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samedi 4 juin 2016

Avec prudence et modération


Makha Bucha dans le Wat Phra Dhammakaya Temple en Thailande (NICOLAS ASFOURI via Getty Images)

Un peu un méli-mélo de plusieurs fil d'idées que je ne manquerai pas de développer dans les billets à venir.


Le rite est défini comme « l’ensemble de prescriptions qui règlent la célébration du culte en usage dans une communauté religieuse » (Atilf). Le mot cérémonial, ensemble des règles fixées pour le déroulement d'une cérémonie religieuse, est présenté comme un synonyme.

Qu’est-ce qui se joue dans les rites ou les rituels ? Les rituels sont l’incarnation de X dans laquelle X prend corps, est donné corps ou est représenté plus concrètement, mais toujours symboliquement. Le rite marque le passage d’une représentation symbolique du niveau individuel au niveau collectif. En observant ensemble les prescriptions et les règles fixées pour la représentation symbolique collective, les adeptes font corps ensemble et deviennent ainsi le corps de X. Les prescriptions et les règles peuvent varier d’une communauté, d’un « corps », à une autre, mais la soumission par tous à l’ensemble des prescriptions est la véritable fonction du rite.

Vue, méditation et action

Au niveau du bouddhisme ésotérique, nous dirions que X est « la Vue » (sct. dṛṣṭi tib. lta ba). L’assimilation individuelle de la Vue est la Culture (sct. bhāvanā tib. sgom pa). La Vue est cultivée en en imprégnant l’esprit par divers types d’exercices spirituels. Bhāvanā a le sens étymologique de faire apparaître, faire venir à l’existence[1] L’observance des prescriptions, qui se pratique dans la vie donc au niveau social, se dit cārya (en sanskrit) ou spyod pa (en tibétain). La Vue est à la fois Vue et visée, qui se confondent.

Dans le canon pāli, Śāriputra parle de la Vue dans le Discours sur la Vue juste (p. Sammādiṭṭhi Sutta) comme le premier facteur de l’octuple chemin, qui peut être réalisé à travers cinq méthodes, dont la première consiste à connaître (p. pajānāti) ce qui est désavantageux (p. akusalañca) et source de désavantage (p. akusalamūlañca) et ce qui est avantageux (p. kusalañca) et source d’avantage (p. kusalamūlañca). Ce qui est désavantageux, ce sont les dix actes désavantageux et ce qui est source de désavantage et menant au mal-être ce sont les trois A, avidité (p. lobha), aversion (p. doso) et aveuglement[2] (p. moho). Les actes avantageux sont l’abstention des actes désavantageux et ce qui est source d’avantage ce sont l’absence d’avidité (p. alobha), d'aversion (p. adoso) et d'aveuglement (p. amoho), qui conduisent à la cessation du mal-être. Cette approche peut être qualifiée comme une voie de l’abstention/renoncement.

Cela constitue à la fois la Vue et la visée (sct. dṛṣṭi). Cette Vue s’assimile ou "vient à l'existence" (sct. bhavana) au niveau individuel et se met en pratique (sct. cārya) au niveau social et collectif (sct. vyavahāra tib. tha snyad). Le rite est alors réduit au minimum. Voilà, pour ce qu’il en est du bouddhisme non-théiste.

Dans le bouddhisme théiste ou tantrique il en va tout autrement. Tout y est la manifestation de la divinité : formes, sons, cognitions. Son culte façon bouddhiste n’a pas été inventé de toutes pièces, mais s’appuyait sur des cultes anciens et utilisait « l’énergie » de ceux-ci. L’autorité, le charisme des cultes anciens repose sur le fait qu’ils furent pratiqués par les ancêtres. Cela leur donne en plus un aspect affectif, car à travers la pratique du culte on se reconnecte avec eux. Seulement, pour que ces cultes puissent véhiculer cette « énergie », il fallait les transmettre avec leur rite au complet, un ensemble élaboré de croyances, prescriptions et règles, mis à jour et adaptés.

Ainsi, dans le contexte[3] du mahāyoga tantrique, la Vue (sct. dṛṣṭi) consiste à connaître l’indifférenciation des apparences et de la vacuité. Pour cultiver (sct. bhavana) cette Vue l’adepte passe par une méthode (sct. sādhana) qui transforme toutes les apparences (microcosme, mésocosme et macrocosme) en le maṇḍala des divinités. Pour le côté rituel, et au niveau social, toutes les apparences étant des manifestations divines, l’adepte ne distingue plus entre pur et impur, et consomme les cinq viandes et les cinq nectars sans discrimination. Cela a pour résultat que l’adepte rejoint le maṇḍala divin de son vivant ou après la mort dans l’état intermédiaire (bardo). C’est essentiellement une voie de transformation à l’aide d’un culte théiste.

Dans le système du « sens du Cœur » (sct. hṛdāyartha) développé par Advayavajra et diffusé par Vajrapāṇi au Tibet, voici comme la Vue, la culture et l’observance se pratiquent.
« Ainsi en contemplant sans cesse le sens du Coeur (sct. hṛdayārtha), qui est l'enseignement infaillible de l'Éveillé, et en familiarisant l'esprit avec, les images remémorées (tib. dran pa'i rnam pa) se mélangent de façon indissociable avec la vacuité, voilà le but de l'observance.
Mais il est préférable à cela de révéler directement comment rester dans le courant (tib. rgyun du gnas pa) de la vacuité sans investir le mental (sct. amanasikāra), voilà le but de la culture.
Puis, sans considérer les choses (sct. dharmā) passionnées et dépassionnées comme authentiques (sct. samyak), on en déleste (tib. grol) le continuum (sct. svatantra), [rejoignant ainsi] l'absence de production et de destruction (sct. anutpannāniruddhatā). Voilà le sens [1563] de la vue.
On aboutit ainsi au fruit que l'on ne peut ni obtenir ni perdre, puisqu'il n'y a plus de gnose de l'indifférencié (sct. nirvikalpa-jñāna), comme il n'y a plus rien qui puisse être cultivé par les éveillés ni des impuretés des connaissables etc. qui peuvent être pris pour un objet mental par les êtres. »
Cette approche, qui deviendra chez Gampopa le cycle de la mahāmudrā, sera qualifiée par ce dernier comme la voie de la connaissance. Autrement dit, c’est la connaissance qui constitue la voie.

Dans la voie de la transformation, comme dans les autres voies, c’est l’imagination qui est à l’œuvre. L’imagination produit des images en leur attribuant un sens. Selon l’optique de la voie de la transformation, les images ont un impact et peuvent être fonctionnelles, elles ont une force transformationnelle. Cela veut dire que les images interagissent avec d’autres images. Elles peuvent les chasser ou changer. Cela revient à donner une certaine substance aux images.

Nous apercevons les choses à travers des images empruntées à notre constitution propre. Quant aux états les plus apparents du moi lui-même, que nous croyons saisir directement, Bergson se demande s’ils « ne seraient pas, la plupart du temps aperçus à travers certaines formes empruntées au monde extérieur. » Si on voulait contempler le moi dans sa pureté originelle, il faudrait donc éliminer certaines formes qui portent la marque visible du monde extérieur. Les images avec lesquelles nous imaginons nos états psychologiques sont alors inadéquates.

Quelques citations de l'Essai sur les données immédiates de la conscience de Bergson pour donner une impression de sa pensée au sujet des objets matériels (sensible) et des faits de conscience (intelligible).

« …il y a deux espèces de multiplicité : celle des objets matériels, qui forme un nombre immédiatement, et celle des faits de conscience, qui ne saurait prendre l'aspect d'un nombre sans l'intermédiaire de quelque représentation symbolique, où intervient nécessairement l'espace. »[4]

Le temps/durée représentée spatialement

« …si le temps, tel que se le représente la conscience réfléchie, est un milieu où nos états de conscience se succèdent distinctement de manière à pouvoir se compter, et si, d'autre part, notre conception du nombre aboutit à éparpiller dans l'espace tout ce qui se compte directement, il est à présumer que le temps, entendu au sens d'un milieu où l'on distingue et où l'on compte, n'est que de l'espace. »

« … familiarisés avec [l’idée d’espace], obsédés même par elle, nous l'introduisons à notre insu dans notre représentation de la succession pure ; nous juxtaposons nos états de conscience de manière à les apercevoir simultanément, non plus l'un dans l'autre, mais l'un à côté de l'autre ; bref, nous projetons le temps dans l'espace, nous exprimons la durée en étendue, et la succession prend pour nous la forme d'une ligne continue ou d'une chaîne, dont les parties se touchent sans se pénétrer. »

États de conscience solidifiés en mots ("croûte")

« Nous avons montré que nous nous apercevions le plus souvent par réfraction à travers l'espace, que nos états de conscience se solidifiaient en mots, et que notre moi concret, notre moi vivant, se recouvrait d'une croûte extérieure de faits psychologiques nettement dessinés, séparés les uns des autres, fixés par conséquent. Nous avons ajouté que, pour la commodité du langage et la facilité des relations sociales, nous avions tout intérêt à ne pas percer cette croûte et à admettre qu'elle dessine exactement la forme de l'objet qu'elle recouvre. Nous dirons maintenant que nos actions journalières s'inspirent bien moins de nos sentiments eux-mêmes, infiniment mobiles, que des images invariables auxquelles ces sentiments adhèrent. »

La vie quotidienne se déroule souvent dans la « croûte » > actes réflexes, automatisme

« … la plupart de nos actions journalières s'accomplissent ainsi, et que grâce à la solidification, dans notre mémoire, de certaines sensations, de certains sentiments, de certaines idées, les impressions du dehors provoquent de notre part des mouvements qui, conscients et même intelligents, ressemblent par bien des côtés à des actes réflexes. »

« Petit à petit ils formeront une croûte épaisse qui recouvrira nos sentiments personnels ; nous croirons agir librement, et c'est seulement en y réfléchissant plus tard que nous reconnaîtrons notre erreur. Mais aussi, au moment où l'acte va s'accomplir, il n'est pas rare qu'une révolte se produise. »

Le "moi concret", d’en bas, émerge

« C'est le moi d'en bas qui remonte à la surface. C'est la croûte extérieure qui éclate, cédant à une irrésistible poussée. Il s'opérait donc, dans les profondeurs de ce moi, et au-dessous de ces arguments très raisonnablement juxtaposés, un bouillonnement et par là même une tension croissante de sentiments et d'idées, non point inconscients sans doute, mais auxquels nous ne voulions pas prendre garde. »

Le moi, qui vit dans la durée, et son fantôme décoloré, qui vit dans l’espace

« Il y aurait donc enfin deux moi différents, dont l'un serait comme la projection extérieure de l'autre, sa représentation spatiale et pour ainsi dire sociale. Nous atteignons le premier par une réflexion approfondie, qui nous fait saisir nos états internes comme des êtres vivants, sans cesse en voie de formation, comme des états réfractaires à la mesure, qui se pénètrent les uns les autres, et dont la succession dans la durée n'a rien de commun avec une juxtaposition dans l'espace homogène. Mais les moments où nous nous ressaisissons ainsi nous-mêmes sont rares, et c'est pourquoi nous sommes rarement libres. La plupart du temps, nous vivons extérieurement à nous-mêmes, nous n'apercevons de notre moi que son fantôme décoloré, ombre que la pure durée projette dans l'espace homogène. »

Reprendre possession de soi, c'est se replacer dans la pure durée

« Notre existence se déroule donc dans l'espace plutôt que dans le temps : nous vivons pour le monde extérieur plutôt que pour nous ; nous parlons plutôt que nous ne pensons ; nous « sommes agis » plutôt que nous n'agissons nous-mêmes. Agir librement, c'est reprendre possession de soi, c'est se replacer dans la pure durée. »

Autrement dit, se replacer dans le temps véritable ("pure durée"), plutôt que dans le temps représenté spatialement à l’aide de l’étalement de faits de conscience (sct. avikalpa). Dans le bouddhisme, plus précisément dans la théorie des douze maillons (nidana) de la coproduction conditionnée, les maillons sont identifiés et étalés dans l’espace en les présentant l’un après l’autre : 1. l'ignorance (avidya) 2. Les activités formatrices (saṃskāra) 3. la conscience (vijñāna) 4. le nom-et-forme (nāma-rūpa) 5. les six bases (sadāyatana) 6. le contact (sparśa) 7. la sensation (vedana) 8. l'avidité (tṛṣna) 9. l'appropriation (upādāna) 10. L’être (bhāva) 11. la naissance (jati) 12. la décrépitude et la mort (jarā-maraṇa). Les états de conscience, au nombre de 51, sont identifiés, étalés, classés et présenté spatialement comme les productions (caitta) de la conscience (citta), ou comme le contenant d’un contenu.

Pour le linguiste cognitif George Lakoff « toute notre pensée est basée sur des métaphores, y compris pour ses formes les plus abstraites, comme les mathématiques ». « Notre vision du monde – et par conséquent nos décisions – seraient en grande partie modelées par notre système de métaphores » (Paul Thibodeau et Lera Boroditsky[5]) La métaphore est partout et elle est à la base de notre fonctionnement mental, c’est une métaphore qui vous le dit.

« Cette structure métaphorique de notre esprit vient du fait que nous pensons, raisonnons avec notre corps. Nos concepts abstraits, même ceux des mathématiques, s’élaborent avec du concret et en gardent toujours la trace. »[6] Comme l’avait déjà remarqué Bergson.

Les images sont un moyen de connaissance. Les images véhiculent du sens. Un rituel est l’incarnation d’un sens particulier. Les adeptes se donnent au rituel, car ils se trouvent incarnés dans le rituel dans le sens existentiel le plus profond[7]. Un rituel est un concentré d’images, que l’on apprend, auquel on se donne et qui peut devenir quasi automatique, surtout s’il est pratiqué collectivement, ce qui lui donne plus de force de conviction. Il est donc important de connaître les métaphores qu’il contient et qui sont susceptibles de produire un certain sens, presque malgré nous... Les méditations (sct. bhāvanā) du bouddhisme ésotérique sont aussi appelées des « méthodes de réalisation » (sct. sādhana), de la racine sidh_, atteindre son objectif. Les sādhana bouddhistes ésotériques font partie des tantras et sont des méthodes pour « appeler en existence » (bhāvāna) et réaliser (sidh) une divinité tantrique.

Théoriquement, et conformément au concept d’habileté dans les moyens (sct. upāyakauśalya), la divinité tantrique bouddhiste n’est pas une entité divine autonome, mais un ensemble de qualités (sct. dharma) auxquelles aspire l’adepte, tout comme le véritable Bouddha n’est pas son corps ni sa personnalité, mais l’ensemble de ses qualités symbolisées par des marques et signes. Il en va de même pour les représentations symboliques que sont les stūpas et les caityas. Leur force n’est pas inhérente en leurs formes ou en ce avec quoi ils ont été consacrés, mais vient de ce qu’ils symbolisent en qualités, susceptibles d’inspirer les adeptes.

Il ne s’agit pas de faire le culte du Bouddha ou d’Avalokiteśvara, parce qu’ils sont le Bouddha ou Avalokiteśvara, mais parce qu’ils symbolisent des qualités auxquelles l’adepte aspire et qu’il veut développer lui-même. De même, il ne s’agit pas de devenir Avalokiteśvara ou un deuxième Avalokiteśvara, mais de développer ses qualités. Les quatre bras d’Avalokiteśvara symbolisent les quatre brahmavihāra ou quatre qualités incommensurables etc. Il est évidemment possible, si on est incliné ainsi, de présenter des offrandes d’encens etc. aux quatre bras d’une divinité d’Avalokiteśvara que l’on se représente, et espérer obtenir sa grâce, mais il est probablement plus efficace de développer directement les quatre incommensurables, et d’"obtenir la grâce" d’Avalokiteśvara ainsi.

La pratique d’Avalokiteśvara est assez simple et son symbolique transparent. Il donc difficile de se fourvoyer. Mais qu’en est-il de la pratique d’un dharmapala ? Prenons par exemple Mahakala à quatre bras[8], dont les quatre bras symbolisent les quatre activités (sct. catuḥkarma), à savoir pacifier, enrichir, attirer et détruire. C’est une pratique qui demande déjà davantage d’encadrement, voire qui est franchement problématique. Notamment la quatrième activité qui consiste à détruire, tuer les ennemis du Dharma ou à libérer les êtres de leur souffrance et d’expédier leur principe conscient dans des terres pures. Il s’agit d’un sādhana, d’un bhāvāna et le principe et l’objectif est le même que dans la pratique d’Avalokiteśvara. L’activité (les quatre bras) est cependant différente et il est facile de s’y fourvoyer. Il existe de nombreux exemples dans les hagiographies tibétaines et nous avons même un exemple plus réel et plus proche dans l’affaire Shougden.

Il ne s’agit pas de bons et de mauvais dharmapala, ce sont leurs rituels qui posent problème. Ils véhiculent des images dangereuses. L’idée de jouer avec la négativité pour mieux l’appréhender et la transformer peut paraître ingénieuse[9], il faudra voir quel est réellement son rendement « spirituel » et son effet sur des adeptes oubliant le côté "habile" et passant à côté du symbolique.

Même si les rituels anciens et les images qu’ils véhiculent ne sont pas directement dangereux, ils peuvent véhiculer des valeurs obsolètes qui ne s’accordent pas avec des valeurs contemporaines. Ronald M. Davidson a montré que le cérémonial des consécrations (sct. abhiṣeka) et des maṇḍala est calqué sur celui du couronnement royal et basé sur la métaphore impériale et féodale.[10] Le Dalai Lama a récemment donné une interview au journal allemand Frankfurter Allgemeine (31.05.2016) durant laquelle il dit que la pensée du lama réincarné est au fond une pensée féodale et que tant qu’il est encore en vie, il essaiera de « laver les cerveaux » des tibétains pour les faire changer d’idée à ce sujet[11]. D’ailleurs, les doctrines des Terres pures prônent aussi un modèle féodale et théocratique. Le traitement de la femme en tant qu’objet tantrique (mudrā) et facilatrice de siddhi est une autre idée « obsolète ». Divers scandales sexuels récents peuvent témoigner des problèmes que de telles idées, mal comprises ou non, pourraient susciter.

Il faudrait donc que les bouddhistes occidentaux, dans le cadre de la « transplantation » du bouddhisme, se posent des questions difficiles sur l’utilité de certains rituels bouddhistes et leur degré d’habileté dans les moyens (sct. upāyakauśalya), à notre époque. Ou du moins qu’ils en prennent conscience. 

Le 16e Karmapa Rangjoung Rigpai Dorjé (1924-1981) estimait par ailleurs que de toutes les méditations, la mahāmudrā serait la plus profitable aux Occidentaux, parce qu’elle approche directement la conscience et que de ce fait elle est accessible à toutes les cultures.[12]

***

[1] "calling into existence", « causing to be » Nyanatiloka Mahathera, Buddhist Dictionary: Manual of Terms And Doctrines, Buddhist Publication Society, Kandy, Sri Lanka, Fourth Edition, 1980, p. 67

[2] P. ‘asmī’ti diṭṭhi (sct. ātmadṛṣṭiḥ tib. bdag tu lta ba) : the view and conceit 'I am,'

[3] Selon les instructions sur la classification en neuf yāna de l’école des anciens.

[4] Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience

[5] Le Monde

[6] L’influence l’agence presse des idées, Lakoff 

[7] Ritual in Its Own Right: Exploring the Dynamics of Transformation, Don Handelman, Galina Lindquist p. 208 « We give ourselves to them because in the deepest existential sense we find ourselves embodied in them. »

[8] Protecteur du Cakrasaṁvara tantra

[9] Éviter les conséquences négatives de la simple répression, canaliser et transformer l’énergie des émotions,…

[10] The Victory of Esoterism and the Imperial Metaphor dans Indian Esoteric Buddhism, a social history of the Tantric Movement

[11] Frankfurter Allgemeine du 31.05.2016 http://www.faz.net/aktuell/politik/dalai-lama-tenzin-gyatso-im-interview-zur-fluechtlingskrise-14260431.html 
« - Aber einige Ihrer Anhänger dürften traurig sein, wenn Sie das hören. Lassen Sie nicht die tibetischen Buddhisten im Stich?

- Nein. Ich sage immer: Es gibt auch keine Reinkarnation Buddhas, aber seine Lehre ist nach 2600 Jahren noch hier. Das gilt auch für viele tibetische Meister. Keine Reinkarnation, keine Institution, aber ihre Lehren gelten immer noch. Es braucht dazu keine Institution."

- Aber emotional wird es schwierig für die tibetischen Buddhisten.

- Das ist, ehrlich gesagt, ein feudalistisches Denken. Aber das wird sich ändern. Am Anfang werden sie emotional sein. Aber solange ich lebe, kann ich ihnen noch das Gehirn waschen. Mit Argumenten, nicht mit Unterdrückung, wie es die Kommunisten tun. (lacht)
»

[12] Extrait du Synopsis de Ocean of the Ultimate Meaning, commentaire de Thrangu Rinpoché sur le traité sur la mahāmudrā du même titre, composé par le 9e Karmapa Wangchuk Dorje (1556-1603), Shambhala Publications, 2004.

dimanche 18 août 2013

Retour à la Nature ?



La Nature (phusis) avec un majuscule, pour la distinguer de la nature, essence. Elle peut être conçue comme divine, ou comme un Dieu, « comme un seul individu dont les parties, c’est-à-dire tous les corps, varient d’une infinité de manières, sans aucun changement de l’individu total. »[1] Cette forme de naturalisme est considérée comme un monisme, voire un panthéisme. Il n’y a pas de principe d’ordre qui préexiste à la Nature. La Nature est la source de tous les êtres sans être elle-même un être déterminé[2]. C’est dans ce sens qu’elle est illimitée et éternelle. Divine pour certains. Elle échappe à tout système[3], elle est un énigme.

L’essence de l’énigme, dit Aristote[4], est de joindre ensemble des termes inconciliables, tout en disant ce qui est.[5] Lier ensemble les contraires signifie les penser en un. L’unité des contraires (S. yuganadda T. zung 'jug) est clairement reconnue par Héraclite : « Dieu est jour nuit, hiver été, guerre paix, satiété faim […]. »[6] Héraclite a refusé l’impasse qu’est l’idéalisme, ajoute Conche. Aussi « Dieu » est-il une métaphore. L’énigme suppose la métaphore, dit Aristote.[7]
« La métaphore, dit Isocrate (Evagoras, 9), est l’affaire du poète. Si les Antésocratiques, et pas seulement Héraclite, sont à la fois des philosophes et des poètes – en unité -, ce n’est pas là le signe d’une incapacité à maîtriser le concept. Simplement, ils ont pensé que, pour tenter de faire signe vers le réel infiniment énigmatique, il fallait que le concept fût porté sur les ailes de la métaphore. »
Pour voir ce qui se passe quand on perd le sens de l’allégorie ou de la métaphore et qu’elle devient une réponse, servie avec diverses sauces dogmatiques et cultuelles, je vous invite à lire le citoyen Dupuis.

***

[1] Spinoza, Ethique, II, prop. 13)

[2] Ni les Idées de Platon, ni les Atomes de Démocrite et Épicure, ni les Nombres de Pythagore.

[3] Toute théorie, toute spéculation

[4] Poétique

[5] Marcel Conche, Présence de la Nature, p. 23

[6] Marcel Conche, Présence de la Nature, p. 24

[7] Marcel Conche, Présence de la Nature, p. 25

mercredi 2 novembre 2011

Parallèles thérapeutiques




La lecture de Hugues Berton (Formes et structures des thérapeutiques traditionnelles (médecine et sorcellerie en milieu rural), montre à mon avis qu'ils existent des parallèles entre les différentes méthodes de médiation. Le même mécanisme semble être mis en oeuvre.

Dans la mentalité traditionnelle, toutes cultures confondues, si un homme, une bête ou un troupeau était malade, la maladie était la conséquence d’une transgression, consciente ou non, ou d’un sort jeté sur soi. L’ordre naturel des choses avait été perturbé d’une manière ou d’une autre et pour le rétablir, il fallait s’adresser à quelqu’un qui en avait la connaissance ou les moyens, un devin, un sorcier, un prêtre…

L’ordre naturel des choses était en fonction du système d’appartenance d’une collectivité, qui partage les mêmes mythes. « Le mythe a pour fonction de narrer ce qui est dans le monde du sacré. Il a pour effet de préciser les modalités du passage du Non-Être à l’Être, c’est-à-dire l’émergence de l’Être juste avant l’émergence de l’Histoire, ou encore du passage de l’Être au Non-Être, dans le cas de la mort. Les acteurs du mythe sont d’origine non-humaine ou supra humaine. Le mythe enseigne l’origine des espèces, minéraux, végétaux, animaux, êtres humains, des institutions sociales, de ce qui deviendra l’exercice des métiers. (…) Il fonde et justifie comportements et activités humaines dans les sociétés traditionnelles. »[1]

Ceux qui ont la connaissance des mythes deviennent les médiateurs entre les hommes et les êtres et les forces responsables de l’ordre naturel. Tout type de médiation ou de transmission avec un médiateur, chez Berton appelé « tradipracticien », s’inscrit dans le cadre d’un mythe fondateur intemporel. Le médiateur est habilité par son affiliation à une transmission qui remonte à un acteur du mythe. L’intervention d’un médiateur recrée les conditions de l’éternel présent du mythe, pour que son intervention devienne un acte sacré.

Berton décèle trois critères pour qualifier une Tradition thérapeutique :
« 1. Une mythologie reliant à des origines mythiques (source non humaine), en référence à un système d’appartenance,
2. Une transmission ininterrompue de bouche à oreille, par ouï-dire et voir faire, correspondant à l’apprentissage sensoriel externe et interne,
3. Un enracinement social vivant et vivifiant, marqué par une reconnaissance au sein d’une communauté. »[2]
La maladie, comme la souffrance (S. dukha), a traditionnellement une origine spirituelle. Le Bouddha a souvent dit qu’il se considérait comme un médecin et la souffrance comme la maladie. Mais c’est surtout dans la tradition Zhi byed de Dampa Sangyé, que l’on voit apparaître toutes sortes de pratiques thérapeutiques et de guérisons de maladies, dont l’origine est attribuée à un démon. Quand l’ordre naturel est transgressé, le démon (S. māra) agit sur l’esprit du transgresseur et cause une maladie spirituelle ou dont l’origine est spirituelle. Les traitements possibles sont de deux types 1. Exorcisme, prières et formules (mantra, dhāraṇī) pour renvoyer l’esprit mauvais d’où il est venu 2. Le transfert.
« Le mal étant quasiment considéré comme une entité en soi, il devient dès lors possible de le déplacer comme on pourrait le faire pour un simple objet. (…) Le transfert a pour but de faire prendre en charge le poids moral par un tiers, animé ou inanimé. On peut se servir pour cela d’un végétal, d’un animal, d’un minéral, par l’intermédiaire d’un saint ou d’un guérisseur.»[3]
La transmission du « don » (S. siddhi) du médiateur peut s’effectuer par ce que Berton appelle une transmission verticale (directe, d’origine non humaine ou supra humaine) ou par une transmission horizontale (par un intermédiaire humain). Cette dernière peut être une transmission verbale de bouche à oreille des secrets ou une réception des dons par consécration/initiation.[4]

Dans sa thérapie, le médiateur utilise un rite pour créer une rupture dans « un temps d’habitude linéaire » et pour introduire « l’être » dans un temps mythique, ce qui a pour effet de laisser derrière la « personne » [5].

L’appel au mythe n’a pas besoin d’une conscience de celui-ci.
« Si une partie de la technique thérapeutique est ‘visible’ par l’individu et sa communauté, il convient de souligner que les actes thérapeutiques essentiels restent dans le domaine du mystère. La notion de mystère pourrait bien avoir pour effet de laisser les choix les plus appropriés s’effectuer librement au niveau inconscient. On est en cela proche de l’hypnose ériksonnienne : il s’agit de capter la conscience par des paroles, des gestes, la manipulation d’objets, alors que l’essentiel s’adresse à l’inconscient sous forme d’inductions spécifiques et non spécifiques. »[6] 
Les interventions du tradipracticien peuvent être dans le cadre d’une possession, elles peuvent être des médiations ou des processus analogiques. Les maîtres de l’école Zhi byed utilisaient ces trois types d’interventions.

Pour la médiation proprement dite, le médiateur qualifié par une transmission verticale ou horizontale manipule le « monde autre » en présence de l’adepte, « jusqu’à ce que ce dernier le fasse sien, et ce faisant, modifie ses propres contenus, ce qui conditionne le changement thérapeutique. »[7] Berton donne l’exemple d’un enfant bègue. S’il est bègue c’est justement « par ce qu’il parle avec ce type de langage à un esprit particulier. » La médiation est alors une négociation avec cet esprit pour libérer « la partie de l’âme en relation avec le sens défaillant. Le tribut (T. glud)[8] ayant été payé, l’enfant recouvre l’usage normal de la parole. »[9]

Les processus analogiques utilisent des proverbes, métaphores, aphorismes... que l’adepte s’approprie et fait sien. « Lié à une induction première proposée, voire imposée par le tradipracticien, ce mécanisme de raisonnement analogique poursuit son action sur une longue durée. »[10]
Il me semble que le type de médiation dont parle Berton, ainsi que certains procédés mis en œuvre peuvent être décelés sans trop de mal dans ce qui se passe dans les transmissions indiennes et tibétaines, autour d’un « guru » ou « lama ». Tout du moins, les trois critères de la Tradition thérapeutique sont présents.

Le mythe cosmogonique de l’Inde, et indirectement celui du Tibet, est le sacrifice/création de l’univers et la reconstitution de Prajāpati, l’homme cosmique (S. lokapuruṣa représentation iconographique de l'homme cosmique). Ce mythe explique le lien entre macrocosme et microcosme, la nature divine de l’homme, et donc la possibilité de tout être humain de se diviniser. Le bouddhisme ancien avait pris certaines distances avec ce mythe tout en restant déterminé par lui, puis le bouddhisme universaliste et ésotérique avait renoué avec lui sous la forme du Bouddha cosmique. Les théories et les méthodes de la reconstitution de l'homme cosmique varient beaucoup, mais le noyau du mythe fondateur reste fondamentalement le même. Il en va de même pour les méthodes de médiation.

***

[1] Formes et structures des thérapeutiques traditionnelles (médecine et sorcellerie en milieu rural), Association Serest, Hugues Berton p. 18
[2] (Berton), p. 25
[3] (Berton), p. 30
[4] (Berton), p. 55 et 60
[5] (Berton), p. 80. Berton cite Eckhart à ce sujet : « Quand il y a une personne, il n’y a point de délivrance ; quand il y a une délivrance, il n’y a plus personne, car c’est de la personne que la délivrance délivre. »
[6] (Berton), p. 81
[7] (Berton), p. 82
[8] P. ext. [Dans la myth. antique, dans les légendes,...] Sacrifice, offrande. Tribut expiatoire. Les hommes d'autrefois, qui valaient mieux que nous, Acquittaient le tribut qu'on doit aux Dieux jaloux (A. FRANCE, Poés., Noces, 1876, p. 140). Je me faisais l'effet d'un ogre de légende, un de ces monstres de la fable antique, qui percevaient un tribut de chair humaine [en acceptant d'acheter des tickets de vie] (AYMÉ, Passe-mur., 1943, p. 83).
[9] (Berton), p. 83
[10] (Berton), p. 83