La soumission de Mâra, Dunhuang Xème siècle, Musée Guimet |
Un élément que de nombreuses religions partagent et que l’on attribue au zoroastrisme[1] est la bataille entre le Bien et le Mal, ou entre les forces de la Lumière et les Ténèbres, et le dualisme ontologique qu’elle pose. Le prophète Mani, à l’origine du manichéisme (IIIème siècle), a eu comme mérite d’être à l’origine de l’adjectif manichéen pour exprimer “une manière de voir ou de juger simplificatrice, sans nuance, en termes opposés de bien et de mal” (Atilf).
Est-ce qu’un religion est possible sans ce dualisme ontologique entre le Ciel et la Terre, où a lieu la bataille entre les Forces des Lumières et des Ténèbres avec les hommes comme mise ? Les versions des récits religieux de la présence des hommes dans cette région sublunaire qu’est la Terre diffèrent, mais toutes les religions sont d’accord qu’il faut sortir les humains/êtres de là. Il faut sauver la part de Lumière immortelle qu’ils ont en eux, et qui est enfermée dans les Ténèbres, dans de la matière inerte, périssable.
Voilà le cadre proposé aux scénaristes des religions, qui ont adapté ce thème à l’infini, le plus souvent avec une happy end pour ceux qui collaborent avec les Forces des Lumières et leurs agents. Les Lumières sont bienveillantes envers nous et veulent nous aider à nous sortir de ce pétrin, à condition que nous fassions notre part.
Nous savons cela grâce aux scénaristes et aux émissaires des forces de Lumières, dont les moyens de communication sont inépuisables. Quand notre parcelle de Lumière est trop prise dans les Ténèbres, il est difficile de voir ces messagers et de recevoir leurs messages. Mais les humains dont la Lumière brille plus fortement peuvent y avoir accès et nous faire connaître les intentions des Forces de Lumières. Les religions utilisant ce dualisme ontologique sont des religions de salut. Il y a une bonne chance que les cultes ou religions qui sont devenues des religions à salut ont été influencées par le zoroastrisme. C’est très clairement le cas des trois grandes religions monothéistes, mais c’est sans doute aussi vrai pour le bouddhisme (et d’autres religions orientales), et notamment pour le bouddhisme mahāyāna et ésotérique. Le mot ésotérique veut dire “qui est réservé aux seuls initiés”, et est utilisé dans le cadre de mystères et autres systèmes à initiations et consécrations, qui visent le salut de leurs initiés. L’Occident a connu les mystères par l’hellénisme, mais il n’est pas exclu que ce soit la source unique des religions à sauveur et à salut individuel.
Qu’est-ce qui fait que les religions puissent avoir des atomes crochus avec d’autres et que le syncrétisme est possible ? Le dualisme ontologique et l’idée de salut sont un élément important. Les représentations des Forces de Ténèbres ne sont pas si différentes, surtout quand elles sont constituées d'idoles d’antan qui ont chuté, et qui y ont retrouvé un ré-emploi de père fouettard.
Démon pétomane, détail de la soumission de Mâra |
Et puis côté “progressiste” et “universaliste”, les religions peuvent s’appuyer sur les valeurs de l'hellénisme[2], notamment celle de la fraternité, qui se limitait au départ aux membres d’une même confrérie, mais qui s’est universalisée grâce à la reprise de l’idée de fraternité dans les droits de l’homme[3] et au rapprochement œcuménique des religions. Toutes les religions mettent désormais en avant qu’elles prônent l’amour, la paix, la fraternité, l’entraide etc. Les Forces de Lumières se sont davantage horizontalisées, mais les tensions entre la verticalité du dualisme ontologique d’origine et les valeurs plus humanistes perdurent.
Pieter Brueghel l'Ancien, La Chute des anges rebelles (1562) (avec Mâra en bas à gauche) |
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[1] Les autres éléments du zoroastrisme :
“. La bataille entre le Bien et le Mal, ou de la Lumière et les Ténèbres.
. Les bonnes ou mauvaises conséquences des actes (le Ciel ou l’Enfer).
. A la fin des temps, Dieu enverra un fleuve de feu qui brûlera tout l’univers y compris les enfers.
. Un nouvel univers meilleur sera créé à sa place.
. Les bonnes personnes seront ressuscités pour peupler ce nouvel univers et y vivre éternellement.” Cultes à mystères et à sauveurs et influences
[2] “. Syncrétisme : l’association d’un culte de divinité étrangère à des éléments hellénistiques.
. Henothéisme : la transformation et la réinterprétation du polythéisme en monothéisme. Le Judaïsme a apporté la monolâtrie, l’adoration d’un seul dieu, et était monolâtre et hénothéiste. Le christianisme idem. Jésus est une divinité, un archange, et n’était pas nécessairement appelé Dieu.
. Individualisme : l’adaptation de cultes de salut agricoles pour en faire des cultes de salut individuel. Toutes les religions sont nées de l’agriculture et du renouveau continu de la nature. Ce renouveau est individualisé par la suite et devient une résurrection. Les mythes religieux autour de l’agriculture ont été réinterprétés au niveau individuel. Il faut rejoindre ces cultes, pour obtenir sa propre résurrection ou salvation individuelle après la mort.
. Cosmopolitanisme : toutes les races, cultures et classes sont considérées comme égales, et ayant une parenté fictive (leurs membres sont tous “frères”) ; on “rejoint” une religion, plutôt que de naître dans une religion.” Cultes à mystères et à sauveurs et influences
[3] Article 1er “Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.”
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