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lundi 27 avril 2020

Cherchez la femme de sagesse


Détail d'un très beau thangka de Vajravārāhī, Rossi & Rossi, Hongkong et Londres

Pour Sakya Paṇḍita (1182–1251) (dans le sDom gsum rab dbye, 1232), l’accès à la mahāmudrā passe par une consécration, et plus précisément par la quatrième phase de la consécration. Elle est donc une réalisation dans le cadre d’un tantra. Pour Gampopa, l’accès à la “mahāmudrā”, qui est en fait la réintégration du Naturel (tib. phyag chen lhan cig skyes sbyor), n’était pas en fonction d’une consécration. Dans la Transmission Aurale de Cakrasaṃvara (“Lignée de Nāropa”), l’accès à la mahāmudrā passe par une autorisation (tib. rjes gnang, dbang bka’, bkas gnang, ou byin rlabs bkas gnang), qui est une autorisation avec transmission de grâce, suivie de la pratique des Six yogas de Nāropa. Pour Sakya Paṇḍita, une autorisation avec transmission de grâce n’est pas une condition suffisante pour pratiquer les instructions associées à un tantra. Vajravārāhī est la parèdre de Cakrasaṃvara, et relève donc originellement du Tantra de Cakrasaṃvara. Mais son culte dans la lignée Kagyupa s’est plus ou moins émancipé du cadre strict du Tantra. Pour les tantrika puristes comme Sakya Paṇḍita et ses disciples, l’autorisation avec transmission de grâce de Vajravārāhī seule était une condition insuffisante, car elle ne permettait pas à la maturation (tib. smin pa) progressive (skt. krama) de l’adepte. Sakya Paṇḍita clamait en outre que Marpa Lhodrakpa n’aurait même pas reçu l’autorisation de Vajravārāhī ("rdo rje phag mo'i byin rlabs ni//mar pa lho brag pa la med").

Gampopa (1079–1153) donnait ses instructions de mahāmudrā en dehors d’un contexte initiatique, même sans l’autorisation/grâce de Vajravārāhī. Initialement, quand ses disciples demandaient une consécration, il les envoyait ailleurs, et souvent ils finirent par rester avec le lama qui leur avait donné la consécration, samaya oblige... Il semblerait qu’une solution intermédiaire fut trouvée par la suite (à partir de quand ?, le nom de sKor Nirūpa tombe ici, voir plus loin), en utilisant l’autorisation/grâce de Vajravārāhī comme préambule rapide à la pratique des instructions. Selon Gorampa (1429-1489)[1], cette solution fut proposée par un certain Kong Neruwa (tib. kong ni ru ba, sKor Nirūpa Kor Nirūpa, sKor Ne ru ba), qui pourrait être identique à l’énigmatique passepartout sKor Nirūpa. L’idée étant que cette autorisation suffirait pour permettre aux adeptes de pratiquer la caṇḍālī (tib. gtum mo), plus tard faisant intégralement partie des “Six yogas de Nāropa”.[2] Solution toujours insuffisante, y compris le mode d’apparition instantanée du sādhana de la divinité associée à l’autorisation fut désapprouvé[3]. Sarah Harding ( “As for the Blessing of Vajravārāhī, Marpa Lhodrakpa does not have it. WTF?”) nous apprend, qu’il existait bien un texte de pratique (sādhana) dans le cadre de cet aspect de Vajravārāhī[4], attribué à Düsumkhyenpa (Karmapa I 1110-1193).

Quand les polémiques se sont poursuivies en la personne de Sakya Paṇḍita, Gorampa et d’autres, des grands bonnets Kagyupa ont pris la défense de leurs transmissions. Est-ce que Marpa Lhodrakpa avait bien reçu l’autorisation/grâce de Vajravārāhī ? Sarah Harding raconte tout cela avec beaucoup d’humour dans son article. Pao Tsuklak Trengwa (1504–1566) défend sa lignée en disant que les Kagyupa basent cette tradition sur la Transmission Aurale, que Tailopa avait reçu directement de la jñānaḍākinī à Oḍḍiyāna, et que Marpa l’avait reçue de Nāropa. En outre, dans le charnier de Sosadvīpa (à l'ouest de Bodhgaya, en tib. So sa gling), Marpa aurait rencontré la glorieuse Spontanée (tib. dpal ldan lhan cig skyes ma) en personne, sur les indications de Naropa. Elle lui conféra la consécration à l’aide de quatre symboles (Catuḥpīṭha selon la Vie de Marpa), et elle ouvrit son coeur avec son couperet en cristal afin de lui montrer la roue du mantra. Elle l’avait envoyée ensuite à Bodhgaya pour voir la sainte canine du Bouddha (tib. ston pa'i tshems mche ba), ce qui lui inspira la cachette où trouver les Instructions des phases de création et d’achèvement de la pratique de la jñānaḍākinī. C'était le texte en feuilles de palmier de Tailopa, sur lesquelles ce dernier avait inscrit les instructions en "lettres cingalaises" en vermillon.[5] Ce qui est intéressant c’est que le passage ici utilise le terme “spyan drangs”, qui est devenu le terme pour désigner la découverte de “Terma”. Comme le remarque Sarah Harding, c’est une double authentification : par la déesse en personne et par le Bouddha, ou sa sainte canine. La Vie de Marpa de Tsangnyeun (1505) précise que la déesse donna la consécration complète du Catuḥpīṭha (tib. phag mo bdra bzhi’i dbang) avec les instructions associées. Donc cette fois-ci, tout était bon ?

Les disciples de Sakya Paṇḍita ont ensuite contesté l’authenticité de cette Transmission Aurale, qui aurait apparu au Tibet par le biais de Kor Nirūpa (tib. skor ne ru pa), personnage suspect, que les disciples de Sakya Paṇḍita traitent ouvertement de “pervertisseur de Dharma” (tib. log chos pa), en l’accusant d’avoir fabriqué une fausse consécration (tib. rdzun dbang) de Vajravārāhī. Les Sakyapa avaient d'ailleurs leurs propres soucis en matière de faussaires. C’est peut-être ces polémiques qui avaient poussé les hagiographes à faire prendre la route à Réchungpa pour récupérer cette transmission par un autre biais.[6]

Padma Karpo (1527-1592) appelle Vajravārāhī la “ḍākinī incorporelle[7], et en effet, quand Réchungpa allait récupérer la Transmission Aurale chez Tipupa au Népal, celle-ci est désignée sous le nom “les Neuf cycles de la ḍākinī incorporelle” (tib. lus med mkha' 'gro skor dgu)”. Ce Tipupa était en fait la conscience transfuge de Darma Dodé, le fils de Marpa, qui avait déménagé sa conscience dans le frais cadavre d’un jeune brahmane, après un vol vers l’Inde dans le corps d’un pigeon voyageur. Tipupa transmit l’ensemble du cycle à Réchungpa, qui le transmit à Milarepa, qui le retransmit à Réchungpa (pour des raisons linéologiques), ainsi qu'à notre ami Ngamdzongpa. Et via Pamodroupa et Dusumkhyenpa, les neuf cycles ont dû être intégrés dans l’école Kagyupa. Deux maillons de transmission par des “transfuges de la conscience” (tib. grong ‘jug), Kor Nirūpa et Tipupa, cela fait peut-être beaucoup.

Il n’est pas impossible que les hagiographes ont encore pensé à un plan B. Dans les Chants de Milarepa, on trouve un court chapitre intitulé 47. (dbang bskur dang rab gnas kyi skor), où Vajrayoginī se manifeste à Milarepa et ses disciples (seuls Réchungpa et Ngendzongpa, etc. sont nommés) et où celle-ci donne la “Transmisison Aurale de la ḍākinī” (tib. mkha’ ‘gro snyan brgyud), sous la condition d’une seule transmission par génération spirituelle (tib. chig rgyud du gnas pa). Pour la consécration Milarepa, se disant trop vieux maintenant, n’intervient pas, et demande au vase de faire lui-même l’initiation. C’est le vase qui miraculeusement confère l’initiation à ceux qui sont présents. C’est la compassion des lamas "kagyupa" (tib. bka’ brgyud bla ma’i thugs rje) qui rendait possible ce miracle. Peut-être aidée un peu par la foi des disciples ? ...

Le chapitre termine sur un autre miracle, qui est en fait un miracle que nous connaissions déjà, mais avec d’autres personnages : Nāgārjuna et Saṅkaja/Paṅkaja. Voir mon blog Sur un thangka de mahasiddhas (XVIIIème) au British Museum. Ce miracle sert à montrer qu’il est possible de recevoir la bénédiction d’un icône/une divinité visualisée (skt. samayasattva), lorsqu’elle a été consacrée (tib. rab gnas) par la divinité jñānasattva. Dans ce cas, c’est le corps de Milarepa qui est consacré par le jñānasattva, ce qui le rend indifférencié de la jñānaḍākinī.

Ainsi, Réchungpa et les autres disciples virent que Milarepa fut indifférencié de Vajrayoginī”.
 

Détail Rossi & Rossi, Hongkong et Londres

***

[1] Gorampa Sönam Senge (Go rams pa bSod nams seng ge). sDom pa gsum gyi rab tu dbye ba’i rnam bshad rgyal ba’i gsung rab kyi dgong pa gsal ba in vol. 9 of The Collected Works of Kun-mkyen Go-rams-pa bsod-nams-seng-ge. Dehra Dun: Sakya College, 1979. TBRC W11249-0439

Gorampa, DSNSh, fol. 88a, explained that certain Kagyu practitioners of the Great Seal maintain that the requirements of maturation are met by bestowing on beginners the Sow-Head (Varahls'irsa) blessing (phag mgo’i byin rlabs), and that the recipient thereby becomes empowered to receive instructions and to undertake the meditative practices of the two processes even though initiation into a mandala has not been obtained. Gorampa relates (DSNSh, fol. 88a-b) that the custom of granting uninitiated beginners access to tantric praxis by conferring the Vajra Sow (Vajravarahi) blessing “originated in the time of Gampopa Dakpo Lhaje Sonam Rinchen [1079-1153]. He sent his pupils to request initiations of other teachers. Most of them did not return but settled [elsewhere], and because Dakpo had urged that every group [of students] must have its own bestower of initiations, he consented when Kong Neruwa inquired of him, ‘What if I were to perform the Sow-Head (Varahls'irsa) initiation?’ [The latter] conferred the Sow-Head blessing and then expounded the Six Doctrines of Narofpa] [see Roerich, trans., BA, p. 829], the Great Seal, and other precepts. From that time onward, [the custom] developed of winning access to the doctrine through instructions expounded by a master from whom initiation had been requested, i.e., the door to the Six Doctrines being opened merely by a conferral of the Vajra Sow-Head blessing, even though the initiation of Cakrasamvara had not been [previously] obtained.” 
A Clear Differentiation of the Three Codes, Essential Differentiations Among the Individuals, Sakya Pandita Kunga Gyaltshen, Victoria R. M. Scott, Jared Douglas Rhoton, Suny, p. 184, note 5..

[2] Sakya Paṇḍita : “Nowadays, some claim that the blessing-rite of the Vajra Sow (Vajravarahi) is itself an initiation. I have seen that, having opened the door to doctrine with this, such people practice the inner heat (gtum mo, caṇḍālī and other meditations.” TIB. deng sang rdo rje phag mo yi byin rlabs dbang bskur yin zhes zer 'di yis chos kyi sgo phye nas gtum mo Ia sogs bsgom pa mthong (4)

[3] Sarah Harding citant Pao Tsuklak Trengwa : “Later on, Vajravārāhı’s blessing, a dream-based [tradition of] bodhichitta, instantaneous creation in meditation of the yidam, the white single sufficient remedy, and many such perverse teachings that contravene the buddhadharma are spreading around these days.”

[4] dPal rdo rje rnal 'byor ma'i gsang bsgrub rje btsun mo lhan skyes, réf. TBRC CW23651

[5] zhes lung bstan pa ltar/_so sa'i gling du dpal ldan lhan cig skyes ma dang dngos su mjal te dbang bzhi brda'i sgo nas bskur/_shel gyi gri gug gis thugs ka kha phye nas sngags kyi 'khor lo bstan/_skyed rdzogs bla mas gsungs pa ji lta ba nyid gnang nas rdo rje'i gdan du ston pa'i tshems mche ba ltos la bod du song zhig zhes lung bstan/_rdo rje'i gdan du tshems mche ba gzigs pas skyed rdzogs kyi man ngag bla ma dang mkha' 'gros ji ltar gsungs pa de nyid tA la'i lo ma la li khris sing+ga la'i yi ger bris pa brnyed de spyan drangs/

[6] des na rje sa skya pas/_rdo rje phag mo'i byin rlabs ni/_/mar pa lho brag pa la med/_/ces dang*/_/phyi nas phag mo'i byin rlabs dang*/_/zhes chos log tu 'dren pa sogs ni tshangs pa chen po'i mdzad pa kho na ste kho bos bkag pa'i phyir zhes pa kho na rigs pa'i mthar thug yin no/_/yang de'i rjes 'brang kha cig na re/_skor ne ru pa bya ba log chos pa cig gis _phag mo brda bzhi'i dbang_ bya ba'i rdzun dbang byas pa de dgag pa yin zer ba yang cha med par smra ba la rings pa yin te/

[7] Un commentaire de la pratique de Vajravārāhī par padma Karpo porte le titre “lus med mkha' 'gro'i chos sde'i rnam par bshad pa chos kyi nying khu” (TBRC W10736).

dimanche 8 mars 2020

Le sens de mudrā et mahāmudrā dans le Guhyasāmaja (et ailleurs)


En lisant le Guhyasāmaja on y voit apparaître le terme mahāmudrā (phyag rgya chen po) dans le sens de corps symbolique. Ce tantra présente en introduction les cinq Familles d’affects (kleśa), les cinq skandha et les cinq éléments. Nous retrouvons l’opposition Esprit-Matière, et les effets esthétiques de l’union Esprit-Matière. Dans les tantras, la quiétude et l’extinction ne constituent pas la libération, et l’existence ignorante conduit à la continuation du cycle de naissances. La solution proposée est une manifestation éveillée (skt. abhisambodhi tib. mngon byang). Le tantra révèle les affects, les skandha et les cinq éléments etc. sous leur aspects purs, comme des corps symboliques purs et des mantras. C’est cette transmutation qui permet au bodhisattva dûment initié d’agir pour l’éveil des êtres, à l’instar d’un Bouddha.

Celui qui rejoint ou réintègre (skt. saṃyoga tib. sbyor) le corps symbolique (mudrā) ou mahāmudrā, “mahā” puisque c’est le symbole dans sa plus pure essence symbolique, a réalisé l’objectif du tantra (yuganaddha). Dans le Guhyasāmaja, cet objectif est l’édification du triple Corps d’un Bouddha, notamment les corps formels purs, lui permettant d’agir. Le couple Esprit-Matière et ses nombreuses déclinaisons spatio-temporelles, est symbolisé par le couple Père-Mère (yab yum). Le Hevajra Tantra exploitera davantage ce symbolisme en lui donnant corps, et le corps symbolique (mahāmudrā) à réintégrer sera celle de la Déesse (śākti). Cela restera toujours la réintégration du couple primordial (l’Androgyne diront certains), par le biais de la Mère.

Est-ce que ces voies initiatiques (relativement tardives) sont la seule et unique façon possible d’atteindre le Réel en ré-unifiant “l’esprit et la matière” dans le bouddhisme ésotérique ? Sakya Paṇḍita (1182-1251) pensait que oui, et il a fini par convaincre le Tibet qu’il en était ainsi, car son opinion est devenue orthodoxe et domine toujours.

Dans son texte La discrimination des Trois Vœux (Sdom gsum rab dbye, env. 1232) il s’attaque à l’utilisation du terme Mahāmudrā par l’école kagyupa, notamment les formes que celle-ci avait prise dans les sous-écoles Tshalpa kagyu (la panacée blanche tib. dkar po gcig thub) et Drigoung kagyu (l’intention unique, tib. dgongs gcig). C’était principalement l’utilisation de ce terme (et de la réalisation associée) hors du contexte des yogatantras supérieurs (YTS) initiatiques qui le gênait. On ne pouvait pas comparer la voie très élaborée des YTS avec la méthode naturelle et facile de ces types de Mahāmudrā. Il n’a pas tort sur ce point. Il intègre dans cette polémique l’opposition voie graduelle et voie subite, en reprochant à la voie subite de négliger l’accumulation de mérite. Dans son raisonnement, l’édification d’un corps divin et l’accumulation de mérite (cause) sont nécessaires à la l’édification des rūpakāyas (résultat) d’un Bouddha. Sans cela vous auriez un “lame duck” (stong pa rkyang pa) Bouddha... Pour Advayavajra, Atiśa, Milarepa (selon Gampopa), Gampopa etc., qui étaient des Apratiṣṭhāna-Madhyamika, le non-fondement est la mahāmudrā, et les rūpakāyas découlent naturellement du dharmakāya. C’est une voie relativement sans effort, comparée à la voie des YTS. Non-méritocratique pourrions-nous dire. On le sent un peu en colère parfois le Sakya Pandita.
”Moi aussi, je pourrais rassembler davantage de disciples, si j’enseignais la panacée auto-suffisante à ceux qui n’avaient reçu que l’initiation-bénédiction de Vajravārāhī, si je leur enseignais (ngo sprod) par la suite le sens 'qui ne s’atteint pas à travers l’effort', après avoir identifié une vague expérience contemplative comme le chemin de la vision. Je recevrais aussi davantage d’offrandes. Et puis les sots me considéreraient comme un Bouddha.”[1]  
“En méditant sur la Mahāmudrā, ils méditent en faisant taire la conceptualisation. Ils ne connaissent pas la Mahāmudrā, qui est la gnose produite par les deux phases. Il est dit que la Mahāmudrā d’idiot qu’ils cultivent fera renaître la plupart en animaux, et sinon, dans un des mondes sans formes. Ou ils finiront dans la cessation des auditeurs. Même en pratiquant conformément, ils ne dépasseront pas la pratique de la voie du milieu (Madhyamaka). C’est une pratique excellent par ailleurs, mais très difficile à faire. Il est dit que si l'on ne perfectionne pas la double accumulation (sagesse et mérite), qu’elle pourrait durer d’innombrables éons.[2] 

“Hormis leurs noms différents, il n’y a pas de différence de fond entre la Mahāmudrā de nos jours (ou néo-Mahāmudrā[3]) et le Dzogchen de tradition chinoise. Seuls les termes « descendre d’en haut » et « monter de dessous »[4] ont été changés en « simultané » et « graduel »… Plus tard, après le déclin de l’empire tibétain, ils ne restaient plus que les textes de la tradition du maître chinois [tib. hwa shang Mahāyāna, C. mo-ho-yen]. Ils en ont changée le nom et l’ont nommée « Mahāmudrā ». La Mahāmudrā de nos jours est donc en grande partie une religion chinoise.”[5] 

“L'introduction à la nature de la conscience seule est une tradition indienne[6] et non-bouddhiste. C'est une méthode erronée comme elle n'élimine pas le clivage sujet-objet. Et si on doit également introduire l'étudiant à la nature des objets extérieurs, il faudra sans doute analyser si ces objets ont été créés par un dieu-créateur comme Iśvara, ou s'il sont produits par des atomes comme le disent les auditeurs, ou s'ils sont des projections de la conscience comme l'affirme l'école Yogācāra ou s'ils sont simplement apparus de causes et de conditions comme l'affirme l'école Mādhyamika ?”[7]
Le terme mudrā peut signifier geste, symbole, ou sceau. Le sens de sceau est utilisé hors du contexte des YTS, p.e. dans l’expression des quatre sceaux de la Loi, pour sceller l’authenticité d’une instruction bouddhiste. Dans le système des prajñāpāramitā, on trouve des expressions de type tous les phénomènes sont scellés par la vacuité ou par la non-production etc. Le sceau est alors comme la marque imprimée par la vacuité pour indiquer son autorité sur le phénomène, son appartenance. Une des explications kagyupa du mot Grand sceau reprend ce sens. 

Sakya Pandita en fait comme une affaire de marque déposée : la marque Mahāmudrā appartient au domaine des YTS. L’utiliser dans un autre domaine, par exemple pour l’introduction à la nature de l’esprit (ngo sprod), serait associer l’image et la renommée des YTS pour une pratique de qualité inférieure (de moindre portée), et la promouvoir ainsi. Il n’est pas du tout exclu que ce fut en effet le cas. De toute façon, même les écoles kagyupa acceptent désormais cette interprétation, avec l’exception que la dévotion au maître peut faire des miracles.

Le chapitre Cinq du Guhyasāmaja n’enseigne pas réellement “la folle sagesse”, mais on y trouve quelques ingrédients fondamentaux. Il adopte une approche antinomique, un non-dualisme extrême, où le plein éveil est à la portée des êtres les plus pervers, même ceux qui coucheraient avec leur mère, soeur, fille ou la mère du Bouddha…, à condition qu’ils respectent leur gourou, et qu’ils soient libres de pensées dualistes[8].

Avec l’approche de Sakya Pandita et d’autres, ces sādhaka seraient néanmoins liés par les trois types de voeux.

***

[1] David Jackson, Enlightenment by a single means, p. 168 ‘di las bzlog pa byung gyur na// bstan la gnod par shes par gyis// bdag kyang rdo rje phag mo yi// byin rlabs tsam re byas pa la// dkar po chig thub bstan nas kyang*// myong ba cung zad skyes pa la// mthong lam du ni no sprad nad nas// rtsol bsgrub med pa’i don bstan na// tshogs pa’ang ‘di mang ba ‘dul// longs spyod ‘bul ba’ang mang bar ‘gyur// blun po rnams kyi bsam pa la’ang*// sangs rgyas lta bur mos pa skye//

[2] phyag rgya chen po bsgom na yang/ /rtog pa kha 'tshom nyid bsgom gyi/ /rim gnyis las byung ye shes la/ /phyag rgya chen por mi shes so/ /blun po phyag rgya che bsgom pa/ /phal cher dud 'gro'i rgyu ru gsungs/ /min na gzugs med khams su skye/ /yang na nyan thos 'gog par ltung/ /gal te de ni bsgom legs kyang/ /dbu ma'i bsgom las lhag pa med/ /dbu ma'i bsgom de bzang mod kyi/ /'on kyang 'grub pa shin tu dka'/ /ji srid tshogs gnyis ma rdzogs pa/ /de srid bsgom de mthar mi phyin/ /'di yi tshogs gnyis rdzogs pa la/ /bskal pa grangs med dgos par gsungs/ La discrimination des Trois Vœux.

[3] Le terme est de Karma Phuntsho, Mipham's Dialectics and the Debates on Emptiness To be, not to be or neither, p. 45

[4] Chez Tshalpa Zhang, descendre d’en haut est la voie subitiste du corbeau, et monter d’en bas, la voie gradualiste du singe.

[5] da lta’i phyag rgya chen po dang//rgya nag lugs kyi rdzogs chen la//yas ‘bab dang ni mas ‘dzegs gnyis//rim gyis pa dang cig char bar//ming ‘dogs bsgyur ba ma gtogs pa//don la khyad par dbye ba med// … phyi las rgyal khrims nub pa dang*// rgya nag mkhan po’i gzhung lugs kyi// yi ge tsam la rten nas kyang*// de yi ming ‘dogs gsang nas ni// phyag rgya chen por ming bsgyur nas//da lta’i phyag rgya chen po ni// phal cher rgya nag chos lugs yin// La discrimination des Trois Vœux.

[6] Le Commentaire sur le Dohākośa Gīti de Saraha, attribué au maître bouddhiste Advaya Avadhūti, expose cette méthode que Sakya Pandita dit non-bouddhiste.

[7] Jackson, p. 75 Citation du thub pa'i dgongs gsal (57b-58a).
spyir sems kyi ngo sprod pa'i tshe/ sems rkyang pa ngo sprod dam/ phyir rol gyi don yang ngo sprad dgos/ sems rkyang pa ngo sprad pa mu stegs pa'i lugs yin/ des gzung 'dzin spong mi nus pa'i phyir lam 'khrul pa yin/ phyir rol gyi yul ngo sprod dgos na yul 'di dag mu stegs kyi ltar dbang phyug la sogs pa'am/ nyan thos ltar rdul phran nam/ sems tsam pa ltar sems sam/ dbu ma pa ltar rten 'brel las byung ba yin brtag 'di dag kyang yod pa dang med par 'dod na/ rtag chad las ma 'das pas de sun 'byin pa la lung rigs shes dgos/

[8] “Those who are of low birth or who do despised work, and those whose minds are bent on killing, succeed in this supreme Way, the matchless Mahāyāna; even great evil-doers, beings who have committed irrevocable sins, succeed in. this Way of the Buddhas, this great ocean of Mahāyāna; those who blame their Teacher never succeed. in sādhana, but those who destroy life and. delight in lying, those who covet the wealth of others and are attached to sensual desires, those who eat excrement and, urine, all these are worthy of the practice. The sādhaka who desires his mother, sister and, daughter, attains entire siddhi, the Dharma-nature of the supreme Mahāyāna; enjoying the Mother of the Lord. Buddha, he is not defiled, but that wise one, free I from dualistic thought, attains the Buddha-nature.” Francesca Fremantle
rnam par mi rtog don las byung*/
‘dod chags zhe sdang gti mug rigs/
theg pa mchog ni bla med. Pa’i/
dngos grub rab mchog sgrub par byed/
rigs ngan smig ma mkhan la sogs/
gsod don don gnyer sems pa rnams/
theg chen bla na med pa yi/
theg mchog ‘di la ‘grub par ‘gyur/
sems can mtshams med la sogs pa’i/
sdig pa chen po byed pa yang/
rdo rje theg pa rgya mtsho che/
theg pa mchog ni ‘di la ‘grub/
snying nas slob dpon smod pa dag/
bsgrubs kyang ‘grub par yod mi ‘gyur/
srog gcod pa yi sem can gang/
brdzun du smra la dga’ ba dang*/
gzhan gyi nor la chags pa dang*/
rtag tu ‘dod pa spyod gang dang*/
bshang gci zas su za ba ste/
de dag ‘grub pa’i snod du ‘gyur/
ma dang srin mo bu mo la/
‘grub pa pos ni mnyes byas na/
theg chen mchog gi chos nyid kyi/
dngos grub rga che des thob bo/
sangs rgyas gtso bo’i yum dag la/
rnam par mi rtog blo can gyis/
mnyes par byas kyang mi bsgos te/
de ni sangs rgyas ‘grub par ‘gyur/

jeudi 22 octobre 2015

Le Bouddha nous avait prevenu, aller-retours entre le futur et le passé


Concile de Clermont
Grâce au Concile de Lhasa de Paul Demiéville (PUF, 1952), basé sur des documents de Dunhuang, nous savions déjà que la version tibétaine de cet événement n’avait pas eu lieu tel qu’il été rendu dans les divers écrits historiques et hagiographiques. Il se serait agi plutôt d’un échange de lettres plutôt que d’un débat/concile. Le livre de Sam van Schaik, Tibetan Zen, le confirme. Toutes les versions tibétaines de cet événement semblent dérivées de la même narration, qui date probablement du XI-XIIème siècle. Le document-mère étant le Testament du clan de dBa’ (tib. dba’ bzhad), qui a pour objectif de raconter les origines du bouddhisme au Tibet et de distribuer les meilleurs rôles à son propre clan (Sam van Schaik, Tibetan Zen, p. 13). Dans le Testament, le roi Trisong Détsen choisit la délégation indienne et établit un bureau de traduction pour traduire toutes les oeuvres bouddhistes connues en tibétain. Les versions plus tardives du Testament ainsi que d’autres versions renforcent, à force de détails, l’idée que l’Inde fut l’unique source valide pour les écritures bouddhistes.

Sakya Paṇḍita (1182–1251) se servira de l’événement, et du Testament de dBa’, dans ses polémiques contre la mahāmudrā et le dzogchen, en y ajoutant quelques éléments surnaturels pour appuyer la justice divine de l’entreprise. La traduction du passage qui suit est celle que l’on trouve dans La Profusion de la vaste sphere: Kong-chen rab-'byams (Tibet, 1308-1364). Sa vie, son oeuvre, sa doctrine de Stéphane Arguillère (2007). Les parties entre crochets carrés ont été ajoutés par moi. 


“[24 d] Au temps du roi Khri-srong lde-btsan. il y avait des moines chinois qui disaient: “Les mots sont inconsistants; on ne s'Éveille pas au moyen d’un Dharma conventionnel. Comprendre l'esprit, telle est la blanche panacée[1].” Ils écrivirent des traités tels que La Roue du repos dans la contemplation [bsam gtan nyal ba'i 'khor lo], le Message de la contemplation [bsam gtan gyi lon, lon étant la transcription tibétaine du chinois lun], le Nouveau message [bsam gtan gyi yang lon], L’Introduction doctrinale [lta ba rgyab sha] et L’Esprit des quatre-vingt sûtra [mdo sde brgyad cu khungs, titre tibétain pour l'antologie chinoise Zhujing yaochao T. 2819, fragment PT 996]. Cette “panacée blanche” se répandit alors dans tout le Tibet[2]. Alors, comme [cet enseignement] ne s’accordait point avec la tradition religieuse de l’Inde, dBa’ Ye-shes dbang-po [25a] fut mandé par le roi, qui lui demanda: “Des formes indienne et chinoise de la Religion, laquelle est authentique?” Ye-shes dbang-po [probablement le premier abbé de Samyé selon Samten Karmay. Il appartenait au clan de dBa' comme son nom l'indique] répondit: “Voici quelles furent les dernières paroles du maître Śāntaraksita : ” Comme le maître Padmasambhava a confié le royaume du Tibet aux douze déesses gardiennes, les infidèles n’y viendront pas. Toutefois, de même que le jour et la nuit, la droite et la gauche, la lune montante et la lune descendante sont étroitement interdépendantes, de même en va-t-il de l’orthodoxie et de l’hérésie dans la Religion. Après mon trépas, viendra un abbé de Chine qui, dédaignant méthode et discernement, prônera la “blanche panacée”, en disant que l’on s’éveille par la seule compréhension de [ce qu’est] l’esprit[3].

Le Bienheureux a dit dans un sūtra qu’entre les cinq décadences [qui affectent progressivement la Religion], la décadence doctrinale consiste en la complaisance à l’égard de la vacuité[4]. Ce n’est pas le cas du seul Tibet: il est de la nature de tous les individus qui prolifèrent à [l’époque de la] quintuple décadence de s’y complaire. La propagation de cette [hérésie] serait nuisible à la Religion en général. Par conséquent, vous inviterez alors de l’Inde mon disciple, un grand docteur du nom de Kamalaśīla; qu’il débatte avec l’abbé de Chine. Vous pratiquerez la tradition de celui qui aura eu le dessus.” Voilà quelle fut sa prophétie; et je prie [votre majesté] que nous fassions de la sorte.”

Extrait de la Profusion de la vaste sphère de Stéphane Arguillère. Mon blog Pouvoirs surnaturels et ventriloquie au Tibet sur le même sujet.

***
[1] Note de SA : 651 La panacée, en tibétain: (dkar po gcig thub, littéralement: “le blanc seul puissant”, c’est à dire l'unique remède universellement efficace. Cette idée est entièrement tirée au clair par D. Jackson dans Enlightenment by a Single Means. II est à noter que ce thème est entièrement absent de l’œuvre de Klong-chen rab-’byams.

[2] Dang-po ni rgyal-po Khri-srong lde-btsan gyi dus su rGya-nag gi dge-slong na-re / tshig ma
snying-po med tha-snyad kyi chos kyis ’tshang mi rgya sems rtogs no dkar-po chig thub yin zer /
de’i bstan-bcos bSam-stan nval-ba'i ’khor-lo // bSam-gtan gyi lon / Yang-lon / lta-ba'i/ rgyab-sha / mDo-sde brgyad-cu khungs zhes bya-ba brtsam nas / dkar-po chog thub ’di Bod khams thams-cad
du ’phel lo /

[3] Nga ’das-pa’i ’og tu rGya-nag gi mkhan-po zhig ’byung des thabs dan g shes-rab bskur-ba 'debs-pa dkar-po chig thub ces bya-ba sems rtogs-pa ’ba’-zhig gis tshang-rgya’o zhes zer-ba gcig ’byung-bar ’gyur /

[4] Note de SA : Ce thème de la "complaisance à l’égard de la vacuité” est très étroitement lié à celui du mépris pour les accumulations de mérite, autrement dit. pour l’aspect de méthode [upāya] complémentaire du discernement [prajñā] sur le Chemin. La critique philosophique de la Mahāmudrā s’esquisse sous le couvert de la critique historico-philologique de ses sources supposées. Il est vraiment curieux que Sa -pan ne semble pas penser à l'influence du Sems-sde sur la Mahāmudrā. Elle ne pouvait guère lui échapper, cependant, puisque (1) les Sa-skya-pa étaient dépositaires de nombre d’enseignements issus de la première diffusion du Dharma au Tibet; (2) Sa-skya pandita s’est intéressé de près aux questions d’authenticité des anciens tantra (on sait quelle importance il a eu dans la reconnaissance de la tradition de Vajrakīla chez les gSar-ma-pa).

Pour le bSam-gtan nyal-ba’i ’khor-lo attribué à Moheyan, SA écrit que l'on trouve des éléments d’identification dans le Grub-mtha’ mdzod de Longchenpa, p. 404, dans la série des 119 préceptes.

mercredi 1 juillet 2015

Des siddhis pour se donner les moyens


The Exorcist
Nous avons déjà vu sur ce blog comment, à partir de la renaissance tibétaine, la voie des mantras était jugée supérieure à toutes les autres voies bouddhistes. Nous avions vu aussi comment la mahāmudrā et le dzogchen (tib. sems sde) tels qu’ils avaient été enseignés au Tibet jusqu’au XIIème siècle n’étaient plus à la hauteur de la demande des bouddhistes tibétains, pour qui ils manquaient de moyens (sct. upāya) et de pouvoirs surnaturels (sct. siddhi). Ils n’étaient plus « cutting edge », contrairement aux tantras fraîchement importés de l’Inde, du Népal ou « faits maison » au Tibet.

Pamodroupa (1110-1170) avait rejoint avec beaucoup d’enthousiasme l’équipe du 3ème détenteur Sachen Kunga Nyingpo (sa chen kun dga' snying po, 1092-1158). Il avait ainsi collaboré à la toute première compilation du cycle « Voie et fruit » (tib. lam ‘bras), que Sachen Kunga Nyingpo avait reçu d’une vision du mahāsiddha Virūpa, quand il était en retraite dans une grotte près du siège sakyapa.

Mais même en vivant auprès de la source des plus hauts tantras, Pamodroupa n’avait pas réussi à étancher sa soif, et au bout de douze ans il s’était rendu auprès de Gampopa, qui n’enseigna pourtant qu’une mahāmudrā ersatz, si on en croit ceux qui l’avaient déclassée par la suite en mahāmudrā selon le système des sūtras (tib. mdo lugs). Comme l’avait expliqué Bharima (probablement la femme de Tipupa) à Réchungpa, le dzogchen (sems sde) et la mahāmudrā sont des pratiques que l'on trouve uniquement parmi les yogis tibétains. Ce seraient des pratiques erronées, car elles nient l'existence des dieux et des démons qui sont la source de tous les siddhis. Les siddhis ne peuvent être obtenus que des dieux et démons, ou du gourou qui en est dépositaire, pour avoir pratiqué les tantras.

Un Bouddha qui n’a pas ses moyens (sct. upāya) n’est pas un Bouddha, car il serait incapable d’aider les autres. Il serait comme un médecin incapable de pratiquer la médecine et d’alléger la souffrance d’autrui, car ne disposant pas de la Science (sct. vidyā) nécessaire.

L’équipe du siège de Sakya, dont Pamodroupa avait fait partie, disposait de cette Science, car elle l’avait obtenue par des voyages en Inde et au Népal, par des maîtres indiens et népalais visitant le Tibét, par les visions de mahāsiddhas, par les voyages astraux dans des pays cachés (tib. sbas yul) etc. Il existe une collection de traductions anglaises (faites par Christopher Wilkinson), intitulée « An Overview of Tantra and Related Works (Sakya Kongma Series) », qui donne un aperçu des travaux de cette équipe et de leur Science. Il s’agit d’œuvres de la main de Sachen Kunga Nyingpo, son fils Jetsun Dragpa Gyaltsan (1147–1216) et le disciple de ce dernier Sakya Pandita (1182–1251).

On y apprend entre autres comment soulager les souffrances d’un malade mental. Je traduis.
« Mélanger de la viande humaine, des graines de moutarde blanche, du Gugul[1] noir, de l’orge cru, du bois d’arbre de perroquets (?), du réalgar, du souffre et des cendres de corps incinérés de personnes n’ayant jamais été malades. Identifiez-vous au Courroucé. Brûlez ces huit substances dans des braises, pour produire de la fumée que vous soufflez dans le visage du patient, en l’empêchant de s’échapper. Maintenez-le en place. Récupérez un cheveu d’une veuve en deuil en lui brossant les cheveux et attachez-le à la nuque du patient. Tenez-le de la main gauche. Récitez le mantra et utilisez votre main droite pour lui lancer des graines de moutarde et d’orge cru, jusqu’à ce qu’il commence à crier. Répétez ceci sans cesse, pour l’amener dans une meilleure disposition. Si cela ne se produit pas, cela veut dire qu’il ne s’agit pas d’un démon (tib ‘dre). Il faut alors préparer un remède. Si le corps du patient flotte dans l’air, tremble, crie et rie, il s’agit d’un démon (tib. ‘dre). Attaquez-le alors comme précédemment. Vous pouvez avoir besoin d’aide, mais vous finirez par le maîtriser.
Ceci est profond. »[2]
Je me demande si ces instructions profondes font partie des échanges du Mind and Life Institute

***

[1] De l’encens capable de chasser les démons.

[2] « Controlling Madness
Mix big meat, white mustard seed, black Gugul, raw barley, Parrot tree wood, realgar, sulpher, and ashes from the burnt corpses of people who were never sick. Put yourself in the pride of the Wrathful One. Burn these eight substances on a cinder fire to make smoke blow in front of the patient in a way that he cannot escape. Keep him there. Brush out the hair of a widow in morning and tie it onto the patient’s neck. Hold him with your left hand. Recite the mantra and use your right hand to pelt him with mustard and raw barley until he screams. Do this over and over to bring out an attitude that is better than the previous one. If this isn’t happening it is not a ‘Dre. You must prepare medication. If the patient floats up, shivers, cries, and laughs, it’s a ‘Dre. Assail it as before. You might have to ask someone else about it, but you will get it under control.
This is profound. »
An Overview of Tantra and Related Works (Sakya Kongma Series ) (Volume 4) Paperback – July 30, 2014.

dimanche 28 juin 2015

L’éveil, ça se mérite ?



Phyag chen lhan cig skyes grub versus phyag chen lhan cig skyes sbyor

Dans la collection de l’œuvre complète attribué à Pamodroupa (1110-1170) se trouve une série de textes consacrée au cycle du Sceau universel du Naturel (tib. phyag chen lhan cig skyes sbyor sogs). Ce texte a sans doute été écrit par un disciple, car ses paroles sont citées en référant à lui sous le titre Seigneur (tib. rje), en utilisant la forme honorifique et en lui donnant l’épithète « U rgyan phag mo », sans doute pour faire allusion à une connexion avec Oḍḍiyāna). La transmission du cycle est donnée comme ceci : Lavapa (« qui contrôla les ḍākinī ») - Rakṣita – Lhodrakpa (=Marpa) – Gungthangpa (=Milarepa) – Gampopa. Gampopa (1079–1153) fut le maître de Pamodroupa. Nāropa ne figure pas dans la liste, sauf s’il est identique à Rakṣita. Il n’y est pas question de Tailopa dans cette liste.

Le texte, rédigé par un disciple, commence par dire que le Seigneur (Pamodroupa) avait l’habitude de dire que tous les sages vénérés enseignant la culture mentale (sct. bhāvana) disaient qu’en tant que pratique spirituelle (sct. dharma), celle-ci (l’intégration du Sceau universel par le Naturel) était particulièrement profonde.

[258] Les représentations et les passions
étant toutes restreintes [par elle], elle est le Vinaya.

Comme les représentations (sct. vikalpa) sont établies (sct. niścayaḥ)
En tant que le triple corps grâce à elle
Et que toutes les conjectures sont retranchées de l’intérieur
Elle transmet la connaissance valide (sct. pramāṇa).

Évitant les extrêmes de l’être et du non-être (sct. śāśvata-vāda et uccheda-vāda)
Elle est la voie du Milieu par excellence (sct madhyamaka).
Comme elle est ineffable, inconcevable et inexprimable
Elle transmet la perfection (sct. pāramitā).

Toutes les choses passionnées et dépassionnées
Étant au complet dans la pensée, elle est la complétude universelle.
Toutes les bonnes et mauvaises représentations
N’étant pas investies par elle (sct. amanasikāra), elle est le Sceau universel (sct. mahāmudrā).

Elle est celle qui apaise (tib. zhi byed) toutes les souffrances.
Toutes les passions et représentations [259]
étant intégrées sur le chemin, elle est le mantra ésotérique (sct. guhyamantra).
Elle est à la fois la pensée (sct. citta), les représentations (sct. vikalpa) et le corps réel (sct. dharmakāya).

La première partie, « le Naturel » (sct. sahaja),
Comme elle est réintégrée à la pensée par la transmission
Est glosée comme « la réintégration du Naturel ».
Il est dit qu’elle apprécie (tib. sngags) même les fauteurs de troubles,
Les démons, les Māra etc. »

Maitrīpa, Gampopa, Pamodroupa etc. présentent leur « mahāmudrā » réintégrée par le Naturel (phyag chen lhan cig skyes sbyor), comme un système inclusif, qui comprend tous les systèmes bouddhists. Le Vinaya des auditeurs, la connaissance valide (sct. pramāṇa) des logiciens du véhicule universaliste, la pratique des perfections (sct. pāramitā) du véhicule universaliste, la complétude universelle (tib. rdzogs chen), le sceau universel (sct. mahāmudrā), l’approche Zhi byed de Dampa Sangyé, le système des mantras ésotériques, et elle intègre même les fauteurs de troubles et leurs nuisances. Elle inclue tout sans ne rien exclure.

Elle accueille tous, quels qu’ils soient, de capacité supérieure, intermédiaire ou inférieure, préparés, hyper préparés, fins prêts, ou sans aucune préparation.

« Non, non, et trois fois non » (Discrimination des Trois Vœux, sdom gsum rab dbye), disait Sakya Paṇḍīta (1182-1251) à cette approche qu’il taxait de laxiste. La mahāmudrā n’est pas inclusive, mais exclusive. Elle est exclusivement tantrique, et encore, elle n’est accessible par le biais des tantras nec plus ultra (sct. anuttara), dans la quasi-substantielle crème de la crème de la troisième (et quatrième) phase de consécration. Étant exclusivement tantrique, elle est aussi exclusivement théiste. Pas de dieux, pas de siddhi. Les théistes, souvent méritocrates, à cheval sur les principes et droits dans leurs bottes, voient d’un mauvais œil la distribution gratuite de siddhis, sans passer par la case Temple, et adorent maintenir ou remettre de l’ordre. Ce sera désormais chose faite. Le bouddhisme théiste aura de beaux jours devant lui.

***

Texte tibétain en Wylie

rje’i zhal nas ‘di skad gsung*/

mkhas btsun sgom ston thams cad kyis// chos su ‘di nyid zab bo gsung*// rnam rtog dang ni nyon mongs pa// thams cad ‘dul bas ‘dul ba yin// rnam par rtog pa chos sku ru// nges pa’i shes pa bskyed pa’i sa// sgro ‘dogs nang du gcod pas na// ‘di ni thsad ma’i gdams ngag yin// rtag ched sgro skur la sogs pa’i// mtha’ dang bral bas dbu ma yin// smra bsam brjod du med pa’i phyir// ph arol phyin pa’i gdams ngag yin// ‘khor dang mya ngan ‘das pa’i chos// sems su rdzogs pas rdzogs chen yin// bzang rtog ngan rtog thams cad kun// yid la mi byed phyag rgya che// sdug bsngal zhi bas zhi byed yin// nyon mong dang ni [259] rnam rtog kun// lam du slongs pas gsang sngags yin// sems dang rnam rtog chos sku gsum// dang po lhan cig skyes pa de// gdams pas sems su sbyor ba’i phyir// lhan cig skyes sbyor zhes su bshad// ‘dre dang bdud la sogs pa yi// bar chod la yang sngags so gsung*//

samedi 27 juin 2015

La mahāmudrā de Sakya Paṇḍita


Wǔtáishān 五台山
«Vers la fin de sa vie (1153), deux moines venaient voir [Gampopa] en le supplant une offrande de gtor-ma à la main de leur enseigner le chemin de techniques yoguiques (upāya-mārga). « Ayez de la compassion pour nous » ajoutèrent-ils. Gampopa (1079-1153) disait à son intendant qu’il ne voulait pas être dérangé. L’intendant dit alors aux deux moines de demander la Mahāmudrā. Ils’exécutèrent aussitôt et Gampopa les fit entrer immédiatement et leur donna les instructions sur la mahāmudrā[1]

Gampopa fut critiqué par Sakya Paṇḍita (1182-1251) pour proposer une instruction non-tantrique sous le nom de mahāmudrā en dehors du cadre des conscrations. Sakya Paṇḍita procédait de manière différente, comme il s’avère d’un petit texte (rtogs ldan rgyan po’i dris lan) où un certain Tokden vivant au mont Wutai (pinyin : wǔtái shān) lui demande les instructions de la mahāmudrā.[2]

Quand Sakya Paṇḍita visita cette montagne sacrée mont aux cinq terrasses, Tokden venait le voir en lui offrant des circumambulations et des prosternations. Sakya Paṇḍita, très satisfait, lui disait que pour vivre dans un tel endroit, il fallait sûrement avoir une pratique de méditation basée sur des instructions profondes. Tokden rentra chez lui pour chercher une khata en soi blanc, l’offrit à Sakya Paṇḍita et lui demanda les instructions de la mahāmudrā. Sakya Paṇḍita, toujours très satisfait, lui donna l’initiation de Hevajra de Ḍombī Heruka, le Sahajasiddhi mahāmudrā (phyag rgya chen po lhan cig skyes grub) et les Instructions de la méthode de l'inconcevable de Koṭālipa (Acintyākramopadeśa). Un cocktail très tantrique. Le « Sahajasiddhi mahāmudrā » (phyag rgya chen po lhan cig skyes grub) est un titre fantaisiste. Il n’existe pas de texte de ce titre. En revanche, il existe plusieurs textes qui comportent l’expression phyag rgya chen po lhan cig skyes sbyor dans le titre, associés à la mahāmudrā kagyupa, attaquée par Sakya Paṇḍita. Le texte que Sakya Paṇḍita a enseigné à Tokden était sans doute le Sahajasiddhi (lhan cig skyes grub) de Ḍombī Heruka. Sakya Paṇḍita l’a peut-être fait précéder de « mahāmudrā », pour faire une sorte de jeu de mot indiquant que c’est pour ce type de texte que l’on doit réserver le terme « mahāmudrā ».

***

1ère page du dris lan (cliquer pour agrandir)

[1] Blue Annals, p. 461-462

[2] Source principale de ce blog, l’article de Julia Stenzel. The Mahāmudrā of Sakya Paṇḍita, Julia Stenzel dans Indian International Journal of Buddhist Studies Volume 15 (2014)

jeudi 5 février 2015

Gérer son patrimoine karmique



Le fameux Livre des mutations (yi jing), sans vouloir donner de système explicatif de l’univers, a sans doute un prédécesseur dans les divinations que faisaient pratiquer les souverains de l’Antiquité chinoise. « Avant de prendre des décisions importantes [ils] interrogeaient leurs ancêtres défunts par le truchement de carapaces de tortues sur lesquelles on appliquait en certains points des stylets chauffés. Les réponses des esprits interrogés étaient déduites des formes des fendillements que la chaleur provoquait dans les carapaces. »[1] Le Yi jing est devenu le grand classique chinois de divination.

Quand le bouddhisme arriva en Chine, avec sa doctrine du karma et de la réincarnation, les raisons derrière les coups du Destin pointaient vers une responsabilité transexistentielle individuelle.
« Sous les Han, l’intérêt pour le bouddhisme se concentre de prime abord sur l’immortalité de l’âme ainsi que sur le cycle renaissances et le karma. Ces notions sont d’abord comprises dans le contexte de la mentalité religieuse taoïste en termes de « transmission du fardeau » : le bien ou le mal commis par les ancêtres étant susceptible d’influencer la destinée des descendants, l’individu est passible de sanctions pour des s commises par ses ascendants. Mais alors que les taoïstes s’attachent au caractère collectif de la sanction, la responsabilité individuelle introduite par la conception bouddhique du karma apparaît comme une nouveauté.
Les Chinois éprouvent d’abord quelque difficulté à concevoir les réincarnations successives sans supposer l’existence d’une entité permanente pour les sous-tendre. D’où l'idée d’une âme spirituelle » et immortelle (shenling) qui transmigre à travers le cycle des renaissances, alors que le corps matériel se désintègre à la mort. Cette idée ne fait que reprendre la croyance taoïste en un au-delà spirituel – voire physique – du corps.
» (Histoire de la pensée chinoise, Anne Cheng, p. 357-8).
Désormais on mérite ce qui nous arriva - « Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter cela ? » - et on avait la possibilité d’intervenir sur son destin par des actes (karma) ou des rituels réparatoires. La pratique chinoise de la divination de certains adeptes bouddhistes prenait acte de la nouvelle donne et s’adapta. Au sixième siècle apparut le Livre de divination de la récompense du bien et du mal (Chan-ch’a shan-o yeh-pao ching, 占察善惡業報經, CCC), en deux parties : une partie pratique suivie d’une partie théorique, qui semble s’apparenter du Traité de la naissance de la foi dans le grand véhicule (Ta-sheng ch’ii-hsin-lun)[2].

Egalement, au VIème siècle, est apparu à Canton, ou Guangzhou, une secte de pénitents, se réclamant de ce manuel de divination karmique. La secte dérangea et après investigation par le préfet en 593, puis le trône, il s’avéra que le texte dont se réclamait la secte était un faux, l’équipe de Fa-ching ne le retrouvant pas dans ses catalogues, le lieu d’origine (« en dehors de la Chine ») n’étant pas spécifié, et la pratique du rituel n’étant pas conforme au mahāyāna. En quoi la secte dérangea-t-elle ?

Un moine à Canton avait organisé un rituel de confession devant un stūpa bouddhiste. Il utilisa deux types de lanières de cuir, les unes portant la mention « bien » et les autres « mal ». Les pratiquants devaient les lancer dans l’air par lots. A ceux qui tombaient sur « bien », on prédisait un avenir faste et à ceux qui tombaient sur « mal » des épreuves. Pour purger le mal qui les attendait, le moine proposa un rituel de pénitence. Il s’agissait de se jeter à terre de tout son corps (tzu-p’u), se prosterner[3], afin d’éviter la punition qui les attendait (mieh-tsui). Le moine réussit à rassembler un certain nombre d’hommes et de femmes, dont la libre mixtion dérangea. Il faut peut-être s’imaginer des groupes d’hommes et de femmes se jetant par terre en public, sans doute devant le stūpa. Une perturbation de l'ordre public ?[4]

La prosternation était décrite comme « l’écroulement du mont T’ai ». Le mont T’ai est la principale des cinq montagnes sacrées de Chine, et représente le lever du soleil, la naissance et le renouveau. L’idée du tsu-p’u est de se jeter par terre, « en jetant les quatre t’i (?) par terre » qui est l’expression chinoise consacrée, en guise de demande de pardon.

Le rituel décrit dans le Livre de divination de la récompense du bien et du mal (CCC), s’adresse au bodhisatva Kṣitigarbha, dont le culte était plus important en Chine qu’en Inde, à cause de son « rôle pour secourir les morts dans le monde des enfers, car les chinois étaient particulièrement préoccupés du sort de leurs ancêtres ».
« D’après le Soutra des vœux originels du bodhisattva Kṣitigarbha, il est considéré comme le grand modèle de la piété filiale, parce que c’est pour sauver sa mère des souffrances infernales qu’il a prononcé solennellement le vœu immense de ne pas devenir bouddha tant que l’enfer ne sera pas vide. » (wikipédia)[5].
Le rituel se pratiquait en retraite. Les séries de pénitence étaient suivies de sessions de divination, pour vérifier le degré de purification du mauvais karma. Selon le texte, cette phase de pénitence correspond à l’entraînement éthique (śīla), qui doit précéder les entraînements (T. lhag pa’i brlabs pa gsum P. tisikkhā) respectivement en la méditation (samādhi) et en la sagesse (prajñā). Et évidemment, le degré de purification obtenue dans cette vie restera acquise pour la suivante, la pratique de la divination au cours de la suivante le prouvera sans doute… Si l’on n’a pas le temps dans cette vie-ci, pour aborder la méditation et la sagesse, ce ne sera que partie remise. On pouvait passer une vie entière à faire pénitence. Le phénomène des pénitents existait également en occident pendant l’Antiquité et le moyen-âge (wikipedia). 

J’aimerais encore soulever deux choses dans l’article de Whalen Lai. Il compare la façon de faire des prosternations en Inde avec celle expliquée ici. En Inde, on ne se jette pas par terre avec tout son corps, mais l’on se met à genoux devant le Bouddha, les cinq cakra touchant la terre, à savoir les genoux, les coudes et le front, les deux bras levés et les paumes tournés vers le haut. En Chine, les paumes sont tournées vers le bas et les bras allongés par terre. La façon de se prosterner des tibétains ressemble à un mélange des deux.

La deuxième observation concerne la rédaction des écrits apocryphes, que l’on trouverait plutôt dans le nord de la Chine selon Whalen Lai.[6] Voir aussi mon blog sur l'écriture automatique.

Pour conclure, au Tibet, Sakya Pandita avait au XIIIème siècle développé le « Jeu du karma et de la Réincarnation » (tib. sa gnon rnam bzhags), qui était « considéré comme un divertissement éducatif, inculquant aux enfants la représentation bouddhique de l’univers et les mécanismes de la loi du karma ». Le jeu est encore joué dans les régions de culture tibétaine du Sikkim et du Bhoutan ainsi que par les réfugiés tibétains.[7]




Le jeu célèbre "Snakes and Ladders" serait à l'origine un jeu de société indienne (mokshapatam) sur le karma, inventé au XIIIème siècle par le poète et saint Gyandev.  



MàJ06022015 Article de Jens Schlieter, Simulating Liberation: The Tibetan Buddhist Game “Ascending the [Spiritual] Levels”

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[1] Yi Jing. : Le livre des changements (2002), Pierre Faure etCyrille J-D Javary, p. 2

[2] Extrait de Chinese Buddhist Apocrypha, Robert E. Buswell, « The Chan-ch’a ching: Religion and Magic in Medieval China » de Whalen Lai


[3] Se coucher, s'incliner très profondément, le front touchant terre ou se rapprochant de la terre en signe de respect, d'adoration, de supplication. (Atilf)

[4] « The CCC: In two fascicles; no listing in the various catalogues. The colophon says that it was translated by P’u-t’i-teng [Bodhidipa?; d.u.]4 outside China, but it seems to be a spurious work of recent origin. It now appears in several canonical collections, and is being copied and circulated.

There was a monk in Canton who sponsored a confessional [performed] before a stupa [representing the Buddha-jewel]. He made use of two strips of leather, and on one he had written “good” and on the other “evil.” The practitioners were told to throw these [like lots]. Those who came up with “good” were told that they would be blessed with good fortunes. Those who came up with “evil” were told that misfortune awaited them.

The monk also urged the people to smite themselves (izu-p’u) so as to offset punishment otherwise due (mieh-tsui). He succeeded in gathering around him a following of males and females who mingled together [too freely]. In Ch’ing-chou [Shan-tung], a layman also sponsored a similar confessional.

In the thirteenth year of the K’ai-huang era (593), someone reported [the cultj to the Canton magistrate, charging that it was bewitching the people.

Upon being investigated, [defenders said] that the stupa-confessional was based on the CCC and that the method of Uu-p’u was based on common canonical instructions on [how to do penance by throwing oneself on the ground] “as if Mt. T’ai were crumbling.”

The Canton Prefect (Ssu-ma) Kuo I [d.u.] went to the capital and personally reported the affair in some detail to the Chih-chou Office. The throne doubted this defense [of the cult as based on] the CCC, and ordered the Vice President of Religious Records (Nei-shih shih-lang), Li Yuan-ts’ao [d.u.], to accompany Kuo I to the Pao-ch’ang Temple so as to consult [the sutra-cataloguer] Fa-ching and the other learned monks. They submitted that the CCC was not found listed in prior catalogues, and pointed out that no specific site where the translation took place had been given. Furthermore, they noted that the manner in which the stupa-confessional was practiced was unlike any [other such formula] found in the various sutras. They advised that the cult not be followed. A memorial was then issued banning these practices. Later, however, a Brahman a came and said that such rites were in fact found in India. » Source

[5] « Les trois sutras chinois qui parlent de Ksitigarbha, en particulier le Soutra des vœux originels du bodhisattva Kṣitigarbha (en) sont supposés avoir été traduits du sanskrit au viie siècle par un moine de Hotan, maître Shikshânanda, mais les spécialistes s'accordent pour dire qu'ils ont été écrits directement en chinois aux viiie et ixe siècles. »

[6] « The North is the source of many other fabricated sutras during this period.8 The reason for this geographical distribution is that northern China did not nurse the “recipient mentality” toward the words of the Buddha that was prevalent in the South. Being in many ways an extension of the Central Asian Saipgha, the northern Saipgha instead developed a “progeny mentality.” This distinction means that whereas monks in the South would more often compile sutra-catalogucs to keep track of what had been received from outside China, the northern Saipgha would instead generate its own sutras, just as Buddhists had done previously in Central Asia.

The northern Saipgha was larger than its southern counterpart, and had a broader socio-economic base. It also demonstrated greater expediency when it came to populist concerns. Thus, for example, after the first persecution of Buddhism in the North (446-452), the architects of the Buddhist revival did not follow the usual course of collecting books and compiling catalogues in order to salvage their tradition. Instead, it appears that these leaders were more actively involved in translating new sutras, writing new texts, including such indigenous scriptures as the T’i-wei Po-liching{Book ofTrapu$a and Bhallika), and actively proselytizing among the masses. The CCC therefore reflects to me more of this northern agenda. » Source

[7] Le jeu du karma et de la réincarnation, Mark Tatz et Jodi Kent, Claire Lumière, p. 7

dimanche 11 novembre 2012

Des canons comme arme de propagande



Après la mort du Bouddha, tous ses moines étaient en deuil. Subhadda, un barbier d’Atumā, qui était devenu moine mais n’aimait pas tous les vœux mineurs et majeurs à observer, leur dit de plutôt se réjouir : « Nous voilà débarrassé du grand ascète (mahāsamana) ; on est enfin libre d’agir à notre guise. ». C’est cette remarque qui aurait fait décider à Mahākassapa, sur la route de Kusināra, de tenir le premier concile, d’une série à venir afin de préserver la pureté de la doctrine.[1] Subhadda, présent à la mort du Bouddha, n’aurait-il peut-être pas bien entendu le testament et les prédictions du Bouddha dans le Mahāparinirvāṇasūtra ?

La cause du déclin de la doctrine, serait en effet le taux de mauvaises ou fausses doctrines qui se mélangèrent à fur et à mesure à la « bonne doctrine ». Il fallait donc veiller à ce que le bon grain soit séparé de l'ivraie. Le « bon grain » ce furent les écritures canoniques ou reconnues comme telles. C’est-à-dire les doctrines approuvées par une guide (sangha) en bons termes avec les autorités locales, qui ne pouvaient pas admettre des doctrines qui allaient à l’encontre de leurs propres intérêts. Le nom chinois pour « écriture canonique » est « ching »,dont la forme verbale signifie « ordonner, réguler ». Le terme tibétain « gzhung » signifie à la fois « écriture canonique » et « gouvernement ».
« Quand les moines étudient la doctrine à l’étranger, ils se mettent à genou et la recoivent oralement. L’instructeur leur transmet [T. zhal snga nas] la doctrine exactement comme il l’avait reçue de son instructeur en la répétant 10 ou 20 fois. S’il se trompe sur ne serait-ce qu’un seul mot, une révision mutuelle a lieu et [le terme erroné] est éliminé. Aucune indulgence n’est admise à l’égard des moines et de la doctrine. Depuis peu, les doctrines [bouddhistes] ont commencé à affluer dans le pays de Chin (la Chine). Mais il y en a qui, à cette occasion, prennent du sable pour de l’or en croyant avoir réussi leur supercherie  Si personne ne les reprend, comment pourrions nous distinguer le vrai du faux ? Si on avait mélangé le bon grain et l’ivraie, Hou Chi s’en serait plaint. Si on avait gardé indistinctement de la jade et des pierres dans un coffre-fort, Pien He aurait eu honte. Et moi, [Dao] An [312-385], étudiant, quand je vois comment [les écritures canoniques et fausses] confluent comme les rivières Ching et Wei, ou comme un dragon et un serpent cheminent ensemble, comment je n’en aurais pas honte ? Aussi, je dresserai la liste de ce que je considère être des écritures non-bouddhistes (fei fo-ching) afin d’avertir les candidats futurs, pour qu’ils sachent quelles écritures sont méprisables. »[2]
Dao'an compile alors le premier catalogue[3] de sūtras bouddhiques traduits en chinois. Ces catalogues, qui n’existaient pas en Inde, deviendront le moyen par excellence dans les pays asiatiques où s’implante le bouddhisme pour établir les écritures canoniques, le plus souvent en accord avec les autorités locales. Seng-yu, compilateur du premier catalogue chinois préservé, rappelle la prédiction du Bouddha dans le Mahāparinirvāṇasūtra « qu’après sa mort, les moines plagieront les écritures, causant ainsi le déclin de la doctrine. »[4]. La première traduction chinoise de ce sūtra comportait 6 fascicules, les autres versions 36 ou 40 fascicules. Dans la traduction tibétaine de ce texte, le Bouddha aurait prédit l’avènement de Padmasambhava.  

Ce sūtra serait d’ailleurs l’endroit rêvé pour faire authentifier in extremis dans la bouche du Bouddha, sous forme de prédictions, tout ce qu’il avait besoin de l’être. Dans ce sūtra comme dans d’autres d’ailleurs. L’impératrice Wu Zetian (624-705) avait commandé plusieurs interpolations, dans le Sūtra de l'ornementation fleurie‏ (S. avataṃsakasūtra) ou le Sūtra de la pluie précieuse (S. ratnameghasūtra Taishô 660), selon certains avec l’approbation du traducteur avec pignon sur rue Bodhiruci (?-527), pour authentifier son statut d’émanation de Prince Claire-de-lune (S. Candraprabha kumāra T. zla 'od gzhon nu), dont le Bouddha aurait fait la prédiction. Selon certains toujours, le traducteur aurait été richement récompense. Cependant, les dates de Bodhiruci ne correspondent pas...[5]. Il s'agirait peut-être plutôt de Fazang (643-712) de l'école Huyayan. Je reviendrai sur la légende de prince Claire-de-lune dans un blog à venir. La prédiction dit que Devaputra un disciple du bouddha historique, la future impératrice Wu Zetian, renaîtrait en Chine peu avant le déclin de la doctrine de Śākyamuni, qu’elle restaurerait parfaitement et selon laquelle elle régnerait. Cela devrait mettre fin à la théorie du déclin de la doctrine et les diverses sectes qui s’en nourrissaient.[6]

Ce genre de choses n’était pas exclusif à la Chine. Gampopa était également considéré comme la réincarnation de Prince Claire-de-lune (lune), prédit dans le Samādhirājasūtra, redresseur des torts et sauveur de la bonne doctrine en préparant la voie à Maitreya (soleil). Mais Sakya paṇḍita, qui considérait la Mahāmudrā de Gampopa comme une fausse doctrine, celle-là même qui fut condamnée par le roi tibétain Trisong détsen (khri srong sde btsan 742-797), et qui pour la contrecarrer faisait valoir une prédiction de Śāntarakṣita (source inconnue, sans doute un texte redécouvert (T. gter ma).
« Écoutez ma prédiction, ô roi, dans votre pays le Tibet, que Padmasambhava avait confié aux douze Protrectrices (brtan ma bcu gnyis), les hérétiques n’ont pas pu s’implanter. Cependant, par un concours de circonstances, la tradition bouddhiste se clivera en deux camps. Cela commencera après ma mort par la venue d’un moine chinois, qui enseignera le chemin de l’accès simultané appelé « Panacée blanche » (T. dkar po chig thub). Vous inviterez alors mon grand disciple, le grand érudit Kamalaśīla, à venir de Inde pour le réfuter. Vous décréterez ensuite que les fidèles agissent conformément à sa tradition bouddhiste (de Kamalaśīla). »[7]
Karl Debreczeny, dans Wutai Shan: Pilgrimage to Five-Peak Mountain, donne un autre exemple de l'intérêt de faire parler les canons. De nouveau, il s'agirait d'une interpolation par notre impératrice dans le Sūtra de l'ornementation fleurie‏ mentionnant la montagne Wutai Shan (T. ri bo rtse lnga) comme la demeure de Mañjuśrī, ce qui avait fait une bonne publicité à ce lieu très fréquenté. Par exemple par Vairocanarakṣita, Dampa Sangyé et d'autres.

Au Tibet, il existait différents recensements (T. lhan dkar ma/ldan dkar ma)[8] des traductions faites pendant cette période, mais au quatorzième siècle une sélection, édition, compilation et systématisation finales furent entreprises par Butön Rinchen Drub (Bu ston rin chen grub 1290–1364) du monastère de Zhalu. Pour faire le tri et vérifier l’authenticité des textes, un original en langue indique était requis et de nombreuses traductions anciennes (T. rnying ma) ne répondant pas aux critères nouvelles furent exclus du catalogue. Les écoles dont de nombreux textes furent exclus ont développé leurs propres canons.

Il est évident que les contraintes d'un original en langue indienne, la traduction par une équipe sous la direction d'un pandit indien ou maîtrisant le sanscrit, ne suffisent pas toujours pour garantir l'authenticité d'un texte, comme nous l'avons vu dans les exemples ci-dessus. Leur intégrité n'est pas toujours au-delà de tout soupçon. Souvent il peut y avoir contestation par les uns ou par les autres. Les pandits étaient d'ailleurs souvent sur la route ou en séjour dans un des nombreux centres en dehors de l'Inde en travaillant avec des traducteurs de diverses origines. Comment être certain que des textes, même canoniques, n'ont pas été composés à ces occasions. Je ne peux que recommander Chinese Buddhist Apocrypha de Robert E. Buswell pour prendre conscience de cette réalité qui est loin de ne se limiter qu'à la situation chinoise...     


MàJ 21052013 Entre-temps, chez les chrétiens

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[1] Vin.ii.284f; D.ii.162; Mhv.iii.6. http://www.palikanon.com/english/pali_names/s/subhadda.htm

[2] « When monks in foreign countries are trained in the teachings [of Buddhism], they kneel down and receive it orally. The teacher confers on his disciples the teachings exacdy as he received them from his own teacher by repeating it ten or twenty times. If even one word deviates [from the accepted transmission], it is revised after mutual conference and [the wrong word] is immediately deleted. There is no laxity as far as the monks and the teachings are concerned. It has not been long since the [Buddhist] scriptures reached the land of Chin [viz., China]. But those who delight in this occasion label sand-grains as gold, and believe they have succeeded in such [forgeries]. If no one corrects [such deceptions], then how can we distinguish the genuine from the spurious? If grains and weeds are mixed in farming, Hou Chi would lament over it; if jade and stone are stored [indiscriminately] in a metal chest, Pien He would be ashamed of it. I, An, who dare to undertake this training, see that [the presence of both authentic and spurious scriptures] is like the Ching and Wei rivers merging their flows, or a dragon and a snake proceeding side by side. How could I not be ashamed of this? Now I list what I regard in my mind to be non-Buddhist scriptures (fei fo-ching) in order to warn future aspirants, so that they will all know that these scriptures are despicable. » Kyoko Tokuno, Evaluation of Indigenous Scriptures, dans Chinese Buddhist Apocrypha p. 34

[3] Perdu en partie, mais préservé dans le catalogue (Ch’u-san-tsang chi-chi) compilé par Seng-yu (445-518).

[4] Kyoko Tokuno, Evaluation of Indigenous Scriptures, dans Chinese Buddhist Apocrypha p. 36

[5] « In 693, Bodhiruci and others translated the Baoyujing (寶雨經 The Precious Rain Sutra, Ratnameghasutra) and presented to Wu Zetian. This was a retranslation of the same sutra done by Mantuoluoxian 曼陀羅仙 (Mandra Rishi?) in Liang dynasty, but with the addition that the Buddha predicted that “the god named Sun and Moon Light” would appear as a woman “in Great China” and ruled there as a king. Thus, the translator was also bestowed with abundant gifts (《大周新譯大方廣佛華嚴經序》與《全唐文》卷 97). » Source : Thansiang

[6] Suppression of the Three Stages Sect, dans Chinese Buddhist Apocrypha, p. 230

[7] Voir L’Exposition des trois types de vœux (T. sdom gsum rab dbye)

[8] Le lDan dkar ma, le catalogue des textes conservés au début du IXème siècle au palais royal tibétain de sTong Thang ldan kar