vendredi 29 novembre 2019

La magie coproductionnelle


Le traité sur l’astrologie et la magie astrale du néoplatonicien Al-Kindi se base sur la théorie de la sympathie universelle, ou harmonie (céleste). Al-Kindi, musulman, a une conception de la magie, qui s’approche plutôt de la “magie naturelle”[1], permettant aux hommes de connaître les vertus occultes des choses sans l’intermédiaire de daimons. S’adresser aux planètes comme des dieux, ou aux étoiles comme des daimons pourrait passer pour de l’idolâtrie.

Dans ce système “magique naturelle” de la sympathie universelle, ce n’est plus la volonté (faveur ou défaveur, suite aux sacrifices ou défaut de ceux-ci) des dieux et des daimons qui détermine les effets de la magie astrale, mais la bonne connaissance du “rayonnement” des planètes et des étoiles et la pratique conforme de la magie astrale. On voit bien que la structure et le fonctionnement anciens du système théurgique restent en place, mais on ne s’adresse plus aux dieux ni aux daimons. On les ignore, pour se concentrer sur les “lois” qui régissent la sympathie universelle, y compris les dieux et les daimons. Hormis cela, la magie et les rituels restent sensiblement les mêmes.

L’élément magique de base est évidemment ce “rayonnement”, visible ou invisible, mais efficace. C’est une substance active capable de mouvoir. Dans le système d’Al-Kindi, la magie astrale des néoplatoniciens polythéistes (théurgie) a dû se purger des dieux et daimons, ou plutôt on ne tient plus compte de leurs éventuelles volontés. Dieu est le premier moteur (la cause première), mais sa transcendance absolue l’empêche d’être directement impliqué dans “la machine du monde” et les lois qui la régissent.

Dans le bouddhisme primitif, on trouve une attitude similaire. On pourrait comparer la sympathie universelle à la production conditionnée (s. pratītyasamutpāda) du bouddhisme. C’est une “machine” qui tourne toute seule, sans l’intervention d’un Dieu ou d’un Bouddha. Pour expliquer le fonctionnement de la production conditionnée, le Bouddha n’a pas besoin des dieux et des daimons (qui font cependant partie des 5/6 mondes), eux-mêmes régis par la production conditionnée, et subissant celle-ci. Dans le bouddhisme tel qu’il a évolué, des rôles plus importants ont été attribués aux dieux et daimons, et les bouddhistes n’ont pas manqué de s’adresser à eux, à toutes fins utiles, dans une approche “magique antique”. Il y avait une sorte de cohabitation entre un bouddhisme philosophique et logique et d’une magie astrale à l’ancienne. Dans certaines formes de bouddhisme, cette magie astrale a même pris le dessus. Dans le cas du Bouddha et d’Al-Kindi, il y a une certaine émancipation des dieux et daimons, et un éloignement de la “magie antique”. La même chose vaut pour l’église catholique à partir du XIIIème siècle, et le protestantisme plus tard.

Dans le système de la production conditionnée bouddhiste, ce n’est pas le rayonnement qui est l’élément fondamental du système, mais le “karma”, officiellement “cause et effet”. Dans le concept de karma, les causes et les effets sont réifiés. Selon les théories de karma, celui-ci peut être quasi substantiel, à la façon des rayons stellaires. Au lieu des rayons stellaires, ce sont les “rayons” karmiques qui déterminent ce qui arrive dans le monde et qui ont un “effet moteur”. Les causes et les effets peuvent sembler “latents” pendant de longues périodes, pour devenir opérationnels au moment opportun. Du moins aux yeux de ceux-ci qui n’en connaissent pas tous les tenants et aboutissants. A trop vouloir savoir comment fonctionne le karma exactement, on deviendrait fou aurait dit le Bouddha. Autrement dit, il vaut mieux ne pas trop creuser ce concept. Juste ce qu’il faut, pour bien se comporter.

Celui qui connaît l’astrologie et la magie astrale est appelé un “sage” par Al-Kindi.
“2. Mais si quelqu'un pouvait connaître toutes les choses, celui-là aurait observé leur causalité réciproque. Il saurait donc que toutes les choses qui arrivent et sont produites dans le monde des éléments sont causées par l'harmonie céleste, et de cela il déduirait que les choses de ce monde, qui sont en rapport avec cette harmonie, surviennent nécessairement. Les sages ont en effet clairement remarqué cela en de nombreuses occasions, et c'est pourquoi la raison humaine juge qu'il en va de même pour l'ensemble des autres cas.” (De radiis d'Al-Kindi, trad. Didier Ottaviani, éd. Allia)
Tout comme la magie astrale permet de changer ce qui arrive dans le monde, en influant l’harmonie céleste de la sympathie universelle, les bouddhistes peuvent par leurs actes (karma) “influer” la production conditionnée, en ce que celle-ci détermine ce qui nous arrivera à titre individuel. Les actes ont donc une magie “coproductionnelle” (“effet moteur”) qui leur est propre. Ceux qui connaissent la “loi du karma”, y compris ses astuces, et qui les appliquent conformément sont des “sages”. Les astuces, ce sont par exemple les actes (particulièrement) positifs, faits à des jours fastes, près d’une personne sainte, d’un monument ou autre support saint ou consacré, etc. Il y a des facteurs qui multiplient la force karmique des actes. Comme par exemple les jours commémorant les douze actes du Bouddha (le chiffre n’est pas anodin d’ailleurs), ou dans les formes ésotériques du bouddhisme des jours fastes, en fonction de “l’harmonie céleste” justement. Dans les formes ésotériques du bouddhisme, la production conditionnée et l’harmonie céleste semblent presque faire un…

Cela se retrouve même dans la terminologie. Dans le bouddhisme tibétain, le mot production conditionnée (s. pratītyasamutpāda) se dit “rten cing 'brel bar 'byung ba”, abrégé en “rten 'brel”. Ce terme abrégé est utilisé aussi pour traduire enchaînement causal (s. nidāna), dans les douze nidānas, et par extension un lien, une connexion. Il peut prendre un sens magique, assez conforme à la sympathie universelle d’un Al-Kindi. Toutes les “astuces” de la loi du karma, sont comme des “exercices d’imagination” qui font appel au pouvoir de l’imagination créatrice. Les “tendrel” dans le sens de lien et connexion veulent créer des “effets moteurs” qui feront en sorte de créer les bonnes conditions pour que les choses souhaitées arrivent dans le futur. Comme si on plantait des graines dans l’harmonie céleste ou dans la production conditionnée. la magie astrale fera en sorte que ces graines se développent, mûrissent et apporteront les fruits souhaités. Ce n’est pas uniquement une magie astrale (jours fastes etc.), mais aussi une magie coproductionnelle où le karma remplace le rayonnement.

Pour rappel, les 6 facteurs de la magie astrale/l’imagination créatrice :
1. le désir
2. l’image mentale
3. la certitude de l’effet futur
4. l’expression verbale
5. l’opération manuelle
6. jour faste


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[1]Cette idée s’impose à partir du moment où l’on pense pouvoir donner une explication naturelle, presque scientifique, des phénomènes que l’on croyait jusqu’alors être l’œuvre de démons qui auraient été les seuls connaisseurs des secrets de la nature. La magie naturelle admet que les hommes peuvent, eux aussi, connaître les vertus occultes des choses. L’aide des démons n’est pas nécessaire pour utiliser les virtualités secrètes, cachées dans le sein de la nature.” ( Le voile dIsis, Hadot, p. 122-123)

mercredi 27 novembre 2019

La sympathie universelle est elle sympa ?



Une des thèses principales du néoplatonicien Al-Kindi (801-873) est celle de la sympathie universelle ou de l’harmonie céleste ou universelle. L’harmonie totale des étoiles, qui ont chacune leurs propriétés par lesquelles elles influencent tout ce qui se passe dans les composants d’éléments en-dessous, à travers leurs rayonnement. L’auteur de De Radiis est musulman, son Dieu est absolument transcendant, ce qui permet au “philosophe des Arabes” de se vouer pleinement à la Nature et de tenter d’expliquer la marche de l’univers de façon philosophique spiritualiste.
L'harmonie qui unit tous les êtres [...] se manifeste par le rayonnement réciproque des astres et des corps élémentaires; elle règle le cours naturel des choses, mais donne aussi la possibilité d'accomplir des opérations magiques.” (article De radiis)
Les corps élémentaires sont tous les corps constitués des quatre éléments (eau, air, terre, feu). Au moment de la rédaction du texte, sept planètes étaient connues, hormis le soleil et la lune. Ces neuf corps célestes sont considérés comme les dieux principaux de l’harmonie céleste, chacun ayant son domaine de spécialité. Des facteurs divers règlent le rayonnement des astres : leur mouvement, la force de rayonnement (plus grande dans le cas d’une conjonction d’astres), l’angle de rayonnement, le lieu, le moment, etc. leur influence sur les corps élémentaires recevant le rayonnement est également en fonction de divers facteurs (forme, couleur, matière, lieu, moment, etc.). La totalité de l’harmonie céleste est à tout moment en parfait équilibre, chaque déséquilibre étant aussitôt compensé par un réajustement. La “magie astrale” permet de petites modifications dans cet équilibre/harmonie et ainsi d’avoir de l’influence sur “ce qui arrive”. Nous avons à faire à un déterminisme flexible.

Il y a le monde sidéral en haut et le monde élémentaire en bas. On trouve un modèle similaire dans le Mahāvairocana tantra avec son maṇḍala de la Foudre (vajra) et son maṇḍala de la Matrice (garbha). Le monde élémentaire est une image du monde sidéral, et de ce fait il peut également émettre des rayons en tant qu’image. Ce rayonnement va dans toutes les directions et remplit le monde. Le monde comprend l’ensemble des rayonnements, sidéraux et élémentaires.
Il ne peut exister au même moment, dans le monde, deux choses exactement semblables. S’il était donné à un homme de connaître toute la « condition » de l’harmonie céleste, il connaîtrait pleinement le monde des éléments et tout ce qu’il contient en tous lieux et en tous temps, c’est-à-dire qu’il connaîtrait le causé grâce à la connaissance de la cause ; réciproquement, si l’on pouvait connaître une chose de ce monde dans toute sa « condition », l’on découvrirait la constitution de l’harmonie céleste, c’est-à-dire la cause, à partir du causé. Car la plus humble chose dans le monde élémentaire est un effet de toute l’harmonie céleste.” (article De radiis)
L’ “omniscience” est donc possible à travers “la plus humble chose dans le monde élémentaire” grâce à la sympathie universelle. Le “petit monde” (microcosme, corps humain) permet la connaissance du “grand monde” (macrocosme) et vice versa. L’influence s'exerce aussi à distance. L’aimant (magnet) ne permet-il pas d’attirer le fer, et un miroir ne peut-il pas refléter ce qui est loin et ainsi le “rapprocher” ? A cause de cette influence, une causalité réciproque est possible.

Généralement, ce qui arrive dans le monde des éléments est causé par l’harmonie céleste. Pour Al-Kindi, ceux qui parlent de la contingence des choses n’ont simplement pas accès à toutes les connaissances et ne savent pas que les choses arrivent par nécessité (déterminisme). Le sage est celui qui à la connaissance du rayonnement des étoiles, de ses effets moteurs, et de la magie astrale. Les hommes ordinaires adaptent leurs désirs à ce qui est possible. S’ils ne croient pas que quelque chose est possible, ils ne la désirent pas. Les sages savent l’effet que peuvent avoir le désir et la volonté, et ne se laissent pas limiter par ce qui est “possible”. Ici, Al-Kindi semble être un précurseur de la pensée positive et de l'imagination créatrice des théosophes.
En effet, l'homme qui veut réaliser quelque chose imagine tout d'abord la forme de la chose qu'il veut imprimer par son action dans une certaine matière ; une fois l'image de la chose conçue, selon qu'il a jugé cette chose utile ou inutile pour lui, il la désire dans son âme ou la rejette. Par conséquent, s'il a jugé que cette chose était digne de son désir, il désire les accidents grâce auxquels cette chose peut venir à l'acte, selon l'opinion qu'il s'en est faite.

A cause de cela. l'esprit imaginatif a des rayons conformes à ceux du monde, et de la provient par conséquent son pouvoir de mettre en mouvement par ses propres rayons les choses extérieures, comme le fait le monde lui-même - supérieur ou inférieur - qui, grâce à ses rayons, meut les choses de mouvements variés. 6. De plus, quand l'homme conçoit par l'imagination une chose corporelle, cette chose reçoit une existence actuelle selon l'espèce dans l'esprit imaginatif. D'où il s'ensuit que l'esprit lui-même émet des rayons qui meuvent les choses extérieures, comme la chose dont il est l'image. L'image conçue dans l’esprit concorde donc en espèce avec la chose produite en acte sur son modèle, par une opération volontaire, naturelle, ou les deux à la fois.” (Livre De radiis).
En ce qui concerne la magie astrale, Al-Kindi explique que l’image mentale et réelle se suivent parce qu’elles sont de la même espèce (sympathie universelle). Il faut cependant ajouter le désir (2) à l’image mentale (1), ainsi que la certitude de l’effet futur (3). Pour l’instant, cela reste limité au domaine psychique. Il faut encore y joindre la parole (mantra) (4) et le geste (mudrā) (5) : le langage parlé et l’opération manuelle (p.40).

En fonction de ce qu’on veut faire arriver, il faudrait choisir des jours où le rayonnement de telle planète ou de telle constellation a le plus d’effet pour donner force au “rituel”, et pour qu’il réussisse (siddhi). Al-Kindi entre en détail pour expliquer la puissance des mots et leurs modalités, c’est le chapitre le plus long du livre. prières, supplications, adjurations, malédictions, conjurations, litanies de noms. Toute ressemblance avec l’approche du véhicule des mantras n’est sans doute pas fortuite.

Les quatre derniers chapitres traitent des “figures” (yantra ?), “des symboles tracés avec des règles précises et strictes, comme les pentacles” (note du livre), des “images” (talismans), des “sacrifices” et du début des actions (rituels).
Les sacrifices sont un élément assez fréquent du rituel magique dans l’antiquité, et l’usage en a persisté, surtout dans la magie noire. Ce n’est pas le cas ici, apparemment, et dans une démonstration qui se veut rationnelle, il faut trouver ce qui peut justifier de tels actes. La doctrine de la sympathie fournit une excellente explication. Les sacrifices ont une efficacité particulière, surtout les sacrifices d’animaux, parce que l’animal est un microcosme du monde élémentaire ; ce monde dépendant du monde céleste, l’animal, lui aussi, participe à l’harmonie. Vivant, il agit par son rayonnement propre sur les autres êtres élémentaires ; sa mort violente provoque une mutation contre nature lorsqu’il est immolé rituellement par un homme ; la matière du monde, ainsi bouleversée, est disposée à recevoir un mouvement et une forme inusités selon le cours normal de la nature ; ceci, non seulement en raison de la place éminente de l’animal dans le monde élémentaire, mais parce que l’homme lui-même est le microcosme par excellence, semblable à l’univers. Le sacrifice d’un animal offert par un homme double donc le pouvoir de celui-ci sur la matière ; il est beaucoup plus efficace que les autres offrandes sacrificielles, telles l’encens. A qui s’adressent les sacrifices, et quelle peut être leur valeur? Ceux qui croient à l’action des esprits, et à leur pouvoir sur la matière élémentaire pensent que les sacrifices attirent leur faveur. Opinion invérifiable, dit l’auteur ; cependant, même si cette croyance est fausse, il est possible qu’un sacrifice reçoive quelque vertu, grâce à l’harmonie céleste. On offre des sacrifices divers à Dieu, et les hommes croient que cela le rend bienveillant. Opinion évidemment fausse; néanmoins, si le sacrifice est offert selon les rites, l’effet désiré peut être produit en recevant les rayons de la cause céleste.”
Plusieurs éléments intéressants ici. Pour Al-Kindi, il est impossible de s’adresser directement à Dieu pour essayer de l’influencer. Dans la magie antique on s’adressait aux daimons, les agents de la Nature, ou aux corps célestes représentés de façon anthropomorphe. Les sacrifices d’êtres vivants ont été adaptés dans certains cas. Nous savons que Confucius était favorable au maintien des sacrifices danimaux, mais que ce n’était pas le cas de certains de ses disciples (Tse-kong). Dans le bouddhisme vajrayāna, les sacrifices d’animaux ont été remplacés par des offrandes de tormas (dmar gtor), des gâteaux sacrificiels, peints en rouge. Au vu de la loi de la sympathie universelle, c’est sans doute un pis aller.

Al-Kindi, n’étant pas un polythéiste et respectant l’interdiction de l’idolâtrie, ne pouvait pas s’adresser aux daimons, comme le recommandait le théurgiste néoplatonicien Jamblique (env. 250-330). Pour ce dernier le lien le plus commun entre les hommes et les dieux ou le divin étaient les “daimons”. La magie d’Al-Kindi est une “magie naturelle”. Les dieux mineurs “daimons” (archons, du grec archon (ἄρχων, pl. ἄρχοντες) qui signifie chef ou seigneur) peuvent servir d’intermédiaire entre le sacrifiant et le divin, mais les magiciens peuvent aussi s’adresser directement à eux, en faisant appel à leur supérieurs. Ils rendent service en échange d’encens, des offrandes de nourriture et de sang, d’alcool, et des fumigations.

Al-Kindi montre comment on peut être un musulman et croire en Dieu, tout en pratiquant la magie, à toutes fins utiles, pour essayer d’influencer l’harmonie céleste dans son avantage. A cause de la transcendance du Dieu de l’Islam peut-être, il pouvait se vouer à la Nature, dans ce cas l’harmonie céleste, à la façon d’un philosophe, voire d’un scientifique puisqu’il parle de “la machine du monde” (I.2), et qu’il essaie de décrire le processus de la magie astrale, sans faire intervenir activement des dieux (corps célestes) ou des daimons, en tant qu'entités par leur volonté, comme c’était le cas dans la magie astrale néoplatonicien. Il est ainsi engagé dans une “magie naturelle”, précurseur de la science empirique.
Cette idée s’impose à partir du moment où l’on pense pouvoir donner une explication naturelle, presque scientifique, des phénomènes que l’on croyait jusqu’alors être l’œuvre de démons qui auraient été les seuls connaisseurs des secrets de la nature. La magie naturelle admet que les hommes peuvent, eux aussi, connaître les vertus occultes des choses. L’aide des démons n’est pas nécessaire pour utiliser les virtualités secrètes, cachées dans le sein de la nature.” ( Le voile dIsis, Hadot, p. 122-123)
Les pratiques de magie astrale dans le vajrayāna dans le cadre des tantras, en revanche, sont restées au niveau de la “magie antique” et néoplatonicienne. Ces pratiques sont actuellement faites en France par des adeptes du bouddhisme tibétain. Al-Kindi justifie sa pratique façon “magie naturelle” de la magie astrale par la sympathie universelle, qu’est-ce qui justifie de nos jours la pratique façon “magie antique” atténuée de la magie astrale par les bouddhistes tibétains occidentaux ?

Astrologie et magie astrale


Manuscrit De radiis d'Al-Kindi 17ème siècle. Cambridge, Trinity College Library, Medieval manuscripts, MS R.15.17 (937)

Le néoplatonicien Al Kindi (801-873) était une figure clé pour la connaissance de l’astrologie et de la magie au Moyen-äge en occident. Son disciple Abu Ma’shar (787-886) était de Balkh (est de l’Iran), un véritable carrefour d’échanges[1], ou Indiens, Scythes, Chinois et Iraniens (des hindous, des bouddhistes, des juifs, des nestoriens, des hindous et des zoroastriens) se rencontraient. On attribue à Al Kindi le traité De radiis stellarum, aussi appelé Theorica artium magicarum, qui fut traduit en latin au XIIIème siècle[2].

Le chercheur canadien Jeffrey Kotyk est un spécialiste en astrologie bouddhiste, notamment sous la dynastie Tang. Il explique que l’astrologie introduite en Chine autour de l’an 800 était d’origine indienne avec des éléments iraniens, spécifiquement afin de permettre l’exécution conforme de rituels tantriques par rapport à la situation céleste. L’architecte de l’astrologie chinoise (d’origine indo-iranienne) était le maître tantrique Amoghavajra (705-774), né d’un père indien et d’une mère peut-être sogdienne. L’astrologie était une science nécessaire à la “magie astrale” du vajrayāna en Chine. L’astrologie chinoise (bouddhiste) s’est par la suite exportée, notamment au Japon.

Signes zodiaques dans le Taizō zuzō, une collection japonaise d'icônes du Garbhadhātu-maṇḍala bouddhiste, recopiés par le moine Enchin (814–891) en Chine en 855 (photo Jeffrey Kotyk)
Afin de permettre aux adeptes du vajrayāna de pratiquer conformément “la magie astrale”, il fallait connaître la position des planètes et étoiles connues à l’époque et utilisées dans l’astrologie. 

L’astrologie, très en vogue entre le III-VIIème siècle dans l'Iran sassanide, était un mélange d’astrologie helléniste et indienne. L’astrologie helléniste était essentiellement constituée de la cosmologie et de lamagie astralenéoplatonicienne. Le texte attribué à Al-Kindi était traduit en latin vers la fin de la XIIème siècle. Ce n’est pas un livre de recettes, mais un traité philosophique et métaphysique expliquant la nécessité de l’astrologie et de la “magie astrale”, pour ceux qui désirent influencer l’harmonie céleste, qui influence toute chose sublunaire.

Contrairement au bouddhisme (vajrayāna etc.), qui avait intégré l’astrologie, la “magie astrale” et les agents de la Nature jouant un rôle dans celle-ci, l’église catholique avait décidé au XIIIème siècle, qu’elle ne voulait pas de ce déterminisme astral et de sa magie associée. Certaines de ses thèses étaient condamnées par Etienne Tempier en 1277. Thomas d'Aquin (1225-1274) aurait eu connaissance de ce livre, “lorsqu’il attaque la théorie de l’influence astrale sur les opérations magiques et refuse de l’admettre en tant qu’explication valable de leur efficacité”[3]. Le pape XXII (1244-1334) interdira la sorcellerie et la magie. Les éléments métaphysiques et ésotériques non tolérés par l’église, vont s’exprimer autrement et ailleurs. L’ésotérisme, l’occultisme etc. en occident se développeront surtout en dehors de l’église comme des filières séparées, à dominante laïque et pseudo-scientifique.


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[1] “The eastern Iranian city of Balkh, Abu Ma'shar’s birthplace, was a centre of cultural and religious diversity filled with Indians, Chinese, Scythians, Greco-Syrians, and Iranians who were Jews, Nestorians, Buddhists, Hindus, and Zoroastrians. A third-generation member of the Iranian, Pahlavi-oriented elite who had played a vital role in establishing the Abbasid Empire, Abu Ma'shar was a dedicated Muslim (probably a Shi'ite) who began his career in Baghdad as a Hadith (traditions of the prophet) expert. In his forty-seventh year he quarrelled with Abu Yusuf Ya'qub ibn Ishaq al-Sabbah al-Kindi (796 873), the leading Muslim philosopher and mathematician of his day. Al-Kindi eventually convinced him to change his scholarly orientation - from the traditional sciences (Arabic grammar, Qur’anic interpretation, traditions of the prophet, and jurisprudence) to the rational sciences (logic, philosophy, mathematics, astronomy, astrology, and medicine). Employing his newly-acquired skills, Abu Ma'shar wrote a philosophical justification of astrology along with a practical guide for its everyday use.” Astronomy and Astrology in the Islamic World, Stephen P. Blake, pp. 28-29




[2] Il existe une traduction française, Al-Kindi De radiis, par Didier Ottaviani, publiée par les éditions Allia.


[3] Dans les chapitres 104 et 105 du livre III de la Summa contra Gentiles. Al-Kindi : De radiis de Marie-Thérèse d'Alverny et Françoise Hudry. Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age

Vol. 41 (1974), pp. 139-260.

dimanche 24 novembre 2019

Tout, tout, tout, vous saurez tout ...


Orbis Pictus de Comenius

Au commencement fut la Nature envoûtée, animée par des agents multiples, et l’effroi devant celle-ci que l’on cherche à apaiser de diverses façons. Lui être agréable en se soumettant à Elle, ou percer ses secrets pour mieux la maîtriser.

Ces deux attitudes avaient en commun le dualisme esprit-matière, et toute leur ribambelle de dualismes associés. Ciel-Terre, Dieu-Nature, sujet-objet, un-multiple, chaud-froid, masculin-féminin, actif-passif, haut-bas, pur-impur, …

Il y avaient ceux qui croyaient que la matière précédait lesprit (présocratiques), et ceux qui croyaient que lesprit précédait la matière (Platon). Pour faire simple on appellera les premiers “matérialistes” et les derniers “spiritualistes”, mais les pôles du matérialisme et le spiritualisme à l’état pur ont-ils réellement jamais existé ?

C’est du côté des spiritualistes que l’on retrouve ce que l’on appelle depuis l’antiquité romaine “religions”. Dans les religions, notamment les trois monothéismes, religions du Livre, la Nature est précédée par Dieu, qui se dote du même coup du meilleur de tous les dualismes associés (The winner takes it all) : ciel, esprit, sujet, un, chaud, masculin, actif, haut, pur … C’est Dieu qui a désormais le contrôle de tout cela, et c’est plutôt rassurant et pratique. Il n’y a plus qu’un seul interlocuteur à qui s’adresser (faveurs et plaintes) et à qui se soumettre.

Dans la plupart des religions, la primauté de l’Esprit n’a pas effacée le rôle de la Nature, mais la relation entre l’Esprit et la Nature était à redéfinir. La Nature était le plus souvent considérée comme l’instrument de l’Esprit pour se manifester (création, émanation, réfléchissement, rêve, …). La Nature subissait la volonté de l’Esprit par un acte unique, continu etc. Avec la primauté de l’Esprit décidée par les religions, la Nature ne change pas subitement de fonctionnement. Tous ses agents gardent leurs fonctions et leur rôles hiérarchiques, seulement tous sont en dernière ligne au service de l’Esprit. Ad maiorem Dei gloriam. LEsprit en tant que PDG de la Nature est leur supérieur à tous.

Les spiritualistes animistes et polythéistes devaient s’adresser à chacun des agents de la Nature pour obtenir gain de cause dans chacun des domaines de spécialisation de ceux-ci. Les monothéistes avaient en théorie un seul interlocuteur. Comme on ne veut pas déranger le grand patron pour chaque bagatelle, on avait néanmoins tendance à s’adresser à des subordonnés (agents de la Nature, anges, saints, …) chargés des bagatelles en question. Ils pouvaient s’adresser directement à l’Esprit ou à un agent de la Nature. Dans la pratique, les spiritualistes (mono)théistes vivent avec une triade Dieu-Nature-Homme.

A la fin du Moyen-Âge, et avec la Réformation, la nature du lien entre Dieu et la Nature a commencé à changer. Le catholicisme devenait plus hostile à “la magie” et les protestants étaient invités à s’adresser directement à Dieu. L’homme prenait une place plus centrale (humanisme), et les scientifiques s'intéressent davantage à une Nature non-envoûtée. Au niveau des religions, il y avait comme un divorce entre Dieu et la Nature. On s’adressait à Dieu ou à la Nature, que celle-ci soit “envoûtée” (magique) ou non (scientifique). La Nature perdait graduellement sa majuscule “divine”.

On devait choisir son camp. On s’intéressait à Dieu, pour Dieu. On s’intéressait à l’homme, en se passant de Dieu pour toutes les bagatelles, en s’intéressant directement à la nature (naissance des sciences). Et puis, il y avait une troisième catégorie, qui s’intéressaient davantage à la Nature, la Nature envoûtée. Cette dernière catégorie pouvait toujours avoir besoin de Dieu comme acteur dans leurs relations avec la Nature, ou ne pas faire appel à lui. Ceux qui avaient encore besoin de Dieu dans leur connaissance de la Nature, et pour qui cette connaissance était la “connaissance de Dieu” étaient les théosophes. D’autres passaient directement par la Nature, et cherchaient une connaissance de la Nature (Sophia). Ce type de sciences de la Nature, peut être appelé “magie Naturelle”. On peut appeler cette catégorie confondue de chercheurs avec ou sans Dieu, “spiritualistes ésotériques”.

Pierre Hadot appelait ce type de magie, “magie naturelle”.
“Cette idée s’impose à partir du moment où l’on pense pouvoir donner une explication naturelle, presque scientifique, des phénomènes que l’on croyait jusqu’alors être l’œuvre de démons qui auraient été les seuls connaisseurs des secrets de la nature. La magie naturelle admet que les hommes peuvent, eux aussi, connaître les vertus occultes des choses. L’aide des démons n’est pas nécessaire pour utiliser les virtualités secrètes, cachées dans le sein de la nature.” (Le voile d’Isis, Hadot, p. 122-123)
La connaissance de la Nature/nature va graduellement se diviser en ceux qui cherchent à connaître la Nature envoûtée (spiritualiste) et ceux qui cherchent à connaître la nature non-envoûtée (“matérialiste”, empirique). Des “scientifiques” spiritualistes et des scientifiques matérialistes. Rien n’empêche que ces deux catégories croient en Dieu ou non, mais cela ne change rien en les à priori de leurs recherches respectives. Dans leurs recherches, pour les “scientifiques” spiritualistes l’Esprit précède la matière, et pour les scientifiques la matière précède l’esprit, bien que de moins en moins. Les deux préservent des formes de dualisme esprit-matière, de façons plus ou moins diluées. Dans le siècle des Lumières, les scientifiques empiriques prenaient le dessus, mais les spiritualistes anti-Lumières ne se sont pas laissés faire...

Même si Dieu est mort, son ombre est toujours présent dans la Nature/nature. Et “il nous faut encore vaincre son ombre !” disait Nietzsche[1]. L’ombre de Dieu, ce sont par exemple certains dualismes récalcitrants, dont Dieu avait été doté des meilleurs : ciel, esprit, sujet, un, chaud, masculin, actif, haut etc. Dieu étant anthropomorphiquement “masculin”[2], les hommes de sexe masculin étaient plus ressemblants à Dieu, plus “haut”, plus “actif” que les femmes plus “froides” (voir Aristote), plus “passives” (voir Aristote), plus “impures” (voir les religions), puisque plus proches de la Terre et de matière.

Les religions, se sentant scientifiquement en défaut, essaient de combler ce manque en cherchant des justifications scientifiques, redorer leurs blasons scientifiques. Organiser des rencontres entre religieux et scientifiques (Mind and Life). Prouver scientifiquement des éléments de leurs doctrines, ou les bienfaits de leurs pratiques. Elles veulent préserver les à prioris spiritualistes, et si possible faire prouver par la méthode scientifique la primauté de l’esprit. En cela, elles sont aidées et/ou rejointes par des scientifiques spiritualistes (Institute of Noetic Sciences (IONS), l'Institut Suisse des Sciences Noétiques (ISSNOE), Richard J. Davidson, Daniel Goleman, Jon Kabat-Zinn, Roshi Joan Halifax, Matthieu Ricard, et Alan Wallace…). Si on remonte dans l’histoire, on voit que les scientifiques spiritualistes ont dû lâcher beaucoup de leste, mais tiennent toujours à leur à priori, à l’ombre de Dieu.

La plasticité (neuronale) étant avancée actuellement comme pion pour prouver la primauté de l’esprit. Idem pour la compassion et l’altruisme. Les scientifiques spiritualistes ont tendance à réifier les idées. Quand la violence est un problème, on propose d’enseigner et de “développer” de l’amour, quand c’est l'égoïsme, il faut “développer” de l’altruisme, quand c’est la distraction et le manque d’attention, il faut développerde lattention. Tout cela sans faire appel aux véritables causes profondes des désordres perçus. On reste dans la pensée magique. Ce type d’affirmations est du même ordre que la « vertu dormitive » de lopium chez Molière (Le malade imaginaire). C’est le langage qui donne une essence à ses produits que ceux-ci n’ont pas.

Les adeptes de la Pleine conscience croient que quelle que soit la situation dans la vie, la pratique de la pleine conscience permettra de garder le contrôle et de rester serein et la considèrent comme une sorte de panacée. Le chamanisme et les transes sont en bonne voie de promotion. Leurs bienfaits seront sans doute bientôt prouvés par des scientifiques de tendance spiritualiste. Du bien-être à toute épreuve.


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[1] “Après la mort de Bouddha, l'on montra encore pendant des siècles son ombre dans une caverne, - une ombre énorme et épouvantable. Dieu est mort : mais, à la façon dont sont faits les hommes, il y aura peut-être encore pendant des milliers d'années des cavernes où l'on montrera son ombre. - Et nous - il nous faut encore vaincre son ombre! “ (Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir - Luttes nouvelles)

[2] “Tout réalisme, au sens scolastique, mène à l'anthropomorphisme. Après avoir attribué à l'idée une existence réelle, l'esprit voudra voir cette idée vivante et ne le pourra qu'en la personnifiant. Ainsi naît l'allégorie. Elle n'est pas la même chose que le symbolisme. Celui-ci constate un rapport mystérieux entre deux idées, l'allégorie donne une forme visible à la conception de ce rapport. Le symbolisme est une fonction très profonde de l'esprit. L'allégorie est superficielle. Elle aide la pensée symbolique à s'exprimer mais elle la compromet en même temps en substituant une figure à une idée vivante. La force du symbole s'épuise dans l'allégorie.” Déclin/Automne du Moyen-Âge (PDF) de Johan Huizinga

jeudi 21 novembre 2019

La connaissance des choses cachées


L'âme humaine, Orbus pictus de Comenius

La théosophie signifie “sagesse de Dieu” ou “connaissance des choses divines”. Porphyre (234-305) aurait été le premier à l’utiliser, mais son sens a beaucoup varié et il est impossible de donner une orientation unique à la “théosophie”. Certains, comme Antoine Faivre dans Accès de l’ésotérisme occidental, préfèrent alors parler de “théosophies” au pluriel, que l’on pourrait classer en deux “grands massifs” : les courants ésotériques apparus à partir de la fin du XVIème siècle et les sociétés constituées au XIXème siècle, notamment la Société Théosophique (1875) de Mme Blavatsky.
“Ce courant nous paraît avoir parcouru quatre périodes distinctes : 1° A la fin du XVIe et tout au long du XVIIe siècle, la création d'un corpus spécifique de textes, qu'à partir de cette époque on qualifiera de « théosophiques ». C'est en quelque sorte le premier « âge d'or » de ce courant. 2° L'extension de ce corpus, et sa réception par l'historiographie de la philosophie, dans la première moitié du XVIIIe siècle. 3° Le renouveau de ce courant à l'époque préromantique, puis romantique (second âge d'or). 4° Son effacement, mais aussi sa permanence, depuis le milieu du XIXe siècle jusqu'aujourd'hui.” (Conférence de M. Antoine Faivre)
A la fin du XVème siècle, il y eut les premières tentatives pour réactualiser ou adapter des traditions plus anciennes et de relier les divers champs de recherche et de savoir (Faivre). Le pape Jean XXII (1244-1334) sétait inquiété de la magie savante, importée de l'Orient ou de l'Espagne, et de la science naturaliste, et avait voulu restreindre leur influence. Parmi les traditions anciennes intéressant plus particulièrement les “théosophes” il y avait l’hermétisme alexandrin, la Kabbale chrétienne, lamagia” (Pic de la Mirandole), l’alchimie et l’astrologie. Paracelse (1493-1541) joue un rôle important, mais se serait plutôt occupé des causes secondes (Nature) et pas des principes (Theos) (Faivre, vol. I, p.50), plutôt “naturosophe” que théosophe. Ses productions sur la Nature ont cependant été intégrées dans la théosophie.

La théosophie s’est d’abord développée en terre luthérienne pour diverses raisons. Le catholicisme avait interdit le recours aux savoirs recherchés par lesthéosophes. Faivre mentionne quatre facteurs du luthéranisme qui ont favorisé ce développement.
“Le luthéranisme autorise, du moins théoriquement ou par définition, le libre examen, qui chez certains esprits inspirés peut prendre une tournure prophétique. Ensuite, cette religion est caractérisée par un mélange paradoxal de mysticité et de rationalisme, d'où le besoin de mettre en discours l'expérience intérieure et, inversement, d'écouter des discours pour les transformer en expérience intérieure. De plus, au début du XVII° siècle, moins de cent ans après la Réforme, la pauvreté spirituelle de la prédication protestante, la sécheresse de sa théologie sont parfois douloureusement ressenties, d'où un besoin de ressourcement. À ces trois facteurs s'ajoute un quatrième élément, qui se présente comme un défi à relever : si dans les milieux (de nobles, de médecins) où est née la théosophie luthérienne l'on jouit d'une certaine liberté vis-à-vis des pasteurs, l'activité prophétique n'est pas bien tolérée pour autant; à Gerlitz, Boehme est la cible du ministre du culte et, en maints endroits, le peuple est farouchement orthodoxe. Les mêmes facteurs rendent compte, à la même époque, de l’apparition du courant rosicrucien, lui aussi nouveau venu dans le paysage ésotérique occidental, et lui aussi courant « réformateur ». Aussi bien peut-on observer que depuis la Renaissance la plupart des penseurs ésotérisants sont, à des titres divers, des « réformateurs », si nous donnons à ce mot un sens général qui ne se confond pas avec le protestantisme.” (Faivre, p. 55-56)
La pièce maîtresse de la théosophie allemande de l’âge d’or est Jacob Boehme (1575-1624), où l’idée de régénération ou de seconde naissance est importante. Avec Boehme, la théosophie acquiert ses caractéristiques définitives, selon Faivre :
● Dieu, l'homme et la nature sont associés pour faire l'objet d'une spéculation basée sur des phénomènes d'illumination ;
● Les aspects mythiques de la révélation chrétienne sont privilégiés par le théosophe, lequel met en scène Adam, Lucifer, les anges, mais aussi la Sophia ou l'androgyne primitif;
● L'être humain possède la capacité d'accéder immédiatement au monde divin, de sorte qu'il peut espérer, avec une interpénétration du divin et de l'humain, associer son esprit à un corps de lumière afin de connaître une seconde naissance.
Parmi ceux qui s’intéressent au triangle Dieu-Nature-Homme, il y en a qui orientent leur interprétations plutôt sur Dieu (“théosophes”) et d’autres plutôt sur la Nature (pansophie, philosophie de la Nature - Naturphilosophie, anthroposophie, ...), avec des liens entre les deux. Toutes les variantes sont possibles, des plus mythologiques aux plus scientifiques, c’est-à-dire celles où l’on tente de justifier les thèses Naturphilosophiques et équivalentes par la science (notamment à base de statistiques). Et il y a toujours des ponts permettant d’aller de l’un à l’autre.

Tel que je le vois, les courants (avec un Dieu hardcore ou softcore) aspirant à une connaissance de choses divines, de la Nature, de l’Esprit, de l’âme à la façon d’une science, réifient le dualisme esprit-matière, en donnant la primauté aux choses de l’esprit, et sont “spirituels” ou “spiritualistes”. Ainsi, l'anthroposophe Rudolph Steiner affirme l'existence d'un monde spirituel qui est à la base du monde matériel, et dont la connaissance permet d’exercer de l’influence sur l’autre.

Ce sont souvent des courants “nostalgiques”, même si ce dont les spiritualistes sont nostalgiques n’est peut-être jamais réellement advenu. Au cours de leur histoire, ces courants ésotériques ont dû surmonter les interdictions, lopposition, le dépassement par les sciences empiriques etc. Mais rien ne semble pouvoir en venir à bout. Ils continuent de jaillir de l’imagination et doivent correspondre à un besoin profond, lequel ? L’envie de savoir les choses naturellement énigmatiques, ou cachées parce que “on” nous les cache ?

Orbis pictus
Ces courants se veulent être des savoirs ou des sciences authentiques et aimeraient être reconnues comme telles par les sciences empiriques. Ils s’organisent en instituts et tiennent des conférences,, où ils échangent avec les scientifiques. Le Dalaï-Lama en est friand. Il a déclaré que si la science prouve que des éléments de la doctrine du Bouddha sont faux, les bouddhistes devraient les abandonner. Il a déclaré aussi qu’il s’attend à ce qu’un jour les scientifiques arriveront à prouver la réincarnation. Les sciences empiriques auraient beaucoup à apprendre du bouddhisme et sa science de l’Esprit. 

Par exemple, le thème de la “plasticité” (neuronale ou autre), de nouveau à la mode, vient de l’idée ancienne de la force de l’imagination (créatrice, vis imaginitiva), où l’esprit (l’astre en l’homme) transforme la matière. “Concevoir, c’est engendrer”, la pensée magique n’est pas loin. Ni le spiritualisme matériel.
Par la spéculation imaginative le fluide vital (semen) se convertit en semence active, à l’instar du soleil qui enflamme le bois.”

Puisque nous sommes composés de matière céleste, le ciel est susceptible d'être touché par nous comme nous le sommes par lui.” (Faivre, faisant référence à Paracelse, vol. I, p. 179)
A condition de distinguer la fausse imagination de la vraie. “L'image vraie donne corps à notre pensée, la transforme en désir ; elle est le corps même de cette pensée et de ce désir, qui en elle s'incarnent.” (Faivre, vol. I, p. 180)

Orbis pictus
Sur le spectre spéculatif de la connaissance des choses cachées, on peut aller de Dieu à l’Esprit, voire jusqu’à la Raison comme objet de culte. J’inclurais volontiers certains transhumanistes, dont le fluide cérébral prend facilement feu, parmi les dérobeurs du feu céleste.


La providence divine, Orbis pictus
  

lundi 18 novembre 2019

"La tranquille certitude d'une statue de portail"

Le grand stūpa de Sanchi (photo de Jean-Pierre Dalbéra)
Quelques extraits du Déclin/Automne du Moyen-Âge (PDF) de Johan Huizinga, qui peuvent s’appliquer mutatis mutandis à d’autres religions, voire à d’autres systèmes idéologiques en période de déclin


Le symbolisme à son déclin

L'abondance des images où la pensée médiévale à son déclin risquait de se dissoudre n'aurait été qu'une fantasmagorie chaotique, si la conception symbolique n'avait tout embrassé dans un vaste système où chaque figure trouvait sa place.”

“« En cultivant le sens permanent de notre rapport avec la puissance qui créa les choses, nous devenons plus aptes à leur réception. La face externe de la nature n'a pas besoin de changer, les significations changent. C'était la mort, et voilà que cela redevient la vie. C'est la différence qui existe à regarder quelqu'un avec détachement ou avec les yeux de l'amour... Quand nous voyons toute chose en Dieu et que nous rapportons tout à lui, nous lisons dans les choses vulgaires des significations supérieures[1] »”.

“C'est là le fond psychologique sur lequel croît le symbolisme. En Dieu, nulle chose n'est vide de sens : « nihil cavum neque sine signo apud Deum », a dit saint Irénée. La conviction que tout a une signification transcendante cherchera à se formuler. Autour de la figure de la divinité se cristallisera le système imposant des figures symboliques, qui se rapportent toutes à lui, parce que toute chose a son sens en lui. L'univers se déploie comme un vaste ensemble de symboles, se dresse comme une cathédrale d'idées. C'est la conception du monde la plus richement rythmique, c'est l'expression polyphone de l'harmonie éternelle.”

“Du point de vue causal, le symbolisme se présente comme une espèce de court-circuit de la pensée. Au lieu de chercher le rapport de deux choses en suivant les détours cachés de leurs relations causales, la pensée, faisant un bond, le découvre, tout à coup, non comme une connexion de cause ou d'effet, mais comme une connexion de signification et de finalité. Un rapport de ce genre pourra s'imposer dès que deux choses auront en commun une qualité essentielle qu'on peut rapporter à une valeur générale. Ou, pour employer la terminologie de la psychologie expérimentale : toute association basée sur une similitude quelconque peut déterminer immédiatement l'idée d'une connexion essentielle et mystique. Fonction mentale assez pauvre, si l'on en restait là. De plus, fonction très primitive, si l'on se place au point de vue ethnologique. Dans la pensée primitive, les lignes de démarcation sont confuses. Par suite, cette pensée incorpore dans le concept d'une chose déterminée toutes les notions qui s'y rattachent par une relation ou une similitude quelconques. Or nous voilà tout près du symbolisme.”

“Tout réalisme, au sens scolastique[2], mène à l'anthropomorphisme. Après avoir attribué à l'idée une existence réelle, l'esprit voudra voir cette idée vivante et ne le pourra qu'en la personnifiant. Ainsi naît l'allégorie. Elle n'est pas la même chose que le symbolisme. Celui-ci constate un rapport mystérieux entre deux idées, l'allégorie donne une forme visible à la conception de ce rapport. Le symbolisme est une fonction très profonde de l'esprit. L'allégorie est superficielle. Elle aide la pensée symbolique à s'exprimer mais elle la compromet en même temps en substituant une figure à une idée vivante. La force du symbole s'épuise dans l'allégorie.”

“Le moyen-âge à son déclin présente [la pensée religieuse symboliste] en sa dernière floraison. Le monde s'étend, déployé dans une figuration universelle et les symboles sont comme des fleurs pétrifiées. De tout temps, d'ailleurs, le symbolisme a eu tendance à devenir purement mécanique et à dégénérer en habitude. Il n'est pas le produit de la seule exaltation poétique, mais aussi de la pensée, à laquelle il s'accroche comme une plante parasite. L'assimilation ne repose souvent que sur une égalité de nombre. Une perspective immense de dépendances d'idées s'ouvre de ce fait, mais ce ne sont que des exercices d'arithmétique. Ainsi, les douze mois signifieront les apôtres; les quatre saisons, les évangélistes ; l'année, le Christ. Il se forme tout un agglomérat de systèmes de sept. Aux sept vertus correspondent les sept prières du Pater, les sept dons du Saint-Esprit, les sept béatitudes et les sept psaumes de la pénitence. Tous ces groupes de sept sont en rapport avec les sept moments de la Passion et les sept sacrements. Chacun d'eux s'oppose aux sept péchés capitaux qui sont représentés par sept animaux et suivis par sept maladies.”

“Le symbolisme était usé. La recherche de symboles et d'allégories était devenue un vain jeu de l'esprit, une fantaisie superficielle sur une seule analogie. La sainteté de l'objet lui donne encore quelque peu de valeur spirituelle. Mais dès que la manie du symbolisme s'applique aux matières profanes ou simplement morales, la décadence apparaît.”

“Le symbolisme était la traduction défectueuse de rapports pressentis par intuition, analogues à ceux que nous révèle la musique. Videmus nunc per speculum in ænigmate[3]. On avait conscience d'être en face d'une énigme, mais pourtant on essayait de distinguer les figures dans le miroir. On ne pouvait expliquer les images qu'au moyen d'autres images. Le symbolisme était comme un second miroir qu'on opposait à celui de la création elle-même. Tout concept était devenu plastique ou pictural. La représentation du monde avait atteint la sérénité d'une cathédrale au clair de lune, où la pensée pouvait s'endormir.”



Vers l’abandon des images

“Le symbolisme était comme le souffle vital de la pensée médiévale. Disparaissait-il ou se faisait-il purement mécanique, l'édifice grandiose des dépendances voulues par Dieu n'était plus qu'une nécropole. Un idéalisme systématique qui entrevoit les rapports des choses suivant leurs qualités considérées comme essentielles mène à la rigidité et à une classification stérile. Il est si facile de diviser et de subdiviser les notions d'une manière déductive. Le firmament spirituel portera donc une infinité de constellations symboliques plus ou moins arbitraires. A part les règles d'une logique abstraite, il ne se trouve aucun correctif pour dénoncer une erreur dans la classification ; l'esprit s'abuse et est porté à surévaluer la certitude du système qu'il a créé.”

“L'homme du moyen-âge veut-il connaître la nature ou la raison d'une chose, il en prolongera les lignes dans la direction de l'idée générale. Qu'il s'agisse d'une question politique, sociale ou morale, il commence toujours par la réduire à son principe universel. Les choses les plus banales sont envisagées sous ce jour.”

“Un idéalisme systématique se manifeste partout. Pour chaque métier, dignité ou état, se forme un idéal moral et religieux nettement circonscrit vers lequel chacun doit tendre afin de servir Dieu dignement.”

“Cette tendance à tout ramener à un type général a été considérée comme une faiblesse de l'esprit du moyen-âge, qui ne serait pas parvenu à distinguer et à décrire les traits individuels. Mais c'est de propos délibéré que l'homme du moyen-âge néglige les particularités et nuances individuelles des choses. C'est son besoin de subordination, résultat d'un profond idéalisme, qui le mène à agir de la sorte. C'est moins l'impuissance à discerner les traits individuels que la volonté consciente d'expliquer le sens des choses, leur rapport avec l'absolu, leur signification générale.”

“L'occupation par excellence de l'esprit médiéval est l'exposition du monde en idées et la classification de ces idées d'après un système hiérarchique. De là, la possibilité de détacher d'un complexe une qualité quelconque et de la considérer isolément.”

“Cette analyse de toutes les choses, privée du critérium du rapport causal, devient automatique, et dégénère en pur numérotage. Aucun domaine ne s'y prêtait mieux que celui des vices et des vertus. Chaque péché a son nombre fixe de causes, d'espèces, d'effets. Il y a, selon Denis le Chartreux, douze folies qui trompent le pécheur. Chacune d'elles, illustrée, figurée, appuyée par des textes de l'Ecriture et des symboles, acquiert la tranquille certitude d'une statue de portail. La même série réapparaît, étudiée sous un autre rapport. L'énormité du péché doit être considérée à sept points de vue : celui de Dieu, celui du pécheur, de la matière, des circonstances, de l'intention, de la nature du péché et de ses conséquences. Puis, chacun des sept points est subdivisé à son tour en huit ou en quatorze. Il y a six faiblesses de l'esprit qui font pencher au péché, etc. Cette systématisation morale a ses analogies dans les livres du bouddhisme.”

“Le « Réalisme » médiéval (en effet un hyper-idéalisme) doit être considéré, malgré l'apport du néoplatonisme christianisé, comme une conception primitive. La philosophie avait sublimé et clarifié le réalisme ; mais celui-ci restait l'attitude de l'homme primitif qui attribue être et substance aux choses abstraites.”

“Cette conception matérialiste s'imposait davantage encore pour les péchés que pour les bonnes œuvres. L'Église, il est vrai, a toujours enseigné que le péché n'est pas une chose ou une entité. Mais comment aurait-elle pu prévenir l'erreur, quand tout concourait à l'insinuer dans les esprits ? L'instinct primitif qui voit dans le péché un élément qui souille ou corrompt, qu'il faut par conséquent laver ou détruire, était fortifié par la systématisation en usage, par la figuration suggestive des péchés et même par la technique que l'Église employait en matière d'absolution. Denis le Chartreux a beau rappeler qu'il ne s'agit que de comparaisons quand il nomme le péché une fièvre, une humeur froide et corrompue ; la pensée populaire, sans aucun doute, perdait de vue les restrictions des dogmatistes.”

“Si, pour inculquer la crainte et l'horreur, l'imagination dispose de ressources d'une richesse effrayante, l'expression des joies célestes, par contre, reste toujours extrêmement primitive et monotone. Le langage humain ne peut donner la vision du bonheur absolu. Denis le Chartreux s'épuise en superlatifs qui ne font que multiplier l'idée arithmétiquement, sans l'éclaircir ni l'approfondir. « Trinitas supersubstantialis, superadoranda et superbona... dirige nos ad superlucidam tui ipsius contemplationem. » Le Seigneur est « su permisericordissimus, superdignissimus, superamabilissimus, supersplendidissimus, superomnipotens et supersapiens, supergloriosissimus ».
A quoi bon accumuler les mots qui expriment la hauteur, la largeur, l'inépuisable et l'incommensurable ? On en reste toujours aux images, à la réduction de l'infini au fini, partant, à l'affaiblissement du sentiment de l'absolu. Chaque sensation, en s'exprimant, perd sa force ; chaque propriété attribuée à Dieu lui dérobe un peu de sa redoutable majesté.
Alors commence la lutte émouvante de l'esprit qui veut atteindre à la Divinité sans le secours des images. Cette lutte est la même à toutes les époques et chez toutes les races. On ne peut se passer tout d'un coup du secours de l'expression imagée : celle-ci tombe pièce à pièce. Ce sont les personnifications concrètes, les symboles qui disparaissent les premiers : il n'est alors plus question de sang et de rachat, d'eucharistie, de Père, de Fils et de Saint Esprit. Eckhart nomme à peine le Christ, et moins encore l'Église et les sacrements. Mais la contemplation de l'Etre absolu n'en reste pas moins liée à des notions naturelles : étendue et lumière, lesquelles se changent d'abord en leurs contraires silence, vide, obscurité. Et ces dernières reconnues insuffisantes, on cherche à remédier à leur inefficacité en les accouplant à leurs contraires. En dernier lieu, il ne restera que la négation pure : les mystiques comme Jean Scot Erigène et Angelus Silesius nomment la Divinité : Néant.”

“Cette marche de l'esprit contemplatif vers l'abandon des images n'a naturellement pas eu lieu dans l'ordre suivi que nous venons de décrire. La plupart des effusions mystiques en montrent simultanément les différentes phases. Celles-ci sont présentes chez les Hindous, parfaitement développées chez le Pseudo-Denis l'Aréopagite, source de toute la mystique chrétienne, et reprises par les Allemands au XIVe siècle.”

“La représentation imagée était-elle vaincue ? Sans image et sans métaphore, il est impossible d'exprimer une seule idée. Tout effort pour s'élever au-dessus des images est voué à l'insuccès. Ne parler de ses plus ardentes aspirations que d'une manière négative ne satisfait pas les besoins du cœur, et là où la philosophie ne trouve plus d'expressions, la poésie intervient. La mystique a toujours retrouvé le chemin qui, des hauteurs vertigineuses, descend vers les prairies en fleurs.”

“Pourquoi l'Église s'est-elle toujours alarmée des excès de la mystique ? A cause du danger que tous ses concepts, dogmes et sacrements soient consumés par le feu de l'extase avec les formes et les images. Or, la nature même des transports mystiques impliquait une sauvegarde pour l'Église. S'élever à la clarté de l'extase, errer sur les hauteurs solitaires d'une contemplation dénuée de formes et d'images, goûter l'union avec le principe un et absolu, ce n'était pour le mystique que la grâce singulière d'un moment. Il fallait redescendre des hauteurs. Les extrémistes, il est vrai, avec leur suite d'enfants perdus, s'égaraient bien dans le panthéisme et les excentricités.”

“« La philosophie unitive est irrationnelle, insensée et folle. » Le chemin du mysticisme mène à l'inconscience. En niant tout rapport positif entre la divinité et ce qui a un nom et une forme, le mystique abolit la transcendance. La mystique intensive signifie le retour à une vie mentale pré-intellectuelle. Tout ce qui est culture s'efface et s'annule.

Si, néanmoins, la mystique a de tout temps porté des fruits abondants pour la culture, c'est qu'elle s'élève toujours par degrés, et qu'à ses débuts elle est un facteur puissant de développement spirituel. La contemplation exige comme état préparatoire la culture sévère de la perfection morale. La mansuétude, le refrènement des désirs, la simplicité, la tempérance, le travail, pratiqués par les mystiques, créeront autour d'eux une atmosphère de paix et de ferveur.”


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[1] James, Varieties of religions experience, p. 474, 475.

[2] Idéalisme platonique, ou idéalisme primitif

[3] 12 Videmus nunc per speculum in ænigmate: tunc autem facie ad faciem.
Nunc cognosco ex parte: tunc autem cognoscam sicut et cognitus sum.
12 Aujourd'hui nous voyons au moyen d'un miroir, d'une manière obscure, mais alors nous verrons face à face; aujourd'hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j'ai été connu.
St Paul aux Corinthiens