rtogs pa).

[7] Instructions for Selected Disciples (Lkog chos): [518.23] / ngo sprad pa la gsum / gnas pa gzhi’i zung ’jug dang / mtshon pa lam gyi [519] zung ’jug dang / grub pa ’bras bu’i zung ’jug go /.

Instructions for Selected Disciples (Lkog chos): [519.1] dang po ni / rtogs nas mngon du gyur pa’i sangs rgyas dang min / ma rtogs nas ’khrul ba’i sems can ma yin te / ’khor ’das kun gyi spyi sa gzhi dngos po’i gnas lugs ye nas lhun grub tu gnas pa’i gnas lugs la gsum / rang bzhin stong par gnas / [gegs bsal ba la gsum / bla ma’i sku la brnyas pa dang / dam pa’i chos spangs pa dang / mtshams med pa’i sdig byas pa dang gsum spang bar bya ste / ma skyes pa mi skye / skyes pa nyams par ’gyur ba’o / (“Dispelling hindrances has three, despising the body of the spiritual teacher, abandoning the holy Dharma, committing a heinous evil dead. These three should be eliminated, and that uncreated should not be created, and what has been created should degenerate.”] (The sentences in brackets seem out of place and have been removed from the translation.) / ngo bo gsal bar gnas / mtshan nyid dbyer med du gnas pa’o /.

Instructions for Selected Disciples (Lkog chos): [519.7-12] / de las dang po rang bzhin stong par gnas pa ni bshig pa dang bcol ba dang sbyangs pa’i stong pa ma yin te / ye nas rang bzhin gyis stong pa nyid du gnas te / dbyibs dang kha dog la sogs pa’i mtshan ma thams cad dang bral ba / nang na med pas ’dzin pa’i rtog pa ma yin pa / rig pa rang gi mdangs ma ’gags par gsal ba / nam mkha’ rnam par dag pa la nyi ma shar ba dang bar snang dag pa’i bser bu lta bur gnas so /.

Instructions for Selected Disciples (Lkog chos): [519.12] / mtshan nyid ni bsal ba dang stong pa dbyer med pa dung dang dung gi dkar po ltar du dbyer med rtog bral du ye nas gnas pa’o /.

[8] Daisy S. Y. Cheung, MadhyamakanisingTantric Yogācāra: The Reuse of Ratnākaraśānti’s Explanation of maṇḍala Visualisation in the Works of Śūnyasamādhivajra, Abhayākaragupta and Tsong Kha Pa, 2023

For comparison:

BG 12.6-7: “But those who dedicate all their actions to Me, regarding Me as the Supreme goal, worshiping Me and meditating on Me with exclusive devotion, O Parth, I swiftly deliver them from the ocean of birth and death, for their consciousness is united with Me

.

mardi 21 juillet 2020

L’insaisissable Advayavajra



Je reviens sur un aspect abordé par Christian K. Wedemeyer dans Making Sense of Tantric Buddhism (2014). Il s’appuie pour justifier sa théorie de « la Pratique » sur le manuscrit de Shamsher[1], où l’on trouve des données hagiographiques de Śavaripa (Triśarana) et d’Advayavajra/Maitrīgupta (Dāmodara). Probablement à cause de l’existence d’une version indique de ce texte, Wedemeyer, Lévi et d’autres pensent qu’il peut s’agir d’un document quasiment contemporain d’Advayavajra, et qui aurait servi de source aux hagiographes tibétains. Comme je l’ai écrit dans ma traduction du Sahajasiddhipaddhati, avec le commerce intense entre le Népal et le Tibet pendant la Renaissance tibétaine, il n’est pas exclu que ces textes aient pu être des commandes de la part des tibétains. Le contenu hagiographique du manuscrit comporte des éléments mythologiques qui pointent vers un révisionnisme plus tardif, dans l’intérêt justement d’une transmission authentique ininterrompue, qui s’accorde avec l’approche devenue orthodoxe au Tibet à partir du XIIIème siècle. Dans les matériaux hagiographiques correspondants, riches en détails, les protagonistes sont présentées sous une lumière mythologique tantrique indéniable.
« Un jour Nāgārjuna passa devant la maison et fut invité pour assister à une performance de danse. Nāgārjuna leur montra une icône du bodhisattva Ratnamāti. Un des enfants (Triśaraṇa / le futur Śavaripa) demanda à le voir aussi. Il y vit son propre reflet comme dans un miroir au plein milieu des flammes de l'enfer. Effrayé, Śavaripa demanda des instructions à Nāgārjuna qui lui donna la consécration de Saṃvara. Après avoir réalisé la cinquième phase (yugannadah[2]), Ratnamāti lui apparut et lui ordonna d’aller dans le Sud au Mont Śrī Parvata. » Blog Sur un thangka de mahasiddhas (XVIIIème) au British Museum
Triśaraṇa part au Mont Śrī Parvata dans le Sud (skt. dakṣiṇapathe).
« [Triśaraṇa] se retira pour ses pratiques au Manobhaṅga et au Cittaviśrāma, et là, prenant l'aspect d'un Śavara (aborigène chasseur), il s'installa en résidence. »
Il sera désormais connu sous le nom de Śavaripa etc. Pourquoi cet endroit ?
« C'est aussi la région de Nāgārjunikoṇḍa, un site bouddhiste très important avec des vestiges anciens de 30 viharas et où certains pensent qu'aurait vécu le grand Nāgārjuna. On y trouve un stūpa (Mahācaitya) qui contiendrait les reliques du bouddha historique. Certains textes plus tardifs affirment que c'est ici que se trouve le stūpa de Dhanyakataka, où le Bouddha enseigna les tantras, notamment le Kalacakra. C'est probablement le lieu du siddha Nāgārjuna (rattaché au Guhyasamaja Tantra) et de son disciple Nāgābodhi, un siddha immortel qui tout comme Śavaripa est dit y avoir pris résidence éternellement. » Blog Sri Parvata
Ce qui intéresse Wedemeyer dans la carrière d’Advayavajra est le fait qu’il soit de bonne naissance (brahmane), et qu’il avait suivi un parcours bouddhiste ésotérique traditionnel, avant de s’engager, en virtuose, dans « la Pratique ». A Vikramapura il était devenu un moine pleinement ordonné sous le nom de Maitrīgupta, dans l'école Sammatīya.
« ll pratiqua la récitation murmurée des Formules (mantrajapaṁ) selon la tradition de Pañcakrama-Tārā, et cela dix millions de fois, avec le sens des quatre sceaux (caturmudrārthasa hitena: mahā°, samaya°, dharma°, karma°). » Sylvain Lévi.
La présence ici d’une référence aux quatre sceaux (skt. caturmudrā), qui allaient devenir « plus tard », dans le cadre de la polémique sur la mahāmudrā un sujet très contesté, me paraît suspect. La pratique de (sādhana) de Vajrayoginī ou Vajra-Vārāhī est un autre élément qui demanderait davantage d’attention, avant de dater le texte.
« Va, c'est la compassion. Ja, c'est la vacuité. Ra, c'est l'un des deux : morphènes du dehors ou du passé qui n'ont pas la lettre ra. Le son hī, c'est la non-perception des causes (hetvanupalabdhi). Ainsi Vārāhī précédée de Vajra (Vajra Vārāhī), c'est la purification au Sens Ultime (paramārthaviśuddhiḥ). Le triangle, c'est la purification du corps, de la parole, de la pensée. Comme la cause et l'effet sont indivisibles, le triangle (exprime) l'égalité dharmodayā. » Sylvain Lévi
Il n’est pas du tout certain que cette pratique existait de l’époque d’Advayavajra (X-XIème s.). Il est encore moins certain que le texte du manuscrit de Sham Sher date effectivement de cette époque. Le Commentaire du Chant des Distiques de Saraha attribué à Advaya-Avadhūtipa enseigne une autre approche du « sens ultime » que celle qui le rejoint à travers une pratique (skt. sādhana), voire même « la Pratique ».

Par phu pa Blo gros seng ge, le fondateur du monastère de Par phu, appartient à la lignée de Drushulwa (gru shul ba), disciple de Ngari Djoden (mnga’ ris jo gdan XI-XIIème s.), qui aurait reçu une des transmissions de la trilogie des Distiques ayant passées par Réchungpa. Cette transmission spécifique fut appelée « transmission Par » (tib. par lugs).[3] Il ressort des textes présentés par Marco Passavanti que l’approche Par (ou « les Trilogistes » de manière générale) cherche à allier la voie tantrique non-duelle de la pratique/ « la Pratique » (skt. upāyamārga) et la voie plus mystique de la connaissance directe (prajñāpāramitā+), là où l’approche du Chant des distiques de Saraha (skt. Dohākoṣahṛdayārthagītāṭīkā, Do ha mdzod kyi snying po don gi glu'i 'grel pa D2268, P3120) propose une voie plus directe, qui est possible sans passer par le tantrisme non-duel.

En projetant rétroactivement cette approche sur le Chant des distiques, et en interprétant celui-ci selon cette double approche, son message originel change radicalement et devient entièrement tantrique. On peut déceler des éléments de cette interprétation trilogiste dans les matériaux hagiographiques (Sham Sher) présentés par Tucci et Lévi.


Le schéma (ci-dessus) publié par Passavanti donne une bonne première impression, qui devra être complétée par des recherches plus approfondies. Ce schéma montre bien ce que cherche à accomplir le message hagiographique et les idées qu’il essaie d’implanter. Cela explique par exemple l’utilité de la mention des deux sommets du Mont Śrī Parvata, et la présence de l’énigmatique bodhisattva Ratnamāti[4], qui assure l’apport de l’approche tantrique non-duelle. Une hypothèse très prudente, pour laquelle on ne peut avancer beaucoup de preuves, lesquelles consisteraient plutôt en des brèches dans les remparts hagiographiques. La preuve la plus claire étant de toute façon l’existence (la survie) un peu miraculeuse du Commentaire d'Advaya-Avadhūtipa, qui déteint[5].

Puisque ce texte existe, qu'il est attribué à Advaya-Avadhūtipa, et que les recommandations de celui-ci ne vont pas du tout dans le sens d'une Pratique transgressive tantriste non-duelle, il nous est permis de mettre en doute les informations de l'hagiographie d'Advayavajra présentées dans le manuscrit de Sham Sher. Dans le Commentaire, Advaya-Avadhūtipa (ou l'auteur) dit expliquer le sens du Chant de distiques de Saraha, qu'il aurait appris de Śavaripa (sans préciser l'endroit ni la façon de la transmission). Le Commentaire représenterait la Vision de Śavaripa. Tout ce qui se trouve dans la colonne de gauche du schéma de Passavanti ne fait pas partie de cette Vision. Le Commentaire est néanmoins en dialogue continu avec l'approche de la voie tantrique non-duelle, et se définie contre lui (les nombreuses interjections de Saraha : "Saraha dit", ou "Asservis !" "Naïfs !" etc.) ou la réinterprète à sa façon.

Je ne reconnais donc pas l'Advayavajra, bouddhiste professionnel virtuose de la caste de brahmanes, qui s'engage dans la Pratique transgressive du tantrisme non-duel sous la direction de Śavaripa dans le Sud de l'Inde. Je ne sais pas si ces informations hagiographiques viennent d'Advayavajra lui-même, de ses disciples ou qu'elles sont une pure invention de la part de hagiographes népalo-tibétains, un ou plusieurs siècles plus tard. De toute façon, ces informations cadrent mal avec le message du Commentaire. Il faudra expliquer ce décalage, dans un sens ou dans l'autre.
  
***

[1] Basé sur le nom du ministre népalais (Kaiser Shamsher Jang Bahadur Rana 1892-1964) responsable des manuscrits découverts. Giuseppe Tucci (« Animadversiones Indicae ») et Sylvain Lévi (« Un nouveau document ») l’ont fait connaître en premier.

[2] La dernière phase des cinq phases (pañcakrama) est celle de l’union (skt. yuganaddha, tib. zung ‘jug), où le corps illusoire s’unit à la Luminosité.

[3] Voir : Marco Passavanti, A Thirteenth-Century Work on the Doha Lineage of Saraha, dans Contributions to Tibetan Buddhist Literature, IITBS. Dans cet article, sont présentés quelques manuscrits du fonds tibétain Tucci dans la bibliothèque d’ISIAO à Rome.

[4] Ratnamāti a été intégré dans l’hommage au début du Commentaire d’Advaya-Avadhūtipa, qui peut-être un rajout, puisque le contenu du Commentaire ne fait pas référence à un apport tantrique non-duel de Ratnamāti.

[5] Il n’a par exemple pas été inclus dans la Collection de textes canoniques indiens (tib. (phyag chen rgya gzhung) du septième Karmapa.

jeudi 20 février 2020

Le non-fondement est la mahāmudrā*

Blog publié sur le site Saraha chante.

Mañjuśrī coupant les lianes des imaginations fausses pour libérer la Belle au bois dormant 

La vue philosophique à laquelle semble adhérer Advayavajra est celle que l’on pourrait appeler “Apratiṣṭhāna-Madhyamaka” (tib. dbu ma rab tu mi gnas pa). Il existe une oeuvre portant le titre “Apratiṣṭhānaprakāśa” (tib. rab tu mi gnas pa gsal ba) et qui fait partie des 22 oeuvres (parfois assez scolastiques) de lAdvayavajrasaṁgraha publié par Haprasad Shastri, aussi connues sous le nom “Amanasikāra” (tib. yid la mi byed pa’i skor). Elles sont toutes attribuées à Advayavajra. Il y a d’autres nombreuses références à cette vue dans les oeuvres attribuées à Advayavajra et à ses étudiants.

Dans l’Apratiṣṭhānaprakāśa, Advayavajra explique que le non-fondement de la conscience peut être considéré comme l’entier patrimoine d’un bouddhiste, lorsqu’en le réintégrant sans effort on fasse le bien des êtres. Quand celui-ci se produit à travers l’exclusion et l’affirmation, on se fonde sur les notions d’existence et de non-existence. Avec la non-production et la non-destruction à tout instant, la production et la destruction sont des expressions futiles[1]. Mais cette vue va jusqu’à ne pas affirmer (l’existence) d’un être ou des êtres.
Si l’expérience de soi (tib. rang rig) est une cognition valide, cette expérience affirmerait [l’existence] des êtres. En s'abstenant de toutes les apparences, les êtres n’ont pas de réalité.”[2]
Comment faire le bien des êtres en s’abstenant de toutes les apparences ? C’est un sujet débattu en long et en large par les bouddhistes Indo-Tibétains, et qui fait intervenir diverses vues philosophiques, qu’Advayavajra tenta de réfuter ou affirmer dans les oeuvres qui lui sont attribuées. La vue Apratiṣṭhāna-Madhyamaka était assez répandue au X-XIIème siècle.

Il faut préciser ici que ceux qui traitent la vacuité comme une sorte de néant inerte, ou un nihilisme comprennent mal ce concept. La même chose vaut pour ceux qui veulent faire de la vacuité une autre vue sur laquelle se fonder (Nāgārjuna, MMK, 13,8[3]). Dans le bouddhisme, les vues ne peuvent être que des positions provisoires. “La vacuité” ne détruit que les “filets d’imaginations fausses”. Dans le bouddhisme “détruire” c’est s’abstenir de créer les causes des productions douloureuses, ne pas s’engager dans les filets d’imaginations fausses. Chandrakirti :
"La vacuité est enseignée en vue d'éliminer toute élaboration (S. prapañca). Aussi l'objectif de la vacuité est la cessation de toute élaboration (prapañca). [En réponse à ceux qui reprochent la vacuité d’être une vue nihiliste : ] Vous qui interprétez la vacuité comme néant (S. nāstitva) et qui en ce faisant continuez la toile des élaborations [spros pa'i drwa ba], ne connaissez pas l'objectif de la vacuité. Comment pourrait-il y avoir du néant dans la vacuité, qui est essentiellement la cessation de toute élaboration ? Ce que signifie la production conditionnée (S. pratītya-samutpāda) la vacuité signifie aussi. Mais ce que signifie le non-être (S. abhāva), la vacuité ne signifie pas."[4]
La “vacuité” n’a pas non plus besoin d’être associée à la “luminosité”, à la “félicité” ou à une “gnose” (jñāna), comme si ces expériences lui feraient défaut et qu’ “elle” serait incomplète sans celles-ci. Comme s’il y avait besoin de “quelque chose”[5] d’extérieure à elle (et qui ne serait pas “elle”) pour la connaître. Le terme clé ici est prapañca (ou vikalpa), souvent traduit par “élaboration”, “imagination fausse”, “idées discursives”, “vues”, “opinions”, “spéculations”, etc. Dans les textes pāli, on retrouve aussi les expressions “filets de plantes rampantes” ou “bosquets épais” de l’ignorance[6], à trancher avec l’épée de la sagesse.
"Je voy les philosophes Pyrrhoniens qui ne peuvent exprimer leur generale conception en aucune maniere de parler : car il leur faudroit un nouveau langage. Le nostre est tout formé de propositions affirmatives, qui leur sont du tout ennemies…"
Montaigne, Apologie de Raymond de Sebonde
Nous n’avons pas de nouveau langage, donc il faudrait faire avec l’ancien, en prenant des précautions. En tranchant les “bosquets épais”, la vacuité “nue”, ou le dharmadhātu “purifié” se révèlent “tels quels”. Au fond, rien ne change. La “vacuité” et “l’élément réel”, le dharmadhātu, sont “les mêmes”. Comme les apratiṣṭhānavādins ne prennent pas position et ne se fondent sur rien, ils ne réifient ni la vacuité, ni l’élément réel, ni l’expérience de celui-ci. Tout en pratiquant les tantras, ils ne parlent donc pas trop d’une gnose autogénérée, d’une sagesse auto-émergente (rang byung ye shes), ni de deux, trois, quatre ou cinq sagesses etc. et ne s'investissent pas dans des spéculations à leur sujet.

Dans Rong-zompa’s Discourses on Buddhology, Orna Almogi écrit fait un recensement de maîtres indiens et tibétains, connus pour avoir suivi la même vue que Rongzompa, c’est-à-dire la vue “Apratiṣṭhāna-Madhyamaka”. Rongzompa en avait cité deux, à savoir Madhyamaka-Siṃha (11ème siècle), considéré comme un disciple d’Atiśa, et Mañjuśrīmitra (T. 'jam dpal bshes gnyen)[7]. A ces deux, Almogi ajoute Atiśa, Candraharipāda (10-11ème siècle), un Bhavya tardif qui n’est pas le Bhāviveka du 6ème siècle et Gampopa. On peut ajouter Maitrīpa[8] à cette liste. Dans l’Histoire de l’école Kadampa (T. bka’ gdams chos ‘byung)[9], Kunga Gyeltsen considère Atiśa comme un adepte de la vue apratiṣṭhānavāda, ce qui semble en effet être le cas[10].

Cette vue peut expliquer pourquoi les auteurs de cette époque (X-XIIème) aient pu favoriser lavoie de la connaissance, plutôt que les voies de transmutation (sgyur lam), haṭhayoguiques, gnostiques, ou visionnaires (snying thig) des tantras. Dans le Commentaire, Advaya-Avadhūtipa prend très clairement partie pour la voie de la connaissance, tout en critiquant les méthodes “tantriques” (pas nommément) comme ne donnant pas accès au Naturel, en écho au Sahajasiddhipaddhati.

C’est la voie tantrique ou des vidyādhara qui a eu la préférence du bouddhisme tibétain, et les maîtres ultérieurs n’ont eu de cesse de sauver ces maîtres anciens de leur relative “incomplétude”, par le biais de hagiographies, dapocryphes et de pseudépigraphes, de ré-interprétations, etc. Ainsi, Mipham Gyatso (T. mi pham rgya mtsho 1846-1912) est venu à la rescousse de Rongzompa en affirmant dans un catalogue des œuvres complètes de Rongzompa[11] que cette vue lui avait été attribuée à tort. Mipham explique que ce que voulait dire Rongzompa était que seule la gnose développée au niveau du chemin n’existait pas au niveau d’un Bouddha, et qu’il n’était pas question de la non existence de la gnose naturellement présente (T. rang byung ye shes).

Il faudrait donc essayer de lire les oeuvres des maîtres connus pour être des apratiṣṭhānavādins par les lunettes de l’ “Apratiṣṭhāna-Madhyamaka” et comme une “voie de la connaissance”, plutôt que par d’autres vues ou comme une voie tantrique à interpréter comme toute autre voie tantrique.

Une dernière chose sur la notion de l’ “autoconsécration” ou “autobénédiction” dans l’Apologie du non-engagement (Amanasikārādhāra), que Klaus-Dieter Mathes traduit par “A Justification of Non-conceptual Realization”. Ce texte comporte plusieurs définitions, justifications et interprétations du terme “non-engagement mental” (amanasikāra). Une des définitions explique que la syllabe “A” correspond à l’adjectif lumineux ou clair (prabhāsvara), et “manasikāra” au terme sanskrit “svādhiṣṭhāna”, traduit en tibétain par “bdag la byin gyis brlab pa”.

Dans le contexte bouddhiste ésotérique, “l’autoconsécration” est une des phases de la réalisation d’une divinité tantrique. Ainsi, l’autoconsécration est une des phases (krama) du Guhyasamāja Tantra (ch. 6 du Caryāmelāpakapradīpa). Elle est aussi appelée phase de la vérité conventionnelle et correspond à la concentration semblable à une illusion (māyopama-samādhi)[12]. Elle est encore un synonyme du corps illusoire. La dernière phase des cinq phases (pañcakrama) est celle de l’union (skt. yuganaddha, tib. zung ‘jug), où le corps illusoire s’unit à la Luminosité. Ce à quoi semble vouloir référer cette interprétation.

Le terme “lumineux” peut renvoyer à un sens de la Luminosité/Claire lumière. Toujours selon le Guhyasamāja Tantra, il y a une Luminosité objective, qui correspond à la vacuité, et une Luminosité subjective qui établit la vacuité par le biais d’une image conceptuelle (Luminosité métaphorique), ou bien directement (Luminosité propre)[13]. Cette division a pour effet de créer un pôle vacuité-objet, qui serait différent de la Luminosité subjective qui connaît la vacuité, et qui serait une gnose. Le clivage de la vacuité et le fondement d'une gnose (ouverte à toutes les spéculations) fait sortir de l'approche plutôt mystique du non-fondement pour se lancer dans des aventures gnostiques. Voir aussi mon blog Le sixième, en plus des cinq pour un développement similaire (l'ajout d'un sixième, support des cinq skandha).   

C’est à partir de la "lumineuse" explication de l’Amanasikārādhāra que Klaus-Dieter Mathes a créé la traduction “Non-conceptual Realization”[13a]. La traduction “réalisation” suggère qu’il y a quelque chose à réaliser, probablement à travers “l’autoconsécration” et les autres phases (krama), mais de façon non-conceptuelle. En ce qui me concerne, cela semble en contradiction avec les notions du Naturel (sahaja), de non-méthode, de méditation naturelle etc., dont parle le Commentaire. Cette traduction va plutôt dans le sens de la Mahāmudrā post-classique. Elle recouvre une des interprétations (tantriques) possibles du terme amanasikāra, mais ce serait une erreur de l'utiliser partout où ce terme est utilisé. Ce mélange ("a perfect blend") n'est pas si parfait à mon avis. Mais je suis plutôt un apratiṣṭhānavādin...

Je vois le rôle de l’Amanasikārādhāra en effet plutôt comme une justification qu’une véritable explication. Il y a un indéniable effet de “name-dropping” tantrique dans ce texte (Hevajra, Nairatmyā, Luminosité/corps illusoire, ...)[14], qui a sans doute pour but de rassurer ceux pour qui la pratique des Yogatantras supérieurs est nécessaire à l'Éveil[15]. Le Commentaire nous fait voir un Advaya Avadhūtipa nettement moins défensif (de son propre système), et critiquant jusqu’aux pratiques des Yogatantras supérieurs.


*Titre : citation du Sekanirdeśa attribué à Advayavajra. (SN 29) kun la gnas pa ma yin la// phyag rgya che zhes grags pa yin// En anglais, on voit le plus souvent la traduction “non-abiding”. En français, on pourrait traduire par non-demeure, non-fondement, non-assise. L’idée de base est de ne pas s’appuyer sur un des extrêmes (être, non-être etc.), de ne pas s’y installer, investir etc.


Lire aussi Le rab tu mi gnas pa’i rgyud, un tantra introuvable ?


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[1] Littéralement des bruits de victimes sacrificielles (paśor vacaḥ). Dans le Chant des distiques, l’insulte “asservi” revient régulièrement. Des concepts avec lesquels on se fait du mal inutilement.

[2] gal te rang rig tshad ma na// rig de sems can ‘dod pa yin// snang ba thams cad spangs pa’i phyir// sems can bden pa ma yin no// Voir DKG n° 35 et le Commentaire.

[3] “13, 8. Les Victorieux ont proclamé que la vacuité est le fait d'échapper à tous les points de vue. Quant à ceux qui font de la vacuité un point de vue, ils les ont déclaré incurable.” Guy Buguault, Stances du milieu par excellence, p. 173

[4] INTRODUCTION TO THE MIDDLE WAY: Chantrakirti's Madhyakāvatāra, 24.7, p. 491/ Chatterjee p. 336 Ce passage semble correspondre plutôt au Mūlamadhyamakavṛtti-Prasannapadā (tib. dbu ma rtsa ba'i 'grel pa tshig gsal ba Toh 3860), et plus précisément le passage où Candrakīrti réfute la reproche que la vacuité des Madhyamika est comme le néant des nihilistes (S. nāstika tib. med pa pa).
’dir kha cig dbu ma pa ni med pa pa dah khyad par med pa yin te / gah gi phyir dge ba dan mi dge ba’i las dah / byed pa po dah / ’bras bu dah (N. 132 B) / ’jig rten thams cad rah bzin gyis ston par smra ba yin la / med pa pa 2) dag kyan de dag med do zes Smra bar byed pa yin pa de’i phyir / dbu ma pa ni med pa pa dah khyad par med do zes bya bar byed do // de Itar ni ma yin te / dbu ma pa dag ni rten cin 'brel par 'byuh ba smra ba yin la / rten cin 'brel par 'byuh ba'i phyir ’jig rten 'di daii / Jjig rten pha roi la sogs pa thams cad ran bzin med par smra bar byed do // med pa pa dag gis ni de ltar rten cin 'brel par 'byun ba yin pa'i phyir / ran bzin gyis (P. 135 A) ston pa nid kyi sgo nas 'jig rten pha roi la sogs pa dnos po med par rtogs pa ma yin te / '0 na ci ze na / 'jig rten 'di'i dnos po’i rnam pa ran bzin gyis dmigs na de 'jig rten pha roi nas 'dir 'oh ba dan / 'jig •rten 'di nas 'jig rten pha roi tu 'gro bar ma mthoh nas 'jig rten 'dir dmigs pa'i dnos po dan 'dra ba'i dnos po gzan la skur pa 'debs par byed pa yin no // [tr. p. 25 1. 24] JAN WILLEM DE JONG ] CINQ CHAPITRES DE LA PRASANNAPADA 1949 ( Chapitre XVIII , XIX, XX, XXI, XXII )
MKV, 24.7, p. 491/ Chatterji p. 336

[5] Le tathāgatagarbha est, selon Śrīmālādevī dans le Ratnakūṭa, “le Dharmakāya non-débarrassé des kleśa”.

[6] “"Vaccha, the position that 'the cosmos is eternal' is a thicket of views, a wilderness of views, a contortion of views, a writhing of views, a fetter of views. It is accompanied by suffering, distress, despair, & fever, and it does not lead to disenchantment, dispassion, cessation; to calm, direct knowledge, full Awakening, Unbinding.
MN 72 Aggi-Vacchagotta Sutta: To Vacchagotta on Fire, translated from the Pali by Thanissaro Bhikkhu

[7] Mañjuśrīmitra est considéré être un maître indien du Dzogchen, disciple de Garab Dordjé (T. dga’ rab rdo rje) de la tradition Dzogchen. Dates inconnues.

[8] Auteur de Léclaircissement de labsence totale de fondation (T. rab tu mi gnas pa gsal bar ston pa) D 2235

[9] Œuvre de Las chen kun dga’ rgyal mtshan (1432-1506)

[10] Je le soupçonne dêtre lauteur de lHymne au dharmadhātu attribué à Nāgārjuna.

[11] Rong zom gsung ‘bum dkar chag me tog phreng ba

[12] Naked Seeing: The Great Perfection, the Wheel of Time, and Visionary Buddhism In Renaissance Tibet, Christopher Hatchell.

[13] Paths and Grounds of Guhyasamaja According to Arya Nagarjuna, Yangchen Gawai Lodoe, p. 79

[13a] “This goal is achieved by “withdrawing one’s attention” (amanasikāra) from anything that involves the duality of a perceived and perceiver. The result is a “luminous self-empowerment,” Maitrīpa’s (986-1063)2 final tantric analysis of amanasikāra. In an attempt to reflect these two meanings, I translate amanasikāra as “non-conceptual realization,” but leave the term untranslated when it is not certain, whether this double meaning is clearly intended. Maitrīpa composed the amanasikāra cycle after returning from Śavaripa to a monastic milieu of late Indian Mahāyāna Buddhism. He thus considerably contributed to the integration of the new teachings and practices of the Mahāsiddhas into mainstream Buddhism.3 These texts of Maitrīpa are, together with Nāropa’s (956-1040)4 teachings, the main doctrinal source of the bKa’ brgyud lineages.“ (Perfect Blend)

[14] Voir p.e.Tāranātha (1575–1634) dans le dka’ babs bdun ldan (The Seven Instruction Lineages), traduit par David Templeman.

It is said that this ācārya, who lived in Mādhyadeśa, was in Samādhi, but there were some who did not believe in him. He explained to them extensively about the main sources on the essence of the practices. People would say, "These are not the thoughts of the tantras," and he would substantiate his upadeśas with quotations, mainly from the Hevajra and Guhyasamāja tantras. He was asked from whom did he obtain these teachings, and the Tibetans claim he said, “I, the powerful one, invented this teaching. I teach out of my experiences in a hermitage.

[15] Un des chapitres de Paths and Grounds of Guhyasamaja s’intitule “The Need of Highest Yoga Tantra for Enlightenment”, p. 15 Ce chapitre explique que le véhicule des Perfections permet de progresser jusqu’à la dixième bhūmi en une seule vie, mais que pour arriver au plein Eveil, il faudrait passer par les Yogatantras supérieurs.