samedi 28 septembre 2019

Sous influence



Je voulais utiliser laffaire du Gourou Rinpoché népalais, pour réfléchir à l’illusion qui rend possible ce genre d’abus. Cette affaire permet d’éliminer certains arguments utilisés pour défendre les cultes de gourou traditionnels. Ce qui est relativement nouveau ici, c’est qu’une des victimes issues d'une communauté bouddhiste népalaise, qui avait pourtant été sous l’emprise du gourou pendant 10 avait fini par porter plainte. Nous ne savons pas ce qui avait déclenché cette décision.

L’argument que ce genre d’abus a surtout lieu en Occident à cause d’une certaine combinaison de facteurs devrait être revu ou atténué. La méconnaissance de la tradition, les projections irréalistes sur le gourou, la précipitation et le manque de prudence (“examination de 12 ans”), etc. semblent aussi bien s’appliquer à la communauté Tamang du gourou, pourtant habitué au bouddhisme.

Cela ne peut être dû qu’à un manque de connaissance de ce qu’est réellement le bouddhisme (tibétain), en théorie... Ce que “Tulku Guru Remborchhe” enseigne et propose comme pratique n’est pas du bouddhisme, ni même du bouddhisme tibétain, même s’il en utilise l’aspect extérieur. Ses disciples ne lui réclament sans doute pas ni le bouddhisme tibétain, ni le bouddhisme. Ils ont plutôt besoin d’un chamane, et Tulku Guru Remborchhe (TGR) est prêt à servir ce rôle, selon leurs attentes, tout en abusant de celles-ci. Quelqu’un qui les protège contre les mauvaises augures, qui les guérit par des méthodes spirituelles, etc.

Seulement, les méthodes de guérison que TGR propose aux femmes de sa communauté ne sont pas traditionnelles, le savent-elles ? Elles ont des doutes, mais “acceptent” sous des menaces de toutes sortes… Des menaces d’ordre magico-religieux et du simple chantage (publication d’images des ébats sexuels sur Internet). TGR prétend que les rapports sexuels sont nécessaires pour guérir. Une femme, qui est encore “sous traitement” et qui n’est pas “complètement” guérie, n’a pas le droit de se marier. Les dieux dont TGR est l’intermédiaire pourraient causer leur mort. Si l’argument spirituel ne porte pas, il peut toujours se servir du bon vieux chantage en menaçant de publier les images des ébats sexuels sur internet. Ce que TGR fait réellement c’est entretenir un groupe d’esclaves sexuels à son service sous couvert de “guérison spirituelle”. Le cadre spirituel fantasque lui sert d’excuse. Cela n’empêche pas, que même condamné, des disciples du gourou (à l’exception des victimes) estiment qui les a aidé par ses enseignements, ses bénédictions et guérisons.

Dans quel portefeuille spirituel puise TGR pour créer ses théories et pratiques à l’emporte-pièce ? Surtout dans le bouddhisme tibétain de l’école nyingmapa. TGR a repris le nom et la légende sur l’origine de Gourou Rinpoché Padmasambhava (Sange Guru Remborchhe). Ainsi, il est le dixième avatar de cette lignée et sa fille est l’avatar de son shakti. Il reprend la doctrine des pratiques sexuelles qui libèrent (et guérissent...). Il reprend le concept et les pratiques des protecteurs de dharma (dharmapala), qui punissent les méchants qui n’obéissent pas au lama, puis la loi du karma qui plongera ces mêmes méchants dans les enfers après leur mort. Le crime karmique le plus hideux est de ne pas obéir au gourou, ou de dire du mal de lui (guru-droha, samaya). Devant un tribunal, comment celui-ci pourrait-il accepter ce type de menaces religieux, qui font partie de la doctrine d’une religion, dont l’exercice libre est protégé par la loi ? C’est vrai que dans une religion à gourou avec pignon sur rue, ne pas obéir à lui est très grave, et provoque le courroux des dieux, et que le fruit karmique de la désobéissance peut être une naissance en enfer.

Voici donc la panoplie idéale d’un prédateur pour se constituer un cercle d’esclaves sexuels. Si ce n’est pas tout à fait du consentement “libre”, cela y ressemble vaguement, du moins suffisamment pour les con-disciples. Quel croyant aimerait mourir prématurément, et subir des souffrances atroces dans les enfers ? Accessoirement, qui aimerait voir ses photos dénudées sur internet prises à son insu ?

Voyons maintenant en Occident. Le gourou est au choix un gourou aux lettres de crédit contestées comme Sogyal, ou un gourou tout ce qu’il y a de plus authentique comme Trungpa. Leurs disciples sont souvent des occidentaux des classes moyennes supérieures, dont l’intelligence leur sert malheureusement dans ce cas à trouver des raisons intelligentes pour suivre un maître et justifier ses comportements inacceptables. Ces gourous “officiels” puisent dans la même panoplie que notre TGR népalais. Leur généalogie spirituelle est impeccable, ils sont les derniers détenteurs d’une lignée (plus ou moins longue et impressionnante) d’avatars, ils libèrent (et guérissent) leurs disciples par le sexe, les insultes, les détournements cognitifs (gaslighting), les coups et les blessures, et autres “folles sagesses”, tout comme l’auraient fait les mahasiddhas dans le passé. Ceux qui désobéissent au gourou en porteront les conséquences graves : le courroux et les mauvais coups du Sangha du gourou, des kasoungs et des dharmapalas dans cette vie-ci, l’enfer Avici dans l’autre.

Clairement les charlatans comme les gourous officiels se servent de la même panoplie, qui est d'ailleurs quasiment identique quelle que soit la religion orientale, et dont la fonction principale semble être d’installer un rapport de domination. Quelle est son authenticité, quelle est son utilité par rapport à la doctrine bouddhiste ou à la société en général, quel est son rapport à la réalité ?

Cette panoplie qui obnubile le jugement et la pensée critique des disciples, l'église catholique ne l'a par exemple pas. Les abus dans l'église catholique ne peuvent s'appuyer sur aucun élément doctrinaire. Ils peuvent être cachés ou étouffés, mais aucune justification par rapport à une pratique sexuelle qui libérerait ou une "folle sagesse" n'est possible.

Cette panoplie est une baudruche qu'il serait temps de dégonfler.


2 commentaires:

  1. J'ai entendu quelques récits de nonnes chrétiennes qui se sont fait abuser sexuellement raconter quelques arguments théologiques justifiant des services sexuels par des prêtres dont la réputation de sainteté était grande. Enfin théologiquement ça ne volait pas très haut non plus... les mots clefs sont "Amour" "abnégation" "union des âmes et des corps"...

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  2. j'ai retrouvé le témoignage en deux clics:
    " "Le père Marie-Dominique avait une réputation de saint homme. Je suis entrée au parloir et le père m’a dit 'est-ce que vous permettez que je prenne votre main ?' Et il a commencé à embrasser chacun de mes doigts l’un après l’autre. Et puis, à chaque rencontre suivante, il est allé un peu plus loin dans l’intimité physique, en glissant sa main sous ma robe, en prenant la mienne pour la glisser sous la sienne. Son explication, sa justification, c’est qu’il voulait me faire sentir l’amour de Jésus parce qu’il sentait, il savait, il avait éprouvé dans la prière que j’en avais besoin et que c’était ce que Jésus voulait pour moi à travers lui. Il était, c’est une expression qu’il utilisait beaucoup, 'le petit instrument de Jésus'", raconte-t-elle dans le documentaire.

    Avec le petit instrument de Jésus, on n'est pas loin de la folle sagesse. Bon, élément doctrinaire, peut-être pas.

    Il me semble que l'on peut faire dire n'importe quoi à n'importe quel texte... pour peu que la personne en face n'ait pas un sens critique trop aiguisé et qu'elle ait envie d'y croire (surtout si le prédateur sexuel est séduisant) ça passe.

    Dans le zen on parle de l'enseignement en dehors des écritures, c'est pratique. Bon, si de mon cœur à ton cœur ("I shin den shin") ce que je dis contredis les enseignements (les préceptes) ça ne passe pas.

    Dans le zen les relations sexuelles entre moines et nonnes ne sont pas interdites... ce qui est recommandé de s'abstenir ce sont les inconduites sexuelles. Personnellement je classe la prostitution et la pornographie du coté des inconduites sexuelles mais j'ai rencontré des pratiquants qui ne sont pas de cet avis. Comme quoi, la marge interprétative reste grande quand on n'est pas pleinement éveillé.

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