vendredi 21 août 2020

Les 10 types de fausses citations


Fausse citation circulant sur Internet [1]

Extrait de l'article Le noble art de mal citer Camus : de L'Étranger aux fausses citations sur internet de Giovanni Gaetani

1. Fausse attribution : phrase effectivement prononcée par quelqu'un mais attribuée à une autre personne par distraction ou intentionnellement ;
2. Paraphrase : transformation non signalée d'un texte en gardant pourtant le sens original ;
3. Citation impossible : phrase attribuée à quelqu'un qui jamais aurait pu la prononcer/écrire ;
4. Transcription erronée : surtout dans le cas des interviews ou des conférences, transcription erronée d'une déclaration par un journaliste ou par un auditeur ;
5. Invention : phrases inventée et attribuée à quelqu'un en mauvaise foi ;
6. Suppression ou correction non signalée : intervention cachée et illégitime dans un texte qui produit une déformation du sens original ;
7. Traduction erronée : choix inopportune et non signalée du traducteur ou simplement limite essentielle de la traduction en elle-même – traduttore-traditore !
8. Citation par cœur : modification inconsciente d'une phrase citée par cœur ;
9. Faute de frappe : erreur de saisie involontaire ;
10. Ipse dixit : faire allusion à une autorité qui aurait parlé avec l'auteur de la fausse citation.

***

[1] « Ma chère, au milieu de la haine, j'apprenais enfin qu'il y avait en moi un amour invincible. Au milieu des larmes, j'apprenais enfin qu'il y avait en moi un sourire invincible.
Au milieu du chaos, j'apprenais enfin qu'il y avait en moi une calme invincible. J'ai compris alors, à travers tout ça, que au milieu de l'hiver il y avait en moi un été invincible. Et ça me rend heureux. Parce que n'importe combien le monde pousse contre moi, il y a quelque chose de plus fort e de meilleur qui pousse dans l'autre direction.
Faussement votre, Albert Camus ».

mercredi 19 août 2020

De l’usage du terme « modernisme » dans le bouddhisme

La chute des anges rebelles, Peter-Paul Rubens

Le mot latin « modernus » est dérivé du mot latin « modus » (mesure), qui a pris le sens de « mode ». Ce qui est moderne est le/la « mode » ou la « mesure » d’une certaine époque, sur laquelle s’exprime de façon positive ou négative un groupe, qui peut se considérer moderne ou traditionnel. Le mot « traditionnel » est d’ailleurs souvent donné comme l’antonyme du mot « moderne ».

La première conscience de « modernité » daterait de la Renaissance, et marquerait une évolution par rapport au « mode » de l’antiquité et du Moyen-Âge. Selon International Encyclopedia of Social and Behavioral Sciences, le mot « modernus » est utilisé depuis le Vème siècle, pour discerner ce qui est « nouveau » et « actuel » de ce qui est « ancien » et « antique » (du latin antiques), et « pour décrire et légitimer de nouvelles institutions, de nouveaux codes ou de nouvelles assomptions scientifiques ».[2]

Parallèlement, ce qui est qualifié d’ « à la mode » ou « moderne » peut être considéré comme un progrès (ou « progressif ») par rapport à ce qui était « moderne » auparavant. La « modernisation » est alors la transformation de sociétés etc. « traditionnelles » en sociétés « modernes ». Toute évolution semble dans ce cas par définition être « moderne ». Même le rétablissement imaginaire d’un « ancien monde » est dans ce cas « moderne », voire l’établissement d’un « nouveau monde », qui ressemble à deux gouttes d’eau à une représentation du monde du XIXème siècle… Les « progressistes » d’antan deviennent du coup ceux qui voudraient continuer à vivre dans un monde ancien, et les traditionalistes d’antan deviennent « modernes ». En combinaison avec la Novlangue tout devient possible. En fait, ce sont ceux qui vivent un moment donné, en dominant leur époque, qui décident de ce qui est « moderne » ou « à la mode ».

La descente des modernistes, William Jennings Bryan[1]

Il en va un peu autrement pour le terme « modernisme », apparu à la fin du XIXème siècle, auquel l’affixe « -isme » donne une inclinaison péjorative. Ce terme désigne dans divers domaines (en pouvant prendre un sens spécifique dans chacun) un dépassement, voire un rejet, de l’ancien et/ou du traditionnel. En premier dans le monde de l’art. A l’époque industrielle, les choses s’accélèrent, et certains considèrent avec inquiétude des changements multiples et rapides qui les dépassent, et que d’autres peuvent même regretter. Pour ceux-là, les mots « modernisme » et « modernistes » (ceux qui pratiquent le modernisme) ont un sens péjoratif.

C’est notamment le cas dans la religion, et plus particulièrement dans le catholicisme au début du XXème siècle. Le terme « modernisme » est officialisé en 1907 dans l'encyclique de Pie X, sous-titrée « Lettre encyclique du pape Pie X sur les erreurs du modernisme ». Les « modernistes » visés sont des « progressistes », que l’on trouve parmi les philosophes, les croyants, les théologiens, les historiens, les critiques, les apologistes et les réformateurs ».

« Ce qui exige surtout que Nous parlions sans délai, c'est que les artisans d'erreurs, il n'y a pas à les chercher aujourd'hui parmi les ennemis déclarés. Ils se cachent et c'est un sujet d'appréhension et d'angoisse très vives, dans le sein même et au cœur de l'Église, ennemis d'autant plus redoutables qu'ils le sont moins ouvertement. Nous parlons, Vénérables Frères, d'un grand nombre de catholiques laïques, et, ce qui est encore plus à déplorer, de prêtres, qui, sous couleur d'amour de l'Église, absolument courts de philosophie et de théologie sérieuses, imprégnés au contraire jusqu'aux moëlles d'un venin d'erreur puisé chez les adversaires de la foi catholique, se posent, au mépris de toute modestie, comme rénovateurs de l'Église ; qui, en phalanges serrées, donnent audacieusement l'assaut à tout ce qu'il y a de plus sacré dans l'œuvre de Jésus-Christ, sans respecter sa propre personne, qu'ils abaissent, par une témérité sacrilège, jusqu'à la simple et pure humanité. » Pie X.

L’encyclique vise à extirper le mal à la racine (dans son propre sein comme ailleurs selon ses possibilités) avec des méthodes radicales (privation de sacrements, excommunication, condamnation d’oeuvres « modernistes » et de leurs auteurs, exclusion de séminaires et d’universités catholiques, sermon antimoderniste, réseau de renseignement antimoderniste, …).

L’usage du mot « modernisme », « carrefour de toutes les hérésies », ne se réserve cependant plus au seul catholicisme. Des docteurs en études religieuses, des bouddhologues, anthropologues etc. l’ont adopté depuis, pour stigmatiser les bouddhistes natifs et nouvellement reconvertis, qui depuis le XIX-XXème siècle, font des tentatives pour « moderniser » ou « reformer » les aspects jugés trop « traditionnels » du bouddhisme. Les « réformes » c’est très bien pour les domaines social, économique et politique, etc., mais les religieux, très souvent, n’en veulent pas. Leurs sources de vérités et de révélations se situent dans le passé (parfois un âge d’or), et les doctrines canoniques sont à pratiquer fidèlement et conformément ad vitam æternam.

Le bouddhisme est désormais une religion avec pignon sur rue, aumôniers de prison, émissions le jour du Seigneur, et dons déductibles. Les bouddhistes qui s’éloignent du dogme bouddhiste hardcore (karma personnel linéaire et réincarnation), par une interprétation « lénifiante » ("Lite") seront des bouddhistes « modernistes » ou « protestants » (le point de vue catholique semble fournir des arguments à la bouddhologie), et par conséquent des hérétiques perdus dans des « carrefour[s] de toutes les hérésies ».

Que des bouddhistes pieux ou des chefs bouddhistes fondamentalistes adoptent le terme « moderniste », cela peut se comprendre, mais je ne vois pas pourquoi des universitaires étasuniens et français, tenus à une certaine objectivité, l’utiliseraient pour disqualifier terminologiquement des bouddhistes natifs « modernes » (toujours aussi modernes depuis le XIXème siècle …), les bouddhistes occidentaux, ou néobouddhistes, quand ceux-ci s’éloignent trop du dogme « bouddhiste » figé, tels que le définissent (ou pas, le plus souvent) ces universitaires.

« Le bouddhisme » a évolué à chaque étape de « son » histoire, déjà au Magadha, du vivant du Bouddha, selon la tradition. Il s’est adapté (« modernisé ») dans chaque nouvelle aventure spatio-temporelle. Le dogme du karma personnel linéaire et de la réincarnation, avec l’éthique qui en découle, a été officiellement « mis à mal » dès Nāgārjuna et le Madhyamaka, ainsi que dans des formes de bouddhisme ésotérique. Pour une raison qui m’échappe, les universitaires anitimodernistes ne semblent avoir comme critère (moderniste/traditionnaliste) qu’une interprétation littérale du karma et de la réincarnation. Les actes, les causes, la maturation des causes, leurs fruits respectifs au moment opportun, les mondes cosmographiquement localisés, les individus et les vies y sont réifiés. Ce qui semble être demandé implicitement des « bouddhistes modernistes » est d’aimer « le bouddhisme » (tel qu’il est défini, ou non, par les universitaires anitimodernistes) ou de le quitter, ou sinon de se taire en subissant les multiples contradictions en silence, sans déranger les bouddhistes traditionalistes, sous peine d'être taxé de modernisme, orientalisme, colonialisme spirituel etc. Pie X n’est pas tout à fait mort… Il est légitime de faire cette association avec l'intégrisme catholique, car pourquoi choisir cette terminologie très marquée traditionaliste, pour disqualifier les « bouddhistes modern(ist)es », qui souhaitent pratiquer un bouddhisme compatible avec leur époque, au même titre que leurs frères et sœurs chrétiens, qui ne croient peut-être pas non plus de façon littérale à la création de la terre en sept jours, Adam et Eve, ou en la résurrection des corps ? Sont-ils pour autant des « chrétiens modernistes », des hérétiques, des néochrétiens ? Les universitaires qui utilisent cette terminologie disqualifiante seraient-ils au fond des traditionalistes qui s’ignorent ? Veulent-ils choquer ou effrayer les uns, tout en faisant plaisir à d’autres ? Veulent-ils garder les leaders bouddhistes traditionalistes en amis ? Leurs recherches seraient-elles financées par des organisations bouddhistes (qui d'autre financerait encore des recherches dans ce domaine) ? Pourquoi aiment-ils autant le terme « modernisme », pour l’utiliser si généreusement ? Il n’y a pas de « modernisme » sans « traditionalisme », aurait d’ailleurs pu dire Nāgārjuna.




[1] « This image scanned from the book Seven Questions in Dispute by William Jennings Bryan, 1924, New York: Fleming H. Revell Company, inside front cover. Unlike the other cartoons in that book, this one had not previously been published. It was based on a letter that Bryan wrote to the editor of the Sunday School Times magazine in January 1924. That letter is in the Library of Congress. See Edward B. Davis, "Fundamentalist Cartoons, Modernist Pamphlets, and the Religious Image of Science in the Scopes Era," in Religion and the Culture of Print in Modern America, ed. Charles L. Cohen and Paul S. Boyer (University of Wisconsin Press, 2008), on pp. 179-180. » Cartoon Wikimedia

[2] « According to International Encyclopedia of Social and Behavioral Sciences, “the term ‘modern’ (Latin modernus) has been in use since the fifth century AD to distinguish ‘new’ or ‘current’ from the ‘old’ or ‘antique’ (Latin antiques), especially as a means of describing and legitimizing new institutions, new legal rules, or new scholarly assumptions”. »