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vendredi 1 juillet 2016

Les mantras de Dampa


Dampa Sangyé

Maître Tribar (tib. ston pa khri ‘bar[1]) demanda à [Dampa] de lui donner une instruction de méditation à assimiler. Le précieux Dampa répondit :

« N'intériorise pas les apparences externes
N'extériorise pas les idées internes
Ne poursuis pas l'expérience (sct. saṃvedana) passée
Ne précède pas en pensée ce qui arrivera
Si tu défais le noeud de la saisie réaliste, ta méditation sera excellente
En les accueuillant (tib. sngon bsu) et en les raccompagnant brièvement (tib. skyel chung), elles n'arriveront pas à proliférer ('phro mi tshad de yong)
. »

[Maître Tribar] pensa à autre chose, et Dampa, devinant sa pensée, dit :

« Étant [déjà] dans le sens inconcevable, ne cherche pas à t'y recueillir.
Les apparences disparaissant d'elles-mêmes, ne cherche pas à prolonger le recueillement (sct. pṛṣṭhalabdha)
Ne t'investissant pas (sct. amanasikāra) dans les trois temps, ne cherche pas à faire des sessions
Reste dans l'expérience où se libèrent les constructions intellectuelles
Reste dans la pratique de l'abandon de toute saisie
Sois dans la conduite naturellement libre (tib. rang grol) sans réification
Rencontre (tib. ngo sprod) des pensées naturellement libres (tib. rang grol)
Reste dans l'expérience de l'Intelligence inaltérée
Accède à une vision sans racines (tib. rtsa dral)
Retranche ('tshams gcod[2]) ce qui n'est pas en accord avec ta visée (tib. blo sna) 
»

Un groupe de personnes lui demanda : « Seigneur, donnez-nous un mantra (tib. snying po) ». Dampa répondit : « Vous avez déjà tous le même mantra (tib. snying po). »
« Comment le même [mantra] ? »
« Ce même mantra, le mantra que vous répétez tous est celui-ci

Affairés (tib. ‘ur dang ding[3]) par-ci par-là, distraits tout le long, les hommes vieillissent, la vie humaine n’est que vanité svāhā.

Ce mantra-là vous le connaissez déjà. Vous en vouliez un autre ? »
Non satisfaits par ce [mantra], ils dirent : « oui, donnez-nous un mantra qui empêche d'aller en enfer. »

« Alors, vous n'avez qu'à réciter celui-ci sur vos malas :

Oṃ, si je vais en enfer, qu'importe (tib. ci sto) ! 
Aḥ, étant vide en essence, qu'y aurait-il à transgresser ? 
Hūṃ, c'est avec le roi des mantras, la gnose spontanée, 
Phaṭ, que le roi des destructeurs (vighna)[4] libère les images mentales (vikalpa)
Hrīḥ présent (tib. ngang) dans l'existence cyclique qui n'a pas de nature propre svāhā.

Égrenez vos malas en récitant cela ! »


Texte tibétain en wylie

ston pa khri ‘bar na re/ sgom gyi gdams ngag gcig thugs la gdags par zhu dang zer bas/ dam pa rin po che’i zhal nas/

phyi’i snang ba nang du ma len/
nang gi rtog pa phyir ma spro/
rig pa sngar song gi rjes ma gcad/
dran pas ma’ongs pa’i sna ma bsu/
bden ‘dzin gyis mdud pa grol na bsgom bzang bar mchi ste/
sngon bsu dang skyel chung gi ‘phro mi tshad de yong gsungs/

Yang kho la rtog pa cig ‘gyus pas/ dam pa’i thugs la shar nas bka’ stsal pa/

bsam du med pa’i don la mnyam gzhag mi ‘tshal/
snang ba rang sar grol ba la rjes thob mi ‘tshal/
dus gsum yid la mi byed pa la thun ‘tshams mi ‘tshal/
blo rtog grol ba nyams myong du gda’/
‘dzin pa thongs ba nyams len du gda’/
zhen med rang grol spyod par gda’/
rtog pa rang grol ngo sprod du gda’/
rig pas or bzhag nyams su gda’/
rtsa dral mthong ba rtogs par gda’/
blo sna mi bstun pa ‘tshams gcod du gda’ gsung ngo/

Tshogs pa dar re na re/ rje la snying po cig zhu dang zer bas/ dam pa’i zhal nas/ 

nyid cag rang nyid ma la stod pa’i mi rnams snying po cig par gda’ yis gsungs/ gcig pa gang lags zer bas/ nyid cig pa’i snying po ‘di yin/ 'ur dang ding pha re tshu re/ yengs ma lam la mi tshe rgas/ mi tshe stong zad la swA hA zer/ sngags ni shes zin ‘dug/ da snying po cang ‘tshal lam gsungs/ 

de kas ma bde bas da dmyal bar mi ‘gro ba’i snying po cig zhu dang zer bas/

‘o na phreng ba la ‘di skad du gyis la drongs gsol/
Oṃ dmyal bar songs bas ci sto/
Aḥ ngo bos stongs pas ci ‘gal/
hūṃ sngags kyi rgyal po rang byung ye shes kyis/
phaṭ bgegs kyi rgyal po rnam par rtog pa sgrol/
hrīḥ ‘khor ba rang bzhin med pa’i ngang du swā hā/
de skad gyis la drongs gsol gsungs/


***

[1] Sog ston Khri ‘bar Tshul-khrims ?

[2] 'tshams gcad = kṛtāvadhiḥ, origine de gcod ?

[3] ding 'ur = sound, noise [JV] ding 'ur ca co', ku co, sound, noise [IW]. 'ur = 1) busy activity, hurly burly, din [kind of roaring sound [middle of a market place]; 2) exaggeration and denigration; 3) sudden noise)/ [shying horse. clashing, cracking, roar, thunder clap careless] [IW]>

[4] Vighneśvara

samedi 28 mai 2016

Les portes dérobées de la mahāmudrā tantrique



Dans le chapitre sur la mahāmudrā des Annales bleus, Geu lotsāva classifie la mahāmudrā entre autres en une « école haute » (tib. stod lugs) et un « école basse » (tib. smad lugs), l’école basse descendant d’Asu le newar et l’école haute d’un certain Kor Nirūpa. Il y avait bien eu une première tentative d’enseignement de la mahāmudrā (Dohākośagīti, amanasikāra) par Atiśa, mais qui avait échoué. Plus précisément, il fut arrêté à la demande de son disciple Dromteun qui pensa que le Tibet n’était pas prêt à le recevoir. Les instructions relatives à cette méthode furent cependant transmises au sein de l’école Kadampa. À savoir Géshé Phu chung ba, Géshé gLang ri thang pa, Géshé lcags ri ba puis Gampopa. On pourrait appeler ce système mahāmudrā kadampa.

L’autre mahāmudrā, traitée par Geu lotsāva dans les Annales bleus, comporte des instructions tantriques (upāyamārga). J’ai déjà parlé de l’école basse (tib. smad lugs) ou l’école newar (tib. bal lugs) qui descend d’Asu le newar. L’école haute (tib. stod lugs) descendrait selon Geu lotsāva de Kor Nirūpa et de son maître Karopa, une histoire invraisemblable, dont Geu donne tous les détails, « puisque les amis spirituels tibétains[1] de nos jours ne lui accordent pas beaucoup d’importance ».[2] Et ils avaient de bonnes raisons, comme nous verrons à la fin de ce blog.

L’histoire de Kor Nirūpa abonde des caractéristiques hagiographiques qu’entourent habituellement les faits et gestes de siddhas tibétains. Karopa est présenté dans le cadre de la mahāmudrā tantrique comme un disciple de Maitrīpa. Geu lotsāva ne donne pas de dates pour Karopa, mais nous connaissons approximativement celles de Maitrīpa : 983/6 – 1063 ou encore 995/8–1075.[3] Karopa serait né dans le royaume de Zahor, l’actuel Mandi en Himachal Pradesh. Son CV est impressionnant, voir les Annales bleus pour les détails (p. 847-848). Un jour à Vajrāsana (Bodhgaya), il rencontre Natekara/Sahajavajra, un disciple de (mnga’ bdag) Maitrīpa qui lui recommande d’apprendre les instructions de non-méditation de la mahāmudrā[4] avec Maitrīpa. Il se rend alors au monastère de Pata (tib. ba ta’i dgon pa - peut-être un monastère à Patan/Lalitpur), sans doute le lieu où résida Maitrīpa à l’époque et resta sept ans avec lui pour apprendre le « sens du Cœur » (sct. hṛdayārtha), suivi d’un séjour de cinq ans au charnier de Kemri et d’un voyage sans but précis, qui correspond sans doute à la phase de l’observance tantrique (tib. spyod pa la gshegs pa).

La vie de son disciple Dampa Kor/Nirūpa est encore plus invraisemblable. Elle commence par la naissance du petit Dampa dans le clan de sKor. Comme il était le cinquième enfant et que le chiffre cinq porte malheur, il fut renvoyé de la maison et confié à un moine qui l’amena avec lui à Lhasa où il fut ordonné. À l’âge de treize ans, le petit Kor (tib. skor chung ba) se rend au Népal et apprend les tantras inférieurs. Il se fait inviter par un yogi du nom de « Cornu » (tib. rwa ru can) dans une maison de briques (tib. so phag gi khang pa). Il y perçoit des objets insolites avec un sens symbolique et voit assise sur une représentation du Bouddha entrant dans le parinirvāṇa une yoginī entièrement nue qui lui montrait ses seins et son sexe (sct bhaga) en lui souriant.

La scène de la yoginī entièrement nue assise sur une représentation du Bouddha entrant dans le parinirvāṇa a évidemment pour but de choquer, mais elle reprend aussi le symbolisme śakta, où la śakti est la puissance de Śiva, qui serait un cadavre sans elle (śivaśava).

Śiva et Kali
(notez l'aspect tête tranchée - phag mo dbu bcad ma - de type
Chinnamastā)
Le petit Kor lui demande alors des instructions. Le yogi Cornu lui répond : « Elle n’enseigne pas le dharma, elle ne donne que sa bénédiction »[5]. La yoginī lui cracha dans la paume de la main et lorsque le petit sKor mit sa main sur tête, il entra aussitôt dans une absorption[6]. « Je n’ai plus besoin d’instructions, je suis libre ! » dit le petit sKor. Cornu le yogi lui dit alors qu’il y avait beaucoup de yogis au Népal comme ācārya Vajrapāṇi, Lham thing ba et le Manchot du clan de Bharo (tib. bha ro phyag rdum), mais... "Ils ne pourront pas t’aider. Va à Ya gal où vit un yogi du nom de Dashouchan (tib. mDa’ gzhu can : qui porte un arc et une flèche) » Nous verrons que ce yogi n’est autre que Karopa. Le petit sKor étudia quatre auprès du yogi. Dachouchan fit organiser un banquet tantrique en son honneur, l’initia dans un maṇḍala de fleurs et lui donna le nom Prajñāśrījñānakīrti. L’adolescent se mit alors au service d’une servante du yogi qui s’appela Kumudarā et lui demanda sa bénédiction. Elle lui bénissait avec un vase et appela cela la consécration de la sagesse-gnose (sct. prajñā-jñāna-abhiṣeka). Elle lui dit alors : « C’est merveilleux que tu te donnes tant de mal pour apprendre le dharma, motivé par la peur de la naissance et de la mort. Je vais te donner maintenant une instruction de vajrayāna extraordinaire et infaillible. Pratique-la. » Elle plaça alors ses jambes au sommet de sa tête.[7]

Lajja Gauri, Temple Basantpuri XVIIème s., Kathmandou  
Par la suite, Kor reçut le cycle complet de Bhairava noir (tib. gshing rje gshed nag po’i chos skor) etc. A l’âge de dix-neuf ans il se rendit au Tibet. En échange d’enseignements, on lui offrit un cheval. il continua sa formation à Gra thang[8], près de Lhasa chez l’ami spirituel Drapa Ngeunshé (tib. gra pa mngon shes, qui avait alors 69 ans), qui enseigna la nuit le cycle de Saṃvara selon les méthodes de Lūipa et Dīpaṅkara et la double méthode de Nāropa (tib. nA ro lugs gnyis) en échange d’or. Drapa et sa femme introduisirent Kor en la pratique de l’union (sct. yugganaddha) et lui donnèrent la deuxième consécration (sct. guhya-abhiṣeka). C’est une fille népalaise du nom de Drinou (‘bri nu) qui lui servit de mudrā. Drapa et sa femme lui donnèrent ensuite la troisième consécration (sct. prajñā-jñāna-abhiṣeka) et finalement la quatrième avec tous les symboles. Il étudia le cycle du sens du Cœur (tib. snying po’i skor).[9]

Après cela il fut envoyé dans une ville à la frontière indienne où l’on pratiqua le rituel secret (sct. guhyacārya). Il y avait un temple avec un grand thangka devant laquelle étaient exposées les cinq offrandes. Un jour, un moine lui demanda s’il était un disciple de Dashouchan/Karopa, et la nuit il enleva la thangka qui cacha une petite porte dérobée de laquelle sortirent de nombreuses mudrās qualifiées portant des ornements d’os. Le moine pratiqua des rituels tantriques secrets (tib. gsang sngags kyi spyod pa sna tshogs) en développant la félicité (tib. bde ba sbar nas). Le matin, il cacha les mudrās, ferma la porte et replaça la thangka devant. Il sortit alors pour mendier sa nourriture comme il est coutumier pour les moines bouddhistes. « Voilà comment nous pratiquons les rituels tantriques secrets en Inde » lui dit-il.

La deuxième partie de la vie du petit Kor nous montre que ce n’était vraiment pas un garçon ordinaire. Il s’agit en fait d’une sorte de flashback. Nous sommes de nouveau en Inde chez Karopa, qui eut de nombreux disciples parmi lesquels le yogi Nirūpata/Nirūpa. Nirūpa connaissait toutes les instructions ésotériques et atteint les siddhi à l’âge de 74 ans. C’est le moment que choisit Karopa pour l’envoyer au Tibet pour aller sauver les tibétains. Il lui indique un chemin, qui passe par une île de ḍākinī. Après trois banquets tantriques avec elles, elles lui disent d’aller au Népal, où un jeune tibétain très qualifié est sur le point de mourir. Nirūpa doit alors procéder à un transfert de conscience et entrer le corps (tib. grong ‘jug) du jeune tibétain qui vient de décéder, et ensuite se rendre au Tibet. Le jeune Kor avait alors vingt ans. Aussitôt dit, aussitôt fait. Nirūpa entre et anime le corps de Kor et devient Kor Nirūpa.

Au Tibet, c’est les grandes retrouvailles. Karopa et sa femme étaient déjà Lhasa avec la servante Kumudarā[10]. Je passe des détails. Au Tibet, Kor Nirūpa mène un peu une double vie (à l'instar du moine indien rencontré ci-dessus). Quand il met son manteau de paṇḍit indien, on l’appelle l’indien de Ceylan et quand il met ses habits tibétains, il enseigne les tantras, donne des initiations et contribue à de nombreuses traductions jusqu’en 1102, l’année de sa mort selon Geu[11]. Kor Nirūpa aurait par ailleurs été un des maîtres de Khyoungpo Neldjor le fondateur du Shangpa kagyu.

Mais il ne fait apparemment pas bon d’être associé avec Kor Niṛūpa et sa lignée de mahāmudrā[12], bien que Geu lotsāva le mette en avant comme l’école haute (tib. stod lugs). Sous le nom de Prajñāshrījñānakīrti, Kor Nirūpa est présenté comme le traducteur d’un des commentaires des Distiques de Saraha [13] attribué à Advayavajra.

Les transmissions de mahāmudrā de « l’école haute » (stod lugs : Karopa, Kor Nirūpa) et de « l’école basse » (smad lugs : Asu le newar, ses fils, Parpoupa I et II etc.) et les transmissions aurales qui descendraient de Réchoungpa ont notamment pour but d’authentifier des pratiques tantriques secrètes de ces transmissions et les Distiques du Roi et de la Reine attribués à Saraha, mais peut-être composés par Asu le newar ou quelqu’un de l’école basse.

Notons les ressemblances et les marqueurs hagiographiques dans les anecdotes qui entourent ces transmissions de type śakta. Par exemple entre les aventures de Réchoungpa au Népal et celles de Kor/Nirūpa, et le rôle que joua Tipupa pour Réchoungpa et Karopa pour Kor Nirūpa. Ou encore l’utilisation du transfert de conscience sur un autre corps (tib. grong ‘jug) pour combler des lacunes dans la transmission : le yogi Nirūpa sur Kor et Dharma Dodé (le fils de Marpa) d’abord sur un pigeon, puis du pigeon sur Tipupa, qui deviendra le maître de Réchoungpa.

Pour un exemple d'instructions de rituels secrets chez Réchoungpa, voir ici.

***

[1] Dge ba’i bshes gnyen, ou bien géshé (tib. dge bshes), utilisé ici dans un sens péjoratif, comme le faisait Tsangnyeun heruka dans les Chants de Milarepa.

[2] Ding sang dge ba’i bshes gnyen rnams de’i gtam cher mi gleng bas rnam thar cung zad rgyas par dris so// Deb ther sngon po p. 1000, Roerich p. 855

[3] The Biographies of Rechungpa: The Evolution of a Tibetan Hagiography, Peter Alan Roberts

[4] Phyag rgya chen po sgom du med pa’i man ngag, DTN p. 992, Roerich p. 848

[5] Bying gyis rlob pa ma gtogs chos gnang ba med zer// DTN p. 994, Roerich p. 850

[6] Ting nge ‘dzin ji lta ba bshin du skyes//

[7] Zhabs spyi bor blangs so/ Il n'est pas claire ce qui se passe avec les jambes ou les pieds de Kumudarā. Selon Roerich, elle place son pied sur la tête de sKor. Mais le verbe blang ba signifie prendre. On se serait plutôt attendu à bzhag pa dans ce cas. Il pourrait bien qu'il s'agisse de rituels proche du yonipuja décrits par David Gordon White dans le chapitre The Mouth of the Yoginī, dans son livre Kiss of the Yoginī, Tantric "Sex" in its South Asian Contexts. De toute façon, nous sont bien dans le cadre de rituels de type kaula.

[8] Source

[9] Ici, ce nom semble correspondre à la mahāmudrā tantrique (tib. grub snying). Voir Roerich p. 852

[10] Roerich, p. 854

[11] 1062-1162 selon Karl Brunnhölzl dans Straight from the Heart: Buddhist Pith Instructions. Peter Alan Roberts donne les dates 1062-1102) dans Mahamudra and Related Instructions: Core Teachings of the Kagyu Schools, p. 11

[12] « In the Blue Annals, Gö Lotsāwa equates him with Prajñāshrījñānakīrti, the author of a major commentary on Saraha’s dohas. This also brings up the questionable authorship of the latter two of Saraha’s doha trilogy and the suspicion that Kor Nirūpa was somehow associated with their forgery. In any case, this name is definitely tarnished in some circles through association with the suspect mahāmudrā lineage of Maitrīpa, even without the Vajravārāhı blessing issue. » Sarah Harding dans “As for the Blessing of Vajravārāhī, Marpa Lhodrakpa does not have it.” WTF?
Même type d’observation par Kurtis R. Scheffer dans Dreaming the Great Brahmin, p. 66 et par Klaus-Dieter Mathes dans Mind and its Co-emergent Nature (sahaja) in Advayavajra’s Commentary on Saraha’s Dohākoṣa. Le blog de Dan Martin Transmigration and Occupation.

[13] mi zad pa'i gter mdzod yongs su gang ba'i glu zhes bya ba gnyug ma'i de nyid rab tu ston pa'i rgya cher bshad pa. Colophon : Colophon: mi zad pa'i gter mdzod yongs su gang ba'i glu zhes bya ba'i rgya cher bshad pa rnal 'byor gyi dbang phyung chen po dpal sa ra ha pa'i dgongs pa mkhas par grags pa dpal ldan gnyis su med pa'i rdo rje mdzad pa rdzogs so/ /rnal 'byor pa bsod snyoms pa pradz+nyA na kIrtisa rang 'gyur du mdzad pa'o//
Content synopsis: gser bris number 1109, sde dge number otani beijing: 3102

dimanche 25 octobre 2015

Un jour sans fin (âmes sensibles s'abstenir)




« Vers la fin du xiiie siècle et le début du xive siècle, Tsongkhapa Losang Drakpa fonda la tradition bouddhiste appelée Guélougpa. Vers 1445, son étudiant et neveu[réf. nécessaire] Gendun Drup, le 1er dalaï-lama4, construisit le grand monastère de Tashilhunpo à l'ouest de Lhassa, à Shigatsé. Gendun Drup avait déjà reçu le titre de panchen d'un érudit tibétain contemporain, Bodong Choklay Namgyel, après qu'il eut répondu avec succès à toutes les questions du sage. Les abbés successifs du monastère de Tashilhunpo furent tous appelés à sa suite panchen. Puis, au xviie siècle, le cinquième dalaï-lama (1617-1682), fit don du monastère de Tashilhunpo à son professeur, Lobsang Chökyi Gyalsten. Appelé panchen en tant qu'abbé du monastère (15e), il reçut le titre distinctif de panchen-lama à sa mort, quand le cinquième dalaï-lama annonça qu'il renaîtrait et que l'enfant lui succéderait. » (wikipédia)

Le premier Panchen lama, Lobsang Chökyi Gyalsten (1567-1662), avait rédigé un texte intitulé La voie officielle des Vainqueurs, les racines de la précieuse Géden kagyu (tib. dGe ldan bka’ brgyud rin po che’i phyag chen rtsa ba rgyal ba’i gzhung lam[1]), qui devait constituer ce qu’on allait appeler « la mahāmudrā » Gélougpa (tib. dge ldan phyag rgya chen po). Ce maître accepta par ailleurs la tradition dzogchen de Padmasambhava comme une transmission authentique.[2]

Dans ce texte, et dans cette voie officielle (tib. gzhung lam), il recense toutes les traditions « officielles » de son temps (XVI-XVIIème siècle), tout en proclamant qu’ils conduisent au même objet:
« la mahāmudrā ‘lhan cig skyes sbyor’ de Gampopa, la mahāmudrā « du reliquaire » (ga’u ma) de Khyoungpo Neldyor, la quintuple mahāmudrā (lnga ldan) drikhoungpa de ’Jig rten mgon po (1143-1217), la Saveur unique (ro snyoms) de gTsang pa rGya ras), la mahāmudrā de Quatre syllabes ‘de Maitrīpa’ (yi ge bzhi ba), la traditon Zhi byed de Padampa Sangyé, la tradition gCod yul de Ma cig Lab sgron), le rDzogs chen de Padmasambhava et la Guide du Madhyamaka de Tsongkhapa, etc. »[3]
Samten Karmay explique que dans ce texte, le premier Panchen Lama fit la synthèse d’une tradition orale gélougpa existante, dBen sa brnyan brgyud, qui descendait de Tsongkhapa, avec les traditions tibétaines de même type de son époque.

La mahāmudrā de Quatre syllabes, est une tradition attribuée à Maitrīpa. Selon Padma Karpo (1527-1592), le texte a été composé par Gueutsangpa (1189-1258, "rgyal ba rgod tshangs pas mdzad pa phyag rgya chen po yi ge bzhi pa"). Voici la note de Samten Karmay (la traduction française libre est de moi) :
Il s’agit des quatre premiers syllabes du mot sanskrit « amanasikāra », que l’on traduit en tibétain par « yid la mi byed pa », non-engagement mental, selon les explications de Padma Karpo dans son phyag rgya chen po'i man ngag gi bshad sbyar rgyal ba'i gan mdzod[4] (f. 17b6), et qui fait partie du cycle connu sous le nom yid la mi byed pa'i chos skor (voir ZhL[5] p. 581). Le texte fondateur de cette instruction est le Yid la mi byed pa ston pa[6] (Tengyour vol. 68, n° 3094), mais certains[7] le considèrent comme non-authentique. On soupçonne cette instruction d’avoir un lien avec les thèses de Hva-shang Mahāyāna, réfutées au VIIème siècle par Kamalaśīla dans la troisième partie des Etapes de la méditation (sct. bhāvanākrama, Tangyour vol. 102, n° 5312, p. 39-2-2). (The Great Perfection, p. 144)
La pratique de la mahāmudrā des quatre syllabes est aussi mentionnée par Dakpo Tashi Namgyal dans son Rayon de lune (tib. nges don phyag rgya chen po'i sgom rim gsal bar byed pa'i legs bshad zla ba'i 'od zer).
« Il y a deux types d’individus qui peuvent aspirer à pratiquer le sens profond. Il faut impérativement savoir que l’on doit enseigner la voie profonde de façon instantanée aux adeptes dotés de prédispositions favorables, et progressivement aux autres. L’Abécédaire ancien et récent [ka dpe snga phyi gnyis ka] prévient : 
‘Selon l’intelligence propre à chacun,
On penchera pour la voie progressive ou instantanée.
Ce qui est un puissant médicament pour les adeptes de la voie progressive
Devient un poison pour les disciples de la voie instantanée,
Et le puissant médicament de ces derniers
Sera poison pour les premiers.
Aux individus dotés de prédispositions favorables,
On enseignera donc la voie instantanée,
Tandis qu’aux êtres dont le « karma de pratique » n’en est qu’à ses débuts
On montrera la voie progressive.’ 
Considérant la profonde voie [du Mahāmudrā] comme une voie à part entière, le vénérable Gampopa recommande de ne pas l’enseigner comme celle des tantras. Ainsi sa transmission ne nécessite pas, en guise de préliminaire, d’initiation qui fait mûrir [le potentiel d’Éveil]. Le refuge pris dans le maître et les Trois Joyaux, la méditation sur l’amour, la compassion et l’esprit d’Éveil, les offrandes de maṇḍala, la confession des actes nuisibles et les prières d’invocation adressées avec une dévotion fervente constituent la base sur laquelle on pourra guider directement les disciples vers la nature de l’esprit. À cet égard, il faudra, dès le départ, inciter le disciple d’intelligence supérieure, prédisposé à la voie instantanée, à découvrir la vue juste, puis lui donner les instructions essentielles permettant de placer l’esprit en absorption méditative sur celle-ci, comme lorsqu’on enseigne de nos jours la pratique du Mahāmudrā des Quatre Syllabes. »[8]
Les Quatre syllabes sont expliquées dans une note de Christian Charrier :
« Tib. yi ge bzhi pa. Référence au Mahāmudrā de Maitrīpa qui s’est propagé dans toute la lignée Dakpo Kagyu de Gampopa. Les quatre syllabes sont A, MA, NA et SI (cf. p. 147, n. 6). La première signifie aller droit à la base naturelle de l’esprit, la deuxième révèle les méthodes qui permettent de poser l’esprit, la troisième éloigne l’esprit des déviations, et la quatrième montre comment prendre l’esprit comme voie. Pour un aperçu des diverses traditions du Mahāmudrā, voir Dalaï Lama (1997[9]), p. 263 à 271. »
Dakpo Namgyal Tashi :
« On guidera le disciple de moindre intelligence, prédisposé à la voie progressive, depuis la pratique de la quiétude jusqu’à la méditation de la vision supérieure, comme lorsqu’on enseigne actuellement la méthode dite de l’« Union Coémergente »[10]. La raison [de ces deux approches] se trouve dans la somme des précieux manuels d’enseignements [de Gampopa], ses instructions orales, ses Réponses aux questions, et dans son testament qui figure dans les œuvres complètes de l’illustre Pamo Droupa et du vénérable Tussoum Khyènpa. »[11] 
« Plus tard, les tenants de la Lignée de Pratique adaptèrent les enseignements du Mahāmudrā aux pratiques des tantras, formant les célèbres « Cinq branches du Mahāmudrā » : l’esprit d’Éveil, la pratique d’une divinité qui relie [à l’Éveil], le gourou-yoga, la méditation du Mahāmudrā et la dédicace finale. Avant d’expliquer les traités tels que l’Union coémergente et les Quatre Syllabes, il est recommandé de commencer par les quatre préliminaires qui développent la méditation : réfléchir sur l’impermanence, visualiser Vajrasattva et réciter son mantra, offrir le maṇḍala, et unir son esprit à celui du maître. Puisque ces pratiques utilisent des éléments appartenant aux tantras, les disciples devront préalablement recevoir une initiation, complète ou abrégée, afin de faire mûrir [leur potentiel d’Éveil]. »[12]
Pour résumer, une fois de plus. Basée sur des instructions de « mahāmudrā » attribuées à Maitrīpa/Advayavajra, Gampopa introduisait ses disciples directement à la nature de l’esprit, et pas uniquement les « adeptes dotés de prédispositions favorables ». Quelle est l’origine de ces instructions ? L’origine « humaine » semblent être les écrits attribués à Maitrīpa/Advayavajra. Ceux-ci ont une certaine proximité de pensée avec le « Zen tibétain » et sa méthode « simultanée » (tib. cig char ba), ce qui ne semblait pas poser de problème à l’époque de Gampopa, qui fournit par ailleurs une grande quantité de sources canoniques pour sa méthode.

Mais la renaissance tibétaine est en pleine progression et l’attention se tourne vers les nouvelles méthodes très populaires que l’on dit originaires de l’Inde (le plus souvent du Népal). La compétition est rude et chaque « détenteur » veut se profiler en démontrant comment sa tradition est supérieure et celle des autres inférieures, voire suspectes ou hérétiques. Cela est notamment le cas des anciennes méthodes, utilisant des écritures, des transmissions et des pratiques ayant quelquefois un lien avec le « Zen tibétain ». Ces anciennes méthodes manqueraient de « peps » (sct. siddhi) selon les nouvelles. Sam van Schaik remarque dans « Tibetan Zen » que l’on ne peut pas vraiment distinguer entre un Zen « tibétain » et « chinois », mais qu’il faut plutôt les considérer comme des expressions du « Zen » dans deux langues différentes. Sakya Pandita non plus ne semblait pas pouvoir faire la distinction entre « Zen tibétain » et « Zen chinois ». Pour lui, les anciennes méthodes étaient tout simplement d’origine chinoise, et donc suspectes. Pour justifier ce point de vue, il se base sur la thèse du Testament du clan dBa’ (tib. dba’ bzhad), qui date du XI-XIIème siècle, et qui raconte la victoire du bouddhisme indien sur le bouddhisme chinois et la condamnation de ce dernier par édit royal.

Il s’attaque avec d’autres détenteurs de nouvelles méthodes (tib. gsar ma) aux « anciennes méthodes », et notamment la mahāmudrā et le dzogchen, dans la mesure où celles-ci sont proches du « Zen tibétain ». Ce que l’on reproche aux anciennes méthodes, hormis le fait qu’elles auraient des origines suspectes, est qu’elles manquent de « moyens » (upāya), si importantes dans les nouveaux tantras. Avec le succès de ces derniers, les détenteurs d’anciennes méthodes sont obligés de les inclure aussi dans leur offre et de s’aligner sur le pitch des détenteurs de nouvelles méthodes.

A Dakpo Tashi Namgyal (et à d’autres) incombe la tâche difficile de réunir les deux méthodes dans un seul cursus. Pour cela, on invente les différents types d’individus (deux ou trois). Approche déjà utilisée pour expliquer pourquoi certains en suivant une méthode infaillible du Bouddha s’éveillent et d’autres non. C’est tout simplement qu’il leur manque des facultés ou des dispositions, bref de "la pratique". La méthode simultanée ancienne, attribuée à Maitrīpa et susceptible d’avoir des liens avec le « Zen tibétain », est destinée aux « adeptes dotés de prédispositions favorables ». L’autre méthode, progressive et s’appuyant sur les nouvelles méthodes est destinée à tous les autres. Comment distinguer un « adepte doté de prédispositions favorables » d’un adepte ordinaire ? Uniquement rétroactivement. Celui qui est réputé ou déclaré éveillé avait sans doute des prédispositions favorables. Les autres êtres dont le « karma de pratique » n’en est qu’à ses débuts doivent continuer sur le chemin progressif, le parcours de nombreux upāya, jusqu’à ce que, dans une vie ou une autre ou dans le bardo, en saisissant « le moment crucial », le moment de s’éveiller se présente. Jusque là, ils vivront un genre de Groundhog day



***

[1] Il en existe une traduction anglaise : The Gelug/Kagyu Tradition of Mahāmudrā, Dalai Lama, Alexander Berzin.

[2] The Great Perfection, Samten Karmay, p. 144

[3] lhan cig skyes sbyor ga’u ma/
lnga ldan ro snyoms yi ge bzhi/
zhi byed gcod yul rdzogs chen dang/
dbu ma’i lta khrid la sogs pa/
so sor ming ’dodgs (sic) mang na yang/
nges don lung rigs la mkhas shing/
nyams myong can gyi rnal ’byor pas/
dpyad na dgongs pa gcig tu ’babs/

[4] a ma na si kā ra zhes pa, gang du dmigs pa'i gnas sam rten gzhi med pa la bya dgos par shes te/ Source : Dharmadownload


[5] Zhal lung bdud rtsi’i thigs phreng ba composé par dKon-mchog bstan-pa’i sgron-me (1762-1823), Gung-thang

[6] Dégé : Colophon: yid la mi byed pa ston pa bdag med pa gsal ba slob dpon chen po gnyis med rdo rjes mdzad pa rdzogs so/ /rgya gar gyi mkhan po badz+ra pA Ni dang / bod kyi lo tsA ba gnyan chung gis bcos pa rdzogs so
toh: 2249

[7] Karmay ne donnent malheureusement pas de détails.

[8] zab don nyams su len par byed pa'i gang zag la'ang gnyis yod pa'i skal ldan sbyangs pa can la zab lam cig car du bstan pas chog pa dang / dang po'i las can la zab lam yang rim pas ston dgos pa'i rnam dbye shes dgos te/ ka dpe snga phyi gnyis ka las/ gang zag blo yi khyad par gyis/ /rim gyis pa dang cig car ba/ /rim gyis pa yi sman chen de/ /cig car ba yi dug chen yin/ /cig car ba yi sman chen de/ /rim gyis pa [225]yi dug tu 'gyur/ /des na sbyangs pa'i 'phro can la/ /cig car ba ni bstan par bya/ /sems can dang po'i las can la/ /rim gyis pa ni bstan par bya/ /zhes gsungs pa ltar ro/ /

de ltar na zab lam 'di nyid ston tshul la'ang / rje sgam po pa ni 'di nyid gsang sngags la ma bltos pa'i gseng lam du bzhed pas/ 'di nyid kyi sngon 'gror yang smin byed kyi dbang dgos par ma gsungs shing / bla ma dang dkon mchog la skyabs su 'gro ba dang / byams snying rje byang chub kyi sems sgom pa dang / de dag la maṇḍal dbul zhing sdig pa bshags pa dang / mos gus drag po bskyed nas gsol ba 'debs pa'i tshul kho na la brten nas sems don nyid la khrid tshul gsungs la/ de la'ang dbang po rab cig car ba'i rigs can la thog mar lta ba btsal/ de nas lta thog tu mnyam par 'jog thabs kyi man ngag ston pa deng sang gi phyag rgya chen po yi ge bzhi pa'i khrid tshul lta bu dang /

En ce qui concerne la référence "ka dpe snga phyi gnyis ka" ci-dessus :
"ye shes mkha' 'gros rje btsun tai lo la gsungs pa'i ka dpe snga ma dang / rje btsun tai lo pas nA ro pa la gsungs pa'i ka dpe phyi ma." C'est le colophon du texte "nA ro chos drug gi khrid yig bde chen gsal ba'i 'od zer stong ldan" qui nous renseigne. Il s'agit d'un commentaire sur les Six yogas de Naropa de l'école Drikhoung kagyu.

[9] H.H. the Dalai Lama, The Gelug / Kagyü Tradition of Mahamudra, Ithaca, Snow Lion Publications, 1997.

[10] Note de Christian Charrier : Lhan cig skye sbyor. Tradition du Mahāmudrā qui s’est répandue dans la lignée Karma Kagyu, selon laquelle la coémergence de l’esprit est le corps absolu qui imprègne tout. Toutes les pensées discursives et les consciences conceptuelles sont la dynamique ou les vagues du corps absolu assimilé à un océan, et les apparences en sont la luminosité. Pensées et apparences pures ou impures se manifestent simultanément sans être dissociées de la nature fondamentale de l’esprit. Voir plus loin le chapitre intitulé « Définition complète de la coémergence ».

[11] dbang po dman pa rim [226]gyis pa'i rigs can la/ zhi gnas nas rim pas lhag mthong la khrid pa deng sang gi lhan cig skyes sbyor gyi khrid tshul lta bu mdzad par snang ste/ de'i rgyu mtshan ni/ gsung 'bum rin po che'i khrid yig dang zhal gdams dang zhus lan rnams dang / dpal phag mo grub pa dang rje dus mkhyen gyi gsung 'bum du rje'i zhal gdams yi ger mdzad pa rnams las shes pa yin no/ /

[12] de nas phyis sgrub brgyud pa rnams kyis/ gsang sngags kyi nyams len dang sgo bstun nas phyag rgya chen po lnga ldan zhes grags pa las/ byang chub kyi sems dang yi dam gyi lha dang bla ma'i rnal 'byor dang phyag chen rnams rim pas sgom zhing rjes bsngo ba bya ba rnams kyi phyag bzhes dang / lhan cig skyes sbyor dang yi ge bzhi pa'i khrid la'ang thog mar sgom skye bar byed pa sngon 'gro bzhi sbyor zhes/ mi rtag pa'i skor/ rdor sems kyi sgom bzlas/ maṇḍal dbul ba/ bla ma'i rnal 'byor rnams sbyor bar mdzad de/ tshul de ltar byed na gsang sngags dang bsres par snang bas sngon du smin byed [227] kyi dbang rgyas bsdus gang rung zhig nges par dgos te/

Les cinq branches de cette nouvelle Mahāmudrā sont :  1) byang sems; 2) lha sku; 3) mos gus; 4) gnas lugs; 5) bsngo ba, en français : 1) la pensée d'éveil 2) le corps de la divinité 3) la dévotion 4) l'état naturel 5) la dédicace.

jeudi 22 octobre 2015

La lumière est-elle la même en Inde qu'en Chine ?



La carrière d’Houei-neng débute avec le défi lancé par le cinquième patriarche. Ses disciples perdent leur temps à faire des rituels d’offrandes et des prières à renaître dans des champs de bonheur.
« Permettez-moi de vous apprendre ceci : ce qui, pour l’homme, compte le plus, c’est qu’il est né et qu’il mourra. Vous, mes disciples, vous passez vos journées à accomplir des rituels d’offrandes en invoquant les champs de bonheur sans vous soucier d’échapper au douloureux océan des morts et des renaissances. Vous égarez votre essence dans la quête du bonheur [sct. abhyudaya tib. mngon mtho] : comment cela pourrait-il vous sauver ? »[1]
La suite est connue, la stance d’Houei-neng fera de lui le sixième patriarche qui enseignera sa méthode, le « recueillement de l’unique » (C. hsing san-mei sct. ekavyūha ou ekākāra samādhi) ou encore « le recueillement de l’unicité unifiée de l’univers »[2], où la droiture constitue le lieu de la pratique ainsi que le "champ de bonheur", en citant Vimalakīrti. Ce « recueillement de l’unique » n’est pas une énième pratique fétiche.

Elle est la « droiture » à tout moment, que l’on marche, que l’on soit debout, assis ou couché, soit pendant les quatre postures (sct. īryāpatha), ou encore la « post-méditation » (tib. rjes thob ye shes S. pṛṣṭha-labdha), qui est l’engagement (sct. upāya) de la sagesse (sct. prajñā) dans le monde.
« Les égarés s’attachent à l’apparence des choses et croient qu’il existe réellement quelque « samādhi de l’unique ». Ils redressent leur esprit et restent assis sans bouger, chassent les illusions sans plus produire de pensées - telle est leur « absorption unifiante ». Mais alors, ils s’adonnent à une méthode qui les assimile à des objets inanimés et, par surcroît, dresse maints obstacles sur la Voie.
La Voie n’est que communication et fluidité : à quoi bon ces figements ? Quand la pensée s’arrête, fluidité et communication s’arrêtent aussi, et l’on se trouve enchaîné. S’il s’agissait uniquement de rester assis sans bouger, Vimalakīrti aurait eu tort de gourmander Shāriputra, lequel passait son temps assis dans la forêt
. »[3]
Dans cette « méthode » « sans méthode », le recueillement (sct. samādhi) et la sagesse (sct. prajñā) sont en égalité. Et c’est leur égalité qui sert de lampe, qui éclaire. « Où est la flamme est la lumièreLa flamme est le corps de la lumière, et la lumière, l’activité de la flamme. »[4]

On retrouve cette image dans l’introduction de Gomchung, neveu de Gampopa.
« La pensée-en-soi (sct. cittatva) est le corps réel (sct. dharmakāya) naturel (sct. sahaja). Les apparences (sct. abhāsa) sont la lumière du corps réel naturel. L'accès à cette essence des actes de conscience et des expériences c’est l’Eveil (sct. buddha). Ne pas y accéder, c'est l'errance (sct. saṃsāra). »[5]
Dans le Soûtra de l'Estrade :
« Une seule flamme peut chasser des ténèbres accumulées pendant mille ans, un seul instant de sagesse peut mettre un terme à une ignorance vieille de dix millénaires : ne pensez plus à l’instant de conscience qui vient de passer mais seulement à celui qui va arriver, et, quand cet instant imminent est toujours positif, il porte le nom le ‘Bouddha en corps de jouissance’.
Une seule mauvaise pensée a pour rétribution la disparition de mille ans de bien ; une seule pensée positive a pour rétribution la cessation de mille années de mal. Lorsque l’instant de conscience immédiatement à venir est positif depuis son absence de commencement, on l’appelle Bouddha en corps de jouissance
. »[6]
Le très tantrique Tailopa dans son fameux Mahāmudropadeśa semble être sur la même ligne que Houei-neng :
« Par exemple, une obscurité qui a duré des milliers d’éons
Peut être dissipée en allumant une seule lampe
De même, un seul instant d’essence lumineuse, qui est l’essence de la pensée individuelle
Peut dissiper toute l’obnubilation d’actes négatifs et de non-connaissance cumulés pendant des éons
»[7]
Se pourrait-il que la mahāmudrā de Tailopa et le « recueillement de l’unique » d’Houei-neng éclairent pareillement ?


***

[1] Le Soûtra de l’Estrade du sixième patriarche Houei-neng, Patrick Carré, p. 33,

[2] Kobayashi : “concentration on the unified oneness of the universe.”

[3] Le Soûtra de l’Estrade du sixième patriarche Houei-neng, Patrick Carré, p. 33

[4] Le Soûtra de l’Estrade du sixième patriarche Houei-neng, Patrick Carré, p. 35. Yampolsky : « If there is a lamp there is light; if there is no lamp there is no light. The lamp is the substance of light; the light is the function of the lamp. Thus, although they have two names, in substance they are not two. Meditation and wisdom are also like this. »

[5] sems nyid lhan cig skyes pa chos kyi sku dang*/snang ba lhan cig skyes pa chos sku'i 'od/sems rig pa'i ngo bo 'di rtogs na sangs rgyas/ma rtogs na 'khor ba yin/

[6] Le Soûtra de l’Estrade du sixième patriarche Houei-neng, Patrick Carré, p. 45


[7] Chants de plénitude, Joy Vriens, éd. Yogi Ling, p. 96.

dper na bskal pa stong du bsags pa'i mun pa yang*/
sgron me gcig gis mun pa'i tshogs rnams sel/
de bzhin rang sems 'od gsal skad cig gis/
bskal par bsags pa'i ma rig sdig sgrib sel/

mardi 20 octobre 2015

L'esprit ou les siddhi ?



On parle quelquefois de la mahāmudrā et du dzogchen (atiyoga) en un seul souffle. Gampopa les place au même niveau dans sa classification des trois voies.[1] Selon Gyadangpa (rgya ldang pa bde chen rdo rje), l'auteur de l'hagiographie la plus ancienne (env. 1258-66) de Réchungpa, disciple de Milarepa que les hagiographies considèrent comme un maître de mahāmudrā, Réchungpa aurait suivi un maître dzogchenpa lors d’un de ses voyages au Népal. La népalaise Bharima, une des épouses de Tipupa, maître tantrique, l’aurait alors converti aux pratiques de la ḍākinī incorporelle (tib. lus med mkha' 'gro skor dgu sct. ḍāka-niṣkāya-dharma), en lui expliquant que le dzogchen est une pratique que l'on trouve uniquement parmi les yogis tibétains et que c'est une pratique erronée, car elle nie l'existence des dieux et des démons qui sont la source de tous les siddhi.

Est-ce un fait véritable de la vie de Réchungpa ? Impossible à savoir, mais c’est certainement l’opinion de l’hagiographe Gyadangpa (XIIIème siècle). Notons qu’il n’est pas question ici de mahāmudrā mais de la pratique dzogchen comme une exclusivité tibétaine. On pourrait se demander pourquoi d’ailleurs.

La mahāmudrā telle qu’elle fut enseignée par Gampopa et ses disciples directs était considérée par Sakya Paṇḍita (1182-1251) comme du « dzogchen chinois »[2].
« Il n’y a pas de différence entre la mahāmudrā de nos jours et la tradition chinoise de dzogchen, hormis les expressions « en descendant du haut » et en « remontant du bas » pour qui remplacent « simultané/subite » et « graduel ».
Disons que ce qu’avaient peut-être en commun la mahāmudrā (de Gampopa) et le dzogchen « sans siddhis » (selon Bharima/Gyadangpa) du Tibet, était le « Zen tibétain »… si occupé à regarder l’esprit (tib. sems la blta ba), au point de négliger les dieux et démons comme fournisseurs de siddhi.

Après avoir accusé les coups de Sakya Paṇḍita et d’autres, les kagyupas et les dzogchenpas/nyingmapas se sont ressaisis, et ont mis tout en œuvre pour doter leurs systèmes de siddhi. Réchungpa venant à la rescousse des uns, Padmasambhava des autres. L’âge d’or des hagiographes et des gter ston. Depuis, et la mahāmudrā et le dzogchen ont tout ce qu’il faut en matière de siddhi, au point d’en arriver à oublier de regarder l’esprit ?

Depuis, la position tibétaine officielle était (et toujours d'ailleurs) de regarder à la fois l'esprit et de chercher les siddhi. Dans notre société du spectacle, le plus spectaculaire ayant cependant tendance à l'emporter.

Les hagiographes tibétains racontent que Maitrīpa cherchait désespérément à devenir un vidyādhara comme Kṛṣṇācārya/Kāṇha, pour avoir les mêmes pouvoirs (sct. siddhi). Tāranātha raconte comment il va voir le siddha Śavaripa avec toute la panoplie du vidyādhara : ornement d'os traditionnels et tous les accoutrements d'un vajrakāpālika. Śavaripa y pointe cependant son doigt et les réduit en poussière en disant "Que feras-tu de cette illusion, enseigne plutôt le sens authentique en détail." (bka' babs bdun ldan p. 566 "da khyod sgyu ma ci bya/gnas lugs kyi don gya cher shod). Ce fut le début hagiographique de la carrière un peu à contre-courant de Maitrīpa/Advayavajra.

***

[1] David Jackson, Enlightenment by a Single Means, pp. 14-17

[2] Sdom gsum rab dbye (p. 50) : « da lta’i phyag rgya chen po dang/ /rgya nag lugs kyi rdzogs chen la/ /yas ‘bab dang ni mas ‘dzegs gnyis/ /rim gyis pa dang cig char bar/ /ming ‘dogs bsgyur ba ma gtogs pa/ /don la khyad par dbye ba med.”»

vendredi 16 octobre 2015

Le coeur du Zen tibétain et de la mahāmudrā



Sam van Schaik propose de ne pas considérer le Zen tibétain et chinois comme deux traditions différentes, mais comme des pratiques du Zen présentées en deux langues différentes.[1] Le Ch’an et à plus forte raison le Zen sont des noms que l’on attribue rétroactivement à des transmissions qui ne portaient pas encore ces noms. Les débuts du Ch’an semblent se confondre avec la transmission du Sūtra de l’Entrée à Laṅka (Laṅkāvatāra) en Chine. Dans le document IOL Tib J710 de Dunhuang, on trouve le Registre des maîtres et disciples du Laṅka (tib. ling ka’i mkhan po dang slob ma’i mdo), qui raconte la transmission (contestée, voir Yampolsky) de ce sūtra et dans laquelle figurent respectivement Guṇabhadra (394–468), Bodhidharma, Huike, Sengcan et Daoxin. Dans les traditions Zen, c’est le moine indien Bodhidharma que l’on présente le plus souvent comme le fondateur de cette école (de la tradition du Laṅkāvatāra[2]), ou comme celui qui l’avait introduite en Chine au sixième siècle. Le Ch’an s’appelait alors plutôt la « tradition du Laṅkāvatāra ».
« Il semble donc que, à peine constituée, l’école du Chan se soit partagée entre divers courants — que, pour simplifier, nous classerons en trois tendances majeures, représentées respectivement par Huike, Tanlin et Yuan : les pratiquants exclusifs de la « contemplation du principe », ceux qui allient le dhyâna assis à l’étude des Écritures, et ceux qui dénient toute valeur à ces méthodes, de même qu’à tout ce qu’ils qualifient d’« expédients » (upāya). Chacune de ces tendances prétendait évidemment détenir le fin mot en matière de Chan. Cette situation allait bientôt conduire, avec l’accroissement des enjeux politiques et des tensions sectaires qu’entraînaient le succès soudain du Chan au début du huitième siècle, à la controverse stérile entre partisans du « subitisme » et du « gradualisme » qui divisa durablement cette école. 
Ces rivalités sectaires n’auraient eu aucune raison d’être si le Chan était resté un mouvement de contemplatifs détachés du monde. Mais, en faisant école, il avait changé profondément de nature, et ses adeptes en étaient venus à abandonner leur ascèse rigoureuse et leur existence sans feu ni lieu, pour s’organiser en communautés stables et bientôt florissantes. C’est ainsi que la communauté du Dongshan, qui se développa autour de Daoxin et de Hongren, comptait selon le Xu gaosengzhuan plus de cinq cents membres. Son isolement géographique était d’ailleurs tout relatif, et la distance de la capitale n’empêchait pas les adeptes laïcs, et avec eux les donations, d’affluer. Il semble que Daoxin ait disposé de l’appui de quelques protecteurs très puissants, tels que le préfet Cui Yixuan (586-658) et le président du département du grand secrétariat impérial Du Zhenglun (587-658). Par conséquent, c’est sans doute quelque peu idéaliser la réalité que de voir dans cette communauté, comme le font certains chercheurs japonais, un modèle d’autarcie[3]
On trouve Daoxin d’ailleurs dans la transmission du document tibétain de Dunhuang. Selon van Schaik, le document Pelliot tibétain 116 avait une fonction cérémonielle ou rituelle, c’est-à-dire qu’il aurait pu être utilisé à l’occasion de cérémonies de masse d’ordination laïque (vœux de bodhisattva), appelées aussi des « cérémonies de plateforme », qui furent essentielles au développement du Ch’an. Le nom du Sūtra de la plateforme ou de l'estrade, composé par le septième patriarche Shenhui, serait d’ailleurs associé à ce type de cérémonie.

Or, dans le Sūtra de l’estrade, ce n’est pas le Sūtra de l’Entrée à Laṅka qui sert de cadre de récitation doctrinaire au rituel, mais le Sūtra du diamant (sct. Vajracchedikā prajñāpāramitā sūtra), qui souligne davantage l’aspect de vacuité et marque la doctrine de l’école du sixième patriarche Houei-Neng (638-713). La version la plus ancienne (IXème s.) du Sūtra de l’estrade avait par ailleurs été retrouvée à Dunhuang. Cette version est selon Morten Schlütter le produit d’une longue évolution et contient des éléments de différents groupes de Ch’an chacun avec ses propres "agendas".[4]

Dans le « manuel de cérémonie » (Pelliot tib 116), le Sūtra du diamant semble faire partie des textes à réciter, parmi lesquels on trouve aussi les "Vœux de la bonne conduite" (sct. Bhadracaryāpraṇidhānarāja tib. bzang spyod smon lam). A un certain moment, le Sūtra de l’Entrée à Laṅka semble avoir perdu sa place d’axe doctrinaire au profit du Sūtra du diamant[5] : un peu plus de madhyamaka, un peu moins de vijñānavāda ? Plus particulièrement dans le « Zen tibétain ».[6]

Van Schaik nous propose un texte particulièrement intéressant, notamment par rapport à la mahāmudrā sūtrayānique (ou PéPère, PP pour prajñāpāramitā). Il s’agit d’un court texte intitulé Propos sur le coeur de la contemplation de maître Haklenayaśas (tib. ‘gal na yas pa) (IOL tib 709 section 8, ainsi que IOL tib 706 et Pelliot tibétain 812), qui présente le Ch’an comme « l’entrée simultanée dans le Madhyamaka ».[7]
Propos sur le cœur de la contemplation (sct. dhyāna) par maître Haklenayaśas 
Il existe de nombreuses entrées dans la contemplation du Véhicule universel, mais de celles-là, la meilleure est l’entrée simultanée dans le principe du Milieu par excellence (tib. don dbu ma). L’entrée simultanée n’a pas de méthode (sct. upāya), c’est la contemplation (tib. bsgom) de la nature de la réalité (tib. chos nyid kyi rang bzhin). C’est-à-dire les phénomènes sont la pensée, et la pensée est inengendrée. L’inengendré est vide. Comme il est semblable à l’espace, il n’est pas à la portée des six facultés. Cette vacuité est appelée « expérience » (tib. tshor ba sct. vedanā). Mais cette expérience est sans expérience. Aussi, sans se fonder sur la connaissance acquise par l’étude et la réflexion, c’est l’égalité des phénomènes qui est cultivée.[8]
Cette méthode simple qui passe en deux temps semble réunir les deux approches historiques du Ch’an, vijñānavāda et madhyamaka. Tous les phénomènes sont la pensée, et la pensée est inengendrée, vide. Formule que l’on retrouve dans plusieurs recueils de distiques (sct. dohakoṣa) de mahāsiddhas. Par exemple, chez Maitrīpa/Nāropa :
« Tous les phénomènes sont dus à la pensée individuelle
Mais sont vus comme une réalité externe par l’intellect confus
Tout comme dans le rêve qui est vide de substance
La pensée aussi n’est que le mouvement de remémorations et de cognitions. 
N’ayant pas de nature propre, elle est la dynamique de l’énergie vitale
Vide d’essence, elle est comme l’espace
Tous les phénomènes subsistent de façon égale, tout comme l’espace
C’est ce que l’on appelle le Sceau universel
. »[9]
Le cœur de la contemplation (sct. dhyāna, Ch’an, Zen) semble être le cœur du Sceau universel (sct. mahāmudrā).

***

[1] Tibetan Zen, discovering a lost tradition (Snow Lion, Londres, 2015),  p. 19

[2] Le traité de Bodhidharma, Bernard Faure, p. 45 etc.

[3] Le traité de Bodhidharma, Bernard Faure, p. 48, 49

[4] Schlütter, Morten (2007). "Transmission and Enlightenment in Chan Buddhism Seen Through the Platform Sūtra". Chung-hwa Buddhist Journal (Taipei) (20) p. 386 « The Dunhuang version of the text, the earliest complete edition we have, is almost certainly a product of a long evolution with elements coming together from several different Chan groups with different agendas, as the uneven character of the text and its internal inconsistencies attest. »

[5] Van Schaik, p. 101

[6] Van Schaik, p. 103

[7] Van Schaik, p. 103

[8] ༇མཁན་པོ་འགལ་ན་ཡས་བས(མ)་གཏན་གྀ་སྙིང་པོ་བཤད་པའ། །ཐེག་པ་ཆེད་པོའི་བསམ་གཏན་གྀ་སྒོ་ཡང་མང་སྟེ།། དེའྀ་ནང་ན་དམ་པ་ནྀ་དོན་དབུ་མ་ལ་ཅིག་ཅར་འཇུག་པ་ཡྀན་ཏེ། །ཅྀག་ཅར་འཇུག་པ་ལ་ནྀ་ཐབས་མྱེད་དེ་།། ཆོས་ཉྀད་ཀྱྀ་རང་བཞྀན་ལ་བསྒོམ་མོ། །དེ་ལ་ཆོས་ནྀ་སེམས་སེམས་ནྀ་མ་སྐྱེས་པ་འོ། །མ་སྐྱེས་པ་ནྀ་སྟོང་པ་སྟེ།། དཔེར་ནཾཾ་ཀ་(ནམ་མཁའ)དང་འདྲ་བས། །དབང་པོ་དྲུག་གྀ་སྤྱོད་ཡུལ་མ་ཡིན་བས་ན། །སྟོང་པ་དེ་ནྀ་ཚོར་བ་ཞེས་བྱ་འོ། །ཚོར་ནས་ནྀ་ཚོར་བ་ཉྀད་ཀྱང་མྱེད་དེ།། དེ་བས་ན་ཐོས་པ་དང་བསམ་བའྀ་ཤེས་ཤེས་རབ་ལ་།མ་གནས་པར་ཆོས་མཉམ་བ་ཉྀད་ལ་སྒོམས་ཤིག་ཅེས་བཤད་དོ།།

[9] Chants de Plénitude, Joy Vriens, éd. Yogi Ling, p. 120
ཆོས་རྣམས་ཐམས་ཅད་རང་གི་སེམས།
ཕྱི་རོལ་དོན་མཐོང་འཁྲུལ་པའི་བློ།
རྨི་ལམ་བཞིན་དུ་ངོ་བོས་སྟོང༌།
སེམས་ཀྱང་དྲན་རིག་འགྱུ་བ་ཙམ།

རང་བཞིན་མེད་དེ་རླུང་གི་རྩལ།
ངོ་བོ་སྟོང་པས་ནམ་མཁའ་བཞིན།
ཆོས་ཀུན་མཁའ་འདྲ་མཉམ་གནས་ལ།
ཕྱག་རྒྱ་ཆེ་ཞེས་བརྗོད་པ་ཡིན།

dimanche 11 octobre 2015

Eléments pour une boîte d'outils d'hagiographe



J’ai déjà écrit sur la proximité de pensée de Maitrīpa/Advayavajra et d’Atiśa, Gampopa etc. Il y a aussi une proximité de pensée évidente entre le « Zen tibétain » et Gampopa, qui peut s’expliquer par des écritures que ces deux pensées partagent, notamment les grands sūtra. À explorer si cette proximité dépasse ce cadre et peut aussi s’étendre à des transmissions d’instructions de maître à disciple, à des « initiations Zen ».

Quoi qu’il en soit, la tradition bouddhiste tibétaine avait jugé la pensée de Gampopa trop proche du « dzogchen chinois » (ou du « Zen tibétain » ?) et manquant de siddhi, de tantrisme. Pourtant, Gampopa connaissait le tantrisme et le pratiquait même, mais quand il faisait des classifications son système de mahāmudrā trônait en haut de la liste ensemble avec le dzogchen. Quel dzogchen ? Le dzogchen tel qu’il était connu et pratiqué à son époque. Un dzogchen (plutôt sems sde) encore proche du « Zen tibétain ».

Le « Zen tibétain », à en juger par la partie concernant le premier patriarche avant même Bodhidharma, Guṇabhadra (394–468), dans le Registre des maîtres et disciples du Laṅka (IOL Tib J710), qui instruisit ses disciples de ne pas étudier le dharma de l’existence des dieux, esprits, démons, les incantations magiques et les prédictions et de se vouer directement au Dharma authentique.[1]

Mais pendant la Renaissance tibétaine, le silence du Dharma authentique fut couvert par le vacarme des nouveaux tantras, et les siddhis auxquels ils étaient censés donner accès. Un Dharma trop profond, trop secret, car caché sous les caractéristiques (tib. mtshan ma). Les tantras avec leur surabondance de caractéristiques spectaculaires se voulaient un chemin habile conduisant à la même réalisation avec les siddhis en plus.

Portées par leur succès et leur pouvoir politique croissant, les écoles des nouveaux tantras et diverses transmissions que l’on disait fraîchement importés de l’Inde, ou les écoles d’anciens tantras et diverses transmissions que l’on disait redécouvertes au Tibet, étaient en concurrence directe avec celles encore davantage mahāyāna « mainstream », bien que comportant également des éléments tantriques auxiliaires.

Les critiques du manque des nouvelles méthodes dans les écoles plus « traditionnelles », et la grande popularité des nouveaux tantras au Tibet ont sans doute contribué au déclassement de la mahāmudrā et du dzogchen primitif, y compris dans les rangs de ceux-ci. Bharima, une mudrā de Tipupa le népalais, maître de Réchungpa, aurait dit à ce dernier que le dzogchen [primitif] est une pratique que l'on trouve uniquement parmi les yogis tibétains et que c'est une pratique erronée, car elle nie l'existence des dieux et des démons qui sont la source de tous les siddhis.

C’est donc probablement pour ces fameux « siddhis » que le « Zen tibétain » a dû laisser la première place à des méthodes de réalisation des siddhis (sct. sādhana). C’est une évolution sur un certain laps de temps, qui ne s’est pas faite tout de suite. Une école qui réussissait était désormais une école qui disposait d’écritures authentiques et d’une lignée de transmission de « siddhis » ininterrompue. Quand une nouvelle méthode faisait fureur, il fallait s’en saisir pour se (re)positionner. Il fallait trouver une écriture ou instruction authentique, et une transmission des siddhis correspondante, qui descendait jusqu’au dernier détenteur de façon ininterrompue, comme marque d’authenticité. C’est l’époque dont les hagiographes furent les héros, car c’étaient eux qui pouvaient combler d’éventuelles lacunes par leur écriture, en faisant intervenir divers dei ex machina. Pour que la lignée soit ininterrompue, il fallait que certains détenteurs ait été en contact avec des maîtres emblématiques d’une transmission. À cet effet, on a dû prolonger la vie des uns, faire remonter la date de naissances des autres, afin de rendre possible la transmission du siddhi en question et d’autres subterfuges.

Le maître emblématique de la transmission aurale de Réchungpa est évidemment Réchungpa, qui vers la fin de sa vie habitait à Lo ro (1084-1161). La transmission aurale de Réchungpa abonde de tous les siddhis, qui font si cruellement défaut dans la transmission que Gampopa avait reçu de Milarepa. Les hagiographes ont dû faire des pieds et des mains pour sauver Milarepa, Gampopa et leurs descendants spirituels de l’opprobre du manque de siddhi. Ce rôle avait été attribué à Réchungpa et ses descendants spirituels, que je nomme Réchungpistes pour la facilité. Pour sauver les maîtres des diverses lignées kagyupa post Milarepa/Gampopa, ils ont dû hagiographiquement rendre visite à Réchungpa à Lo ro, pour y recevoir sa transmission aurale. Pour enlever tout doute de l’esprit des devots, les hagiographes y ont ajouté quelquefois le miracle emblématique du transfert de conscience sur un cadavre (tib. grong ‘jug). Ce pouvoir était un siddhi appartenant au package de la transmission aurale de Réchungpa. Si on lisait qu’un maître s’était rendu à Lo ro, ou qu’il avait reçu la transmission de quelqu’un qui avait connu quelqu’un qui s’était rendu à Lo ro, et qu’il avait plus tard réussi le transfert de conscience sur un cadavre, le doute n’était plus possible, la transmission du siddhi était ininterrompue ! La visite à Lo ro et le transfert de conscience sur un cadavre (très pragmatiquement, souvent un oiseau, qui pouvait ensuite s’envoler vers son nouveau corps futur dans une région éloignée) font donc partie de la boîte d’outils du hagiographe réchungpiste. Il y a d’autres marqueurs de ce type, il faudrait un jour en dresser la liste.

On pourrait par exemple faire une recherche sur le siddhi du transfert de conscience et le mot pigeon, et voir ce qu’il en sort. Je m’attends à ce que la majeure partie soit de source réchungpiste. Le grand exemple réchungpiste étant évidemment le fils de Marpa, Darma Dodé, qui réussit à transférer sa conscience sur le corps d’un pigeon voyageur. Celui-ci s’envole vers l’Inde (ou le Népal) où la conscience est de nouveau transféré sur le corps d’un jeune brahmane décédé, qui deviendra Tipupa (le mot Tipu dans son nom signifierait pigeon, ce qui semblerait par ailleurs être incorrect) et qui donnera la transmission aurale à Réchungpa. On peut sans doute étendre cet exercice à d’autres éléments hagiographiques récurrents (clichés), et constituer ainsi la boîte d’outils d’un hagiographe tibétain.

Cette boîte d’outils pourra alors être un outil pour un lecteur critique d’hagiographies, mais rien de plus. Un lecteur critique serait par exemple un lecteur qui se pose des questions sur la possibilité même d’un pouvoir de transfert de conscience sur le cadavre d’un pigeon. Le lecteur qui ne se pose pas cette question n’aurait probablement aucune utilité d’un tel outil.

Tous les détails donnés pour convaincre le lecteur de l’authenticité de la source, du pouvoir et du détenteur de ces instructions particulières censées pouvoir donner des siddhis à l’adepte, semblent correspondre à la définition du « chemin des dieux et des esprits » (tib. lha ma srin gyi lam), qui ne conduit pas au Dharma authentique selon Guṇabhadra.


Je ferai ici une liste de siddhas réchungpistes, dont la preuve de leur réalisation passe par le transfert de la conscience sur un autre corps. J’essaierai de la compléter au fur et à mesure de mes nouvelles découvertes ou de vos suggestions.

* Dar ma mdo sde, fils de Marpa. Transfert sur un corps de pigeon voyageur. Transfert sur celui qui deviendra Tipupa. Source : Vie de Marpa, Tsangnyeun Heruka (1452-1507)
* Maitrīpa en tant que détenteur de la pratique de phyag drug pa déplace les cadavres d'un charnier en transférant sa conscience sur eux. Commentaire de la pratique de Phyag drug pa par Tāranātha (1575-1634) (dpal ye shes kyi mgon po phyag drug pa'i chos skor byung tshul dngos grub bdud rtsi'i char 'bebs)
* Tshalpa Zhang avait un maître du nom de 'ol kha ba (1103-1199), alias Grol sgom ou Chos g.yung, qui avait reçu des instructions de Gampopa, Réchungpa et Bari lotsāva.Notamment la transmission aurale à Lo ro (AB p. 469). 'Ol kha ba maîtrisa le transfert et l'a démontré en entrant un oie mort, en le faisant caqueter et voler trois autour du lac nam mthso. Source : Annales bleus, 'Gos l'ayant repris d'une hagiographie de Zhang.
* Dus gsum mkhyen pa (Karmapa I 1110-1193). reçoit toutes les instructions thabs lam de Réchungpa à Lo ro AB p. 476). Détail intéressant pour notre boîte à outils : il prend des chevaux et une cotte de maille (tib. khrab) pour payer ses derniers respects à sGom pa, neveu de Gampopa.
* Khyoungtsangpa (khyung tshang pa ye shes bla ma, ou Jñānaguru, 1115-1176). Pivot central de la transmission aurale de Réchungpa. Aurait reçu toute la transmission à la fin de la vie de Réchungpa en une seule sesssion. Obtint les siddhi et montra ses pouvoirs de transfert sur le corps d'un pigeon. (AB p. 443).
* Karmapakshi (1204-1283). Autour de 1283, donc vraiment vers la fin de la vie de Karma Paśi. 'Gos lotsāwa raconte alors comment Karma Paśi tente de transférer son principe conscient sur le corps d’un jeune garçon qui venait de mourir et comment cela aboutit à un échec (AB p 488). 'Gos poursuit en racontant en détails comment son principe conscient traverse alors le bardo et prend naissance en un bébé masculin en 1284 (Rang byung rdo rje, Karmapa III).

La pratique du transfert existe toujours dans les traditions réchungpistes, mais aussi dans les écoles Bon et Nyingma selon Jean-Luc Achard.
"Il y a deux modalités fondamentales à la pratique de l'Entrée dans le cadavre: la première, dite commune, s'adresse aux yogis de capacités ordinaires, encore loin de l'atteinte du fruit. La seconde, qualifiée de suprême, s'appuie entièrement sur les recueillements méditatifs auxquels l'adepte accède grâce aux Phase de Développement et de Perfection. Elle n'exige paradoxalement pas de cadavre car c'est le corps de l'adepte qui va être revitalisé et "transmuté" grâce aux arcanes de la Phase de Perfection
L'adepte exécute ainsi sur lui-même un rite méditatif destiné à le transfigurer en sa divinité tutélaire et dans ce cas, l’Entrée dans le Cadavre diffère assez peu des instructions sur le Transfert de conscience (‘pho ba), raison probable qui lui a valu d’être transmise parfois simultanément avec la pratique du Transfert."

Sur les doutes de Chag lo quant à la transmission de Réchungpa.

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[1] Tibetan Zen, Sam van Schaik, p. 79-81
ngas de lta bu la stso+ogs pa bskal pa yun ring du/_/lha ma srin gyi lam na 'dug cing*/_/yun ring du skye shis snyon _[l.16v.1: ] smong ste[(] nyon mongs te/[) ]/grol thar ma thob pa snying rje'o/

samedi 27 juin 2015

La mahāmudrā de Sakya Paṇḍita


Wǔtáishān 五台山
«Vers la fin de sa vie (1153), deux moines venaient voir [Gampopa] en le supplant une offrande de gtor-ma à la main de leur enseigner le chemin de techniques yoguiques (upāya-mārga). « Ayez de la compassion pour nous » ajoutèrent-ils. Gampopa (1079-1153) disait à son intendant qu’il ne voulait pas être dérangé. L’intendant dit alors aux deux moines de demander la Mahāmudrā. Ils’exécutèrent aussitôt et Gampopa les fit entrer immédiatement et leur donna les instructions sur la mahāmudrā[1]

Gampopa fut critiqué par Sakya Paṇḍita (1182-1251) pour proposer une instruction non-tantrique sous le nom de mahāmudrā en dehors du cadre des conscrations. Sakya Paṇḍita procédait de manière différente, comme il s’avère d’un petit texte (rtogs ldan rgyan po’i dris lan) où un certain Tokden vivant au mont Wutai (pinyin : wǔtái shān) lui demande les instructions de la mahāmudrā.[2]

Quand Sakya Paṇḍita visita cette montagne sacrée mont aux cinq terrasses, Tokden venait le voir en lui offrant des circumambulations et des prosternations. Sakya Paṇḍita, très satisfait, lui disait que pour vivre dans un tel endroit, il fallait sûrement avoir une pratique de méditation basée sur des instructions profondes. Tokden rentra chez lui pour chercher une khata en soi blanc, l’offrit à Sakya Paṇḍita et lui demanda les instructions de la mahāmudrā. Sakya Paṇḍita, toujours très satisfait, lui donna l’initiation de Hevajra de Ḍombī Heruka, le Sahajasiddhi mahāmudrā (phyag rgya chen po lhan cig skyes grub) et les Instructions de la méthode de l'inconcevable de Koṭālipa (Acintyākramopadeśa). Un cocktail très tantrique. Le « Sahajasiddhi mahāmudrā » (phyag rgya chen po lhan cig skyes grub) est un titre fantaisiste. Il n’existe pas de texte de ce titre. En revanche, il existe plusieurs textes qui comportent l’expression phyag rgya chen po lhan cig skyes sbyor dans le titre, associés à la mahāmudrā kagyupa, attaquée par Sakya Paṇḍita. Le texte que Sakya Paṇḍita a enseigné à Tokden était sans doute le Sahajasiddhi (lhan cig skyes grub) de Ḍombī Heruka. Sakya Paṇḍita l’a peut-être fait précéder de « mahāmudrā », pour faire une sorte de jeu de mot indiquant que c’est pour ce type de texte que l’on doit réserver le terme « mahāmudrā ».

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1ère page du dris lan (cliquer pour agrandir)

[1] Blue Annals, p. 461-462

[2] Source principale de ce blog, l’article de Julia Stenzel. The Mahāmudrā of Sakya Paṇḍita, Julia Stenzel dans Indian International Journal of Buddhist Studies Volume 15 (2014)