Orbis Pictus de Comenius |
Au commencement fut la Nature envoûtée, animée par des agents multiples, et l’effroi devant celle-ci que l’on cherche à apaiser de diverses façons. Lui être agréable en se soumettant à Elle, ou percer ses secrets pour mieux la maîtriser.
Ces deux attitudes avaient en commun le dualisme esprit-matière, et toute leur ribambelle de dualismes associés. Ciel-Terre, Dieu-Nature, sujet-objet, un-multiple, chaud-froid, masculin-féminin, actif-passif, haut-bas, pur-impur, …
Il y avaient ceux qui croyaient que la matière précédait l’esprit (présocratiques), et ceux qui croyaient que l’esprit précédait la matière (Platon). Pour faire simple on appellera les premiers “matérialistes” et les derniers “spiritualistes”, mais les pôles du matérialisme et le spiritualisme à l’état pur ont-ils réellement jamais existé ?
C’est du côté des spiritualistes que l’on retrouve ce que l’on appelle depuis l’antiquité romaine “religions”. Dans les religions, notamment les trois monothéismes, religions du Livre, la Nature est précédée par Dieu, qui se dote du même coup du meilleur de tous les dualismes associés (The winner takes it all) : ciel, esprit, sujet, un, chaud, masculin, actif, haut, pur … C’est Dieu qui a désormais le contrôle de tout cela, et c’est plutôt rassurant et pratique. Il n’y a plus qu’un seul interlocuteur à qui s’adresser (faveurs et plaintes) et à qui se soumettre.
Dans la plupart des religions, la primauté de l’Esprit n’a pas effacée le rôle de la Nature, mais la relation entre l’Esprit et la Nature était à redéfinir. La Nature était le plus souvent considérée comme l’instrument de l’Esprit pour se manifester (création, émanation, réfléchissement, rêve, …). La Nature subissait la volonté de l’Esprit par un acte unique, continu etc. Avec la primauté de l’Esprit décidée par les religions, la Nature ne change pas subitement de fonctionnement. Tous ses agents gardent leurs fonctions et leur rôles hiérarchiques, seulement tous sont en dernière ligne au service de l’Esprit. Ad maiorem Dei gloriam. L’Esprit en tant que PDG de la Nature est leur supérieur à tous.
Les spiritualistes animistes et polythéistes devaient s’adresser à chacun des agents de la Nature pour obtenir gain de cause dans chacun des domaines de spécialisation de ceux-ci. Les monothéistes avaient en théorie un seul interlocuteur. Comme on ne veut pas déranger le grand patron pour chaque bagatelle, on avait néanmoins tendance à s’adresser à des subordonnés (agents de la Nature, anges, saints, …) chargés des bagatelles en question. Ils pouvaient s’adresser directement à l’Esprit ou à un agent de la Nature. Dans la pratique, les spiritualistes (mono)théistes vivent avec une triade Dieu-Nature-Homme.
A la fin du Moyen-Âge, et avec la Réformation, la nature du lien entre Dieu et la Nature a commencé à changer. Le catholicisme devenait plus hostile à “la magie” et les protestants étaient invités à s’adresser directement à Dieu. L’homme prenait une place plus centrale (humanisme), et les scientifiques s'intéressent davantage à une Nature non-envoûtée. Au niveau des religions, il y avait comme un divorce entre Dieu et la Nature. On s’adressait à Dieu ou à la Nature, que celle-ci soit “envoûtée” (magique) ou non (scientifique). La Nature perdait graduellement sa majuscule “divine”.
On devait choisir son camp. On s’intéressait à Dieu, pour Dieu. On s’intéressait à l’homme, en se passant de Dieu pour toutes les bagatelles, en s’intéressant directement à la nature (naissance des sciences). Et puis, il y avait une troisième catégorie, qui s’intéressaient davantage à la Nature, la Nature envoûtée. Cette dernière catégorie pouvait toujours avoir besoin de Dieu comme acteur dans leurs relations avec la Nature, ou ne pas faire appel à lui. Ceux qui avaient encore besoin de Dieu dans leur connaissance de la Nature, et pour qui cette connaissance était la “connaissance de Dieu” étaient les théosophes. D’autres passaient directement par la Nature, et cherchaient une connaissance de la Nature (Sophia). Ce type de sciences de la Nature, peut être appelé “magie Naturelle”. On peut appeler cette catégorie confondue de chercheurs avec ou sans Dieu, “spiritualistes ésotériques”.
Pierre Hadot appelait ce type de magie, “magie naturelle”.
“Cette idée s’impose à partir du moment où l’on pense pouvoir donner une explication naturelle, presque scientifique, des phénomènes que l’on croyait jusqu’alors être l’œuvre de démons qui auraient été les seuls connaisseurs des secrets de la nature. La magie naturelle admet que les hommes peuvent, eux aussi, connaître les vertus occultes des choses. L’aide des démons n’est pas nécessaire pour utiliser les virtualités secrètes, cachées dans le sein de la nature.” (Le voile d’Isis, Hadot, p. 122-123)La connaissance de la Nature/nature va graduellement se diviser en ceux qui cherchent à connaître la Nature envoûtée (spiritualiste) et ceux qui cherchent à connaître la nature non-envoûtée (“matérialiste”, empirique). Des “scientifiques” spiritualistes et des scientifiques matérialistes. Rien n’empêche que ces deux catégories croient en Dieu ou non, mais cela ne change rien en les à priori de leurs recherches respectives. Dans leurs recherches, pour les “scientifiques” spiritualistes l’Esprit précède la matière, et pour les scientifiques la matière précède l’esprit, bien que de moins en moins. Les deux préservent des formes de dualisme esprit-matière, de façons plus ou moins diluées. Dans le siècle des Lumières, les scientifiques empiriques prenaient le dessus, mais les spiritualistes anti-Lumières ne se sont pas laissés faire...
Même si Dieu est mort, son ombre est toujours présent dans la Nature/nature. Et “il nous faut encore vaincre son ombre !” disait Nietzsche[1]. L’ombre de Dieu, ce sont par exemple certains dualismes récalcitrants, dont Dieu avait été doté des meilleurs : ciel, esprit, sujet, un, chaud, masculin, actif, haut etc. Dieu étant anthropomorphiquement “masculin”[2], les hommes de sexe masculin étaient plus ressemblants à Dieu, plus “haut”, plus “actif” que les femmes plus “froides” (voir Aristote), plus “passives” (voir Aristote), plus “impures” (voir les religions), puisque plus proches de la Terre et de matière.
Les religions, se sentant scientifiquement en défaut, essaient de combler ce manque en cherchant des justifications scientifiques, redorer leurs blasons scientifiques. Organiser des rencontres entre religieux et scientifiques (Mind and Life). Prouver scientifiquement des éléments de leurs doctrines, ou les bienfaits de leurs pratiques. Elles veulent préserver les à prioris spiritualistes, et si possible faire prouver par la méthode scientifique la primauté de l’esprit. En cela, elles sont aidées et/ou rejointes par des scientifiques spiritualistes (Institute of Noetic Sciences (IONS), l'Institut Suisse des Sciences Noétiques (ISSNOE), Richard J. Davidson, Daniel Goleman, Jon Kabat-Zinn, Roshi Joan Halifax, Matthieu Ricard, et Alan Wallace…). Si on remonte dans l’histoire, on voit que les scientifiques spiritualistes ont dû lâcher beaucoup de leste, mais tiennent toujours à leur à priori, à l’ombre de Dieu.
La plasticité (neuronale) étant avancée actuellement comme pion pour prouver la primauté de l’esprit. Idem pour la compassion et l’altruisme. Les scientifiques spiritualistes ont tendance à réifier les idées. Quand la violence est un problème, on propose d’enseigner et de “développer” de l’amour, quand c’est l'égoïsme, il faut “développer” de l’altruisme, quand c’est la distraction et le manque d’attention, il faut “développer” de l’attention. Tout cela sans faire appel aux véritables causes profondes des désordres perçus. On reste dans la pensée magique. Ce type d’affirmations est du même ordre que la « vertu dormitive » de l’opium chez Molière (Le malade imaginaire). C’est le langage qui donne une essence à ses produits que ceux-ci n’ont pas.
Les adeptes de la Pleine conscience croient que quelle que soit la situation dans la vie, la pratique de la pleine conscience permettra de garder le contrôle et de rester serein et la considèrent comme une sorte de panacée. Le chamanisme et les transes sont en bonne voie de promotion. Leurs bienfaits seront sans doute bientôt prouvés par des scientifiques de tendance spiritualiste. Du bien-être à toute épreuve.
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[1] “Après la mort de Bouddha, l'on montra encore pendant des siècles son ombre dans une caverne, - une ombre énorme et épouvantable. Dieu est mort : mais, à la façon dont sont faits les hommes, il y aura peut-être encore pendant des milliers d'années des cavernes où l'on montrera son ombre. - Et nous - il nous faut encore vaincre son ombre! “ (Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir - Luttes nouvelles)
[2] “Tout réalisme, au sens scolastique, mène à l'anthropomorphisme. Après avoir attribué à l'idée une existence réelle, l'esprit voudra voir cette idée vivante et ne le pourra qu'en la personnifiant. Ainsi naît l'allégorie. Elle n'est pas la même chose que le symbolisme. Celui-ci constate un rapport mystérieux entre deux idées, l'allégorie donne une forme visible à la conception de ce rapport. Le symbolisme est une fonction très profonde de l'esprit. L'allégorie est superficielle. Elle aide la pensée symbolique à s'exprimer mais elle la compromet en même temps en substituant une figure à une idée vivante. La force du symbole s'épuise dans l'allégorie.” Déclin/Automne du Moyen-Âge (PDF) de Johan Huizinga
Ouch, c'est diablement caricatural ce que vous racontez et vous faites comme si le bouddhisme était une religion comme les autres, alors que le mot religion n'existe même pas pour le bouddhisme.
RépondreSupprimerJe reconnais avoir un biais de lecture puisque je m'intéresse à l'anti-spiritualisme que l'on trouve dans le bouddhisme zen.
Je lisais hier soir dans Kodo Sawaki un zen vagabond (texte et commentaire) l'idée que les pensées et donc l'esprit n'est qu'une sécrétion du cerveau par conséquent une version assez radicale de matérialisme.
Dans un des commentaires de ce même livre, Okumura note que Kodo Sawaki ayant étudié le yogacara (esprit seulement) est très influencé par ce courant mais il note qu'à l'inverse Dogen ayant été influence par le courant tendaï rejette fortement le yogacara. Ceci me conforte dans la lecture anti-spiritualiste que je fais de Dogen.
J'ai le sentiment que vous avez tendance à réduire le bouddhisme au bouddhisme tibétain... Il me semble que le théravada et le zen sont beaucoup plus rationaliste et matérialiste que vous ne le pensez.
Il y aurait beaucoup à dire sur la caricature que vous faites de la pleine conscience. En deux mots, j'y vois personnellement une alternative aux anti-dépresseurs et anti-douleurs (qui font des ravages aux états-unis). De plus vous sous-estimez l'effet placebo dont on peut légitimement tirer profit même en le sachant.
Si, à la pleine conscience, on ajoute les TCC, on a enfin de quoi, en France, sortir de l'obscurantisme psychanalytique (qui est encore très puissant). Il faut être aveugle ou ne jamais avoir eu affaire à des psys pour ne pas le voir.
Ce que vous dites manque cruellement de citation.
RépondreSupprimer"Tout cela sans faire appel aux véritables causes profondes des désordres perçus."
Si vous aviez fait l'effort de lire J Kabat-Zinn vous sauriez que c'est faux:
"Accepter ne signifie pas que vous devez aimer tout, ni que vous devez adopter une attitude passive envers tout et abandonner les principes et les valeurs qui sont les vôtres. Cela ne signifie pas non plus que vous êtes satisfait avec les choses telles qu'elles sont et que vous vous résignez à les supporter comme "il faut qu'elles soient" (...) ou que vous devriez tolérer l'injustice, par exemple, ou éviter de vous impliquer pour changer le monde qui vous entoure (...) L'acceptation dont nous parlons ici veut dire que vous êtes arrivé à vouloir voir les choses telles qu'elles sont. Cette attitude crée en vous les conditions nécessaires pour agir de façon appropriée dans votre vie, quoi qu'il advienne. Avec une vision claire de la situation, vous saurez quels actes poser et vous aurez la conviction intérieure d'agir, bien plus que quand votre vision est voilée par les jugements et les désirs égoïstes de votre esprit, ou par ses peurs et ses préjugés" Au cœur de la tourmente...
Une autre citation qui prouve que l'idée selon laquelle Dieu est mort n'est pas inconciliable avec le bouddhisme zen :
RépondreSupprimer'Les religions modernes n'ont développé que les branches et les fleurs. Le christianisme est devenu une religion glorieuse, merveilleuse, pareille au scintillement de l'astre du fond des cieux mais Dieu est mort"
Taisen Deshimaru - Enseignement oral - N° 15 - Concentration et Observation - Volume 2 p280
J'espère que vous m'excuserez pour les deux citations de Dogen qui, selon moi, prouve son anti-spiritualisme:
"Depuis des éons incommensurables, nombreuses sont les personnes stupides qui tiennent la conscience et l'esprit pour la nature de l'éveillé, ce qui fait l'homme digne de ce nom et c'est à mourir de rire!" La nature de l'Eveillé [Bussho] Maître Dogen
""Dire qu'après la mort, les êtres retournent à l'océan de la nature, au grand Moi" est également la vue des personnes hors de la Voie"Maître Dôgen - Profonde foi en la loi de causalité [Jinshin-inga] - Shôbôgenzô, la vraie Loi, Trésor de l'Oeil - Tome 8
Plus ici :
https://mujoseppo.blogspot.com/2016/09/pierre-nakimovitch-dogen-et-les.html
Merci de vos messages SB.
RépondreSupprimerLe mot religion n’existait pour aucune des religions, mais c’est comme ça que les Romains ont appelé la religion d’état officielle de l’époque. Le bouddhisme en France a son propre temps d’antenne le dimanche matin, il a le droit de former des aumôniers, de par le Ministère de l’Intérieur les congrégations bouddhistes ont les droits accordés à d’autres religions etc. Si on interrogeait les bouddhistes français de toutes les écoles bouddhistes confondues, on trouverait sans doute des réponses diverses, mais probablement aussi convergentes permettant de conclure que le bouddhisme est une religion comme les autres.
Je suis actuellement, sur mon blog, en phase de recherche des racines de la spiritualité occidentale et de leur influence sur le bouddhisme contemporain. Je pense que je partage votre biais, mais force est de constater qu’il n’est pas très répandu, qu’il a perdu beaucoup de terrain les dernières décennies et qu’il continue d’en perdre. On peut toujours citer des textes, je le fais comme vous, qui montrent que le bouddhisme n’a pas toujours été une religion comme les autres, ni même du spiritualisme. Ils existent, mais force est de constater que dans la pratique… Quand vous dites que “le théravada et le zen sont beaucoup plus rationaliste et matérialiste”, vous pensez sans doute à ces citations. Sur mon blog, dans le passé, je faisais la même chose.
Pour la pleine conscience, je renvoie vers le dernier livre de Ron Purser (ou un des nombreux articles à son sujet, le dernier en date McMindfulness: how capitalism hijacked the Buddhist teaching of mindfulness https://www.cbc.ca/amp/1.5369991?__twitter_impression=true). Là aussi, il y a peut-être la théorie et puis la pratique. Pour les TCC, voir les références dans mes blogs à ce sujet. Il y en aura sans doute d’autres.
Pour Dogen, je suis d’accord avec vous, son concept de “shin jin” ()voir mon blog L'esprit-corps, dépasser le corps et l'esprit http://hridayartha.blogspot.com/2014/11/lesprit-corps-depasser-le-corps-et.html) est une tentative de sortir du dualisme corps-esprit. Et rien que d’avoir conscience du problème est déjà très positif et peut empêcher de tomber dans un spiritualisme de facilité. En fait, je considère que le “milieu” entre les extrêmes de matérialisme (uccheda-vāda) et spiritualisme (śāśvata-vāda) est une des particularités du bouddhisme. Cependant, pour moi la balance du bouddhisme pèse très clairement en faveur du spiritualisme.
Pour moi le bouddhisme est une religion. Simplement ce mot pose le même problème que le mot art qui pose un problème de définition. On résout facilement le problème grâce à la différence entre intension et extension. Le bouddhisme est une religion par extension car il a des éléments de familiarité avec d'autres religions mais si vous deviez considérer ce que ces religions ont de communs, le mot religion devient un concept extrêmement pauvre... comme le mot art dont on dit parfois que c'est un concept vide.
RépondreSupprimerPour la pleine conscience, le problème de la récupération par le système capitaliste n'est pas un problème nouveau puisque c'est l'un des chapitres de Zen en guerre de Brian Victoria pour la période après la guerre. Je ne suis donc pas dans une posture de déni par rapport à ce qu'écrit Ron Purser.
Seulement, je donne plus d'importance à ce que je vois autour de moi qu'à ce qu'en montre les médias ou internet de manière à ne pas non plus surévaluer les risques par rapport aux bienfaits. Le tropisme des medias c'est d'insister sur les trains en retard... est-ce que ça vous incite pour autant à ne pas prendre un train?
Ce que je vois autour de moi c'est qu'à une amie qui a eu un cancer du sein on lui a proposé la pleine conscience pris en charge par le système de santé français. Si c'est pris en charge, c'est parce qu'il y a eu des évaluations des risques et des bénéfices et que financièrement c'est plus intéressant de proposer des séances de pleines consciences parce que les gens guérissent plus vite et retournent au travail plus vite.
Tout ce qui va dans le sens du capitalisme ne va pas forcément à l'encontre de l'intérêt individuel puisque si vous interrogez mon amie sur ses séances de pleine conscience, elle n'y a vu que du positif. Encadré comme ça l'est à l’hôpital, je doute qu'il puisse y avoir des phénomènes d'emprise.
A mon avis, la pleine conscience, si vous êtes un conservateur, ne vous transformera pas en progressiste révolutionnaire et si vous êtes un progressiste révolutionnaire anarchiste, elle ne vous transformera pas en conservateur rétrograde. Au mieux elle vous rendra plus efficace dans un sens comme dans l'autre. Au pire, il ne se passera rien.
Si la balance pèse en faveur du spiritualisme, le bouddhisme n'existe pas en dehors de ce que nous en faisons. Le bouddhisme engagé n'est pas un pléonasme. Le bouddhisme n'est pas par nature engagé socialement.
La question c'est quelles sont les alternatives au spiritualisme?
Pour moi, concrètement, la pratique bouddhiste consiste à se débarrasser de ses casseroles de manière à trouver la paix de l'esprit (du corps-esprit) de manière à ne pas renaitre tout en aidant les autres à faire de même... et que la vie continue le mieux possible, sans moi.
Dans les discussions, quand on renvoie à tel ou tel philosophe en les réduisant à une affirmation ou une idée, on ne leur rend pas service, c’est certain. La réalité est plus nuancée que toute affirmation quelle qu’elle soit. Pourquoi affirmer que c’est “l’intuition de l’union du corps et de l’esprit” ? Nous nous exprimons par les mots et les concepts que nous connaissons, mais en les utilisant, nous les gardons aussi en vie. Le corps, et l’esprit sont alors bien deux entités qui peuvent être unies ou séparées.
RépondreSupprimerEn disant que le bouddhisme est une religion, on dit tout de même quelque chose d’essentiel sur le bouddhisme. Il présente une vision du monde, avec un problème et une solution, qui renvoient à une réalité au-delà du monde ou hors du monde ou équivalent, et qui permettent une sortie du monde, ou sinon un non-retour. Ce qui est essentiel dans la vision du bouddhisme, tel qu’il est le plus souvent présenté, est l’idée de réincarnation. Idée très vague, souvent mal comprise, et avec de nombreuses variantes. Un bouddhiste est quelqu’un qui veut “se libérer” de quelque chose. Quelque chose ne va pas avec la vie sur terre et la condition humaine, quelques soient tous les différents contenus possibles. S’y ajoute la croyance d’un éternel retour de l’âme ou équivalent, ce qui est un problème car la vie sur terre (ou ailleurs) et la condition humaine (ou une autre) est imparfaite pour diverses raisons, et la solution est d’empêcher l’âme de se réincarner tout court, de se réincarner dans des Terres pures etc. Le bouddhiste conçoit des raisons et des causes pour ces retours ainsi que des solutions pour que ces causes ne se reproduisent plus. Tout cela est tellement centré sur l’idée - ou le problème - de la réincarnation, que j’appelle cette forme particulière du bouddhisme “réincarnationisme” (http://hridayartha.blogspot.com/2017/02/sortir-du-reincarnationisme.html). C’est un peu comme créer un besoin et ensuite présenter une solution pour le résoudre. Sans cette idée, il n’y aurait pas ce problème spécifique, et donc le bouddhisme n’aurait plus de raison d’être. Le mot “réincarnationisme” dit mieux de quoi il en retourne pour tous les bouddhismes confondus, que le mot “bouddhisme”.
Pour ce qui est des diverses thérapies, leur efficacité et l’idéologie qu’elles véhiculent, on pourrait en parler à d’autres occasions.
J'ai rencontré des bouddhistes qui voudraient expurger le bouddhisme du réincarnationnisme un peu comme Stephen Batchelor mais ce serait renoncer aux 4 nobles vérités sans lesquelles "le bouddhisme n’aurait plus de raison d’être". A mon avis c'est simplement parce qu'ils sont dans la situation confortable du Bouddha avant sa sortie du Palais ou comme les enfants qui ne voient pas que la maison est en feu. Tant que vous n'avez pas fait l'expérience du bouddha, les 4 nobles vérités ne vous apparaissent pas comme des vérités mais comme des croyances.
RépondreSupprimerCe qui fait que le bouddhisme n'est pas une religion comme les autres c'est que 1/ il ne nous met pas nécessairement en présence du sacré
2/ il n'implique pas de croyances métaphysiques sur un créateur personnel et tout puissant.
3/ Il considère l'expérience personnelle comme plus importante que toute croyance préalable (y compris dans les 4 nobles vérités)
4/ vous pouvez pratiquer le bouddhisme sans être bouddhiste
Vous pouvez pratiquer zazen sans croire au réincarnationniste et en conservant vos croyances commme dans le zen chrétien ou chez les jubu (juifs bouddhistes)
Personnellement je ne me considère pas comme bouddhiste puisque je n'ai pas reçu les préceptes (y compris ceux des laïcs). J'ai juste mis un pied dedans.
L'autre point c'est ce que Nietzsche reproche aux religions c'est de déprécier ce monde-ci au profit d'un arrière monde. (c'est grosso modo ce que je comprends de ce que vous me dites)
RépondreSupprimerEst-ce vraiment le cas pour le bouddhisme?
C'est seulement le cas si vous situez le nirvana dans l'arrière monde si, comme dans le zen, vous situez le nirvana dans le samsara c'est déjà beaucoup moins vrai.
Ensuite ce monde-ci est considéré par les bouddhistes comme préférable aux 5 autres mondes d'existence puisque c'est le seul dans lequel vous pouvez pratiquer. La pratique est une source infinie de joie, pas un calvaire.
Par conséquent il n'est donc pas question de déprécier ce monde-ci. Même le paradis (parce qu'il est impermanent) fait moins envie que ce monde-ci si je peux pratiquer avec d'autres joyeux lurons.
Peut-être que je n'ai rien compris au bouddhisme mais pour moi si vous ne vous éveillez pas en ce monde, vos chances de vous éveiller dans un arrière monde sont quasi-nulle.
"la croyance d’un éternel retour"... je vous rappelle que chez Nietzsche la pensée de l'éternel retour est la pensée libératrice et qu'il faut accepter de revivre éternellement la même chose à l'identique. Dans le zen, vous avez peu de chance de sortir du samsara si vous souhaitez en sortir.
C'est entre une variante du pari pascalien et le jeu de l'oie. Si votre conscience s'arrête en même temps que votre cerveau c'est comme si vous aviez gagné au loto sans même y jouer. L’extinction du premier coup. Bravo!
Soit ça continue et différentes alternatives se proposent... Vous reconnaissez du premier coup la claire lumière... Dissolution. Bravo!
Soit vous rejouez la partie avec le risque d'y prendre goût et d'oublier la précédente partie à chaque nouvelle partie... ça risque de durer longtemps... mais pourquoi pas.
Soit vous passez votre tour et ça peut durer longtemps coincé dans un arrière monde. C'est toujours mieux qu'une éternité en enfer.
A vous de voir.
Une dernière chose et je vous laisse tranquille... la manière dont vous utilisez le mot idéologie me gêne c'est comme si vous ne voyiez pas celle dans laquelle vous baignez et qui est historiquement et géographiquement situé, encore que, vous dites que la langue française n'est pas votre langue maternelle pourtant idéologiquement vos positions me semblent très françaises...
RépondreSupprimerJe me plonge en ce moment dans des textes du Moyen- ge occidental. Également moins “hémiplégiques”. De toute façon, en tant qu’exercices ou dépaysements mentaux, c’est toujours intéressant. Mais l’idée de “illusion” n’ajoute rien d’utile à mon avis. Je préfère les notions d’impermanence et de changement perpétuel qui n’évoquent pas de clivage réel-illusion, qui rappelle l’opposition vérité relative et vérité absolue. Dans celles-ci on est invité à investir en ce qui dure (ou en le futur) et, et ce qui dure est un monde symbolique, qui durera finalement tant que le mental le soutient, ou au niveau collectif, tant qu’une culture le maintient. Etre conscient de l’impermanence et du changement peut aider à “libérer” juste ce qu’il faut et à moindre coût. On a souvent tendance à exagérer l’effort qu’il faut faire dans “l’autre sens” (http://hridayartha.blogspot.com/2012/03/no-lobotomy.html).
RépondreSupprimerCela n’empêche pas que j’adore lire des textes indiens ou autres sur “l’illusion” et les mondes symboliques. Je m’y promène comme dans les romans et la SF. Best of both worlds. La réduction phénoménologique rappelle l’approche analytique de l'abhidharma, où tout est réduit au niveau de dharmas à l’aide de listes de dharmas objets mentaux. Merci pour le lien.
Des interprétations non-réincarnationistes des quatre vérités sont possibles et ont été faites par des auteurs bouddhistes. Voir par exemple l’examen critique de Nagarjuna, ou l’interprétation de Vajrapani le disciple d’Advayavajra dans son commentaire du Soutra du Coeur. Le bouddhisme est relativement jeune en occident et j’ai l’impression qu’il n’a pas encore été réellement examiné et testé, par respect ou par crainte de manque d’orthodoxie. Batchelor a été un des plus courageux, mais j’aime aussi les membres de l’ex-bande du non-bouddhisme spéculatif, Shaun Bartone de Engage, etc.
RépondreSupprimerLes quatre points que vous avancez pour démontrer que le bouddhisme ne serait pas une religion (comme les autres), ne sont pas convaincants, si on faisait un tour parmi les différentes sortes de bouddhisme et que l’on en faisait un bilan. Regardez comment pratiquent les bouddhistes et les adeptes d’autres religions. Extérieurement, il n’y pas bcp de différence. Tout n’est pas non plus une question d’interprétation, car il y aurait toujours des bouddhistes pour dire que vous n’en êtes pas un pour diverses raisons, notamment sur le point de la croyance en la réincarnation. Puis, les bouddhistes ethniques acceptent mal que l’on choisisse uniquement tel ou tel élément (zazen, dzogchen 1.0, pleine conscience,...) sans prendre tout le package (notamment les préceptes), ou bien ils l’acceptent comme une approche initiale graduelle et ludique vers un bouddhisme plus sérieux et exclusif.
Je suis assez d’accord sur ce que vous dites sur l'immanence et/ou la transcendance du nirvana. C’est une théorie, qu’en fait-on ?
Mon intransigeance est une posture et intentionnellement confrontationnelle. Dans les spiritualismes, les batailles ont souvent lieu sur le terrain théorique (doctrinaire). Il ne s’agit pas de prouver quoi que ce soit, mais d’atteindre un point d’impasse, de suspension, non élucidé, et cette non-élucidation est alors utilisée pour justifier toute la ribambelle de pratiques spiritualistes. Sait-on jamais que l’acte réellement efficace et éveilleur, ou boostant l’éveil, se trouve dans le lot. Ne pas jeter le bébé avec l’eau de bain est une expression qui revient très souvent dans les débats bouddhistes. Ainsi on se trouve toujours avec les substituts de sacrifices animales dans les rituels du bouddhisme tibétain, reliefs de pratiques de magie antique. C’est la tradition qui le veut.
En Asie, les bouddhismes ont eu une longue évolution, et les bouddhismes se sont adaptés à tous les pays où ils ont été implantés, à force d’échanges souvent féroces avec d’autres religions ou interbouddhistes. L’occident reçoit d’un coup tous les bouddhismes dans leur état actuel, sans ce long processus d’évolution et de familiarisation. Je pense que l’occident est en droit de demander le pourquoi et le bien-fondé de tout ce que proposent les bouddhismes. Puis de les tester et évaluer. De façon sérieuse, comme le ferait un orfèvre...
Merci de cet échange.
"ils l’acceptent comme une approche initiale graduelle et ludique vers un bouddhisme plus sérieux et exclusif." Je ne dis pas autre chose concernant la pleine conscience.
RépondreSupprimer"Sait-on jamais que l’acte réellement efficace et éveilleur, ou boostant l’éveil, se trouve dans le lot." On le sait en en faisant l'expérience avec le risque de prendre le premier barreau de l'échelle pour le dernier.
"Extérieurement, il n’y pas bcp de différence." Tout dépend à quelle distance on se place. Lorsque des asiatiques se convertissent au christianisme et qu'ils demandent aux autorités religieuses occidentales compétentes dans quelle posture on doit recevoir l'eucharistie, celles-ci ne peuvent s'empêcher d'éclater de rire tant la question n'a pas de sens pour elles.
A l'inverse quand des chrétiens se convertissent au bouddhisme et qu'ils demandent "le pourquoi et le bien-fondé" d'une pratique ce sont les asiatiques qui éclatent de rire.
Demander "le pourquoi" trahi le bain idéologique dans lequel nous baignons. Il suffit parfois de "faire" dans une attitude ouverte pour que la question "pourquoi" disparaisse.
J'ai rencontré un lama qui n'a pas caché sa surprise en me voyant habillé en noir alors qu'il s'agissait pourtant d'une rencontre inter-bouddhiste. Il est clair que le fait de choisir sa tradition en la comparant avec les autres traditions ne peut que nous inciter à nous poser des questions notamment sur le risque de nous duper nous-même en croyant que nous sommes devenus bouddhiste alors que nous sommes restés chrétien (ce qui est un non sens pour le DL).
Sur le sujet qui vous intéresse en ce moment, un peu par esprit de contradiction je dirais qu'il y a des "gap", des ruptures entre générations. Rien que l'idée que Bergson ait fait tourner les tables suffit à ma sidération. Entre les spirites (des années 30), théosophes et le new age des années 70 déjà il y a un monde. Mais j'ose espérer que l'écart est encore plus grand avec ma génération.
J'ai un ami qui fait des formations dans le domaine du bien-être et il est bluffé par certaines de ces thérapies alternatives en terme de résultat mais il m'a dit que même s'il voyait des résultats tangibles sur lui-même il ne pouvait s'empêcher de rester sceptique.