samedi 29 février 2020

Maîtrise des dégâts, une nouvelle pratique bouddhiste ?

(citation du DL : "ma religion est très simple, ma religion est la bonté")


LUnion Bouddhiste des Pays-Bas (la BUN) est l’équivalent de lUnion Bouddhiste de France (lUBF), la fédération nationale des associations bouddhistes de France dont fait partie la Congrégation Rigpa Lérab Ling depuis 2010. Suite au scandale lié à Sogyal Rinpoché, l’UBF avait suspendu la qualité de membre de Rigpa Lérab Ling et de Rigpa France.



Jugeant que “l’évolution heureuse” s’était réalisée, Rigpa Lérab Ling avait été réintégré en qualité de membre en août 2019.
“Depuis le 10 août 2019, les représentants du mouvement Rigpa ont officiellement informés l’UBF que Son Eminence Mindrolling Jetsün Khandro Rinpoché assumait la direction spirituelle du mouvement. Ce qui restitue complètement à Rigpa son statut de membre de l’UBF et le fait figurer dans notre annuaire.” 
Voir la réponse donnée à ma question posée sur la page Facebook de l’UBF dans mon blog Une évolution heureuse ?” du 18 septembre 2019.
La BUN n'avait en revanche jamais suspendu la qualité de membre de Rigpa Nederland. Nous sommes maintenant coutumiers du fait que lorsqu’une personnalité, une congrégation, une association etc. font l’objet d’accusations d’abus sexuel/de pouvoir, que celles-ci essaient de limiter le préjudice, notamment à leur réputation et image. Le monde anglophone parle dans ce cas de “damage control” (maîtrise des dégâts). Un élément clé de la maîtrise des dégâts est de garder le contrôle du récit officiel et de l’agenda. Par exemple en organisant en interne l’accompagnement psychologique des victimes par des professionnels membres de la congrégation ou de l’association, en communiquant sur les abus sexuels (p.e. en publiant des codes de conduites), ou en commandant et en finançant des enquêtes indépendantes, où enquêteurs rencontrent les victimes et écoutent leurs propos. En agissant ainsi, les dégâts sont maîtrisés dans le sens que cela pourrait avoir l’effet souhaité (?) que les victimes ne portent pas plainte (ayant déjà été prises en charge en interne) ou que des enquêtes externes ne soient pas menées, sur lesquelles la congrégation n’aurait aucun contrôle.

Aux Pays-Bas, le président de la BUN est Michael Ritman, également membre actif de Rigpa Nederland et disciple de feu Sogyal Rinpoché. Suite à l’affaire Sogyal, qui aux Pays-Bas avait commencé par l’émission Brandpunt qui portait sur les abus sexuels dans le bouddhisme, et dans laquelle une des victimes alléguées de Sogyal avait témoigné, la BUN s’était mise en contact avec Rigpa Nederland pour demander des clarifications, et avait finalement décidé de lui laisser l’espace nécessaire pour remettre de l’ordre dans ses affaires (propos de Ritman). Le journaliste d’investigation néerlandais Rob Hogendoorn, que l’on voit dans l’émission de Brandpunt, s’est spécialisé depuis 2013 dans les cas d’abus sexuels dans le bouddhisme aux Pays-Bas. En 2019, il avait publié avec Mary Finnigan, journaliste du journal britannique The Guardian, le livre “Sex and Violence in Tibetan Buddhism: The Rise and Fall of Sogyal Rinpoche”. Il tient également un site web (open boeddhisme), avec des articles et des informations sur les cas d’abus dans le bouddhisme.

En tant que président de la BUN, Ritman s’était mis en contact avec Dr. Henk Blezer de l’Université Libre (Vrije Universiteit) d’Amsterdam pour organiser un stage sur le pouvoir et labus de pouvoir dans le bouddhisme (texte intégral du discours d’ouverture de Ritman sur le site de la BUN, 03 feb 2020). Henk Blezer avait confié le projet à un de ses étudiants, dans le cadre d’un stage de fin d'étude Master (“internship”). L’étudiant s’était mis en contact avec le journaliste d’investigation et s’était investi à fond dans le projet. Blezer avait invité Oane Bijlsma (qui avait participé à l’émission Brandpunt) pour venir témoigner pendant le stage de son expérience chez Rigpa et avec Sogyal. A priori cela semble une bonne idée de donner la parole à une victime alléguée d’un maître bouddhiste accusé d’abus sexuels. Mais Ritman, président de la BUN, membre actif de Rigpa Nederland et disciple de Sogyal se serait mis dans une colère noire, en refusant de but en blanc cette invitation (droit de véto). Blezer, en tant que l’organisateur du stage à l’Université Libre d’Amsterdam avait alors dû annuler la participation de Bijlsma, parce qu’il ne pouvait plus “garantir la sécurité” de celle-ci... Bijlsma et Blezer ont porté plainte auprès du doyen de l’université. L’invitation du journaliste Hogendoorn ayant été annulée aussi, celui-ci a porté plainte également. Pour tous les détails, voir les articles de Rob Hogendoorn, suite à l’événement (A False Narrative) et sur la culture du silence de Rigpa Nederland rendue possible par la BUN et son président.

Tout cela n’a pas empêché le président Ritman, à l’ouverture du stage (amputé de plusieurs interlocuteurs clés), de faire les louanges du journaliste d’investigation.

Le journaliste Rob Hogendoorn en conclusion :
All things considered, the entire episode serves as a textbook example of the institutional dynamic that turns religious traditions into religions for abusers and enablers. The selective perception that slants the focus towards the perpetrators, their institutions, and themselves—while paying lip service to victims and survivors—is the rule rather than the exception. No surprises here.” (A False Narrative)
Une des membres de la BUN, la fondation Buddho, a publié un rapport très critique en trois parties (auteur inconnu) sur cette affaire : la préparation, le jour même, la suite à donner (BUN Studiedag Macht en Misbruik in het Boeddhisme, Deel 1: De Voorbereiding. BUN Studiedag Macht en Misbruik in het Boeddhisme, Deel 2: De Dag Zelf. BUN Studiedag Macht en Misbruik in het Boeddhisme, Deel 3: Hoe Nu Verder).

Voir aussi Target Practice: A Buddhist Unions Framing Tactics sur le site Openboeddhisme 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire