mercredi 18 septembre 2019

Une évolution heureuse ?


Communiqué UBF du 03/08/2017, supprimé depuis de son site et récupéré dans les archives du Net


Suite à la lettre ouverte de huit membres de Rigpa publiée le 14 juillet 2017 et la démission de Sogyal Lakar, l’Union Bouddhiste de France (UBF) annonce le 3 août 2017 qu’elle “suspend la qualité de membre de Rigpa Lérab Ling et Rigpa France”, dans l’attente d’une “évolution heureuse”. Sogyal Lakar démissionna le 11 août 2017.
L’Union Bouddhiste de France, fondée en 1986, est une fédération à but non lucratif, apolitique. Elle assure les liens entre les Associations Bouddhistes et l’ensemble des Pouvoirs Publics.” “Depuis 1986, l'Union Bouddhiste de France a noué des liens de confiance avec les pouvoirs publics, les médias et la société civile. Les associations membres de l'UBF répondent en effet à des critères d'éthique et autres valeurs de la sagesse bouddhique.”
L’UBF est interlocuteur reconnu des pouvoirs publics (Statuts) et en tant que représentant des diverses branches du Bouddhisme, elle a également droit à une émission le dimanche dans le cadre des Chemins de la foi. Sagesses bouddhistes est “l’émission hebdomadaire consacrée au Bouddhisme, proposée par l’Union Bouddhiste de France et diffusée sur France 2”. On y trouve le plus souvent des membres de l’UBF. Son contenu est plutôt consensuel ; on n’y parle pas de choses qui fâchent. Un journaliste[1] qui veut faire un article sur le bouddhisme ou veut connaître l’opinion “des bouddhistes” sur un sujet de société se mettrait sans doute en relation avec l’UBF qui peut ensuite le référer à un de ses membres “actifs”.

Les révélations suite à la lettre ouverte de 2017 avaient donné lieu à la création des forums d’échange, grâce à des initiatives individuelles (What Now? de Tahlia Newland, un groupe secret FB, How Did It Happen de Bernie Schreck), où des adeptes de Rigpa et d’autres se demandaient comment on en était arrivé là et que faire maintenant. L’avocat Jean-Baptiste Cesbron commença à recueillir des témoignages par le biais de l’Adfi (Associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes) de l’Hérault. Le 09/12/2017, le journal Midi Libre publia une interview de lavocat par la journaliste Sophie Guiraud. A la question “Vous n’hésitez pas à parler de secte…”, l’avocat répond “Il n’y a pas de définition juridique de la secte, même pas avec la loi About-Picard de 2001 sur la prévention et la répression des mouvements sectaires. Mais a priori, on y associe les agissements qui sont de l’ordre de l’abus de faiblesse, l’abus de confiance, l’escroquerie, tout ce qui relève d’un crime s’il y a viol.”

La publication de cette interview, et plus particulièrement le passage cité ci-dessus, avaient décidé 133 membres de la congrégation religieuse Rigpa Lerab Ling dattaquer en diffamation (15/02/2018) l’avocat, la journaliste et le journal (voir aussi l’article de Patrick Ardid dans Charlie-Hebdo). Le 17/07/2019, le Tribunal de Montpellier prononça la relaxe. Rigpa déclare faire appel.

En parallèle de ces réactions, Rigpa avait commandé une enquête indépendante sur les accusations exposées dans la lettre ouverte, laquelle enquête fut confiée à Karen Baxter de Lewis Silkin LLP. Karen Baxter avait rendu public les résultats de ce rapport le 22 août 2018.
Bien que j'ai eu des preuves que beaucoup de gens pensent avoir bénéficié grandement de la présence de Sogyal Lakar comme enseignant, les expériences individuelles sont très différentes. Il existe divers degrés de proximité avec Sogyal Lakar, les relations les plus étroites étant régulièrement qualifiées de « cercle restreint ».
Les expériences de certains membres du cercle restreint sont très différentes de celles de personnes beaucoup moins proches.
Toutes les allégations contre Sogyal Lakar ne sont pas confirmées... mais, compte tenu des preuves dont je dispose, je suis convaincu que, selon la prépondérance des probabilités :
1. des étudiants de Sogyal Lakar... ont été victimes de sévices physiques, sexuels et émotionnels graves de sa part ; et que
2. de hauts responsables au sein de Rigpa étaient au moins au courant de certains de ces problèmes et qui ne les ont pas traités, laissant d'autres personnes en danger. “
Le site de l’Institut d'Études Bouddhistes (IEB) écrit au sujet du rapport Lewis Silkin :
Le rapport détaillé de 50 pages met en lumière de nombreux problèmes considérés comme « sérieux » et énumère une série de recommandations, notamment que Sogyal Rinpoché ne participe plus à aucun des futurs événements organisés par Rigpa, qu’il n’ait plus aucun contact avec ses disciples et que Rigpa prenne des mesures pour se dissocier de son fondateur « aussi pleinement que possible.”
“Rigpa a également déclaré séparément qu’il « s’engageait à poursuivre le processus de guérison, de réconciliation et de changement. Pour reconnaître l’importance de ce processus de guérison et de changement, les hauts responsables de la direction quittent tous leurs postes de direction.” Site de lInstitut dEtudes Bouddhiques (IEB)
Il semblerait que seuls les hauts responsables Patrick Gaffney, Dominique Side et Philippe Philippou aient en effet quitté leurs postes, mais que les membres du “cercle restreint” sont toujours actifs dans le Conseil de Vision (“Vision Board”) et à d’autres niveau de management au sein de Rigpa (Sex & Violence, p. 170). En avril 2019, Patrick Gaffney sera par la suite disqualifié pour une période de huit ans par la Charity Commission[2] for England and Wales, notamment pour avoir eu connaissance des “allégations d’actes impropres et abus sexuels et/ou physiques” contre des étudiants au sein de la charité. Comme il n’avait pas pris les mesures qui s'imposaient, il était considéré responsable de l’inconduite et/ou de la mauvaise gestion dans l’administration de la charité[3]. (The Guardian).

En mars 2019, Jetsün Khandro Rinpoché avait accepté de prendre le rôle de directrice spirituelle de la Congrégation Rigpa Lérab Ling pour une période d’intérim (source Rigpa). Sogyal Lakar, citoyen français en fuite, décède le 28/08/2019 en Thaïlande. Peu avant sa mort, le 10/08/2019, Mindrolling Jetsün Khandro était devenue officiellement le Directeur spirituel de Rigpa Lerab Ling. L’information fut communiqué de façon officielle à l’Union Bouddhiste de France, qui réintégra immédiatement, le même jour, Rigpa Lerab Ling en tant que membre de l’UBF. Le site de l’UBF fut mis à jour également le même jour. Rigpa Lerab Ling figure désormais en tête de la liste des membres. Ces renseignements se trouvent dans la réponse donnée par l’UBF sur leur page FB (13/09/2019). La réponse en son intégralité :
"Vous avez raison et nous vous remercions de votre message. Lorsque Sogyal Rinpoché s’est retiré de la direction spirituelle du mouvement Rigpa, le mouvement Rigpa s’est retrouvé sans représentation officielle d’une autorité spirituelle formelle. De par ce fait, son statut de membre a été provisoirement suspendu par l’UBF.
Depuis le 10 août 2019, les représentants du mouvement Rigpa ont officiellement informés l’UBF que Son Eminence Mindrolling Jetsün Khandro Rinpoché assumait la direction spirituelle du mouvement. Ce qui restitue complètement à Rigpa son statut de membre de l’UBF et le fait figurer dans notre annuaire.
Cette publication figure en tête de liste dans notre annuaire car c’est la dernière modification de l’annuaire enregistrée par notre système de publication internet."
La réponse de l'UBF suggère que la suspension "en sa qualité de membre" de Rigpa avait pour raison l'absence de direction spirituelle. Le communiqué du 03/08/2017 (en tête de cet article, depuis supprimé du site de l’UBF) était pourtant très claire sur le motif de la suspension. Elle était due aux accusations concordantes contre Sogyal Rinpoché, et à son comportement contraire à l'éthique bouddhiste, par ailleurs facilité par Rigpa. Il ne s'agissait pas dans le communiqué supprimé de 2017 d'un vide d'autorité spirituelle. On ne trouve d’ailleurs sur le site de l’UBF aucune information sur les difficultés passées ou actuelles de Rigpa.

Il y a toujours deux enquêtes en cours, ordonnées par M. Christophe Barret, le Procureur de la République de Montpellier. La première concerne Sogyal Lakar. Le décès de Sogyal Lakar ne signifie pas la fin de cette enquête. La deuxième concerne la gestion des finances. La Charity Commission poursuit de son côté sa propre "Statutory inquiry". Nous ne savons pas encore s’il y aura une “évolution heureuse”.

Contrairement à l’UBF, les auteurs de Sex and Violence in Tibetan Buddhism, The Rise and Fall of Sogyal Rinpoche, Mary Finnigan et Rob Hogendoorn (voir la critique du journal néerlandais De Volkskrant), estiment que les recommandations du rapport de Karen Baxter n’avaient pas été suivies, hormis un Code de conduite et une Procédure de deuil formulés de façon ambiguë (Sex & Violence, p.170). Rigpa publie une page sur les avancées de Rigpa suite aux recommandations du rapport, avec “six domaines de la vision et de la culture de Rigpa, du soin et de sa gestion”.
1. Clarifier et concrétiser la Vision de Rigpa.
2. Communiquer la relation entre Rigpa et Sogyal Rinpoché.
3. S'engager pour un environnement sûr à Rigpa.
4. Assumer la responsabilité de la guérison et des blessures du passé.
5. Approfondir notre culture d'écoute, de non-jugement et de bonne communication.
6. Renforcer notre gestion, notre transparence et nos pratiques financières.”
Le point de Vision n° 2 correspond à la recommandation n° 2 du Rapport :
“2. Rigpa devrait prendre des mesures pour se dissocier de Sogyal Lakar de façon aussi complète que possible (en particulier concernant toute disposition juridique qui, pour le moment, peut le lier à l'organisation).”
Depuis la mort de Sogyal Lakar, Rigpa a transformé sa mort en le parinirvana de Sogyal Rinpoché. C’est le titre même de la page anglaise… Seul un Bouddha passe au parinirvana[4]. Rigpa a sollicité les grands maîtres tibétains qui étaient en contact avec lui durant sa vie pour écrire des hommages et a ouvert une page où ceux-ci sont publiés. Aucune allusion nest faite aux victimes de Sogyal. L’organisation de la cérémonie d’incinération du Corps (tib. sku gdung), en Asie, est en cours. Dans le message même qui annonçait sa mort les disciples étaient rappelés aux démarches à suivre. Ceux qui étaient en contact avec lui étaient priés de réparer le lien avec lui en dévoilant leurs fautes et en se réconciliant avec/s’unissant au guru par le guruyoga. Certains messages volaient si haut, qu’une pétition fut lancée pour demander le retrait des hommages. Le Gouvernement tibétain en exil (CTA) avait donné suite et a retiré son hommage. D’autres maîtres tibétains (notamment Ringu Tulku) avaient simplement modifié leurs hommages. L'hommage de Rigdzin Namkha Gyatso Rinpoche avait été enlevé par Rigpa pour des raisons inconnues. Pour ce qui est de la dissociation la plus complète possible de Sogyal Lakar, cette tentative de “sanctification” va plutôt dans le sens contraire.

Pour le point n° 4 Assumer la responsabilité de la guérison et des blessures du passé, comme nous avons vu ci-dessus, Rigpa a fait appel contre la relaxe de l’avocat des victimes. La couleur avait déjà été annoncée lors d’une conférence de presse de Rigpa Lerab Ling le 02/05/2018 (Midi Libre).
Dans la tradition bouddhiste, on ne répond pas quand on est attaqué”, explique Dominique Hilly. Il a fallu passer outre face à “des accusations non fondées” : “Il est devenu difficile de travailler avec nos partenaires habituels, l'office de tourisme de Montpellier, la communauté de communes. On touchait à la pérennité de ce lieu”, dénonce Sam Truscott. “Il y a eu des sessions très fréquentées, d'autres qu'on a dû annuler par manque de monde”, assure Julien Tanniou, alors que chaque année, “20 000 visiteurs se déplacent à Lodève pour suivre des enseignements des lamas, s'initier à la méditation, la gestion des émotions l'accompagnement des personnes en difficulté...” Il reconnaît que “globalement, la fréquentation et les effectifs sont en baisse”. (Midi Libre 02/05/2018)
Dans le rapport de Karen Baxter, on peut lire que celle-ci n’a pas pu intégrer dans le rapport toutes les allégations dont on lui avait fait part.
Tout au long de cette enquête, plusieurs personnes m'ont contacté pour me parler d'autres histoires d'abus. Malheureusement, la portée de cette enquête a dû se limiter à enquêter sur la plainte et il est arrivé un moment où il était impossible de mener plus loin des entretiens.
J'ai assuré à ceux qui m'exprimaient leur inquiétude que j'alerterai Rigpa sur le fait qu'il existait d'autres étudiants et d'anciens étudiants concernés qui aimeraient avoir la possibilité d'être entendus.
Pour s’assurer qu’une enquête appropriée soit entreprise, un tel processus doit être véritablement indépendant de l'infuence de ces personnes dont j'ai conclu qu'elles avait échoué à gérer ces problèmes pendant de nombreuses années.” (Rapport Lewis-Silkin)
En lisant entre les lignes, on comprend que les alertes que Karen Baxter avait reçues sur “d'autres histoires d'abus”, et qui ne pouvaient pas être intégrées dans son rapport avaient simplement été transférées à Rigpa… Est-ce que Rigpa les avait peut-être proposé de suivre "la thérapie Rigpa" ?[5]  Il est possible que d’autres personnes n’aient pas eu suffisamment confiance pour se confier à une enquêtrice indépendante, commandée par Rigpa. Le rapport ne contient donc pas l’intégralité des allégations.
Les gens qui restent au pouvoir, aux commandes des centres Rigpa, notamment à Roqueredonde, sont toujours dans le déni face aux accusations. Ils refusent d'admettre qu'il y a eu abus. Je suis en colère contre l'Etat. Depuis le temps que l'on prévient, c'est devenu de pire en pire. Le rapport parle de violences... des femmes ont failli mourir.” Dominique Cowell, ancienne intendante de Sogyal Lakar, dans une interview avec France 3 (12/09/2018).
Les victimes peuvent toujours se mettre en relation avec l'avocat Jean Baptiste CESBRON et avec son épouse Joséphine, présidente de l'ADFI Montpellier, de l'UNADFI et de France Victimes 34, ne serait-ce que pour leur transmettre des informations de façon confidentielle.

Le point n° 6 sera en fonction des résultats des enquêtes policières et de la Charity Commission, qui nous apprendront ultérieurement ce qu’il en est. Quoi qu’il en soit, à la question Est-ce que Rigpa Lerab Ling peut être réintégrée comme un membre à part entière de l’Union Bouddhiste de France et considérée comme une organisation bouddhiste authentique, l’UBF a d'ores et déjà (10/08/2019) répondu à la positive. Pour l’UBF, la question de la suspension de Rigpa semblait finalement se limiter au vide d’un directeur spirituel. Ce vide étant comblé[6], par la nomination de Mindrolling Jetsün Khandro, directrice du monastère Samten Tse en Inde, le 10/08/2019, l’UBF a décidé que la congrégation Rigpa Lerab Ling pouvait être réintégrée, sans égards de ce qui s’était passé et du suivi des recommandations du rapport Lewis Silkin.

***

[1] A l’exception évidemment de quelques-uns comme les journalistes du Midi Libre, de Marianne, de Charlie-Hebdo,...

[2] Commission britannique sur les organismes caritatifs.

[3] “Mr Gaffney failed to take appropriate action in response to this information and is therefore responsible for misconduct and/or mismanagement in the administration of the charity.”

[4] “Sogyal Rinpoché demeure en ce moment en thoukdam. Cet état se produit lorsqu’un pratiquant qui a atteint la réalisation continue, au moment de la mort, continue à reposer dans la reconnaissance de la nature de l’esprit.” Source Rigpa

[5] "Utilisation de la thérapie. Rigpa Sogyal Lakar aurait introduit la «thérapie Rigpa» pour ses étudiants les plus proches et des thérapeutes formés auraient été «chargés de traiter la douleur qui agitait l'esprit de ceux qu'[il] maltraitait». Les thérapeutes auraient été utilisés pour s'assurer que les étudiants ne voyaient pas en Sogyal un agresseur mais blâmaient plutôt les anciennes relations familiales." Rapport Lewis Silkin.

[6] Les Statuts de la fédération de lUBF stipulent : “Sur le plan de l’autorité spirituelle, elle bénéficie de la présence continue ou régulière au cours de l'année d'une autorité spirituelle (Maître, abbé, abbesse, Lama, Vénérable….) ; elle est le fruit d’une lignée et d’une transmission historiquement établie, l’ancienneté de la tradition est notoire.”

1 commentaire:

  1. It is necessary to consider how it becomes possible for a Spiritual Philosophy to create and tolerate such a cesspit of abuse, despite all its advocacy of compassion and ethics. The abuse continues following Sogyal Lakar's death in the lack of remorse, lack of apology to the victims and
    absense of confession of fault. I also, as a practitioner,now share a feeling of being abused since my life's devotion to the practises of Tibetan Buddhism is seriously compromised by the actions of Sogyal, Rigpa
    management, and the despicable lack of responsibility by those, including the High Lamas who continue to defended him.


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