Quand les sciences étaient indissociables des religions et des spéculations religieuses, on étudiait le ciel pour connaître la volonté divine. Les astres étaient considérés comme des dieux, et leurs volontés pouvaient être déduites de leurs mouvements dans le ciel. Ceux qui savaient interpréter ces mouvements et donc la volonté des dieux, les prêtres et les astrologues, pouvaient prévoir et tenir compte des mouvements pour choisir les jours fastes, et éventuellement essayer de contrer ou influencer la volonté divine par la magie. Dans l’imaginaire des sciences religieuses, les jeux d’influence pouvaient ainsi aller dans les deux sens.
Les plus anciens écrits astronomiques et astrologiques ont été retrouvé en Mésopotamie et dateraient d’il y a 5 000 ans. Ces sciences furent passées aux Grecs par les Chaldéens. Pour Platon les astres étaient des “vivants divins et éternels” et des « dieux visibles » (Timée, 39e-40d). Aristote écrit “Du ciel” et sa théologie cosmique peut être trouvée dans le livre A de la Métaphysique. Avec la redécouverte des antiques, son système des sphères célestes, des intelligences et des âmes motrices des cieux était de nouveau accessible en Occident grâce à Avicenne et aux commentaires d’Averroès sur le traité Du ciel d’Aristote.
“La vulgate philosophique du péripatétisme arabe, exposée dans le Livre des causes, faussement attribué à Aristote, donnait une représentation d’un monde parfaitement ordonné où la causalité des intelligences séparées, encore appelée « substances spirituelles», s’étendait à l’ensemble des phénomènes, depuis la Première Cause jusqu’au dernier ciel où était censée résider la dernière intelligence, le « trésor des formes », d’où s’écoulait comme d’une source la double série des formes corporelles et des formes intelligibles, ici pour illuminer les âmes, là pour organiser et structurer la matière.Les théologiens philosophiques ont spéculé sur le déroulement exacte des jeux d’influences, et conçu de différentes façons l’action “des substances spirituelles” dans l’univers et notamment dans les zones sublunaires habités par les hommes. Comment ceux-ci subissaient-ils l’influence spirituelle ?
Dans un univers de procession universelle où les intelligences séparées apparaissaient comme les vecteurs de l’activité d’un Dieu unique et éternel - le Premier Agent -, l’idée d’une influence des astres sur la destinée humaine pouvait passer pour le complément naturel de la cosmologie, voire pour le remplissement scientifique de la théologie philosophique.”
Penser au Moyen-Âge, Alain de Libera, Points essais, pp.253-255
« Comment décrire la production, l’engendrement, d’un être humain ? Dante [1265-1321] répond :Ce genre d’idées existait également en Inde, grâce à l’influence des grecs et romains, et plus tard des arabes. Le Brihat Samhita de Varāhamihira (VIème siècle) est un livre d’astrologie qui explique l’influence des astres sur la terre, les animaux, les hommes, les grands hommes (mahāpurusa), les signes fastes et néfastes etc. Voici pour ce qui est des bases, les spéculations sur les “substances spirituelles” ont évolué au cours des siècles. (Blog Jeux d’ombres et de lumières)
‘Je dis que quand l’humaine semence tombe dans son réceptacle, c’est-à-dire dans la matrice, elle y porte avec soi la vertu de l’âme générative, et la vertu du ciel et la vertu des éléments liés, c’est-à-dire la complexion ; et elle mûrit, disposant la matière aux influences de la vertu formative qu’apporta l’âme de l’engendrant ; et la vertu formative apprête les organes à la vertu célestiale qui, à partir de la puissance séminale, produit l’âme à la vie. Ladite âme aussitôt produite reçoit de la vertu du moteur du ciel l’intellect possible ; lequel en lui-même apporte en puissance toutes les formes universelles selon qu’elles sont dans son producteur et d’autant moins qu'il est plus éloigné de la première intelligence.’ »
« Pensée à la fois biologiquement, psychologiquement et cosmologiquement, la connexion parfaite du monde d’en haut avec le monde d’en bas donne donc lieu à un type d’homme nouveau : l’homme noble, l’« intellectuel » au sens de l’homme selon l’intellect. » Penser au Moyen-Âge, p. 279.
A partir de la Renaissance, les sciences commencent leur lente émancipation de la religion, tout en restant profondément influencées par les idées religieuses ou “théologiques philosophiques”. Un Paracelse (1493-1541), s’oppose à la religion (catholique), mais la Nature qu’il étudie est encore pleinement régie par la théologie philosophique et les “substances spirituelles”. Il se considérait “comme le médecin-prophète du dernier âge”[1].
Tout comme le “belge” (anachronisme) Jan Baptist van Helmont (1580-1644), l’écossais William Maxwell (1581-1641) et le jésuite allemand Athanasius Kircher (auteur du China Illustrata) (1602-1680), Franz Anton Mesmer était un médecin, particulièrement intéressé par le “fluide magnétique universel”. Il était l’auteur du livre De l'influence des planètes sur le corps humain (1766) et a rédigé plusieurs ouvrages sur le “magnétisme animal” (pour le distinguer du domaine de l’aimant minéral). Les mots mesmérisme et mesmériser sont dérivés de son nom. Ses thèses principales sont :
“ * un fluide physique subtil emplit l'univers, servant d'intermédiaire entre l'homme, la terre et les corps célestes, et entre les hommes eux-mêmes ;Mesmer fonde en 1783 la Société de Harmonie universelle[2] (voir aussi mon blog sur l’harmonisme de la Nouvelle Pensée). Ses membres prêtent serment et reçoivent la mission de guérir l’humanité.
* la maladie résulte d'une mauvaise répartition de ce fluide dans le corps humain et la guérison revient à restaurer cet équilibre perdu ;
* grâce à des techniques, ce fluide est susceptible d'être canalisé, emmagasiné et transmis à d'autres personnes, provoquant des « crises » chez les malades pour les guérir.”
“Je crois qu’il existe un principe incréé ; Dieu.Ce nouveau courant du “fluide magnétique universel” connaîtra plusieurs divisions, que raconte très bien Bertrand Méheust dans ses livres sur le somnambulisme (ou transe somnambulique), où l’influence peut passer par un fluide quasi-substantiel ou la suggestion, dans des cadres “théologiques-philosophiques” (ou thérapies psychiques) divers. Il s’agit toujours de rétablissement d’un certain équilibre, de réajustement à une harmonie (cosmique, sociale ou autre), voire de “guérir”.
Que cet Être suprême a créé la matière indifférente de soi au mouvement et au repos, par un acte unique de sa pensée ; que par le même acte, il lui a imprimé le mouvement qui forme, développe et conserve tous les corps.
Qu'au moyen d'un milieu qui ne peut être qu'un fluide très-subtil, il existe entre tous les corps qui se meuvent dans l'espace, une action réciproque, la plus profonde et la plus générale de toutes les actions de la nature ; que cette action constitue l’influence ou le magnétisme universel de tous les êtres entre eux.
Que l’Être suprême, en créant l’homme, l'a doué d’une âme spirituelle et immortelle, lui a donné le pouvoir de modifier le fluide qui pénètre tous les corps, par un acte de sa volonté, parce que l’âme unie au corps, ne peut recevoir ou donner des perceptions à une autre âme, que par l’action sur la matière véhicule de toutes nos sensations.
Convaincu de ces vérités et du pouvoir donné par Dieu à l’homme, d’agir selon la loi universelle qui régit tout sur son semblable, pour son utilité, je promets et m’engage, sur ma parole d’honneur, de ne jamais faire usage du pouvoir et des moyens qui vont m’être confiés - d’exercer le magnétisme animal que dans la vue unique d’être utile aux hommes, de soulager l’humanité souffrante; et repoussant loin de moi toute vue d’amour-propre et de vaine curiosité, je promets de n’agir jamais que dans la vue de faire du bien à l’individu qui m’accordera sa confiance, et d’être à jamais uni de cœur et de volonté à la société bienfaisante qui me reçoit dans son sein.
Après le serment, le Directeur et le Récipiendaire se mettent en rapport, debout, avec une certaine affectation, et par trois fois. Le Directeur embrasse ensuite le Récipiendaire sur les joues et sur la bouche, lui serre les mains, avec affection, et lui dit : Allez , touchez et guérissez.” Système raisonné du Magnétisme universel, de M. Mesmer
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[1] Paracelse (présentation et traduction de Pierre Deghaye), La grande astronomie ou La philosophie des vrais sages, Philosophia sagax, Éditions Dervy, 2000.
[2] “A la fin de l’année 1783, le docteur Mesmer, avec le soutien de quelques disciples, fonde à Paris la Société de l’harmonie universelle pour l’enseignement et la diffusion du magnétisme animal. La Société connaît aussitôt un grand succès, comptant deux-cents membres en août 1784, tandis que des filiales se créent en province et hors de France. Mais l’engouement inquiète les autorités, qui chargent les institutions savantes et professionnelles d’enquêter sur le phénomène. La condamnation académique tombe en août 1784. Face aux attaques, les partisans du magnétisme animal ne tardent pas à se diviser. Mesmer quitte la France en août 1785 et la Société cesse ses activités en 1787. Malgré de nombreux travaux sur l’histoire du magnétisme animal, la Société de l’Harmonie universelle est restée jusqu’à aujourd’hui fort peu étudiée. La journée d’études vise à présenter les premiers résultats d’une enquête historique et prosopographique menée dans le cadre du labex HASTEC et à réexaminer, à la lumière de cette enquête, l’impact du phénomène mesmérien dans les années précédant la Révolution.”
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