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dimanche 25 mars 2018

L'irrésistible énergie intérieure du maître


Ven. Lama Dondrup Dorje activating students chi to clear blockages in channels 
Un début de réflexion, sans doute maladroit, sur l’ascendance d’un maître dit éveillé. Inspiré par une discussion sur le groupe Open Buddhism en septembre 2017, sur l’atmosphère créé autour de Trungpa par ses disciples (anecdote sur Tail of the Tiger racontée par Reginald Rey). Cet élément de la discussion semble avoir disparu. L’anecdote pourrait faire croire que Trungpa avait un charisme difficile à soutenir. Quel est la nature de ce type de charisme ?

Le charisme c’est être le centre de toute attention, un peu malgré soi, sans y paraître. A l’origine, le charisme est une grâce accordée par Dieu, donc une grâce naturelle. Par extension (façon de parler pour un athée), c’est une « autorité, fascination irrésistible qu'exerce un homme sur un groupe humain et qui paraît procéder de pouvoirs (quasi) surnaturels » (Atilf). Pour Max Weber le charisme est la croyance en la qualité extraordinaire d'un personnage. Tout en paraissant « naturel » et une « grâce accordée par Dieu », le charisme demande du travail, beaucoup de travail ou de conditionnement. Le charisme et la majesté sont similaires, à la différence que le conditionnement de la majesté vient souvent avec des attributs (architecture de grandeur, étiquette et pompe) et est plus visible que celui du charisme « naturel », qui conditionne plutôt à l’aide de concepts de simplicité et de sobriété, mais qui n’en fait pas moins.

S’entourer de faste (maṅgala) c’est augmenter son capital charismatique. Mais l’art du charisme « naturel » ou inné doit presqu’aller en sens inverse. N’oublions pas qu’en Mésopotamie, le roi pouvait être un simple berger, dûment oint et entouré de faste, étiquette et pompe. Au Tibet, des gens d’origines très simples pouvaient finir sur le trône du pontife d’un centre administratif-religieux. Leur potentiel de charisme inné devait être rendu visible pour tous, pour qu’il puisse opérer conformément.

Chogyam Trungpa (1939-1987) semble avoir donné quelques clés à ses disciples, pour travailler leur charisme. Dans le bouddhisme autoritaire, le charisme c’est l’éveil. Trungpa parlait d’ « évoquer l’éveil » (evoke awakening), ou l’éveil devient comme un synonyme de « présence » pourrait-on dire. Comment faire pour rendre son propre éveil perceptible aux autres ? Le genre d’instructions qu’il donna était au départ destiné aux acteurs du groupe Mudra. Comment faire pour avoir de la présence sur scène ou sur l’écran ? Une bonne élocution était également indispensable au « travail sur la forme », que Trungpa appella Mudra Space Awareness, « la pleine conscience à l’espace du geste ».[1] Il enseigna à son groupe de théâtre Mudra comment « développer une présence qui naît d’une manière d’être physiquement et psychologiquement en relation à l’espace. »[2] Il est essentiel pour cela de commencer par faire naître une sensation de sympathie pour soi-même, autrement dit de prendre conscience de sa légitimité.
« Pour apprendre à être en relation avec l'espace, il nous faut apprendre à intensifier le corps et à construire des situations à aussi forte intensité que possible. Pouvez-vous essayer simplement de sentir l'espace autour de votre corps ? Tirez vos muscles comme si l’espace était en train de se ruer sur vous. Serrez les dents et les orteils. (...) Très étrange à dire : pour apprendre à vous détendre, vous devez faire croître une tension vraiment compacte. Vous pouvez expirer et inspirer, mais ne reposez pas votre respiration, créez simplement une intensification totale. Alors vous commencez à sentir que l’espace se referme sur vous. Pour être en relation avec l'espace, il vous faut être en relation avec la tension. » […] « La seconde série d'exercices d'intensification comprend aussi trois exercices : apprendre à être debout, une pratique de marche, une danse monastique. »[3]
Il existe d’autres exercices et moyens pour étendre notre présence dans l’espace, et éventuellement de prendre de l’ascendance, … naturellement ? Pour apprendre à être présent à l’espace, Trungpa apprit les vajra guards ou Dorje Kasung à marcher, il enseigna à ses étudiants la façon de manger oryoki, l’art du tir-à-l’arc (kyudo), l’art du faire du thé (chado). Il les apprit à porter un costume cravate (« sympathie pour soi-même », se sentir légitime). Pour ses cours d’élocution, il apprit à Carolyn Rose Gimian de prononcer les mots façon Oxford (« Oxonian »).[4] Trungpa lui-même et Dame Diana Mukpo (sa femme) pratiquaient aussi l’art de faire du cheval. Tout cela constitue un art de la simplicité (« Art of Simplicity : Discovering Elegance » The Collected Works of Chogyam Trungpa, vol. 7), qui permet de développer un charisme simple, une élégance, une ascendance, une présence, un éveil perceptible… Son fils, le sakyong Mipham, a continué à développer l’art de la majesté naturelle à Kalapa Court. Cela a pour effet que l’éveil semble indissociable d’une sorte de noblesse réelle (de naissance), en plus de celle du cœur.

Sakyong Mipham et sa femme à la Court de Kalapa, entourés de leur équipe de cuisiniers 
Afin d’éviter de boxer son ombre en s’efforcant de développer la simplicité, cet art est présentée comme quelque chose de naturellement présent que l’on découvre graduellement, au lieu d’un art qu’on développe. Comme l’idée de quelqu’un bien né qui serait doté d’un bon goût naturel et qui confirme son bon goût au fil des beaux gestes, des œuvres d’art, de la gastronomie, des bons vins, etc. dont il se délecte. Ce bon goût, cette élégance naturelle s’inscrit alors dans un parcours de découvertes et de jouissances.

L’élégance permet à la personne charismatique (qui ne sort jamais de son rôle) de paraître présente et éveillée, même en l’absence de toute pompe, qui ne serait que l’écrin qui met en valeur son charisme naturel …

Vers la fin de la vie de Trungpa et durant sa maladie, l’élocution fit place à un regard fixe en silence posé sur un disciple[5], une sorte de darshan. Il existe des milliers de portraits de lamas tibétains regardant droit dans la caméra, d’un air contemplatif, ou encore le regard dans le vide, que décrit très bien David Dubois. Cette attitude ou posture (mudrā) semble vouloir communiquer une sorte de non-attitude, mais reste néanmoins une attitude. Tout est geste. Le geste peut-il exister indépendamment du reste ? L’éveil (à l’espace) et la présence, dont parle Trungpa, et qui semble s’exprimer surtout, en prenant de la place, de l’espace, et par une sorte d’ascendance sur les autres, peuvent-ils exister sans tout ce qui le conditionne ? C’est-à-dire tout ce qui fait que les disciples restent à leur place ? (voire sont propulsés en arrière par l’énergie interne du maître) Ces qualités sont-elles alors véritablement naturelles et innées ?

La photo du maître, qui pour le disciple dévot est une pure expression de l’éveil et qui peut lui faire ressentir une profonde émotion n’a aucun effet sur quelqu’un qui ne connaît ni le maître, ni même le bouddhisme tibétain. Quelqu’un qui ne sait pas qu’elle représente la réincarnation d’un grand bodhisattva, qui, sacrifiant son propre nirvāṇa, est descendu dans un être ordinaire afin de sauver tous les êtres du saṁsāra. Un véritable Bouddha, dont la simplicité extrême déroute et est terriblement touchante. Émotion qui semble être provoquée par l’énorme distance entre son côté extraordinaire imaginaire, divin, et son aspect on ne peut plus ordinaire. Pour une raison obscure, celui qui ignore tout du Bouddha qu’il est, pourrait passer à côté de ses qualités extraordinaires et ne pas ressentir le charisme naturel. Il n’y est pas sensible. La même chose pourrait arriver avec un grand artiste, philosophe, médecin, ou autre célébrité. La différence ici étant que l’on semble travailler directement ce charisme, qui normalement n’est qu’un produit dérivé : le simple rayonnement d’autres qualités présentes.

Pour que vive l’idée de ce type de charisme, il faut que tout le reste (ses rapports de force) reste caché ou à l’arrière-plan, comme dans la prestidigitation. Dans l’anecdote racontée par Reginald Rey, Trungpa est simplement assis derrière une table de picknick à Tail of the Tiger. Personne présente n’ose s’en approcher, car la simple présence ou éveil de Trungpa suffit pour faire tomber les masques. C’est comme tous vous habits vous sont arrachés d’un coup et que vous vous trouvez nu devant lui. Reginald Rey est terrifié. Quand Trungpa tourne simplement le regard vers lui sans ne rien dire, il pense qu’il va défaillir ou mourir. Il fait tout un film dans sa tête en essentialisant « l’énergie interne » (l’éveil, le charisme, la présence…) de Trungpa, tout en faisant abstraction de tout ce qui rend « cette énergie » possible. C’est le contraire de ce qu’un disciple du Bouddha est censé faire… Et par cette vidéo et la façon de laquelle Reginald Rey raconte l’anecdote, en jouant avec les réactions du public (silences stratégiques), il contribue à créer l’atmosphère qui fera en sorte que d’autres disciples ressentiront une tension terrible devant leur maître, même si celui-ci est simplement assis derrière une table.

Dans les sociétés anciennes, les rois, les grands prêtres etc. étaient accompagnés de leurs pompes respectives, et ils n’avaient pas véritablement besoin d’un charisme « naturel ». Dans notre monde post-Lumières, post-révolutions, et de spectacle, on se méfie des pompes (qui ont cependant toujours le vent en poupe), et le charisme naturel (simplicité, naturel, élégance, présence, éveil…) est en train de devenir le nouveau charisme. Mais ce charisme simple, élégant, naturel, n’est pas inné, ce n’est pas une grâce de Dieu. Il ne peut pas exister sans des milliers de causes et conditions.

***

[1] Fabrice Midal, Trungpa, l’homme qui a introduit le bouddhisme en Occident, p. 187

[2] Trungpa, p. 192

[3] Trungpa, p. 193

[4] Elocution Lessons with Chögyam Trungpa, Part Two: Form as Practice,

[5] « In the last few months before he became ill, people often sat in a room with him for hours at a time with very little being said. He somehow made it impossible to talk at all. And he would stare very intensely at you sometimes, which I have heard is a form of the guru’s blessing, when he stares at you like that. I think this was actually a very profound period and a time when he gave ultimate transmission of some kind. But not everyone felt that way. »

jeudi 6 juin 2013

Pratiquer le cheval et d'autres sports



Ron Davidson a expliqué dans Tibetan Renaissance, comment de nombreux textes pendant cette période furent écrits au Tibet par des tibétains[1], tout en leur donnant une origine indienne approuvée. Des neuf textes du Cycle Lamdré, seul le premier, L’Inconcevable (S. Acintyākramopadeśa-nama T. bSam gyis mi khyab pa'i rim pa'i man ngag ces bya ba) atribué à Kuddālapāda, semble être authentiquement indien.

Dans le Cycle des neuf instructions du Lamdré, on compte généralement aussi une série de huit instructions « subséquentes », « grises » pour la plupart selon Davidson, que Drokmi aurait reçues et regroupées en un ensemble. Davidson donne un résumé des huit pratiques yoguiques subséquentes, basée sur un texte de Drakpa Gyeltsen (grags pa rgyal mtshan 1147–1216) intitulé « Le Livre jaune » (T. pod ser).

La dernière pratique de la série est la pratique avec une « mudrā », une partenaire (T. phyag rgya lam skor) et est attribuée au roi mythique Indrabhūti. Il y aurait eu trois personnages de ce nom, et certains croient qu’Indrabhūti serait aussi le Roi Ja ou Dza, connu dans l’école nyingmapa. Pour être plus précis, la pratique est basée sur des vers attribués à Indrabhūti, et que je traduis de l’anglais (traduction de Davidson), n’ayant pas accès au tibétain.
« Sur le cheval fait [=monté] par Devadatta,
Les quatre portes devront être ouvertes par le nāga.
Saississez le désir avec l’arc tendu
Augmentez-le par l’allure de la tortue
Bloquée, et accompagnée d’un soupir
La [bodhicitta] est conduite par la ceinture HIK. »[2]
La moitié du texte, plus volumineux que les autres, fait l’exégèse de ces vers cryptiques. Devadatta est le yogi tantrique bien préparé. Le nāga (serpent) est un accessoire qui doit être introduit dans le rectum de la mudrā (qui est ainsi « placée sur la selle »), de façon à ce que les quatre extrémités des canaux psychophysiques soient ouvertes et accessibles au yogi. Celui-ci maîtrise son désir à l’aide du mantral’arc »), ou le cas échéant, qui augmente sa puissance sexuelle par des mouvements ralentis (« l’allure de la tortue »). Il prévient l’éjaculation par l’arrêt du souffle (« le soupir ») ou en utilisant le mantra « HIK ».

Drokmi aurait reçu cette instruction de Prajñāgupta ou Guhya-prajñā, le fameux ācārya rouge, qui serait originaire d’Oḍḍiyāna et qui aurait été le disciple de Ratnavajra au Cachemire.

Davidson répète que ces huit textes n’ont pas d’origine indienne attestée.[3]

Rappelons l’origine des pratiques similaires dans la lignée de Khyoungtsangpa (T. khyung tshang pa ye shes bla ma, ou Jñānaguru), disciple de Réchungpa, pour lequel Andrew Quintman donne les dates 1115-1176.
« Shang Lotsawa (Zhang Lo tsā ba, mort en 1237), détenteur d’une lignée qui remonterait à Khyoungtsangpa, disciple directe de Réchungpa et source privilégiée a écrit deux textes qui montrent que ces pratiques étaient faites en secret derrière un écran de condamnation officielle (la théorie de Djamgoeun Kongtrul, voir ci-dessous). Dans le premier texte intitulé La compagne lumineuse de grande félicité (T. bde mchog snyan brgyud kyi 'od rig bde chen gyi gdams pa, attribué à Milarepa), explique Roberts[4], Shang lotsāva avertit les pratiquants qu’il faut utiliser une femme imaginaire (T. ‘od kyi rig ma, abrégé en 'od rig), car utiliser une vraie femme (T. las kyi phyag rgya) serait comme vouloir monter un cheval pour la première fois sans rênes et sans selle ; un désastre pour les deux parties... » 
Il ne s’agirait donc pas simplement d'une image (cheval, selle, rênes). Voyons maintenant la suite de l’anecdote de Ling Répa, que je raconte ici.
« Plus tard, il reprit une autre femme de Zangri (T. zangs ri) comme sa mudrā, mais il le regretta par la suite. Il la renvoya en lui disant de ne pas le suivre. Comme elle le suivait quand même, il s’est enfui au Kham. Elle avait par la suite tenté de le suivre là-bas, mais mourut en chemin. » 
L’anecdote[5] continue dans les Annales bleus (T. deb ther sngon po). Je traduis: A proximité de Zla-dgon, il y avait une forêt (qui vu de loin) avait l’aspect d’une femme. La femme de Zangri ci-dessus devint la fée de la forêt [ne me demandez pas comment]. [lho brag pa ?] Wa ston[6] dit alors [à Ling Répa] : « Bien que tu n’aies pas besoin de richesses, monte ce cheval et fait boullir ce thé ! » en les lui offrant. Ling Répa proposa à son tour le cheval à Phag-mo-gru-pa (qui généralement n’aimait pas les yogis mariés[7]), qui répondit : « Je n’ai pas besoin de cheval ! Donne-le à rgyal-ba Lo [ras pa 1187-1250] ! Il alla à Lo-ro et offrit le cheval à Lo et une turquoise à Sum-pa [ras pa, disciple de Réchungpa].

Les Annales bleus racontent aussi comment un descendant de Lama Ngog (rngog chos sku rdo rje 1036–1102), Ngog (rngog chos rdor) offrait une mudrā ou "assistante tantrique" (Roerich) à Ram [rdo rje] tsan.[8] Les mudrā, tout comme les chevaux et le thé étaient des biens d'échange.


***

[1] principalement sous la direction de Sachen Nyingpo (Sa chen kun dga' snying po 1092-1158) et de son fils Drakpa Gyeltsen, qui « se donnaient beaucoup de mal à les faire passer pour des œuvres indiens authentiques ». Davidson, p. 203

[2] On the horse made [i.e., rode] by Devadatta,
The four doors are to be opened by the naga.
Seize desire with the extended bow.
Increase it with the tortoise gait.
Since it is blocked and with a sigh,
The [bodhicitta] is carried in place by the hik girdle.

[3] « Any assessment of these eight subsidiary practices must indicate, as I have tried to do, that with one exception (Acintyākramopadeśa), they have no attested Indic text. » p. 203

[4] The biographies of Rechungpa

[5] Blue Annals, p. 663

[6] Disciple de spyan snga tshul khrims ‘bar (1038-1103), Blue Annals p. 285

[7] Blue Annals, p. 661

[8] Blue Annals, p. 407

mardi 19 octobre 2010

Mudra et Mahamudra selon le Hevajra



Si on souhaite réaliser, conformément aux règles, la Mahāmudrā à l'aide d'une mudrā, autrement dit par la pratique de la "karmamudrā", il faut avoir reçu les trois types de voeux (libération individuelle, de bodhisattva et de vidyādhara). Il faut être un "porteur de vajra" tel que défini ci-dessous :
Quand il n'y a ni contemplant, ni contemplation, ni objet contemplé, c'est là ce qu'on appelle réalisation de la suprême Réalité. Personne, là, n'agit ni ne jouit de l'action, car la contemplation de la Réalité suprême est au-delà de toute action ou jouissance. Il n'y a ni donneur ni preneur, car rien n'est à donner ou à prendre. Qu'ils regardent ou qu'ils écoutent, qu'ils parlent ou qu'ils rient, quelque saveur qu'ils goûtent ou quelque action qu'ils accomplissent, où qu'ils laissent aller leur esprit, les yogin qui contemplent sans cesse cette Réalité jamais n'en sont séparés. Voilà ce qu'on appelle la non-dualité, la suprême conscience d'éveil, le vajra, le vajrasattva, le totalement illuminé et l'illumination.[1]
Pendant la consécration de Hevajra, le "porteur de vajra" (S. vajradhara) , comme décrit ci-dessus reçoit alors une mudrā :
"Prends cette mudrā, ô porteur de vajra, et agis dans l'intérêt de toutes les créatures ! » Il prend donc cette jeune file, qui est nubile, et il la consacre avec le bodhicitta. Il lui enseigne la Doctrine en commençant par les dix règles de bonne conduite ; il lui apprend comment l'esprit doit rester fixé sur la forme de la divinité et concentré sur un seul objet. De cette manière, en un mois, elle sera sans aucun doute apte au culte. La jeune fille, ainsi libérée de toute idée fausse, est reçue comme un don. Mais l'adepte peut aussi susciter lui-même une mudrā en la faisant apparaître grâce à ses pouvoirs surnaturels, en la choisissant parmi les dieux, les démons, les hommes, les yakṣa ou les kinnara. Quoi qu'il en soit, il doit la prendre avec lui et accomplir le rite en étant convaincu qu'il gardera tout son sang-froid. En effet, cette pratique d'aspect redoutable n'est pas enseignée pour qu'on y trouve son plaisir, mais pour soumettre l'esprit à l'examen, éprouver si la pensée est stable ou vacillante."
On peut recevoir une mudrā comme un don de celui qui confère l'initiation ou comme un cadeau échangé entre maîtres vajra[2], ce qui en dit long sur la position de la femme... On peut aussi comme Milarepa, selon les hagiographies de Ngen dzong et Tsangnyeun, en choisir une parmi les non-humains, la démone Tseringma dans son cas.

Ensuite on peut se poser la question, avec Vajragarbha, comment cette jeune fille "libre de toute idée fausse" leur permit de parvenir à la perfection (S. siddhi) authentique de la Mahāmudrā ?
Vajragarbha dit : Mais comment celui qui est uni à Nairātmya[3] peut-il distinguer entre les deux aspects de la mudrā ? Comment peut-il parvenir à la perfection de la Grande Mudrā avec cette mudrā-ci ou cette autre ?

Le Seigneur répondit :
La mudrā, quelle qu'elle soit, abandonne sa nature de femme et acquiert celle du Seigneur ; ses seins disparaissent ; seul reste le vajra dans le lotus ; ces deux disparaissent à leur tour, il ne reste plus que le vajra. Ce qui demeure encore de la forme du puissant et bienheureux Seigneur Heruka assume aisément la nature de l'homme qui est en union avec lui et ce yogin, dont la puissance est ainsi manifestée, acquiert la perfection de la Grande Mudrā (Mahāmudrā). Cette union de la sapience et du moyen, c'est-à-dire de la mudrā et du yogin également identifiés à Heruka, ne peut pas être affectée par l'émanation et la résorption cosmiques car le moyen est l'émanation, et la sapience la résorption et la fin de l'existence. Pour ce yogin, donc, il n'y a plus ni résorption ni émanation. Ce qui a été résorbé ayant disparu, il n'y a plus rien à résorber. Le yogin se représente et perçoit l'écoulement des choses comme résultant du processus d'émanation cosmique et, réalisant que celui-ci est semblable à un rêve, il l'arrête par la prise de conscience même de cet écoulement. Telle māyā, tel un rêve, tel « l'état intermédiaire », ainsi apparaît le maṇḍala si on s'applique sans arrêt à cette pratique. Ce maṇḍala est la source de la Grande Félicité (mahāsukha), telle qu'on la connaît dans la consécration de la Grande Mudrā (Mahāmudrā)... Cette félicité est sapience et moyen et elle est née aussi de leur union. Elle est existence et non-existence. Elle est le vajrasattva.[4]

***

[1]
Anaṅgavajra dans le Prajñopāyaviniścayasiddhi, Section 4 sur la contemplation de la Réalité, traduction Liliane Silburn dans Aux sources du bouddhisme, p. 298 [2] Annales bleus, p. 407 rngog chos rdor offrait une mudrā ou "assistente tantrique" (Roerich) à Ram tsan can. [3] Parèdre de Hevajra
[4] Hevajratantra, IIème partie, chapitre II : Comment parvenir à la perfection, traduction Liliane Silburn dans Aux sources du bouddhisme, p. 305-306


Tibétain Wylie de l'extrait d'Anaṅgavajra
gang na'ang sgom pa po med cing*//rnam par sgomp pa'ang ci yang med// bsgom bya nyid kyang yod min la// de ni de nyid bsgom par bshad//
bya ba'ang cung zad yod mind la// dpyad par bya ba nyid kyang med// byed po dpyod pa las grol ba// don dam rnam par bsgom pa yin//
gtong bar byed pa'ang yod min zhing*//'gog par byed pa'ang ci yang med// des na nor bar bya med cing*// 'di la blang bya gang yang med//
gzaugs rnams kun du blta ba dang*// de bzhin sgra rnams nyan pa dang*// dgod dang rtsed mo byed pa dang*// ro rnams sna tshogs myong ba dang*//
las rnams thams cad byed pa ni// sems ni mi gyo gnas byas nas// de nyid rig pa'i rnal 'byor pa'i// rnal 'byor rgyun du skye bar 'gyur//
de nyid gnyis med bstan pa ste// byang chub sems mchog 'di yin na// dpal ldan rdo rje sems dpa' dang*// rdzogs sangs rgyas kyi byang chub nyid//