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mercredi 26 octobre 2011

La vie comme un long fleuve tranquille



Un des thèmes souvent débattus au 11ème siècle était le passage du recueillement au recueillement subséquent. Voir par exemple l’échange entre Gampopa et son maître Dyayulpa. Tant qu’il y avait une différence entre les deux, il y avait encore dualité et donc intervention intellectuelle. Les Instructions de l’Inconditionné (T. A khrid) expliquent comment passer de l’un à l’autre, dans l’optique d’éliminer les déformations intellectuelles qui créent la notion de passage.

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Hommage aux guides authentiques

b) Deuxième point, il faut s'entraîner dans la méthode qui élimine les déformations intellectuelles.

(1) Il est important de mettre l'accent sur le recueillement, la dissolution et le maintien.
D'abord, en ce qui concerne la façon d'entrer en recueillement, le texte Signes de réussite au moment du trépassement et de la mort (T. 'da' dga' 'chi drod) de gShen rab dit :
« Dans la Pensée du rayonnement [de la conscience], on entre l’absence de sujet percevant qui appréhende. Les cinq facultés sensorielles sont laissées naturelles et libres. L'Intelligence se dilate. Le corps et l'esprit sont laissés sans intervention aucune. »
Extrait du Cycle des neuf secrets (T. Gab pa dgu skor) :
« la voie de l'esprit est « le bonheur qui ne se construit pas (T.  bcos su med pa bde) »
Extrait des Paroles du Grand maître :
« Dans le domaine où tout ce qui se manifeste émerge de lui-même, on laisse tout ce qui se présente sans s'en préoccuper (T. rang sor). Le sujet percevant, libre de toute appréhension, attachement et identification se déploie librement. Le sujet percevant, où sujet et objet sont indifférenciés, entre dans un état sans culture mentale ni distraction. »
Et de la transmission orale de l'Ermite père et fils :
« Dans un état sans intervention, [l'esprit] entre naturellement dans un mode de vivacité (T. lhag ge), de relâchement (T. 'bol le) et de dissolution (T. shigs se).
Au fond, il s'agit de ne pas laisser s'écarter le sujet conscient des pensées et des remémorations, qui sont le dynamisme [inhérent à la conscience] (T. rtsal), du mode d'être de la conscience fondamentale qui est comme la Mère sur laquelle se fonde l'Intelligence (T. rig pa) qui est comme le Fils sans aucune manipulation, ni va-et-vient de vagues (T. sgre log). »
Le Grand maître dit :
« En chercheant, on le perd ; en le contemplant, on l'obscurcit ; en le cultivant, on le corrompt ; et en étant trop actif, on risque de se perdre dans l'Errance. »
Il n'y a qu'un seul point essentiel (T. gnad) que l'on doit toujours garder présent à l'esprit : il est important de s'avoir entrer dans les modes de l'esprit (T. 'jog shes pa).

(2). Deuxièmement, la façon de dissoudre l'état [de recueillement] entre les sessions. Si l'on ne sait pas se contenter (ldengs pa = 'dang ba) du pic/de la mesure suffisante (T. thog) de recueillement, il faudrait outrepasser le sujet conscient du post recueillement. En laissant se dissoudre graduellement [le recueillement], on laisse se dissoudre en non méditation, tout ce qui avait été médité auparavant. On continue l'expérience sans distraction tout en tranchant avec effort le fil de l'attention du méditant.

Extrait du Tantra :
« Ce n'est pas par la méditation que l'on trouvera le Bouddha. Il faut laisser se lever l'intuition naturellement présente. Quand elle se lève, on n'accède (T. rtogs) pas au principe de l'élément spirituel (S. dhātu-tattva), mais on entre naturellement dans un mode sans considérer le rayonnement [conscient]. »
Extrait des paroles de [Me nyag] :
« On ne le déterminera pas par la méditation, mais en se plaçant naturellement sur le fondement éveillé (T. sangs gzhi'i steng).[1] En se perdant (T. gol) dans l'expérience ordinaire, on laisse se lever l'intuition du rayonnement de la remémoration (T. dran gsal). Quand elle se lève, on n'appréhende pas la vacuité (T. stong nyid), mais on s'appuie sans distraction sur l'absence de méditation. On agit à son gré, la perception de l'instant présent active (T. brel brel po), puis se dissolvant dans le relâchement (T. klod grol). »
Extrait des Paroles du Grand maître :
« C'est comme une charge de bois [sanglée] : elle est lâchée en la lâchant, elle est défaite en la laissant se défaire et elle est dénouée en la laissant se dénouer.
Il est important entre les séquences de savoir relâcher. »
Certains lamas ont dit : « En se contentant (ldengs pa = 'dang ba) du pic (T. thog) du repos mental, c'est comme s'endormir quand on est en route pour conclure une affaire. » « S'attacher à la saveur de l'absorption est un obstacle intérieur. » Puis, extrait du Cycle des neuf secrets (T. Gab pa dgu skor) :
« Celui qui médite en pensant 'Je médite' obnubile la base fondamentale (S. ālaya) et la pensée d'éveil (S. bodhicitta). » Ces propos aussi ne vont-ils pas dans le même sens ?

(3).  Troisièmement, pour maintenir [le recueillement] dans l'expérience ordinaire, il ne faut rien cultiver spécifiquement après la dissolution. Le fil de l'attention en se prolongeant (T. 'thud) naturellement, il est maintenu dans l'absence de méditation et de distraction.

Les modes suffisants (T. chog bzhag[2]). A l'aide des instructions où il n'y a rien à méditer et aucune distraction, le courant de l'Intelligence devient de plus en plus évident.

Extrait des Paroles du Prêtre (officiant des Chefs) Tha mi thad ge :
« Qu'on lance les cailloux/dés astrologiques de toutes les angles ou vers toutes les angles, faites le après avoir planté le point d'ancrage (T. gzer gdab) qui empêche de vous séparer du grand lac (T. gting/rdzing) qui éclaircit le sens. » ???
Extrait des Paroles du Grand maître :
« Après [la pratique] du relâchement, du dénouement et de la dissolution (T. klod dkrol bshig gsum), suivez la série mentale (S. saṃtāna, saṃtati T. rgyud, rgyun), sans méditation ni distraction et sans représentation ni appréhension. »
Ainsi, le fil de l'attention est prolongé spontanément dans cet état et maintenu à tout moment et dans toutes les circonstances.

Pour chaque cycle que l'on commence et que l'on maintient, il faut se conformer aux points essentiels de la posture physique, des regards yoguiqes et du recueillement, pour que l'Intelligence se pose sur le principe fondamental (S. tathātva T. gnas lugs) sans manipulation.

En dissolvant [le recueillement] entre les sessions, on contemple tel quel celui qui médité par zèle (litt. par excès d'excellence), en le laissant se dissoudre graduellement dans un état avec ou sans méditation.[3]

Finalement on préserve [le recueillement] sans le cultiver spécifiquement. Le fil de l'attention empêche l'Intelligence de se perdre dans l'expérience ordinaire. On le maintient en suivant la série mentale (S. saṃtāna, saṃtati T. rgyud, rgyun) sans méditation ni distraction.

Initialement, [la durée de] la dissolution est raccourcie en pratiquant le recueillement et le maintien avec une durée égale. Par la suite, on le prolonge quand on réussit à le maintenir de plus en plus longtemps, en pour finir, quand on sait le maintenir en permanence (T. 'ba' zhig tu), on n'aura plus besoin du recueillement et de la dissolution. On est alors arrivé à la fin de la méditation en sessions.

Par conséquent, puisque le corps de la pratique de l'absence de caractéristiques des sessions traitées ici est le coeur (T. snying tig (sic)) de la pratique, ces instructions concernent la pratique continue qui est la règle générale. En particulier, à l'occasion d'une pratique de rappel/stimulation (T. 'bog =? bog 'don), on peut la faire pendant 10, 15 etc. jours.

C'était le chapitre neuf des Paroles de Dampa Rinpoché sur l'entrainement en la méthode pour éliminer la déformation [intellectuelle].

 ***



[1] "La Base fait l'objet de trois déterminations générales : la base à purifier, la base de la méprise et la base des productions. La base à purifier est la pureté primordiale universelle. " (gZhi la spyi gcod rnam pa gsum / sangs gzhi 'khrul gzhi 'byung gzhi gsum / sangs gzhi ka dag chen po'o). Extrait de l'Exposition du sens des douze tantras garçons (T. rgyud bu chung bcu gnyis kyi don bstan pa).
[2] Il y a quatre modes suffisants : celui de la montagne (T. ri bo cog bzhag), de la mer (T. rgya mtsho cog bzhag), de l’Intelligence (T. rig pa'i cog bzhag) et celui des apparences (T. snang ba cog bzhag). L’idée étant sans doute que ces cgoses se suffisent à elles-mêmes.
[3] On laisse disparaître tout seul l'élan du recueillement, sans l'arrêter net

Texte tibétain Wylie


bla ma dam pa rnams la phyag 'tshal lo
b) gnyis pa bar du blos byas kyi dri ma dang bral ba'i thabs la b.slab pa la/
(1) 'jogs bshig skyong gsum gnad du bsnun pa gal che ste/
dang po bzhag thabs la/ gshen rab 'da' dga' 'chi drod las/ der gsal gyi dgongs pa la der 'dzin gyi shes pa med par bzhag/ sgo lnga rang yan du bzhag/ rig pa khyab bdal du bzhag/ lus sems bcos med du bzhag/ ces dang*/
gab pa las/ sems kyi lam ni bcos su med pa bde zhes dang*/
bla chen gyi gsung las/ gang snang rang sar gyi spyod yul/ thug phrad rang sor bzhag/ 'dzin chags zhen med kyi shes pa rgya yan lhug par bzhag/ gzung ‘dzin dbyer med kyi shes pa sgom med yengs med du bzhag ces dang*/
ri khrod pa yab sras kyi zhal nas kyang*/ ma bcos pa'i nang la rang lugs su lhag ge bzhag/ lhod de bzhag/ 'bol le bzhag/ shigs se bzhag ces dang*/
don du ma kun gzhi yin lugs kyi steng du bu rig pa la bcas bcos sgre log med pa/ rtsal bsam dran gyi shes pa ma g.yos par bya ste/ rang sar thog tu kad de ‘jog pa yin te/
bla chen gyis btsal bas stor/ bltas pas 'grib /bsgom pas slad/bya byed mang na 'khor bar 'khyams nyen 'dug
gsung pa dang*/ gnad gcig pas/ rgyud la 'byor ba bya ste/ 'jog shes pa gal che'o/
2. gnyis pa bar du bshigs thabs la/ bzhag thog der ma ldengs pa byas la/ rjes kyi shes pa la zla dgos te/ shig shig bshig cing sgom yod thams cad sgom med du bshig cing/sgom mkhan gyi dran thag rbad de bchad la yengs med du nyams su blang ste/
rgyud las/ bsgom pas sangs rgyas mi rnyed kyi / rang 'byun ye shes 'char du chug/ shar bas dbyings nyid mi rtogs kyi / gsal la dmigs med rang bzin zhog ces dang/
ne rgyung gi gsung las/ bsgoms pas gtan la mi phebs kyi/ sangs gzhi'i steng du rang bzhin zhog/ bzhag pas
tha mal gyi sar gol gyi/ dran gsaJ gyi ye shes 'char du chug/ shar pas ston nyid mi 'dzin gyi/ bsgom med steng du yengs med sten/ da lta'i shes pa brel brel po/ klod dgrol shig la ci dgar spyod/ ces dang* /
bla chen gyi gsung las/ shing khur dang 'dra ste lhod kyis klod/ shigs kyis shig/ khrol gyis dkrol/ ces gsungs pas/
bar du bsig shes pa gal che/
bla ma kha cig zal nas/ sgom zhi gnas thog tu ldengs pa ni/ don gnyer lam du gnyid log 'dra/ zhes gsungs pa dang*/ tin ne 'dzin ro la chags pa ni nang gi bdud / ces dang*/
gab pa las bsgoms so snyam pa'i bsgom pa des kyang*/ kun gzhi byang chub (p. 97) sems la 'grib
ces gsung pa rnams kyang don de la mi dgongs sam/

3. gsum pa tha mar b.skyangs pa la yang bshig pa'i rjes la ched du mi sgom par/ nang gis dran thag 'thud la sgom med yengs med du bskyang par bya ste/
cog bzhag las/ sgom du ci yang med pa la/ yengs su med pa'i man nag gis/ rig pa'i rgyun yang gsal bar ston/ces dang*/
dpon gsas tha mi thad ge'i gsung las/ thams cad nas  thams cad  du rtsis gdab kyi rde'u gtor la don gsal ba'i gtin (rdzin) chen dang mi 'bral bar gzer gdab ces dang*/
bla chen gsung las/ klod dkrol bshig gsum gyi rjes la/ sgoms yengs med rtog 'dzin med par rgyud la brten ces pas/
nang la nang gis dran thag 'thud de/ dus dang rnam pa kun tu bskyang ngo/
de yang las dang po skor re la chan bar byed pa'i dus su/ lus gnad lta stangs mnyam bzhag ltar bca' ste/ rig pa ma bcos gnas lugs kyi steng du 'jog/
bar du bshig ste bzang bdo ba sgom mkhan la cer gyis ltas te/ sgom yod sgom med du shigs kyis bshig/
tha mar bskyang ste ched du mi sgom/ dran pa thag pas rig pa tha mal du ma shor bar bya ste/ sgom med yengs med 'bral med du rgyud la bsten te bskyang*/
de yang dang po bshig pa thung la 'jog pa dang skyon ba yun cha mnyam tsam bya/ de nas skyong shes je ring du rgyun 'thud la tha ma skyong shes 'ba' zig tu gyur pa dang*/ 'jog bshig mi dgos te/ de tsam na thun sgom zad sar skyol ba yin/
des na da lta thun sgom dus kyi mtshan med kyi dnos gzhi nyams len gyi snying tig 'di nyid yin pas/ dus rnams kun gyi nyams len la gdams ngag 'di spyir 'drim shes par bya zhin/ bye brag tu 'bog pa'i dus su ni bcu bco Inga las sogs su bsgom du gzhug go/
dri ma dang phral ba'i thabs la b.slab pa'i thun mtshams dam pa rin po che'i gsung bzhin/ spros pa ste dgu pa'o/


mardi 25 octobre 2011

Métaphore, signe et sens


Bru rGyal-ba gYung-drung (1242-1296)


A la fin de l’empire tibétain en 842 (et du bouddhisme monastique au Tibet), commence une période sur laquelle nous savons encore trop peu et qui s’étend jusqu’à environ 978, le début de la « renaissance tibétaine » (978-1276) et le retour d’un bouddhisme monastique. Ce n’est qu’à partir de 1900 avec la découverte des manuscrits de Dunhuang, au bord du désert de Gobi, en Chine occidentale, qu’une nouvelle source d’informations devenait disponible. La grotte, où étaient gardés les manuscrits, fut scellée et occultée autour de 1010 jusqu’à sa redécouverte en 1900. Hormis la fourniture de manuscrits jusqu’alors inconnus elle donne une indication sur quel textes étaient connus avant 1010 et sous quelle forme.

Pendant ce qu’on appelle quelquefois « l’âge obscure » (842-978), il semble ne pas y avoir eu une véritable religion organisée. Les deux religions présentes encore actives, mais en mode de survie, étaient l’école bouddhiste qui allait être désignée à la renaissance par le nom « ancien » (T. rnying ma) et la tradition locale dite « Bön ». Les deux traditions, « Bön » et « Ancienne », ont développé des systèmes auxquels elles donnent le nom « Grande perfection » ou « Grande complétude » (T. rdzogs chen), et qui sont devenus leurs systèmes emblématiques.

Pendant la période d’inventorisation, d’approvisionnement supplémentaire et de systématisation qui a suivi à la renaissance tibétaine, différents types d’instructions issues de différentes filières furent classés (T. sde) ensemble de par leur ressemblance, portée, origine attribuée, techniques… Puis, il fallait garantir l’authenticité et l'AOC de chacun. Ce fut l’essor des hagiographies. Tāranātha (1575–1634), n’était pas un historien, dans le sens accepté de nos jours, mais il était très conscient des lacunes en cette matière et plus exigeant que ses contemporains.
« Quand les tibétains racontent l’histoire du débat entre [Maitrīpa] et Śāntipa, ils le font de manière tout à fait incorrecte et il n’existe même pas de compte-rendu oraux à Āryadeśa à ce sujet. [Les indiens] disent ceci au sujet des tibétains : « Bhotā Svana Bāktya Samaya Coteka Siddhi Sādhaka Kya », ce qui veut dire, « ce que racontent les tibétains ne sont que des aboiements de chiens (Note : un chien qui aboie en fait en aboyer un autre etc.) , ou des propos d’un Siddha ou Sādhaka qui a abandonné ses voeux ». Il faut savoir que les mensonges communs des tibétains stupides ont été compilés de la sorte. » [1]
Nous sommes donc avertis et devraient prendre toutes les précautions à notre disposition en matière d’hagiographies, affiliations et attributions, en nous appuyant sur ce dont nous pouvons être raisonnablement certains et en gardant notre sens critique.

Quand nous parlons de lignées, ou de cycle d’enseignements, celles-ci ou ceux-ci sont composées d’instructions (ce qui est indiqué par le terme « catégorie » (T. sde) dans p.e. sems sde, klong sde etc.) qui peuvent avoir leur propre histoire et filiation et qui à un certain moment ont été inclus dans un « package ». C’est vrai pour la Mahāmudrā, c’est vrai pour le Lamdré, c’est vrai pour le Dzogchen.

Sans nous préoccuper de l’origine du « Dzogchen » de la tradition Bön éternel (T. g.yung drung bon), il se compose en trois parties A-rdzogs-snyan-gsum, c'est à dire : Les instructions sur A (l’Inconditionné), (T. A khrid), la « Grande perfection » proprement dite (T. rdzogs chen) et les Instructions orales de Zhangzhung (Tibet occidental) (T. Zhang zhung snyan rgyud).

Le type d’instructions qui ont le plus de ressemblance avec celles de Maitrīpa ce sont les Instructions sur A (T. A khrid). L’origine de ces instructions est attribuée à rMeu dGongs mdzod (1038-1096), ce qui les situe au 11ème siècle. Malheureusement, à ma connaissance, le cycle de 80 sessions composé par Gongdzeu n’ont pas laissé de trace. Ce qui existe et ce qui sert de base aux Instructions sur A est un texte sur un cycle de 15 sessions (T. man ngag khrid kyi rim pa lag len thun mtshams dang bcas pa), composé par Bru rGyal-ba gYung-drung (1242-1296). Donc au treizième siècle. Ce cycle de méditation A-khrid a été étudié par Dr. P. Kvaerne[2].

Dans le bouddhisme tibétain, le « Grand ermite » (T. ri khrod pa chen po) c’est Śavaripa, et la transmission père-fils du Grand ermite est celle de Śavaripa et Maitrīpa. Dans la transmission des Instructions sur l’Inconditionnel (T. A khrid), nous trouvons l’expression « dans la transmission orale de père-fils du grand ermite » (T. ri khrod pa yab sras kyi zhal nas). Dans ce cas, le grand ermite est dGongs-mdzod (1030-1096), à qui est attribué l’origine de A khrid, et ses fils sont A-zha blo gros rgyal mtshan (1198-1263) et Bru rGyal-ba gYung-drung (1242-1296), l’auteur des 15 sessions de l’Inconditionnel (A).

Son texte se divise en trois parties : préparatifs (T. sngon ‘gro), pratique fondamentale (T. gnos gzhi) et conclusions (T. mthar phyin pa). L’extrait fait partie de la pratique fondamentale, et plus précisément dans celle qui explique comment stimuler notre pratique du recueillement (T. mnyam bzhag). La pratique est stimulée par l’adoption d’une posture corporelle adéquate, par l’utilisation du regard yoguique (T. lta stangs) et par une Introduction (T. ngo sprod) ou Confrontation (traduction utilisée par Per Kvaerne), qui est dite être « le point essentiel du chemin des expédients (T. ngo sprod thabs lam gyi gnad)  ! Cette Introduction, « face-à-face », « rencontre des faces », a lieu à l’aide de trois facteurs que sont la métaphore, ou l’exemple (T. dpe), le signe (T. rtags) et le sens ou la réalité (T. don), et qui vont converger pendant la « Confrontation ». L’utilisation de l’Introduction avec la triade métaphore-signe-sens n’est pas l’exclusivité du système A khrid, ni du « Dzogchen » des anciens[3] ou de Longchenpa[4], mais se trouve aussi dans le sillage d’Advayavajra[5]. Pour trouver son origine, il faudra sans doute chercher du côté de l’intuitionnisme de Bhartṛhari, qui s'était peut-être inspiré à son tour de l'Entrée à Lankâ

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Séquence des instructions de la transmission (S. amnāya) avec les sessions de pratique

3. [les points essentiels de la méthode d'Introduction]

Quand le ciel est clair et découvert et qu'il n'y a pas de vent, [l'adepte] adopte le regard et la posture corporelle expliqués ci-dessus, tout en fixant son esprit (T. rig pa) sur le ciel environnant (T. bar snang). Le ciel et son esprit se confondent entièrement (T. khrug gis) et se rencontrent (T. phrod) soudainement (T. kad kyis). Au moment où il n'y a plus aucune distinction, il est introduit (T. ngo sprad) à l'aide d'une métaphore, d'un signe et du sens.

Extrait du Gab pa[6] :
« L'identité de la métaphore, du signe et du sens est dit être la contemplation de la réalité non duelle dans l'esprit de la personne introduite (T. skal ldan). »
A cet instant, dans le ciel extérieur aucune identifcation de substance, forme géométrique, couleur, limite, centre, quartier ou caractéristiques n'étant possible, cette limpidité radieuse (T. sang nge ba) sans fondation, ce dénouement dans la vacuité (T. khrol le ba) sont la métaphore.

A l'intérieur est perçue telle quelle[7] (T. gcer gyis mthong), sans distinction entre extérieur et intérieur, l'effervescence cognitive (T. rig rig po) et lumineuse[8] (T. sal sal po) que l'on appelle « son esprit ». Cette réalisation vive est le signe.

L'identité entre les deux est établie : le ciel étant comme le principe conscient et le principe conscient étant comme le ciel, les deux se confondent et sont indistinguables. De l'état d'identité universelle de la non dualité, [surgissent] continuellement (S. nirantaram) les [expériences] éphémères (T. kad de ba). Voilà le sens du principe spirituel (T. bon nyid), que l'on appelle « Corps de réalité » (T. bon sku), et une fois qu'il s'est revélé, il convient de l'appliquer à tous les objets et perceptions (T. yul shes).

Extrait des Six enseignements (T. lung drug) :
« Toutes les apparences diverses sont Samantabhadrī et toutes les actions (T. mdzad spyod) sont les expédients, le principe masculin (T. yab). Ce qui ne s'écarte pas [de l'alliance des deux principes] est dit être Shenlha (T. gshen lha)[9]. Il faut comprendre qu'il s'agit de la même instruction essentielle (T. gnad). » 
Extrait du commentaire :
« La distinction en métaphore, signe et sens a été enseignée uniquement pour guider les êtres dans l'Errance (S. saṃsāra). »
Ensuite, au moment où ces instructions sont transmises comme pratique spirituelle, il faut les laisser pratiquer pendant neuf, onze, quinze etc. [jours] et cultiver conjointement le repos mental (S. śamatha) et la perspicacité (S. vipaśyanā).

La session de stimulation (T. bog 'don), développée conformément aux propos de mon maître, le protecteur des êtres, est le septième chapitre.

*** 
Illustration : Dru Gyelwa Yungdrung

[1] « The Tibetans when reconting the story of [Maitrīpa’s] debate with Śāntipa, give the meaning quite incorrectly and in Āryadeśa there are not even any oral accounts of it. The following is said about Tibet – « Bhotā Svana Bāktya Samaya Coteka Siddhi Sādhaka Kya », which means, « What the Tibetans say is like the sounds of dogs barking, or like the sound of a Siddha or Sādhaka who has abandoned his vows ». One should know how the common lies of the silly Tibetans have been thus compiled. ». (Templeman, 1983.), p12 Bod rnams de rjes shAnti pa dang rtsod pa byas sogs kyi lo rgyus ‘chad pa ni don la yang mi rigs par snang zhing*/ ‘phags pa’i yul na kha skad tsam yang med gsung*/ bod na de ltar grags zhus pas/ bhoTA svana bAkya sAmaya tshoTeka siddha sādhaka kyA/ zhes gsungs te bod pa khyi’i la ba dam tshig spangs pa’i grub thob dang sgrub pa po gang zhes pa’o/ des na de ni bod blun po rnams kyi brdzun phal ka sgrigs su shes par bya’o/ Extrait de : bka' babs bdun ldan gyi brgyud pa'i rnam thar ngo mtshar rmad du byung ba rin po che'i khungs lta bu'i gtam, http://www.tbrc.org/#library_work_ViewByOutline-O01CT0029d1e2490%7CW22276
[2] « Bonpo Studies : The A-khri system of Meditation », Kailash, I, (Kathmandu 1973).
[3] Ngo sprod rin po che spras pa'i zhing khams bstan pa'i rgyud (abr. ngo sprod spras pa’i rgyud), "The Tantra of the Buddhafields of Precious Direct Introduction", dont la traduction est attribuée à Vimalamitra et sKa ba dpal brtseg
[4] Chos dbyings mdzod, chapitre 3
[5] dpal sa ra ha dang mnga' bdag mai tri pa'i zhu ba zhus lan "Réponses aux questions de Maitrīpa à Śrī Saraha" (otani beijing: 5048 ). Lire ce texte en regard de la traduction présentée ici est très instructif.
[6] Le Cycle des neuf secrets (T. gab pa dgu skor) et le Coucou de l'Intelligence (T. rig pa'i khu byug) sont une part essentielle de la Section de l'Esprit (T. sems sde) dans la tradition Bön.
[7] gcer gyis = nu = « L'habit de l'intellect étant enlevé, l'Intelligence rayonne librement. (T. blo yis g.yan lug bud nas rig pa gcer bur 'char/) ». Extrait du snyan rgyud.
[8] Dérivé du sens de « mdangs sal sal ». Continuellement radieuse.
[9] « gShen-Lha-Od-Dkar, dans la religion Bön tibétaine, était le « dieu de la lumière blanche » à partir duquel tous les autres dieux émanèrent. Avant l'existence de toute chose, deux lumières apparurent : une noire et une blanche. Puis vint un arc-en-ciel qui donna naissance à la dureté, à la fluidité, à la chaleur, au mouvement et à l'espace. Ces phénomènes se mêlèrent les uns aux autres pour créer un oeuf  gigantesque. De cet oeuf, la lumière noire produisit la maladie, les affections la douleur et d'innombrables démons, tandis que la lumière blanche donna la joie, la prospérité et de nombreux dieux. » Source :  http://mythologica.fr/tibet/gshen.htm. Il est aussi appelé Corps de perfection (rdzogs-sku),l’ équivalent du sambhogakāya.

Texte tibétain Wylie

3. [ngo sprod thabs lam gyi gnad do] gsum pa sprin dan lhag rlung med pa'i nam mkha' dangs pa la/ gong gi lta stangs lus gnad 'char bcug ste/ rig pa bar snang la gtad de/ nam mkha' dang rig pa khrug gis 'dres/ kad kyis 'phrod/ dbye yis mi phyed par gyur pa'i dus su dpe don rtags gsum gyi sgo nas ngo sprad de/
gab pa las dpe don rtags dang gsum du mnyam pa 'di/ skal Idan sems la gnyis med don du sgoms gsungs pas/
de'i dus na phyi nam mkha' la dngos po dbyibs kha dog mtha' dbus phyogs mtshams mtshan nyid ngos bzung gang du yang grub pas rtsa bral du sang nge/ stong nyid du khrol le ba 'di dpe yin/
nang du bdag gi sems zer ba'i rig rig po sal sal po 'di yang phyi nang dbyer med par gcer gyis mthong*/ sal gyis rtogs pa de rtags yin/
de gnyis mnyam kha de bcad/ nam mkha' ci bzhin sems nyid/ sems nyid ci bzhin nam mkha' khrug ge 'dres/ dbye yis mi phyed pa gnyis med mnyam pa chen po'i nang las rgyun chags su kad de ba de la/ don bon nyid bon sku bya ste/
de yis mtshon nas yul shes thams cad la sbyar du rung ste/
lung drug las/ snang ba sna tshogs 'di ni kun tu bzang mo la/ mdzad spyod thams cad thabs te yab/ de las ma g.yos pa de gshen lha’ang gsungs pa dag dang gnad gcig tu go ste/
'grel pa las/ dpe don rtags dan gsum du phye ba yang*/ 'khor ba'i sems can bkri drang cam du zad gsungs so/
de nas gdams pa 'di 'ang/ dge sbyor ston pa'i dus su dgu'am/ bcu gcig bco Inga las sogs su bskyang du gzhug cing*/ zhi gnas lhag mthong zung 'brel du bskyed cing*/ bog 'don pa'i thun mtshams/ 'gro mgon bla ma' i gsungs bzhin spros pa ste bdun pa'o/