Der Wanderer über dem Nebelmeer, Caspar David Friedrich
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En Europe ce sera à partir du siècle des Lumières que les plus gros coups sont portés aux religions en général, et à la religion chrétienne en particulier. C’est à partir de la même époque que se levèrent des « traditionalistes ». Et des traditionalistes se manifestent à chaque fois que des traditions sont en danger. Quand la version de la tradition qu’ils veulent restaurer correspond plus à leur imaginaire qu’à la réalité du passé de la tradition en question, on les qualifie quelquefois de néo- suivi de la tradition spécifique qu’ils veulent sauver. Et en réalité, la tradition que l’on veut sauver ne sera jamais celle qui avait existé, elle sera forcément autre avec une prédilection pour tout ce qui la rendait emblématique.
En France, le mot traditionalisme (ou pérennialisme) est aussi utilisé pour désigner une pensée dérivée de René Guenon. La tradition en danger est alors la tradition primordiale (sophia perennis), toutes traditions religieuses confondues, mise à mal par le progrès, les Lumières, le matérialisme, l’individualisme, voire la démocratie etc., tout ce qui sape l’ordre primordial avec ses hiérarchies, ses castes et dont la destruction cause le kaliyuga, la crise du monde moderne (article critique agoravox). Traditionalisme s’oppose ainsi à modernité. La solution se trouve dans le passé. Un Traditionaliste qui veut restaurer l’ordre primordial et qui fait de la politique se situe forcément à droite, voire l’extrême droite, où il pourrait trouver des alliés de circonstance ou plus si affinités.
L’opposition traditionalisme-laicité est d’ailleurs le thème du dernier Houellebecq qui fait le rapprochement entre Traditionalisme guénonien et Islam « modéré » (selon Houellebecq) et qui fait se convertir un des personnages du roman, Rediger un guénonien, à l’Islam. Celui-ci écrit dans un article résumé ainsi par l’auteur :
« l'ensemble de l'article était un énorme appel du pied à ses anciens camarades traditionalistes et identitaires. Il était tragique, plaidait-il avec ferveur, qu'une hostilité irraisonnée à l'islam les empêche de reconnaître cette évidence : ils étaient, sur l'essentiel, en parfait accord avec les musulmans. Sur le rejet de l'athéisme et de l'humanisme, sur la nécessaire soumission de la femme, sur le retour au patriarcat : leur combat, à tous points de vue, était exactement le même. Et ce combat nécessaire pour l'instauration d'une nouvelle phase organique de civilisation ne pouvait plus, aujourd'hui, être mené au nom du christianisme ; c'était l'islam, religion sœur, plus récente, plus simple et plus vraie (car pourquoi Guénon par exemple s'était-il converti à l'islam ? Guénon était avant tout un esprit scientifique, et il avait choisi l'islam en scientifique, par économie de concepts ; et pour éviter, aussi, certaines croyances irrationnelles marginales, telles que la présence réelle dans l'Eucharistie), c'était l'islam, donc, qui avait aujourd'hui repris le flambeau. À force de minauderies, de chatteries et de pelotage honteux des progressistes, l'Église catholique était devenue incapable de s'opposer à la décadence des mœurs. De rejeter nettement, vigoureusement, le mariage homosexuel, le droit à l'avortement et le travail des femmes. Il fallait se rendre à l'évidence : parvenue à un degré de décomposition répugnant, l'Europe occidentale n'était plus en état de se sauver elle même – pas davantage que ne l'avait été la Rome antique au Ve siècle de notre ère. L'arrivée massive de populations immigrées empreintes d'une culture traditionnelle encore marquée par les hiérarchies naturelles, la soumission de la femme et le respect dû aux anciens constituait une chance historique pour le réarmement moral et familial de l'Europe, ouvrait la perspective d'un nouvel âge d'or pour le vieux continent. Ces populations étaient parfois chrétiennes ; mais elles étaient le plus souvent, il fallait le reconnaître, musulmanes. » (Soumission)Pour le Traditionaliste Rediger, ce ne sont pas les immigrés, ni les musulmans qui sont en cause, le déclin de l’occident étant en décomposition depuis longtemps, ils sont même des alliés dans son projet de la restauration des valeurs Traditionnelles. Les grandes religions sont d’ailleurs conscientes de son intérêt. En septembre 2001 avait eu lieu la « Deuxième conférence mondiale sur les religions du monde après le 11 septembre 2001 » qui avait pour objectif d’inclure des droits à la religion dans la déclaration universelle des droits del’homme, notamment :
« (4) Chacun a le droit que sa religion ne soit pas dénigrée dans les médias ou dans les maisons d’enseignementTout dépend évidemment de ce qu’il convient de comprendre par « dénigrer ».
(5) Il est du devoir de l’adepte de chaque religion de s’assurer qu’aucune religion n’est dénigrée dans les médias ou dans les maisons d’enseignement. »[1]
Il y a également pas mal de traditionalistes et/ou Traditionalistes parmi les boudhistes. Et pourtant, le Bouddha avait dit dans le très connu Kālama-sutta :
« O Kālamas, ne vous laissez pas guider par des rapports, par la tradition ou par ce que vous avez entendu dire. Ne vous laissez pas guider par l'autorité de textes religieux, ni par les simples logiques ou l'inférence, ni par les apparences, ni par le plaisir de spéculer sur des opinions, ni par des vraisemblances, ni par la pensée : 'Il est notre maître bien-aimé'. »[2]Puis les bouddhistes indiens du mahāyāna ont accentué le caractère provisoire du langage et de la méthode (sct. upāya), bref des instructions bouddhistes susceptibles de montrer le réel à ses adeptes. Pas la tradition, mais le réel. Selon Āryadeva, être centré dans le réel, protège contre tous les poisons et peut transformer tout poison en nectar, y compris dans « l'impasse du naturalisme et du matérialisme » (Houellebecq). Dans le bouddhisme, on s’adapte, et comme le monde et nous-mêmes changeons constamment, il devrait s’adapter constamment. Être centré dans le réel est l’objectif de la pensée éveillée, la bodhicitta, définie comme la pensée qui ne s’investit ni dans l’être ni dans le non-être et qui a pour objectif l’élimination de la souffrance, celle de soi comme celle des autres, sans distinction et habilement, et sans avoir peur de l’inconnu. Cela est très utopique, mais cela peut ré-enchanter le monde sans passer par la case Tradition (avec ses cortèges de nostalgiques) et sans « appel du pied aux traditionalistes et identitaires » (Houellebecq). En espérant que cela ne sera pas pris pour du blasphème ou du dénigrement, ou pire pour du bisounoursisme ou du boboïsme. Une Tradition réchauffée n'est jamais très appétissante et enchanteresse.
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[1] Le retour du blasphème
[2] Môhan Wijyaratna, La philosophie du Bouddha, p. 272
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