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mardi 25 février 2014

Données hagiographiques et vérité historique


L’histoire des origines racontée dans les traditions tantriques est surtout le produit de l’imagination humaine. Les véritables origines, inaccessibles, sont dissimulées derrière des écrans de fumée, mais sans trop d’effort comme pour signifier que l’essentiel n’est pas là. Dans les traditions bouddhistes universalistes et ésotériques, il n’y a pas de véritables Révélations, même si tout sera mis en œuvre pour les présenter comme telles : tout est upāya, tout est moyen provisoire. Il n’y a donc pas réellement de faux et de faussaires. Il y a cependant de très nombreux apocryphes et pseudépigraphies. Le genre romanesque, le roman et la nouvelle n’existent pas dans le bouddhisme, mais les procédés littéraires dont ils font usage n’y sont pas absents. Il suffit de lire les grands sūtra ou les introductions des tantra pour constater l’imagination débridée qui y est à l’œuvre. L’imagination débridée peut être contagieuse et c’est sans doute un des objectifs ici. Donner de l’élasticité à la pensée, la rendre plus malléable, plus libre, moins figée.

En même temps, les religions sont des entreprises très sérieuses. Elles ont pignon sur rue, doivent prendre soin de leur image, garantir l’authenticité et l’origine de leurs produits pour rassurer les clients plus frileux. Vous voulez des garanties ? On va vous en donner ! Les garanties n’engagent que ceux qui y croient. De toute façon, l’essentiel n’est pas là. Et les moyens sont provisoires. Voir par exemple la parabole des enfants dans une maison en feu dans le troisième chapitre du Sūtra de lotus.

Ceux qui veulent faire la part des choses doivent donc être prudents vis à vis des garanties avancées par les diverses traditions. Au Tibet, c’est surtout au moment de la « Renaissance tibétaine » que l’on commence à se préoccuper d’authenticité et de provenance des transmissions, qui deviennent par conséquent des arguments de persuasion décisifs dans un milieula concurrence est rude. On développe des critères permettant d’authentifier l’origine. Pour qu’une transmission (āmnāya) bouddhiste peut être admise en tant que telle, il faut qu’elle soit encadrée par une Parole du Bouddha (buddhavacana), un sūtra ou un tantra, ou à la limité par un traité (śāstra) prononcé par un futur Bouddha comme Maitreya. Ce sont les textes de référence qui doivent encadrer toute méthode provisoire (upāya) ou lignée aurale (snyan brgyud) ou proche (nye brgyud) qui descendrait de tel ou tel siddha ou de telle ou telle yoginī/ḍākīṇī. Cet encadrement est nécessaire pour la transmission de la grâce et du sceau du Bouddha.

La collection des Paroles du Bouddha (bka’ ‘gyur) dans une de ses nombreuses manifestations, donc des textes cadre, a été consolidée relativement tôt. Des « créations nouvelles » (par voie d’inspiration, de vision, de rêve, de « voyage astral » etc.) sont principalement possibles en tant que transmission (āmnāya) et doivent alors être formatées conformément à un tantra cadre. Il y a en gros deux cas de figure, la « lignée longue » (ring brgyud) et la « lignée proche » (nye brgyud). La « lignée longue » est une lignée « historique » ou plutôt hagiographique. Elle remonte au premier guru humain ayant reçu la transmission directement d’une divinité tantrique bouddhiste. C’est une révélation qui est considérée comme un événement quasi-historique. Ce premier guru humain est généralement un siddha ou yoginī reconnu. A partir de ce premier guru, la transmission passe de maître humain à maître humain, à travers les générations et les régions géographiques. Ce sont les hagiographies qui ont pour fonction de raconter (voire réparer) la transmission dans le cadre d’une « lignée longue ».

Pour les « lignées proches », c’est beaucoup plus simple. Un maître tibétain, en général, a une vision, ou fait un rêve d’une divinité, d’un siddha ou d’une yoginī, qui l’instruit directement. Alternativement, il peut faire un « voyage astral » vers une région fréquentée dans le passé par les siddha et les yoginī, rencontrer ceux-ci et recevoir directement d’eux la transmission. Il compose alors le texte de la pratique (sādhana) et éventuellement un commentaire. Ce maître est souvent un personnage historique bien connu. La lignée à partir de lui est souvent authentiquement historique. Paradoxalement, les lignées proches sont plus historiques que les lignées longues, ou du moins plus fiables d’un point de vu historique. Le pouvoir du voyage astral est un siddhi, donc déclarer que l’on a reçu une transmission de cette façon, reviendrait à dire que l’on a ce siddhi, et que l’on est un siddha soi-même Le bouddhisme met en garde ceux qui rendent publique leurs propres réalisations.

Comme vu ci-dessus, les transmissions (āmnāya) remontent à des siddha et des yoginī qui fréquentaient les « lieux de puissance » (śakti pīṭha) et qui, puisqu’ils sont immortels, les fréquentent toujours de façon immatérielle. Pour les bouddhistes ésotériques tibétains, le lieu de puissance emblématique était et est toujours Oḍḍiyāna ou Uḍḍiyāna, le pays où, selon Orgyenpa[1] (‘o rgyan pa rin chen dpal 1230-1309) toutes les femmes sont des ḍākīṇī. C’est ici que vécurent de nombreux mahāsiddhas dont les vies étaient racontées par Abhayadattaśrī. C’est ici que l’on retrouve la dynastie des rois bouddhistes du nom d’Indrabodhi/indrabhūti. C’est ici, que le tantrisme bouddhiste serait né selon la tradition tibétaine. Oḍḍiyāna est connu comme le pays originaire de Padmasambhava, aussi connu sous le nom de Gourou Rinpoché, le précieux guru d’Oḍḍiyāna, à l’origine de l’école des Anciens (rnying ma). Oḍḍiyāna est considéré comme le berceau et la source du bouddhisme tibétain. Dans le bouddhisme tibétain, une transmission qui est originaire d’Oḍḍiyāna, par une lignée longue ou directe, est forcément authentique. Et c’est par conséquent l’origine favorite pour authentifier une transmission. Oḍḍiyāna est par ailleurs le Shangrila des tibétains, c’est leur utopie et leur modèle.

Tout cela pour dire qu’il faut être plus que prudent en se servant de sources hagiographiques tibétaines pour tenter d’en ressortir des faits historiques. Tout texte attribué à un maître d’Oḍḍiyāna est suspect par rapport à son origine, jusqu’à la preuve du contraire et sans préjudice de la valeur propre du contenu du texte transmis. Ce n’est pas le sujet. L’origine des tantras bouddhistes et non bouddhistes est obscure à dessein. L’objet des tantras ne se situe de toute façon pas dans le domaine empirique. Tout comme les romans, ils ont besoin de fictionnel pour fonctionner, pour recréer (voire rejoindre) un monde pur. Il ne faut pas mélanger les domaines. Il faut être très prudent par rapport aux attributions, surtout dans le cas de figures ou de pays légendaires, et dans ce cas plutôt se baser sur l’époque où un texte a surgi et sur la personne qui l’a reçu, (re)découvert, mis par écrit, diffusé, transmis à son tour… On risque de moins se tromper qu’en suivant simplement les attributions et les sources hagiographiques.

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[1] Ce nom lui a été donné après son voyage à Oḍḍiyāna. Il signifie « Celui d’ Oḍḍiyāna »). Il a écrit :  “All women in Uddiyana know how to turn themselves by magical art into any form they want; they like flesh and blood and have the power to deprive every creature of its vitality and strength.” Giuseppe Tucci, On Swat: Historical and Archaeological Notes (Rome: Istituto Italiano per l'Africa e l’Oriente, 1997). 29.54.

jeudi 22 août 2013

Transmissions récentes du Kalacakra



Le cycle de Kālacakra (T. dus kyi ‘khor lo) a pour objet le Temps (kāla) et les cycles (cakra) des planètes. Il est souvent considéré comme le sommet du vajrayāna. Il s’est répandu au Tibet à travers deux transmissions, appelées les systèmes de rva (T. rva-lugs) et de ‘bro (T.'bro-lugs), qui descendent respectivement de rva Lo tsA ba Chos rab (né en 1016) et de 'bro-ston Lo tsA ba dKon-mchog srung. Le dernier système était ultérieurement transmis au sein l’école Jonang, dont les monastères furent annexés au 17ème siècle par le cinquième Dalai-Lama (1617 - 1682). La transmission du Kālacakra s’est cependant poursuivi. Et le premier Kalou Rinpoché (1905 - 1989) fut le détenteur à la fois de l’école Shangpa kagyu comme de la tradition de Kālacakra du système Drolouk.

Il avait transmis « la cape de Kālacakra » à son disciple Bokar Rinpoché (1940-2004). Il semblerait que le premier Kalou Rinpoché n’avait pas pu transmettre la totalité des six yogas du système du Kālacakra à son successeur, ne disposant pas de tous les textes nécessaires en Inde. Il semblerait aussi que la tradition Jonang ne se soit pas éteinte au Tibet, car il n’y a pas très longtemps on y aurait redécouvert des monastères Jonangpa. Bokar Rinpoché avait souhaité compléter la transmission des six yogas du Kālacakra en invitant Khenpo Kunga Sherab (1936- ) de Dzamthang (Tibet) au mois d’avril-mai en 2004 au monastère de Mirik. Le Dalai-Lama aurait également reçu cette transmission du même maître. Il aurait d'ailleurs reconnu l’école Jonang comme une "cinquième école" du Tibet et fait don d’un terrain à Shimla en Inde, où fut construit le siège Jonangpa indien Takten Phuntsok Choeling Monastery.

Selon Wikipedia, Bokar Rinpoché transmit la cape de Kālacakra à son disciple Kenchen Kyabje Donyo Rinpoché, qui est l’actuel détenteur de cette transmission. Il lui avait également laissé la charge du monastère Bokar Ngedon Chokhor Ling à Mirik. L’enseignement et la pratique du Kālacakra Tantra y prend une place importante. Tous les ans au printemps, le grand rituel de Kālacakra y est conduit. Un centre de retraite a pour programme les six yogas de Niguma et le Kālacakra tantra. En 2011, Kenchen Kyabje Donyo Rinpoché avait donné un cycle d’enseignements sur le Kālacakra Tantra à des khenpos venus du Bhoutan et du Népal.

Yangsi Kalou rinpoché est l’actuel détenteur de la transmission Shangpa Kagyu.

MàJ22082013 Dan Martin nous signale que Khenpo Donyo Rinpoché a publié (en 2005) une Histoire du Kālacakra (dus 'khor chos 'byung in+dra nI la'i phra tshom) qui compte 727 pages. Elle est disponible au Tibetan Buddhist Resource Center sous la référence TBRC W00EGS1016994. 

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Illustration : palais du maṇḍala de Kālacakra construit à Dzamthang (Tibet) selon la tradition de Tāranātha.

mercredi 31 octobre 2012

Vérité historique et histoires édifiantes



Chapitre 13 du Discours du roi pancréateur, personnification de la conscience éveillée (S. bodhicitta), selon ses propres dires la source commune de toutes les traditions (T. chos thams cad kyi spyi lung), explique qu’il y a cinq principes d’enseignement (T. bshad lugs rnam lnga), qu’une transmission religieuse doit suivre. Ces cinq sont respectivement 1. Le principe historique (T. lo rgyus don) 2. le principe fondamental (T. rtsa ba'i don ) 3. Le principe yoguique (T. yo ga'i don) 4. le principe fonctionnel (T. dgos pa'i don) 5. Le principe descriptif (T. tshig gi don), qui a pour but de conduire à l’expérience non-discursive (T. mi rtog don). Voir l'article de Jim Valby. Je me limiterai ici au principe historique, qui a pour fonction d’inspirer confiance (T. yid ches pa'i khungs ).
« Hé, grand être !
La raison du principe historique
Est de commencer par inspirer confiance en la source
La transmission du principe historique explique
La transmission de la grâce naturelle
La transmission de l’autorévélation de l’essence
La transmission des descriptions du sens
. »[1]
Le terme « lo rgyus » n'est sans doute pas la meilleure traduction et ne peut pas traduire notre « histoire » dans le sens de « Recherche, connaissance, reconstruction du passé de l'humanité sous son aspect général ou sous des aspects particuliers, selon le lieu, l'époque, le point de vue choisi; ensemble des faits, déroulement de ce passé. » (Atilf). La fonction de « lo rgyus » est d’inspirer « confiance en la source », tandis que l’histoire aurait plutôt pour but de ré-établir des faits historiques et leur déroulement chronologique.

Andrew Quintman[2] résume un peu les échanges en matière de « lo rgyus » qui ont eu lieu parmi quelques tibétologues. Le niveau historique des textes qui sont dits appartenir au genre « lo rgyus », est souvent celui de la « Légende dorée » de Jacques de Voragine. Ils peuvent contenir des faits historiques, mais il est difficile de faire la part entre fait historique et la légende. La Légende dorée a d’ailleurs un objectif très proche du « principe historique » du Roi pancréateur : inspirer confiance en la source. C’est donc plutôt de l’histoire édifiante que de l’histoire.

Les exigences en matière de vérité historique ont beaucoup évolué depuis l’époque (13ème siècle) de la légende dorée, et des textes de ce type n’inspireront sans doute plus confiance en la source par leur vérité historique. Il faudra donc sans doute s’y prendre différemment, pour ce premier principe de transmission du Roi pancréateur.

Les traditions indiennes, et par là tibétaines, ont deux caractéristiques qu’il ne faut jamais perdre de vue. Elles sont des révélations (śruti) et elles se veulent édifiante, dans le sens (sotériologique) qu’elles ont pour but de conduire à la libération. Même le bouddhisme, qui se défend[3] d’être une révélation, fonctionne à tout égard comme une révélation. C’est encore plus vraie pour le bouddhisme tantrique qui est obligé de suivre les prescriptions d’une transmission tantrique (S. paramparā T. brgyud pa). La vérité a été énoncée dans le passé et ne peut être que ré-actualisée et commentée. La tradition peut évoluer en « amendant » la révélation première, par le biais de commentaires, traités, cycles d’instructions etc., mais qui doivent toujours s’appuyer sur un sūtra, un tantra, bref une parole de Bouddha (S. buddhavacana T. bka’). Dans le bouddhisme des auditeurs, il existe déjà le cas de figure de disciples enseignant à la place du Bouddha, et dont le Bouddha authentifie le discours. Tout ce qu’a dit le Bouddha est bien dit. Mais il y a aussi le cas d’Uttara (Uttara sutta AN 8.8), qui déclare : « [tout] ce qui est bien dit, est une parole du Bienheureux ». Ce qui ouvre des perspectives.

Comment faire dans une telle tradition, si on a eu une doctrine, une expérience, une méthode… à transmettre qui n’appartient pas à la révélation « historique » ? En premier, en faisant du bouddha historique un Bouddha atemporel et cosmique qui dans son corps de communication (S. sambhogakāya) enseigne continuellement et qui peut initier des nouvelles traditions. Ce Bouddha, siddha ou ḍākinī peut se manifester dans une vision, un rêve etc., transmettre une tradition (T. lung) ahistorique (T. nye brgyud) particulière à un personnage historique qui en devient ainsi le premier détenteur humain.

Il y a le cas de traditions qui auraient été enseignées par des maîtres dans le passé, qui en donnaient quelquefois l’exclusivité à un seul disciple de sa génération, lequel disciple fit pareil et ceci pendant quelques générations. Pendant tout ce temps, cette tradition fut « cachée » et détenue par une seule personne. Ce type de transmission s’appelle « transmission exclusive » (T. gcig brgyud). Cette injonction d’exclusivité pourrait s’étendre sur 5 ou 7 générations. Le dernier détenteur pouvait alors la diffuser librement  et c’est souvent celui-ci qui la mettait par écrit. C’est donc un type de transmission orale.

Il y a le cas de maîtres qui, jugeant que les conditions d’une certaine tradition n’étaient pas réunies (persécutions etc.), auraient fait en sorte de les mettre par écrit, ou de les « composer », et de les dissimuler ensuite de diverses façons. Dans une époque future, où les conditions seraient enfin réunies, une personne qualifiée recevrait des signes et redécouvrirait les traditions ainsi dissimulées. C’est le cas des « trésors » (T. gter) et des découvreurs de trésor (T. gter ston). C’est la solution préférée des lignées nyingma et Bôn, mais pas exclusivement.

Il y a le cas de traditions qui auraient été récupérées en dehors du circuit officiel d’une transmission majeure, et qui auraient été réintégrées par la suite. C’est surtout le cas, une fois les grandes écoles et les grands centres établis ou en cours d’établissement. Les écoles et les lignées majeures se devaient d’offrir un package complet à leurs disciples, au risque de les voir partir pour recevoir ailleurs des traditions que leur « propre » école ne pouvait pas les offrir. Pour donner un exemple contemporain, si Apple sort un Ipad, ses concurrents sont obligés de suivre en développant des tablettes tactiles équivalentes. Si après l’époque de Gampopa, des maîtres Sakya proposent des traditions à haute teneur tantrique (qu’adorent les empereurs mongols et les couches supérieures de la société tibétaine), dont le siège de Gampo ne disposait pas ou ne diffusait pas pour diverses raisons, il y a une certaine urgence à se doter de ce type de tradition. Surtout quand le grand public commence à en prendre vent à cause des polémiques. Il s’agit alors de récupérer ce type de traditions par tous les moyens et de les intégrer dans l’offre de l’école. Il me semble que cela pourrait être le cas pour ce qui est de la transmission aurale (T. snyan brgyud) de Réchungpa et pour d’autres transmissions aurales…

Que des intuitions, des supputations, des spéculations de ma part, mais qui méritent d’après moi un examen approfondi, dans la mesure du possible. Car quasiment toute « l’histoire » tibétaine dont nous disposons sont justement des histoires (T. lo rgyus), où sont confondus des faits historiques, des personnages historiques avec des évènements plutôt subjectifs et où interviennent des êtres spirituels atemporels, des figures légendaires ou des personnages historiques décédés depuis longtemps... Il me semble que pour une tradition qui enseigne que « La libération n'est que la cessation de l'erreur »[4], ce serait la moindre des choses d'y mettre un peu de l'ordre. Ceux qui aiment le rapprochement entre le bouddhisme et la science, que soutient Sa Sainteté le Dalai-Lama, devraient même s’en réjouir.

Si l'on considère ces différents types de transmission et les histoires qui les entourent comme des procédés littéraires[5] qui ont pour objectif d'être édifiant et d'inspirer la confiance, il n'y a pas de problème. Mais les prendre pour des faits historiques dans le sens contemporain du mot, serait une erreur.

***


Sacré Graal du Monty Python. Discussion entre le roi Arthur et Dennis le paysan autogéré (à 2:00)


Woman: Well how'd you become king then? 
[Angelic music plays... ] 
King Arthur: The Lady of the Lake, her arm clad in the purest shimmering samite held aloft Excalibur from the bosom of the water, signifying by divine providence that I, Arthur, was to carry Excalibur. THAT is why I am your king. 
Dennis: [interrupting] Listen, strange women lyin' in ponds distributin' swords is no basis for a system of government. Supreme executive power derives from a mandate from the masses, not from some farcical aquatic ceremony. 
Dennis: Oh, but you can't expect to wield supreme executive power just because some watery tart threw a sword at you. (Source

Notes :

[1] kye sems dpa' chen po
lo rgyus don gyi dgos pa bstan pa ni
dang por yid ches pa yi khungs bstan phyir
lo rgyus don gyi bshad lugs bstan pa ni
rang bzhin byin gyis brlabs kyi bshad lugs dang
rang gi ngo bo bstan pa'i bshad lugs dang
don gyi sgra tshigs bsdebs pa'i bshad lugs so

[2] Andrew Quintman :
« The use of the term lo rgyus in this context is of particular interest and while its translation here as “history” or “historical” may be controversial it is, I think, not unwarranted. The word has been rendered variously as “history,” “chronicle,” and “annals,” in some cases it is better understood more generally as “story” or “account.” Leonard van der Kuijp has noted that the term—in his rendering, literally “tidings of the year[s]”—frequently refers to works that “do not fulfill what is promised by such a rendition, that is to say, they do not at all give a year-by-year account of their subject matter, but rather present a narrative of events, historical, quasi-historical, or even ahistorical, in rough chronical sequence.”

Dan Martin makes a similar point, invoking A. I. Vostrikov’s classic study Tibetan Historical Literature, which is worth citing in full:

‘Lo-rgyus (‘history’ or “story,’ although in its etymology it apparently means ‘years familiarity’)…is by far the broadest genre-term that we might translate as ‘history,’ covering as it does both the secular and the religious, but as pointed out long ago by Vostrikov (THL, p. 204), lo-rgyus are often simply narrative works, or ‘stories,’ that may have little to do with history as such.’

The term lo rgyus is also found in the titles of some biographical works, where indeed it seems to imply a narrative account in the most general sense. I do not wish to make a general claim here on the semantic range of the compound rnam thar lo rgyus, although I will later return briefly to the question of this term and the category of writing it might describe. Here, I will simply note that Zhi byed ri pa’s emphasis does not seem to rest on understanding lo rgyus as simply “story” or “narrative.” The rnam thar lo rgyus is not simply a collection of “biographical anecdotes.” Rather, he uses the term to make a specific claim on the veracity, and therefore the authenticity and authority of his biographical account vis-à-vis the wider biographical tradition. »

[3] Arguments de type Kalama sutta.

[4] thar pa nor ba zad tsam nyid/ Mahāyāna- sūtrālaṅkāra IX, 3 Voir aussi « Liberation is only cessation of nescience » Brihadaranyaka Upanishad.4.4.6.S.B--- tasmaat avidyaanivr.ttimaatre mokshavyavahaaraH-------sarpaadinivr.ttiH. Cité par Gampopa Le Précieux Ornement de la libération (folio 170B/Guenther p. 261). Gampopa précise que ces amis spirituels lui avaient enseigné que le bouddha authentique (S. samyaksambuddha) est le corps des qualités éveillées (S. dharmakāya), un terme conventionnel désignant la fin de toute méprise ou le contraire de l'être propre. (Guenther p. 261, Thargyen 170b yang dag par rdzogs pa'i sangs rgyas dngos ni chos kyi sku yin la/ chos kyi sku zhes bya ba ni/ nor ba thams cad zad pa'am/ rang bzhin log pa tsam zhig la/ de skad du tha snyad byas pa tsam yin/

[5] Par exemple quand un auteur explique dans son introduction qu'il est possession d'un document étrange, obtenu de façon mystérieuse, et qu'il nous assure qu'il s'agit bien d'un cas réel. Le fait de savoir qu'il s'agit d'un fait réel ajoute au plaisir de la lecture. C'est d'ailleurs le principe des "reality shows" à la télé. Un petit-fils de Freud aurait dit, étant petit, ne pas aimer les contes de fée, car il ne s'agissait pas de faits réels.

lundi 11 octobre 2010

Sauver Milarepa et Gampopa



La tradition distingue deux courants dans la lignée Kagyupa, la "lignée de la pratique" (T. sgrub brgyud) qui passa par Milarepa et Gampopa et la lignée de l'exégèse" (T. bshad brgyud spécifiquement des yogatantra supérieurs), qui passa par rngog et les autres deux condisciples de Milarepa. La tradition ne fait cette distinction que rétrospectivement quand Gampopa et ses descendants spirituels directs se sont fait attaqués sur leur manque d'affiliation et de matériaux "Herukistes", à une époque où l'état de bouddha parfait est considérée n'être qu'à la portée de ceux qui suivent le chemin du Heruka. Il convenait alors de prouver que ces matériaux avaient transité par tous les détenteurs de la lignée.

Il ne suffisait pas d'acquérir ces matériaux qui manquaient initialement, encore fallait-il prouver que tous les détenteurs de la lignée les avaient reçues également pour les transmettre validement. Les matériaux "Herukistes" ont pris de l'ampleur après Gampopa, c'est un fait. Mais étaient-ils passés par Gampopa ? Dans le cas d'une réponse négative, le doute serait légitime : si Gampopa ne les avait pas reçu de Milarepa, est-ce que celui qui était le disciple le plus illustre de Marpa les avait au moins reçus de ce dernier ? Ce n'est pas certain et pratiquement impossible à prouver.

C'est ici que les deux lignées portent secours. Dans cette optique, les matériaux "Herukistes" ont été transmis par un autre canal, celui de la lignée de l'exégèse. Mais cela n'enlève pas totalement le doute. Si Milarepa n'avait pas eu accès aux matériaux "Néo-herukistes", comment a-t-il pu devenir un parfait Bouddha/Heruka ? Car c'est de cet accès et de cette affiliation que dépendra la parfaite bouddhéité à partir du 13-14ème siècle.

Dans la Vie de Milarepa, son auteur, le "yogi fou de Tsang", le fait étudier le Hevajra Tantra avec rngog (chos sku rdo rje). Si Milarepa n'avait peut-être pas transmis les matériaux "Néo-herukistes", il y avait au moins eu accès. Dans leurs hagiographies très succinctes de la vie de Milarepa, Gampopa et Zhang (zhang g.yu brag pa brtson 'gru brags pa 1123–1193) mentionnent une année d'apprentissage chez rngog. Gampopa précise qu'il y avait appris les instructions de la lignée de pratique (T. sgrub rgyud kyi gdams ngag) sans l'opposer à une lignée de l'exégèse, et Zhang ne donne aucune précision. En revanche, dans sa biographie de Gampopa, Zhang se montra critique des lignées qui n'étaient pas passées par Gampopa. Gampopa ne distinguait pas une lignée de pratique d'une lignée d'exégèse.[1]

Pour la transmission du Cycle des neuf cycles de la ḍākinī incorporelle, d'autres muses avaient été appelées à la rescousse. Ces instructions, que Tillipa aurait reçues directement de la ḍākinī, étaient transmises à Naropa, qui les aurait ensuite passées à Marpa, qui les passa à son tour à son propre fils Tama Dodé (T. Dar ma mdo sde) dans le cadre d'une transmission unique exclusive (T. gcig rgyud). Pour rappel, celui-ci meurt prématurément, mais grâce à sa maîtrise des instructions du transfert de la conscience (S. para-kāya-praveśa T. 'grong 'jug) ainsi reçues, il put transférer son principe conscient dans un pigeon voyageur, qui s'envola pour l'Inde où un autre transfert eut lieu dans la dépouille d'un jeune brahmane, qui deviendrait le maître Tipupa. Tipupa, étant un disciple direct de Naropa put recevoir "de nouveau" le Cycle des neuf cycles de la ḍākinī incorporelle et lorsque Rechungpa venait le voir à Mithilā, il les lui transmit. La transmission ininterrompue était sauve.

Toute cette épisode que Peter Roberts[2] raconte en détails et selon toutes les versions différentes fourmille d'indications intéressantes. Rechungpa les rapporta à Milarepa, qui les aurait alors transmis à un certain Ngendzong Teunpa (T. ngan rdzong ston pa alias Bodhirāja ou byang chub rgyal po) qui l'aurait suivi de 1106 à 1123 (Roberts p. 63) et qui, selon Jamgon Kongtrul, est à l'origine de la transmission orale de ce cycle sous le nom de "Transmission orale de Cakrasaṁvara" (T. bde mchog snyan brgyud) que le fou de Tsang avait mis par écrit (15-16ème siècle). Toujours selon Jamgon Kongtrul, il existerait même une troisième transmission, orale également, de Gampopa (T. dwags po snyan rgyud), que Rechungpa aurait donnée à Gampopa, et ce dernier à ses disciples.[3]

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Illustration : thangka représentant Milarepa flanqué de Gampopa et Rechungpa.

[1] The Biographies of Rechungpa: The Evolution of a Tibetan Hagiography de Peter Alan Roberts p. 69.
[2]
The Biographies of Rechungpa
[3] ibid. p. 2