jeudi 31 août 2023

Māyopamavāda, "comme une illusion"

Statue de Bouddha en construction à Bodhgaya (photo : aajtak.in)

La biographie du pèlerin chinois Xuanzang[1] 玄奘 (600–664) composée par Huili (慧立) et Yancong (彥悰) et le Commentaire extensif du Sūtra du coeur[2] de Kuiji/K'uei-chi (窥基 kuījī 632-682) sont les sources les plus anciennes mentionnant un Madhyamaka divisé en deux écoles : māyopamavāda (“Comme une illusion” tib. sGyu ma lta bur smra ba) et apratiṣṭhānavāda (Sans fondement/substrat, tib. rab tu mi gnas pa[3]), et attestant leur existence en Inde à partir du VIIème siècle au plus tard. Notamment dans le Commentaire extensif de Kuiji, dont Heng-Ching Shih et Dan Lusthaus[4] publièrent la traduction anglaise[5].

Cette division du madhyamaka en māyopamavāda et apratiṣṭhānavāda serait même la seule qui existait en Inde à la fin du premier millénaire[6]. Les autres divisions seraient des inventions plus tardives de la part des systèmes doxographiques tibétains, qui les appliquèrent ensuite rétroactivement sur la situation indienne[7].

Les maîtres bouddhistes Advayavajra et son disciple Bhārata Vajrapāṇi utilisaient encore la même division dans leurs contacts au XI-XIIème siècle avec des adeptes tibétains, comme il ressort de la traduction tibétaine d’oeuvres qui leur sont attribuées. Ils n’étaient pas les seuls. Le maître cachemirien Candraharipada avait utilise la même division dans son Ratnamālā[8]. Tout comme Jñānavajra dans son Tattvamārgadarśana.

Advayavajra la mentionne dans son propre Tattvaratnavalī, et son disciple Bhārata Vajrapāṇi dans le Guruparamparākramopadeśa (bla ma brgyud pa'i rim pa'i man ngag D3716, P4539), dont il fut l'auteur. D'abord Advayavajra :
De même, les Mādhyamikas sont divisés en deux, sur la base de la division entre les "partisans de la non-dualité dans le sens où [tout est] comme une illusion" (Māyopamādvayavāda) et les "partisans de ne demeurer dans aucun phénomène" (Sarvadharmāpratiṣṭhānavāda).”[9]
“Les pratiquants supérieurs du Pāramitānaya sont les Mādhyamikas. Parmi eux, il y a [d'abord] les Māyopamādvayavādins ("ceux qui s’appuient sur la non-dualité [dans le sens où tout est] comme une illusion"). Leur explication [se base sur le Jñānasārasamuccaya d’Āryadevapada[10],180 verset 28]
:

Les Mādhyamikas connaissent le Réel (tattva)
Comme étant libre de quatre positions (catuṣkoṭi), c'est-à-dire que
[Le Réel] n'est ni existant, ni non-existant, ni une combinaison
D'existence et de non-existence, ni [est-il possible que ce soit] ni l'un ni l'autr
e[11]. (TRĀ 27)

La signification de ces vers : [Le Réel] n’est ni existant, puisque cela est impossible pour des raisons logiques.181 Ni non-existant, du fait qu’il apparaît.182 Aussi, en raison de ces deux défauts, une combinaison [d'existence et de non-existence] n'est pas [possible] non plus. De plus, en raison de ces deux défauts, une combinaison [d'existence et de non-existence] n'est pas non plus [possible] . En outre, sur la base d'une [autre] analyse, qui diffère de la précédente, [il est dit] : "[L'extrême de l'existence a] pour conséquence indésirable que la matière ait une véritable force - que le monde multiple est exactement tel qu’il apparaît, [à savoir] comme une manifestation. "183 Telle est l'explication des Māyopamādvaya[vādins].

La pratique de la non-dualité [dans le sens où tout est] comme une illusion est [leur forme de] méditation. L'attachement au nihilisme est le défaut de méditation [dont il est l’antidote].”[12]
Son disciple Bhārata Vajrapāṇi donne quelques autres précisions.
[Les māyopamavādins] proposent une perception radieuse semblable à une illusion et libre des quatre extrêmes. Même les phénomènes dépassionnés (mya ngan las 'das pa'i chos) sont dits être semblables à une illusion, un rêve. Et s’il y avait des phénomènes supérieurs à la dépassion/extinction, ils seraient encore semblables à une illusion, un rêve. Les phénomènes divers et la pensée naturelle (cittatva) sont identifiés (so sor rtog pa) comme indissociables en tant qu’ils sont semblables à une illusion. Tous les phénomènes divers sont réels en tant qu’un reflet de la lune dans l’eau, ou un reflet dans un miroir, et, sans être faux, sont imaginés (bhāvanā) comme objet de la pratique. Les réifier (zhen pa) comme non-existants serait une erreur de pratique. On s’engage dans le bien des êtres avec la perfection de la sapience semblable à une illusion, sans objectifier (mi dmigs pa) les cinq perfections [altruistes] et sans la notion des trois facteurs solidairs (‘khor gsum).”[13]
Selon les hagiographes de Khyungpo Neljor, considéré comme le fondateur de l’école Shangpa Kagyu, celui-ci aurait été un disciple de Maitrīpa/Advayavajra en personne, ou d’un ou plusieurs de ses disciples (voir son hagiographie[14]). Maitrīpa aurait apporté diverses pratiques au curriculum de la  lignée Shangpa, et fait partie des guides de la lignée. Il est possible que dans les cercles d’Advayavajra, la doctrine du non-fondement (rab tu mi gnas pa) était utilisé pour l’analyse, voire pour le recueillement (samahita), et que la vue “comme une illusion” (sgyu ma lta bu) était utilisé dans la vie quotidienne (rjes shes, ou rjes thob) et éventuellement lors des pratiques de sādhana, “yogas”, etc., bref pendant leur triple pratique de l’apparence (apparences diurnes et oniriques, et pensée radieuse). La vue māyopamavādin a pour avantage de permettre une approche relativement “positive”, et de faire ce qui doit être fait (don byed pa), que ce soit les activités directement pour le bien d’autrui (pāramitā), ou les pratiques tantriques, de façon indirecte ou directe… Car il faudrait être en mesure de prendre tout un système théiste/théocratique (infrastructure et suprastructure) et ses fruits (siddhi) “comme une illusion”.

Les phénomènes sont alors dits “être comme une illusion” (māyopama). N’ayant pas d’existence réelle absolue dès le départ, ils n’ont pas besoin d'être éliminés, mais sont à prendre en compte comme une vérité relative qui n'est pas fausse, mais "comme une illusion". Il suffit qu’ils soient reconnus comme [des apparences]. Dans l’état de veille comme dans un rêve…
Au moment d'appréhender [les phénomènes] comme des simples apparences (māyāmātra)
C’est la connaissance parfaite de la perception relative
Quand il n’y a même plus de simples apparences (snang ba tsam, pratibhāmātra)
C’est le moment où l’apparence passe (tshud) à la pensée radieuse (prabhāsvarā)
.[15]
Mokchokpa attribue cette citation à Candrakīrti, mais je n’ai pas trouvé de correspondance[16]. Il y a à l’évidence une approche différente de la voie tantrique dans les cercles d’Advayavajra/Avadhutipa, et que l’on retrouve chez les māyopamavādins, qui sont des madhyamika “modérés”. La voie tantrique n’est pas un “must”, elle est peut-être plus rapide, mais elle est aussi plus risquée. Advayavajra[17] le rappelle à plusieurs reprises, et Avadhūtipa également dans son Commentaire sur le Dohākośagīti de Saraha. Il est évident qu’il y avait une approche “post-tantrique” qui relativisa le côté radical que le tantrisme pouvait prendre pendant la Renaissance tibétaine, ou s’en distancia discrètement[18].

J’ai découvert tout récemment la thèse d’Adrien Moevus (2019), étudiant à McGill University, Montréal, Québec. Elle s’intitule To Be Tantric or Not to Be An Evaluation of the Modern Scholarly Debate on Maitrīpa’s Mahāmudrā and a Textual Analysis of his Amanasikāra Cycle. (lien de téléchargement) Il fait l’inventaire des débats (tibéto-tibétains, et entre universitaires) sur le statut “tantrique” du système d’Adavayavajra, qui permet une double approche tantrique ou “post-tantrique” (c’est mon terme). Il y aborde entre autres les différentes doctrines (grub mtha’) suivi par les cercles d’Advayavajra, et donne beaucoup d'attention à celle du yuganaddha-apratiṣṭhāna (zung ‘jug rab tu mi gnas pa), exposé en détail dans le Commentaire de Sahajavajra des Dix versets sur le Réel (Tattvadaśaka-ṭīkā), dont je compte un jour publier la traduction française.

La fin de la conclusion d’Adrien Moevus :
Cependant, Maitrīpa ne doit pas être considéré comme aussi soucieux que les Tibétains de classer les pratiques dans le Pāramitāyāna ou dans le Mantrayāna. Sa principale préoccupation était de montrer que les deux véhicules partageaient de nombreuses similitudes et que l'amanasikāra était non seulement une pratique compatible avec les deux véhicules, mais aussi leur but ultime. Ses préoccupations étaient donc quelque peu différentes de celles de Gampopa et de Sapaṇ [Sakya Pandita Kunga Gyeltsen], ce qui explique que Maitrīpa n'ait jamais fait de déclaration directe abordant toutes les questions importantes pour les Tibétains. Sa présentation de la réalité basée sur l'apratiṣṭhāna et son insistance sur yuganaddha, qui était considéré comme un terme central pour la pratique de l'amanasikāra lors de la discussion sur Avadhūtipa [l’auteur du Commentaire sur le Dohākośagīti de Saraha], pourraient être compris comme des indices montrant que Maitrīpa essayait réellement de recadrer une voie indépendante uniquement basée sur l'amanasikāra au sein des véhicules principaux. Sa motivation pourrait être simplement de partager les techniques et les pratiques des siddhas avec tous les autres pratiquants. Cette position nécessiterait davantage de preuves que l'amanasikāra était effectivement considéré comme une voie à part entière dans les cercles siddhas. Cependant, même si cette hypothèse s'avère erronée, il est clair que les travaux de Maitrīpa ont défini la pratique de l'amanasikāra comme le but de la pratique du Dharma. En tant que tel, Maitrīpa ne donne pas de longues explications sur la question de savoir si l'amanasikāra est tantrique ou sūtrique, car il considère le Pāramitāyāna et le Mantrayāna comme de simples outils permettant de voir la réalité telle qu'elle est et d'entrer dans la pratique du non-abandon. Ainsi, son travail ne doit pas être compris comme la défense d'une mahāmudrā non-tantrique en soi, mais plutôt comme l'explication de la pratique ultime du Mantrayāna, mahāmudrā, et du Pāramitāyāna comme étant la même pratique, amanasikāra. Cette pratique est alors simplement effectuée dans un contexte différent et sur la base d'une explication différente de la réalité, puisque l'une est basée sur le yuganaddha-apratiṣṭhāna, et que l'autre est basée sur une description tantrique, où la perspicacité, les moyens et la grande félicité sont mis en avant. En tant que tel, on peut aussi simplement accéder directement à mahāmudrā si l'on est capable de percevoir la réalité par une pratique non-tantrique de l'amanasikāra basée sur les instructions yuganaddha-apratiṣṭhāna du guru.[19]
***

[1] Intitulé “DaTang daciensi sanzang fashi zhuan (大唐大慈 恩寺三藏法師傳) Biographie du maître Tripiṭaka du grand monastère Ci'en de la grande dynastie Tang.

[2] Panre boluomiduo xinjing youzan 般若波羅蜜多心經幽贊 (T.33.1710)

[3] Au complet : Chos thams cad rab tu mi gnas par ’dod pa. “Tous les phénomènes n’ont aucun fondement”.

[4] Xuanzang and Kuiji on Madhyamaka par Dan Lusthaus, dans Jay L. Garfield, Jan Westerhoff, Madhyamaka and Yogācāra, Allies or Rivals, Oxford University Press (2015).

[5] A Comprehensive Commentary on the Heart Sutra (Prajñāpāramitā-hŗdaya-sūtra) by K'uei-chi, translated by Heng-Ching Shih in Collaboration with Dan Lusthaus. Berkeley: Numata, v. 66-I in Tripiţaka Series. Berkeley, Calif.: Numata Center for Buddhist Translation and Research. ISBN 1-886439-11-7.

[6] Orna Almogi, 2010. “Māyopamādvayavāda versus Sarvadharmāpratiṣṭhānavāda: A Late Indian Subclassification of Madhyamaka and its Reception in Tibet.” Journal of the International College for Postgraduate Buddhist Studies 14, pp. 135–212.

[7]Even while recognizing that the labels Svātantrika and Prāsaṅgika never existed in India, scholars nevertheless continue to use those terms to identify what are supposed to be the major divisions of Madhyamaka, assuming that even if later concoctions, these labels accurately identify the actual rift in Indian Madhyamaka and the Tibetan understanding from early on. Those inventions of later Tibetan doxographic systems however have distorted the picture, not only by projecting them back into India, but in thereby also obscuring how Tibetans themselves understood divisions within Madhyamaka for many centuries.” Dan Lusthaus

[8] Orna Almogi, Māyopamādvayavāda versus Sarvadharmāpratiṣṭhānavāda

[9] Traduction DeepL. “Likewise, the Mādhyamikas are divided into two, based on the division into the “proponents of non-duality in the sense [of everything being] like an illusion” (Māyopamādvayavāda) and the “proponents of not abiding in any phenomena” (Sarvadharmāpratiṣṭhānavāda).A Fine Blend of Mahāmudrā and Madhyamaka, Maitrīpa’s Collection of Texts on Non-conceptual Realization (Amanasikāra), Klaus-Dieter Mathes, p.60

[10] Ye shes snying po kun las btus pa, Toh 3851

[11] yod min med min yod med min// gnyis ka min pa’ang ma yin pa// mtha’ bzhi las ni rnam grol ba// [D 118b] | de nyid dbu ma pa (yis rig)//

[12] Traduction DeepL. 
[Madhyamaka, Māyopamādvayavāda]
 
The superior [practitioners of Pāramitānaya] are the Mādhyamikas. Among them, there are [first] the Māyopamādvayavādins (“those who maintain non-duality [in the sense of everything being] like an illusion”). Their explanation [follows Jñānasārasamuccaya,180 verse 28]: 

The Mādhyamikas know true reality
As being free from four positions, that is to say,
[True reality] is neither existent, nor is it not existent, nor is it a combination
Of existence and non-existence, nor [can it be that] neither is the case. (TRĀ 27) 

The meaning of this is as follows: [True reality] is not existent, this being impossible on logical grounds.181 Nor does it not exist, given the power of appearance.182 Moreover, because of the [same] two defects a combination [of existence and non-existence] is not [possible] either. Nor [can it be that] neither is the case, for that would be incomprehensible. Furthermore, on the basis of an[other] analysis different from the previous one, [it is stated]: 
“[The extreme of existence has] the undesired consequence that there is true force to matter—that the manifold world is just as it appears, [namely, as] a manifestation.”183 
This is the explanation of the Māyopamādvaya[vādins].

The mental cultivation of non-duality [in this sense of everything being] like an illusion is [their form of] meditation.184 Attachment to nihilism is here the stain of meditation.” A Fine Blend, pp. 70-71
En Wylie : ‘di ‘i don ni ‘di yin te | yod pa ma yin pa ni sbyor bas gnod pas so | | med pa ma yin (1pa yang1) bag chags kyi dbang gis mi bden par snang ba’o | | ‘dir2 gnyis ka2a la’ang skyon gnyis yod pas ma yin no | (2| gnyis ka ma yin pa’ang ma yin te | de lta bu’i rtog pa med pa’i phyir ro |2) | gzhan yang sngon dang da ltar dpyad3 pa med par sna tshogs su4 ji ltar snang ba de ltar rdzas5 su bden pa ci zhig | gang du thal bar ‘gyur | de ni sgyu [B 221b] ma lta bur6 gnyis su med pa’o zhes brtags7 pa’o |

[13] En Wylie : “De bas na mtha' bzhi las grol ba'i sgyu ma lta bu'i shes pa 'od gsal bar 'dod de/_de yang mya ngan las 'das pa'i chos kyang sgyu ma lta bu rmi lam lta bu mya ngan las 'das pa las ches lhag pa'i chos yod na yang de yang sgyu ma lta bu rmi lam lta bu'o zhes gsungs pas// sna tshogs dang sems nyid sgyu ma lta bur gnyis su med pa ni so sor rtog pa'o// sna tshogs thams cad chu zla'am me long gi gzugs brnyan ltar bden pa ma yin la brdzun pa yang ma yin par sgyu ma lta bur gnyis su med par 'jig pa ni bsgom pa'o// chad par zhen pa nisgom pa'i dri ma'o// sgyu ma lta bu'i shes rab kyi pha rol tu phyin pas pha rol tu phyinpa lnga mi dmigs pa gsum gyis 'khor gsum yongs su dag par spyad nas sems can gyi don byed pa ni lta ba'o//” 
Guruparamparākramopadeśa (bla ma brgyud pa'i rim pa'i man ngag D3716, P4539)

[14] En tibétain : bla ma khyung po rnal 'byor gyi rnam thar zur tsam, et en anglais : Like An Illusion, Lives of the Shangpa Kagyu Masters, Nicole Riggs, Dharma Cloud

[15] sgyu ma tsam du 'dzin pa'i dus//
kun rdzob shes pa'i shes rab yin//
snang ba tsam yang med pa'i tshe//
sgyu ma 'od gsal tshud pa'i dus//
slob dpon zla grags 'di skad gsungs/

[16] Il y a ce passage, qui présente une idée similaire.
Volume 34 of བསྟན་འགྱུར་(དཔེ་བསྡུར་མ་) (Dege vol. 67, D2626, Ngan song thams cad yongs su sbyong ba gzi brjid kyi rgyal po brtag pa snang ba'i rgyan, Sarvadurgatipariśodhanatejorājakalpālokālaṃkāra)
citation : “de yang bcom ldan 'das kyis shes rab kyi pha rol tu phyin pa rdo rje gcod pa las//

gang dag nga la gzugs su mthong*/
gang dag nga la sgrar shes pa//
des ni log par rtogs pa ste//
yang dag don du mthong thos med// ces pa dang / mngon par rtogs pa'i mdo las kyang*//

sgrib sgribs pa'i tshul gyis kun ston yang //
rtog pa spangs pas 'od gsal gang // zhes gsungs pa'i phyir te/ 

de bas na bde bar gshegs pas kun rdzob kyi tshul du sems can mos pa sna tshogs pa rnams la gzugs dang chos dang*\ spyod pa sna tshogs su bstan pa ni tha na srin bu la sogs pa yan chad kyi gzugs kyis ston kyang / don dam par ni gzugs dang kha dog tu snang ba lta zhog gi/ sems can gyi mtshan mar snang ba kun rdzob kyi snang ba tsam yang med pa nyid de/ rtog pa thams cad dang bral ba'i rang bzhin 'od gsal ba'i bdag nyid du blta bar bya'o// de'i phyir bde bar gshegs pa'i bstan pa la zhugs pa rnams kyis ni lus kyi spyod pa ni so sor thar pa'i sdom pa la sogs pa rang rang gi kun du spyod pa la bslab par bya ba dang / ngag gi spyod pa rnams ni rin po che'i mdo la sogs pa la bslab par bya ba dang / yid kyi spyod pa rnams ni gsang sngags kyi don rnam par bsgom par bya ste/”

L’auteur du texte est donné comme རྡོ་རྗེ་གོ་ཆ། (Vajravarman), རིན་ཆེན་འབྱུང་གནས་བཟང་པོ། (Ratnākarabhadra). L’ācārya indien est Suvidyakaravarma (Vidyākaravarman), et le traducteur tibétain Zhu chen lotsava དབང་ཕྱུག་རྒྱལ་མཚན། (īśvaradhvaja).

Source du tibétain 

J’ai surligné insecte (srin bu), car Mokchokpa utilise la même image dans sa Précieuses guirlande radieuse (rin po che 'od kyi phreng ba). Ci-dessous encore deux citations du même texte, pour montrer l’interprétation de la pratique de karmamudrā, et celles des perfections.
“b. L'explication du sceau de l'action (karmamudrā)
Des parfaits Bouddhas d'en haut
Jusqu'aux insectes ici-bas
On s'entraîne en le dynamisme (rtsal au lieu de btsal) de l'apparence
On détermine le lien entre l'objet et le sujet
En traitant les apparences naturelles comme une illusion
Ce sera le fondement d'où naîtront toutes les qualités
Ce sera l'accomplissement de toutes les actions
Appelé "le sceau de l'action"
C'est l'essence du sceau de l'action (karmamudrā)
."
“5. Toutes les choses ont une nature apparente (māyā, mthya)
Et surgissent instantanément dès que le mental les pense
Elles instruisent ainsi sur le sens de l'apparence
Voilà la perfection de la concentration.

6. Ainsi, toutes les apparences (snang ba), sons et objets mentaux (dharmā)
évoluent comme une illusion (māyopamo)
La compréhension de l'analogie de l'illusion (māyopamo)
Est l'autre rive de la dualité objet-sujet.
Voilà la perfection de la sapience
.”
[17] P.e. dans la Destruction des vues erronées (Kudṛṣṭinirghātana), les Offenses majeures (Sthūlāpattayaḥ). Ci-dessous la traduction anglaise de Klaus-Dieter Mathes dans A Fine Blend.
In the case of using a consort (vidyā) [only] for pleasure,
Non-conformity with the commitments (samaya),
Quarrelling during tantric feasts (gaṇacakra),
Disclosure of secret teachings,
Perverting the genuine teaching
In the presence of the faithful,
Living for seven days
In the company of Śrāvakas in large numbers,
Teaching secrets to unworthy yogins,
Not being determined [to practice] yoga—
These are the gross offences
By which the vows of a yogin are destroyed.
In the case of having committed these [offences],
The ascetic should worship [his] great teacher,
Taking the approach of doing what he can
And confessing openly
."
[18] Voir mes blogs Sur la piste d'un tantrisme doux, Dépasser les tantras (par le Milieu), Sahaja, vers un bouddhisme naturaliste, La réintégration du Naturel, mon livre Le Guide du Naturel, qui est la traduction annotée du Sahajasiddhi-paddhati de Lakṣmīṅkārā.

[19] Traduction DeepL retravaillé, l’original en anglais :
Maitrīpa, however, should not be understood as being as concerned as Tibetans with classifying practices as part of the Pāramitāyāna or of the Mantrayāna. His main concerns were to show that both vehicles shared many similarities and that amanasikāra was not only a practice compatible with both vehicles, but also their ultimate goal. As such, his concerns were somewhat different from Gampopa and Sapaṇ, which explains why Maitrīpa never made a direct statement which tackles all the issues which were important for Tibetans. His presentation of reality based on apratiṣṭhāna and his emphasis on yuganaddha, which was deemed a central term for amanasikāra practice while discussing Avadhūtipa, could be understood as hints pointing that Maitrīpa was really trying to reframe an independent path solely based on amanasikāra within the mainstream vehicles. His motivation could simply be to share the techniques and practices of the siddhas with all other practitioners. This position would require more evidence that amanasikāra was indeed understood as being its own path in siddha circles. However, even if this hypothesis ends up being wrong, it is clear that Maitrīpa’s works have framed the practice of amanasikāra as the goal of Dharma practice. As such, Maitrīpa does not give a lengthy explanation as to whether or not amanasikāra is tantric or sūtric, as he understands the Pāramitāyāna and the Mantrayāna as simple tools to see reality as it is and enter the practice of non-abiding. Thus, his work should not be understood as defending a non-tantric mahāmudrā per se, but rather as explaining the ultimate practice of the Mantrayāna, mahāmudrā, and of the Pāramitāyāna as being the same practice, amanasikāra. That practice is then simply done in a different context and on the basis of a different explanation of reality, as one is based on yuganaddha-apratiṣṭhāna, and the other is based on a tantric description, where insight, means and great bliss are emphasized. As such, one can also simply access mahāmudrā directly if one is able to perceive reality through a non-tantric practice of amanasikāra based on yuganaddhaapratiṣṭhāna instructions of the guru.”

lundi 28 août 2023

Éveillé·e en apparence

Niguma (détail Himalayan Art 65772), avec khaṭvāṅga, couperet, et crâne, des fleurs dans les cheveux.
Attribut de paṇḍita dans le fond

Le genre hagiographique (rnam thar) qui s’est développé à partir du XIIème siècle au Tibet était l’outil de marketing spirituel permettant aux lignées de la “deuxième propagation” toute fraîchement apparues d’annoncer leurs lignées de transmission, de mettre en avant leurs atouts, de prouver qu’elles étaient entre les mains des meilleurs maîtres, et, en faisant du benchmarking, d’éventuellement combler des lacunes dans leur portefeuille d’initiations, instructions, “yoga”,etc. C’était le travail des hagiographes de démontrer que tous les produits dans leur portefeuille furent authentiquement d’origine Indienne et remontaient à des siddhas reconnus, ou à des saṃbhogakāyas fiables.

L’essor du genre hagiographique se situe plutôt dans le XV-XVIème siècle, tout comme les travaux de systématisation des oeuvres et des pratiques accumulées et/ou produites. Généralement, plus une hagiographie est courte et succincte, plus grande la chance qu’elle soit plus ancienne, Plus elle est longue ayant de nombreux détails, elle risque d’être plus tardive. Il y a aussi une certaine évolution de style : sobre (romane), magique (gothique), exubérant (baroque), etc. Je n’ai pas fait de recherche dans le domaine, mais ce n’est pas exclu quand on vérifie les diverses versions (re)copiées à diverses époques, qu’il y ait des ajouts, des intercalations, des commentaires, des notes (mchan), etc.

Il ne faut pas prendre les hagiographies pour des sources historiques, et notamment les sources tibétaines sur des siddhas indiens. Les faits légendaires (parfois aussi mythologiques) sont une chose, et peuvent avoir leurs fonctions propres, les faits historiques en sont une autre. Dans un premier temps, le Tibet était très actif, à chercher et à recevoir des textes, de pratiques, d’instructions, d’initiations, etc. transmis par des maîtres népalais et indiens à des tibétains au Népal, en Inde, au Tibet, etc. Il y eut un temps où les tibétains produisaient eux-mêmes au Tibet des textes, des pratiques, etc., en collaboration avec des maîtres népalais, indiens, etc. Ce sont les “textes gris” auxquels fait référence Ron Davidson (Tibetan Renaissance). Ce n’est pas encore l’époque de l’essor du genre hagiographique, qui commence à naître vraiment à la fin du XIIIème siècle. A partir de quels matériaux historiques ? Des petits faits et anecdotes glanés par ci par là dans des colophons, etc. Des anecdotes transmises oralement, des notes prises par des disciples ? Ecrire un hagiographie au XIV-, XV- et XVIème siècle sur des personnages indiens, népalais et tibétains ayant vécu au IX, -X, XI-ème siècle, avec l’objectif principal de donner confiance dans la transmission, et de faire naître la dévotion et la motivation, requiert beaucoup de créativité.

Matthew Kapstein a écrit sur des problèmes historiques que l’on trouve dans l’hagiographie de Khyungpo Neljor[1], le fondateur de la lignée Shangpa dont la vie hagiographique s’étendrait de 990 à 1140[2], faisant de lui le récipiendaire idéal pour d’importants tantras de la part des plus grands maîtres de l’époque. L’hagiographie de Khyungpo Neljor est très riche en toutes sortes d’informations. Trop riche d'un point de vue historique. La situation de l’école Shangpa au XIIème siècle n’était pas la même que celle de l’époque où les hagiographies furent rédigées. Au XIVème siècle, le système des instructions de l’école Shangpa était au complet, y compris les “Six yogas de Niguma”, mais au XIIème siècle, et au temps de Mokchok Rinchen Tseundru (1110-1170) ? Mokchok qui serait un des auteurs de l’hagiographie de son maître Khyungpo Neljor écrit à partir du XIVème siècle ?

Quand une école tibétaine fait son inventaire à partir du XIVème siècle et découvre (benchmarking) qu’il lui manque des instructions, ou qu’il y a des trous dans la transmission, c’est aux hagiographes de les combler, dans les hagiographies. C’est à eux de sauver des maîtres emblématiques qui à leur époque (XIIe) n’avaient pas pu recevoir des instructions arrivées plus tard (XIVe) et qui étaient pourtant censés avoir participé à leur transmission… Les hagiographes jouent donc un rôle essentiel dans l’authenticité d’une lignée. Ils disposent pour cela de certains moyens. L’importance de la dévotion au gourou est un autre marqueur d’une hagiographie “baroque”. Les premières hagiographies étaient vraiment très sobres. On y trouve encore le terme d’ “ami de bien” (dge ba’i bshes gnyen) au lieu de lama (guru). Le style dans les textes de questions-réponses du début du deuxième millénaire est très direct. La dévotion est encore naturelle, pas cultivée.

Quel est l’apport propre de la lignée Shangpa que l’on fait remonter aux ḍākinī Niguma et Sukhasiddhi ? Prenons l’hagiographie de Niguma, telle qu’on la trouve dans le Rosaire d’or Shangpa (Shangs pa gser ’phreng)[3]. La moitié de la partie biographique de l’hagiographie de Niguma vient verbatim de l’hagiographie de “son frère” Nāropa. Celle-ci (mkhas grub kun gyi gtusg rgyan paN chen nA ro pa’i rnam thar ngo mtshar rmad byung) fut composé par Lha’i btsun pa Rin chen rNam rGyal (1473 - 1557), un disciple de Tsang Nyeun Heruka (1452–1507), 500 ans après la vie du maître bouddhiste de Nalanda en Inde. On peut en déduire que la partie biographique de l’hagiographie de Niguma date approximativement de la même époque, le XV-XVIème siècle[4]. Cette hagiographie contient également une prière à Niguma, attribuée à Mokchok Rinchen Tseundru. Elle est de teneur mahāyāna général avec quelques références “vajra”, mais aucune mention des “six yogas de Niguma”.

Dans la La précieuse guirlande radieuse (rin po che 'od kyi phreng ba mnyam med rin chen brtson 'grus kyis mdzad pa) attribuée à l'inégalable (Mokchok) Rinchen Tseundru, le contenu est à la fois du mainstream mahāyāna et tantrique. Il n’y a pas de mention de “six yogas” (chos drug), mais la fin du texte mentionne que ces instructions représentent la Pensée de “Nai-ti” (ནཻ་ཏི་གཉིས་ཀྱི་དགོངས་པ་ཡིན), probablement Naiguma et Tilopa ? Les instructions de Tilopa se limitent à celles venant d’une “transmission aurale” (snyan brgyud zhal gyi gdams pa) et sont celles attribuées à Ācārya Nāgārjuna, Lavapa et “Kalwa Zangmo”. Trois sources des quatre transmissions (bKa'-babs bzhi) reçues par Tilopa : Nāgārjuna, Lavapa, Subhāgini et Cāryapa (non mentionné ici)[5]. Les instructions portent sur l’apparence, le rêve et la pensée radieuse. Elles rejoignent ainsi l’instruction particulière de la lignée Shangpa qui porte sur la triple pratique du corps apparent, le rêve et la pensée radieuse (māyopamavāda) et sur la doctrine apratiṣṭhānavāda, populaire chez Advayavajra et ses disciples, les deux anciennes branches du madhyamaka (voir Orna Almogi 2010, Māyopamādvayavāda versus Sarvadharmāpratiṣṭhānavāda). Dans La précieuse guirlande radieuse, il n’y a pas question des autres trois “yogas”.

Dans un autre texte important de la lignée Shangpa consacrée au thème de l’illusion, la voie complète de la lignée Shangpa, avec les “six yogas” (vers vajra) est exposée. Ce texte “Commentaire de la voie graduelle de l’apparence” (sGyu ma lam gyi rim pa'i 'grel pa)[6] aurait été prononcé par Niguma et traduit par Lendarma Lodrö (lo tsA ba glan dar ma blo gros), un traducteur “ombrageux” selon Kapstein.

Quelle que soit la réalité des attributions, et les dates réelles de la composition de certains textes Shangpa, on a la claire impression que leur pratique emblématique fut initialement une triple pratique sur l’apparence, le rêve et la pensée lucide, comme une mise en pratique de la doctrine māyopamavāda, ou encore mayopamādvayavāda (sgyu ma lta bu gnyis su med par smra ba, sgyu malta bur 'dod pa), qui affirme que tout est “comme une illusion”. Que l’on ne s’y méprenne pas, tout n’est pas une illusion, mais “comme une illusion”, ou plutôt comme une apparence. L’apparence est réelle dans le fait qu’elle apparaît, mais puisque sa réalité ne peut être avérée ou est très éphémère, etc., elle est comme une illusion. Il s’agit aussi de laisser l’apparence intacte, entière, comme une coïncidence de contraires (yuganadda) sans s’investir exclusivement dans une des pôles. C’est la part non-fondement (apratiṣṭhānavāda). C’est l’approche utilisée par Advayavajra et ses disciples.

L’apparence s’étend dans l’état de veille, l’état du rêve et du sommeil sans rêve. Dans l’état de veille, le corps “karmique”[7] (l’ensemble, l’agrégat) est un corps apparent, un corps d’apparences, fabriqué à partir des éléments, etc.. Dans le rêve, c’est le corps des empreintes (vāsanākāya) qui crée les apparences oniriques. Celles-ci sont prises pour une réalité tant que l’état de rêve n’est pas reconnu. Le corps apparent onirique aussi doit être considéré comme une illusion, comme un rêve. La pratique consiste à “sceller” les apparences diurnes et nocturnes, toute apparence, par le sceau de l'apparence (māyāmudrā) “comme une illusion”.
Le jour, on cultive l'expérience de l'illusion.
La nuit est le moment où l'on cultive l'expérience du rêve
.” (Kalu Rinpoché I, à la fin de sa vie)[8]
Une fois l’apparence scellée, elle est déterminée comme pensée radieuse (cittaṃ (pr)abhāsvaram). Pratiquer jour et nuit, c’est cela que cela veut dire. Que l’on soit recueilli (samāhita) ou en activité (anvaya-jñāna). Vie quotidienne, pratique des perfections, pratique de divinité Yidam, même la pratique des six yogas… Tout cela est semblable à une illusion, et déterminée comme telle. La pratique de la divinité Yidam permet de tout voir comme le Yidam, qui est comme une illusion…
En s’entraînant en apparence dans des
Instructions semblables à une apparence
Tu seras parfaitement éveillé en apparence
Par la force de ta foi (mos gus)
.” Propos de Niguma à Khyungpo Neljor dans son hagiographie[9]
Cette simplicité des débuts se perd malheureusement dans les siècles qui suivent, enfin c’est une préférence personnelle. J’ai toujours plaisir à retourner à ces textes primitifs.

On trouve des traces de la triple pratique "comme une illusion" principale Shangpa sans les autres "trois yogas" jusque dans les hagiographies. Ainsi pour Khyungpo :

"Le soir de la pleine lune, la dakini Niguma m'a conféré les pouvoirs du yoga du rêve et du yoga du corps illusoire.

"Elle m'a dit : "Maintenant, un rêve te parviendra grâce à mes bénédictions. En effet, j'ai fait le rêve lucide suivant : Je suis allé au royaume des dieux et des demi-dieux. Je me faisais dévorer vivant par de grands demi-dieux quand la dakini est apparue dans le ciel en disant : "ô fils, ne te réveille pas". À cet instant précis, j'ai reçu les instructions sur les six yogas. Après mon réveil, la dakini est apparue et a dit : "Personne d'autre en Inde n'a jamais reçu les Six Yogas en une seule séance." Elle m'a donné les enseignements suivants : trois transmissions complètes des Six Yogas, les Versets Vajra sur les trois façons d'intégrer la voie, les étapes de la voie illusoire, "etc.[10]


" Mogchok présente une offrande (T. phyag rten) dans la chambre de Gampopa et lui dit : "Quand mon maître, le grand Shangpa, est mort, j'ai pratiqué (T. dge sbyor) et j'ai eu telles expériences du chemin des techniques, corps illusoire, rêve et claire lumière. Je suis venu demander si j'étais arrivé au bout ou pas. Mais comme le maître de Shang est décédé et que vous n'êtes pas mon maître, je ne peux pas vous demander (T. bla ma khyed min pa zhu sa mi bdog). Il me faut maintenant demander la transmission complète (T. khrid tshar gcig) des six yogas." Gampopa repondit : "Vous avez eu de bonnes expériences. Mais je dois ajuster (T. thag chod) votre vue." Et il lui donna les huit vers de la Mahāmudrā (T. phyag rgya chen po'i tshig rkang brgyad[7]) et les Cinq introductions (T. ngo sprod lnga pa), suite à quoi Mogchokpa eut confiance en sa perspective de la vue (T. lta ba'i phyogs). Ensuite Gampopa dit : "Etudiez plutôt le cycle des six yogas (T. chos drug tshar gcig) avec Gomtshul (T. sgom pa tshul khrim snying po 1116-1169) . J'ai personnellement fait le vœu de ne pas enseigner les sādhana et les six yogas " volumes shangpa KA, p. 180-181 [11] 

 Ainsi, dans la lignée Shangpa, grâce à la triple pratique de l'apparence, le "corps de rêve", ou le corps mental (manomaya-kāya), permet de voyager dans le monde (Bodhgaya, etc.), dans les terres pures, pour rencontrer des sambhoghakāyas comme Niguma, et de recevoir des instructions dans le cadre du rêve. Cela pose évidemment le problème d'un point de vue historique pour dater ces "instructions" et de les attribuer...
"Les apparences naturelles, qui sont de nature apparente (māyā),
Au moment de se familiariser avec et de s'y entrainer
On voyage à Bodhgaya, etc., ainsi que dans les mondes divins (divaukasa)
Pour les visiter et en profiter. 
Puis à Akaniṣṭha et dans les terres pures
Où résident les Corps symboliques (sambhogakāya) et les Bouddhas
Afin de leur faire de vastes offrandes
En les examinant (dbyad) par sa propre intelligence
On s'entraîne ainsi à sa guise." La précieuse guirlande radieuse, Mokchok Rinchen Tseundru 
***

[1] Chronological Conundrums in the Life of Khyung po rnal ’byor: Hagiography and Historical Time, Matthew T. Kapstein, University of Chicago & École Pratique des Hautes Études, JIATS, no. 1 (October 2005), THL #T1221, 14 pp.

We have access at present to four redactions of the Golden Rosary of the Shangpa Golden Rosary , the collected hagiographies of the Shangpa Kagyü masters. These were compiled in different times and places, by quite different branches of the Shangpa Kagyü. For the records of the early masters, however, those who flourished no later than the beginning of the fourteenth century, the four collections are closely similar, both in their selection of teachers whose hagiographies are included, and in the actual texts themselves. Much the same may be said of the condensed versions of the Golden Rosary of the Shangpa Golden Rosary we find in the Blue Annals and in another fifteenth-century history, The Archive [page 5] of China and Tibet (gya bö yiktsang), and in a later survey of Shangpa Kagyü history written by the renowned Tāranātha. This, together with much other evidence, reinforces the assertion of the Shangpa Kagyü tradition itself, that it remained a tightly knit and highly secretive lineage until the late-thirteenth and early-fourteenth centuries, when its masters began to promulgate its teachings much more widely than had been the case previously. These circumstances further suggest that the early hagiographies were redacted in more or less the form in which we now know them during this same period, and this in turn would explain the remarkable consistency of these texts in the known versions. It further suggests, however, that we must be rather cautious about attributing their contents to the age of the earlier figures they treat.”

These are as follows. (1) Shangs-pa gser-’phreng: A Golden Rosary of the Lives of Masters of the Shangs-pa dKar[sic]-brgyud-pa Schools, Smanrtsis Shesrig Spendzod 15 (Leh: Sonam W. Tashigangpa, 1970). (2) Śaṅs-pa bKa’-brgyud-pa Texts: A collection of rare manuscripts of doctrinal, ritual, and biographical works of scholars of the Śaṅs-pa Bka’-brgyud-pa tradition from the monastery of Gsaṅ-sṅags-chos-gliṅ in Kinnaur, 2 vols. (Sumra, H.P.: Urgyan Dorje, 1977). (3) Shangs pa bka’ brgyud bla rabs kyi rnam thar, Gangs can rig mdzod 28 (Lhasa: Bod ljongs bod yig dpe rnying dpe skrun khang, 1996). (4) A sixteenth-century xylographic version from Ngari Gungtang preserved in the National Archives of Nepal, in Kathmandu. An abridged, vulgar translation of the first version is found in Nicole Riggs, trans., Like An Illusion: Lives of the Shangpa Kagyu Masters (Eugene, OR: Dharma Cloud Publishing, 2000)."

[2] Selon Kapstein, ce serait plutôt environ 1050-1140.

[3] Traduction française : Hagiographies de Nigouma et Soukhasiddhi, éd. Yogi Ling, 1997, trad. Neldjorpa Tsultrim Namdak.

Il y a également l’’hagiographie de la lignée Shangpa (shangs pa bka’ brgyud bla rabs kyi rnam thar), une compilation attribuée à Namkha Samdrub Gyaltsen (1408–1462), un étudiant de Lapchiwa Namkha Gyaltsen (1372-1437).

[4] Niguma, Lady of Illusion, Tsadra, Sarah Harding, Introduction

[5] Voir : Four human lineages of Tailopa. Chos drug and bKa'-babs bzhi Material for a Biography of the Siddha Tilopa, Fabrizio Torricelli

[6] Traduit en anglais par Saraha Harding dans Niguma Lady of Illusion, Tsadra (2010).

[7] Car né, et captif dans une des six destinées.

[8]His health began to decline by the end of March, 1989, and his students begged him to seek medical attention. He agreed to be admitted to Siliguri Hospital on April 15, and although he consented to remain there for three weeks, he refused pleas to travel to France for further treatment. He returned to Sonada on May 5. According to Bokar Rinpoche, when asked how he felt, Kalu Rinpoche responded by saying,

Day-time is the cultivation of the experience of illusion.
Night-time is the cultivation of the experience of dream
.” The Treasury of Lives, Kalu Rinpoche

[9] Bla ma khyung po rnal 'byor gyi rnam thar zur. Vol, Shangpa, Ka, p. 91
sgyu ma lta bu’i chos rnams la// sgyu ma lta bur bsgom byas na// sgyu ma lta bur mngon sangs rgyas// mos gus stobs las ‘byung bar ‘gyur//

[10] "On the evening of the full moon, the dakini Niguma bestowed upon me the empowerments of Dream Yoga and Illusory Body Yoga."

"Now, a dream will come to you through my blessings," she said. Indeed, I had the following lucid dream: I went to the realm of gods and demi-gods. I was being eaten alive by large demi-gods when the dakini appeared in the sky saying, "0 son, do not wake up." At that very instant, I received the instructions on the Six Yogas. After I woke up, the dakini appeared and said, "No one else in India has ever received the Six Yogas in one session." She gave me the following teachings: three complete transmissions of the Six Yogas, the Vajra Verses on the Three Ways of Integrating the Path, the Stages of the illusory Path, etc." p. 62-63 Like An Illusion, Lives of the Shangpa Kagyu Masters, 
Nicole Riggs

[11] Blog Le flot incessant de la Nature du 6 juillet 2010.

La passage en anglais dans Like An Illusion :

"I brought the gifts into [Gampopa's] cave and explained, "Since my great Shangpa Lama has passed away, I have continued to practice. I have developed experiences and realizations of Illusory Body Yoga, Dream Yoga, and Clear Light Yoga. But I am not sure if I have all of these in their entirety." I asked Lama Gampopa, "Since my Shangpa Lama has passed away, would you please give me the instructions for the Six Yogas?" 
The Lama replied, "Your understanding of the Six Yogas is already very good. What you need now is a teaching to clear away your doubts about the view." He gave me the Eight-Line Mahamudra Teachings as well as five pointing-out instructions to lead me to certainty in the view. Lama Gampopa then said, ']\s for meditation techniques on the Six Yogas, I myself have pledged not to comment on them or on their sadhanas. Since you're empowered in Dream Yoga, however, be mindful of your dreams. You'll get instructions." 
So I went off to meditate in a small hut and stayed up until dusk saying prayers. At dawn, I dreamt that I went to Lama [Gampopa] and he taught me the Six Yogas in their entirety. As soon as I woke up from that sleep I remembered the dream and continued with the practice even in the waking state. When I went to see Gampopa, I asked, "The Six Yogas I was taught last night in the dream, are they the ultimate?" 
The Lama replied, "Most of them were complete. As for the others-the Transference of Consciousness Yoga and its related practice, Entering the Corpse Projection Yoga, you still need a little more instruction." And he gave me the final words of instruction on these. I received teachings and books from Gampopa and later from the scholar Garpa." p. 98


dimanche 27 août 2023

Un corps dans un corps ?

Buzz Lightyear (photo : Made To Stick Decals LLC)

Dans le Samaññaphala Sutta (Les fruits de la vie contemplative, Digha Nikaya 2[1]), le Bouddha des auditeurs explique les fruits de la vie contemplative, et les pratiques contemplatives qui y conduisent, dans l’ordre, l’éthique (sīla), la modération des sens (indriyasaṁvara), l’attention et la vigilance (satisampajañña), le contentement (santosa), l’abandon des obstacles (nīvaraṇappahāna), les quatre jhanas (paṭhamajhāna), la connaissance pénétrante (vipassanāñāṇa), puis des fruits plus extraordinaires tels un corps créé par l'esprit (manomayiddhiñāṇa) et les pouvoirs supranormaux (iddhividhañāṇa), qui font l’objet d’un sutta particulier (SN 51.20 Iddhipada-vibhanga Sutta: Analysis of the Bases of Power).
"Son esprit ainsi concentré, purifié (citte parisuddhe), et clair (pariyodāte, cleansed, bright[2]), sans tache, libre de défauts, souple, malléable, solide, et entraîné à l'imperturbabilité, il le dirige et l'oriente vers la création d'un corps fait par l'esprit. A partir de ce corps il crée un autre corps, doté de forme, fait d'esprit, complet en toutes ses parties, pas inférieur en ses facultés. C'est comme si un homme devait tirer un roseau de sa gaine. L'idée lui viendrait: 'Ceci est la gaine, ça c'est le roseau. La gaine est une chose, le roseau une autre, mais le roseau a été tiré de la gaine.' Ou comme si un homme devait tirer une épée de son fourreau. L'idée lui viendrait: 'Ceci est l'épée, ça c'est le fourreau. L'épée est une chose, le fourreau une autre, mais l'épée a été tirée du fourreau.' Ou comme si un homme devait retirer un serpent de sa mue. L'idée lui viendrait: 'Ceci est le serpent, ça c'est la mue. Le serpent est une chose, la mue une autre, mais le serpent a été retiré de la mue.' de la même façon -- son esprit ainsi concentré, purifié, et clair, sans tache, libre de défauts, souple, malléable, solide, et entraîné à l'imperturbabilité, le moine le dirige et l'oriente vers la création d'un corps fait par l'esprit. A partir de ce corps il crée un autre corps, doté de forme, fait d'esprit, complet en toutes ses parties, pas inférieur en ses facultés.[3]
La présentation de la production d’un “corps mental” (manomaya-(kāya) ) dans ce passage ne permet pas de conclure que le “corps mental” est déjà “naturellement” présent dans le corps “karmique” (karma-vipāka), puisque ce “corps” est dit fabriqué (maya) mentalement (manas), en dépit des métaphores, utilisant des corps internes tout prêts dans un corps externe. Mais l'ambiguïté est bien là. Même s’il est dit ailleurs que le Bouddha ou d’autres pouvaient ainsi produire “mentalement” et simultanément de nombreux corps identiques. Ce “corps mental” n’est donc pas le “corps véritable”, enfoui dans une enveloppe mortelle. Mais certains bouddhistes - nombreux, la majorité - l’ont bien compris ainsi, et le comprennent toujours ainsi. Ce serait alors le “véritable” “corps mental”, capable de produire d’autres “corps mentaux”. Une sorte de pouvoir d’ubiquité, dont la réalité dépasserait celle de la simple perception réelle ou irréelle) individuelle (nirmāṇakāya).

Ce n’est pas tant, qu’au bout de l’entraînement progressif d’un bhikṣu, celui-ci arrive à produire mentalement un “corps mental”, mais plutôt que ce “corps” est la conséquence d’avoir abandonné l’expérience ordinaire de son corps “karmique”, produit par les éléments, etc. Par la désidentification/désappropriation progressive des “briques” élémentaires (dhātu) de ce qui constitue un individu ordinaire, le bhikṣu n’est plus cet individu ordinaire, et ne s’identifie pas avec son corps karmique. C’est son entraînement dans le “dharma” qui le remplace et c’est le “dharma” qui est devenu son corps. Le terme “corps” (kāya) est d’ailleurs à prendre dans le sens de corpus, un ensemble, une collection, voire une structure. Un ensemble de qualités (dharma) développé au cours de la vie du bhikṣu. Ces qualités peuvent être représentées par des symboles, et ce corps de qualités est alors visible de façon “symbolique” (saṃbhogakāya). Un stūpa ou un caitya est une représentation symbolique d’un Bouddha (dont chaque partie symbolise un aspect de la doctrine), mais aussi le corps d’un “grand homme” (mahāpuruṣa), avec ses marques majeures et mineures. Dans le cas d’un “grand homme”, ce n’est pas son corps ordinaire qui fait le “grand homme”, mais l’ensemble de ses qualités, qu’il a fabriquées “mentalement”, p.e. à force de générosité, éthique, endurance, effort, concentration et sapience. Le résultat de l'entraînement est la pensée (citta) radieuse, c’est-à-dire purifiée, libérée des cinq obstacles (nīvaraṇa) ou des cinq passions. L’absence des cinq obstacles ou passions EST la “présence” des “cinq sagesses”... L’absence de scories rend l’or brillant, “la brillance” de l’or est parfois positivement traitée comme de la sagesse (jñāna)… si l’on aime les réifications. Idem pour la pensée (citta).

Le sommet de l'univers bouddhiste (détail, Himalayan Art 47441)

La connaissance du corps mental (manomayiddhiñāṇa, manomaya-kāya) et les pouvoirs supranormaux (iddhividhañāṇa) associés rendent leur détenteur pareil aux devas. Ce corps est un bon support pour bon nombre de qualités éternalistes. A cause du principe de la sympathie microcosmique et macrocosmique, transmigrer dans l'univers bouddhiste, ou voyager à l’intérieur même de son corps mental revient au même (yoga du rêve). C’est dans le corps mental, au coeur de son corps karmique,  que le bhikṣu/yogi, confortablement assis ou couché, voyage mentalement dans le triple univers et au-delà. Les réalisations bouddhistes (jhana, etc.) se situent au-dessus du monde de Brahma, pour donner une idée de l’altitude spatio-temporelle métaphysique où le bhikṣu/yogi évolue. To infinity and beyond… Le progrès dans la pratique d’un bhikṣu/yogi est une indication pour le degré cosmologique atteint, s’il devait mourir à l’instant. Et sa pratique étant ce qui constitue son monde mental, son corps mental peut se situer à un certain degré cosmologique, tandis que son corps karmique épuise encore son karma humain résiduel dans le monde des humains. Pour certains bouddhistes le corps mental (manomaya-kāya) était le véritable corps actuel/futur (l'actif), tandis que le corps karmique était celui du passé (le passif). Un corps dans un corps, présent dès la conception, et même antérieur à celle-ci. Au moment de la mort, il ne “reste” plus que le corps mental qui devient alors temporairement le corps actuel, un véhicule, une monture (sheng 乘)[4], le temps de concevoir un nouveau corps karmique, voire se de se libérer dans l'existence intermédiaire. La transmigration se passe-t-il alors de façon microcosmique, macrocosmique ou les deux à la fois ?

La situation transmigratoire du corps mental est parfois désignée “existence intermédiaire” (antarā-bhava, C. zhongyou 中有, t. bar do), et l’entité transmigatoire est appelé “gandhabba’” (s. gandharva, t. dri za).
L’être intermédiaire qui effectue ainsi le passage d'une existence à une autre est formé, comme tout être vivant, des cinq agrégats (skandha). Son existence est démontrée par le fait qu'il ne peut y avoir discontinuité dans le temps et dans l’espace entre le lieu et le moment de la mort et ceux de la renaissance, et qu’il faut donc bien que les deux existences appartenant à la même série soient reliées dans le temps et dans l’espace par une étape intermédiaire. L’être intermédiaire est le Gandharva dont la présence est nécessaire à la conception au même titre que la fécondité et l’union des parents. De plus, l’Antarāparinirvāyin[5] est un Anāgāmin qui obtient le parinirvāṇa lors de l’existence intermédiaire. Quant au grand criminel, coupable de l’un des cinq crimes sans intervalle (ānantarya), il passe tout de même par une existence intermédiaire au terme de laquelle il renaît nécessairement en Enfer.” André Bareau, Les sectes bouddhiques du petit véhicule, École française d'Extrême-Orient, 1955, p. 143
Selon Sumi Lee, l'école Sarvāstivāda accepta la notion d’être intermédiaire et comprit cette notion d’être intermédiaire en termes de manomaya-kāya[6].
Puisque le corps de tous les êtres intermédiaires naît en se conformant au mental et agit en chevauchant le mental, il est appelé [corps] fait par le mental.” Abhidharma Mahāvibhāṣa Śāstra[7]
Outre ce “corps mental” ordinaire qui sert de monture aux êtres transmigratoires, il reste le sens du “corps mental” originel, utilisé du vivant du bhikṣu/yogi, pour faire des aller-retour dans le triple univers, et qui reste réservé à des grands pratiquants (arhat, pratyeka-buddha, bodhisattva), notamment pour monter voir Maitreya. Selon le Śrīmālādevī Sūtra et le Ratnagotravibhāga Śāstra (rgud bla ma), ces êtres avancés ne sont cependant pas encore arrivés à la fin de leur parcours, et il leur manquerait la perfection des qualités (guṇa-pāramitā) du Corps réel (dharmakāya) d’un Tathāgata, et pour cela ils doivent surmonter quatre obstacles (catvāraḥ paripanthā)[8]. Ces quatre obstacles/méprises concernent précisément ce dont le Soi (ātman) est doté par définition. A savoir dans le Bhagavad Gītā (II, 20) :
Jamais il ne naît ni ne meurt. Il n’appartient ni au passé, ni au futur. Sans naissance, permanent, éternel, l’Ancien [le Soi] ne se laisse pas abattre avec le corps.”[9]
Les quatre perfections (pāramitā) qui manqueraient au dharmakāya d’un Tathāgatha sont la pureté, le soi, la félicité et la permanence. Dans le Śrīmālādevī Sūtra :
Ce dharmakāya du Tathāgata est en effet la pāramitā de la permanence, la pāramitā de la félicité, la pāramitā du soi et la pāramitā de la pureté[10].
C'est la fin de l'équilibrisme d'un bouddhisme, taxé de nihiliste (nāstika) par les cultes éternalistes (āstika). Ce qui lui manquait pour devenir āstika se trouve dans ces quatre perfections éternalistes, et au potentiel d'ouverture à des pratiques éternalistes qu'elles représente. Je pense notamment aux méthodes “āstika” intégrées dans le bouddhisme brahmanisant mahāyāna et ésotérique. Rappelons quand-même les quatre critères de l’orthodoxie bouddhiste.
Tous les composés sont impermanents (P. sabbe saṅkhara annicā)
Tous les composés sont souffrance (P. sabbe saṅkhara dukkhā)
Tous les phénomènes (dharma) sont sans soi (P. sabbe dhammā anatta)
La destruction (de tous les liens), c’est le nirvāṇa (S. śantaṁ nirvāṇaṁ).
Les trois premiers vers de ce quatuor se trouvent dans le Dhammapada (vers n° 5, 6 et 7 de chapitre XX). Certes, selon le mahāyāna c’est du bouddhisme pour les auditeurs (śrāvaka), les disciples directs du Bouddha, à qui il manquerait encore ces quatre perfections du Soi pour être des parfaits tathāgata.

Le Mahāparinirvāṇasūtra le dit encore plus clairement :
"L’ātman, c'est le Tathāgatagarbha. Tous les êtres possèdent la Nature de Buddha : voilà ce qu'est l'atman, Cet atman, dès le début, est toujours cou vert par d'innombrables passions (kleśa) : c'est pourquoi les êtres ne parviennent pas à le voir. C'est comme si, dans la cabane d'une pauvre femme, il y avait un trésor d'or pur sans que, dans sa famille, absolument personne ne le sache... Le Tathāgata, aujourd'hui, révèle aux êtres ce trésor précieux, à savoir la Nature de Buddha. Quand tous les êtres l'ont vu, ils éprouvent une grande joie et prennent refuge dans le Tathāgata. Celui qui excelle en moyens salvifiques (upāya), c'est le Tathāgata; la pauvre femme représente les innombrables êtres; le trésor d'or pur, c'est la Nature de Buddha.”
Etienne Lamotte ajoute :
“2. La Pensée naturellement lumineuse (cittam prakṛtiprabha- svaram), le Tathāgatagarbha, dont il est question dans ces Sūtra a inspiré diversement les grands docteurs de l'École Yogācāra. Les uns, comme Saramati, s'en réclament pour forger un monisme absolu, plus brâhmanique que bouddhiste; d'autres, comme Asanga, l'interprètent dans le cadre de leur système psychologique et l'identifient à la Bhutatathata ou à l'Alaya "révolutionné"." (VKN, p. 56)
La pensée naturellement radieuse, comme de l’or pur, libre de toutes les scories. Imaginée et réifiée “sans souillures”, elle devient le Soi, qui ne naît pas et ne meurt pas. Dans son état “souillée”, appelé tathāgatagharba, elle “transmigre”, “sent la souffrance, se dégoûte, aspire au Nirvāṇa…” (Śrīmālādevī Sūtra, trad. Lamotte dans le VKN, p. 55)

La pensée radieuse a fait une sacré carrière. Nāgārjuna avait posé la voie du milieu entre l’être et le non-être, ou plus précisément entre quatre couples d’oppositions. La non-dualité ne choisit pas entre être et non-être, et ne choisissant pas, garde l’accès à la sphère totale, sans scission.
[I]l n'y a, chez Pyrrhon, aucune séparation telle que celle du “subjectif” et de l' “objectif“. Des lors, en effet, que les apparences ne recèlent aucun fond caché, il n'y a rien en elles qui leur permettrait de se poser en “êtres”, et il n'y a donc pas de “pôle” susceptible de correspondre, à titre d' “objet”, à cet autre pôle que serait le “sujet”. Les apparences ne sont ni des apparences-de, ni des apparences-pour, mais des apparences en elles-mêmes. On dit bien : “telle chose m'apparaît”, mais ce à quoi renvoie l'apparence se résolvant à son tour en apparences, l'apparence ne renvoie qu'à elle-même.” Pyrrhon ou l’apparence, Marcel Conche, PUF, 1994, p. 102.
La non-dualité requiert en effet le soi <-> non-soi, permanence <-> impermanence, souffrance <-> félicité, pureté <-> imperfection. Les coïncidences des opposés peuvent être en déséquilibre, momentanément et naturellement, ou pour d’autres raisons. Il me semble qu’il y a eu un basculement vers les pôles éternalistes, mettant à mal l’apparence. Cela conduit à des fausses certitudes, et à une radicalisation généralisée.

Peut-être que le bouddhisme qui avait séduit l’Occident au XIX-XXème siècle n’était pas le “vrai bouddhisme”, qui serait beaucoup plus religieux que l’Occident ne le pense, et qui l’aurait toujours été depuis le début. Le sera-t-il toujours, le doit-il rester ? Y aurait-il un terrain propice pour un "Bauddhatva" comme il y en a eu pour l’Hindutva ? On mesure la distance parcourue en regardant simplement l’évolution de la pensée radieuse momentanée en véritable “étincelle de lumière” de la Claire Lumière éternelle, et le développement cultuel des méthodes sotériologiques associées, s'adaptant aux nouvelles valeurs et lubies des époques. Le corps mental devenant un "corps de diamant" (vajrakāya), un corps d'arc-en-ciel"... 

Dans le petit espace de temps que j’ai connu le bouddhisme tibétain, surtout en Occident je précise, je l’ai vu devenir plus radical, plus ouvertement religieux, hiérarchique, anti-intellectuel, dévotionnel, superstitieux… Désormais, la foi en un maître semble suffire comme voie, toute la voie. Les plus dévotionnels ou religieux (croyant en l’efficacité religieuse - ou magique - des méthodes) sont restés (se sentant plus ou moins impliqués), d’autres ont abandonné le navire, ou se sont tournés vers des approches “bouddhistes” plus compatibles et contemporaines, comme la Pleine conscience. Une chose est certaine le bouddhisme ne s'est pas implanté dans l'Occident. L’enthousiasme des débuts a disparu et l’avenir du bouddhisme, “le vrai”, est incertain en Occident. 

Y a-t-il suffisamment d’intérêt pour un nouveau bouddhisme plus adapté, plus engagé ? Mais, le bouddhisme a toujours été très engagé, et au plus haut niveau de la société, sans doute pas dans le sens de l’engagement tel qu’on le conçoit maintenant, et encore…. Si le bouddhisme n’a plus la singularité d’être une vraie voie du milieu, étant devenu une “voie du milieu” penchant clairement vers l’éternalisme, y aurait-il une quelconque utilité pour un bouddhisme adapté à notre époque et ses valeurs, et engagé dans les causes actuelles ?

D’un autre côté, si le point commun entre toutes les formes de bouddhisme du passé et du présent est que personne ne semble jamais avoir compris ni le Bouddha, ni son enseignement, comme on n'arrête pas de le répéter, la voie est libre pour de nouvelles approches qui ne comprennent ni le Bouddha, ni son enseignement. Ce serait parfaitement conforme à la tradition bouddhiste. 

***

[1] Pour une traduction “alignée” : la version pāli avec la traduction anglaise de Bhante Sujato

[2] On voit en anglais les traductions “cleansed”, “bright” pour “pariyodāte”, qui suit immédiatement au terme “parisuddhe” qui signifie purifié. La traduction “clair” en français, ou “bright” en anglais ne doit donc pas être traduite avec un sens de lumineux, produisant de la lumière. La pensée radieuse (cittaṃ (pr)abhāsvaram) est d’ailleurs comparé à de l’or sans scorie.

[3] Sujato :

4.3.3.2. Mind-Made Body

When their mind has become immersed in samādhi like this—purified, bright, flawless, rid of corruptions, pliable, workable, steady, and imperturbable—they extend it and project it toward the creation of a mind-made body. The “mind-made body” is the interior mental representation of the physical body. In ordinary consciousness it is proprioception, which here is enhanced by the power of meditation. The higher powers in Buddhism are regarded as extensions and evolutions of aspects of ordinary experience, not as metaphysical realities separate from the world of mundane experience.From this body they create another body, physical, mind-made, complete in all its various parts, not deficient in any faculty. This is similar to the experience of the “astral body” described by modern spiritualists. Note that it is still “physical” (rūpī) even though it is mind-made. This is the subtle (sukhuma) body, which is an energetic experience of physical properties by the mind.

Suppose a person was to draw a reed out from its sheath. They’d think: ‘This is the reed, this is the sheath. The reed and the sheath are different things. The reed has been drawn out from the sheath.’ Or suppose a person was to draw a sword out from its scabbard. They’d think: ‘This is the sword, this is the scabbard. The sword and the scabbard are different things. The sword has been drawn out from the scabbard.’ Or suppose a person was to draw a snake out from its slough. They’d think: ‘This is the snake, this is the slough. The snake and the slough are different things. The snake has been drawn out from the slough.’

In the same way, when their mind has become immersed in samādhi like this—purified, bright, flawless, rid of corruptions, pliable, workable, steady, and imperturbable—they extend it and project it toward the creation of a mind-made body. From this body they create another body, physical, mind-made, complete in all its various parts, not deficient in any faculty. This too, great king, is a fruit of the ascetic life that’s apparent in the present life which is better and finer than the former ones.


Pāli :

“So evaṁ samāhite citte parisuddhe pariyodāte anaṅgaṇe vigatūpakkilese mudubhūte kammaniye ṭhite āneñjappatte manomayaṁ kāyaṁ abhinimmānāya cittaṁ abhinīharati abhininnāmeti. So imamhā kāyā aññaṁ kāyaṁ abhinimmināti rūpiṁ manomayaṁ sabbaṅgapaccaṅgiṁ ahīnindriyaṁ.

Seyyathāpi, mahārāja, puriso muñjamhā īsikaṁ pavāheyya. Variant: īsikaṁ → isikaṁ (bj, sya-all); isīkaṁ (pts1ed) | Seyyathā → seyyathāpi (bj, pts1ed) | pavāheyya → pabbāheyya (sya-all, mr)Tassa evamassa: ‘ayaṁ muñjo, ayaṁ īsikā, añño muñjo, aññā īsikā, muñjamhā tveva īsikā pavāḷhā’ti. Variant: pavāḷhā’ti → pavālhāti (bj); pabbāḷhāti (cck, sya1ed, mr); pabāḷhāti (sya2ed)Seyyathā vā pana, mahārāja, puriso asiṁ kosiyā pavāheyya. Tassa evamassa: ‘ayaṁ asi, ayaṁ kosi, añño asi, aññā kosi, kosiyā tveva asi pavāḷho’ti. Seyyathā vā pana, mahārāja, puriso ahiṁ karaṇḍā uddhareyya. Tassa evamassa: ‘ayaṁ ahi, ayaṁ karaṇḍo. Añño ahi, añño karaṇḍo, karaṇḍā tveva ahi ubbhato’ti. Variant: ubbhato’ti → uddharito (sya-all, km)

Evameva kho, mahārāja, bhikkhu evaṁ samāhite citte parisuddhe pariyodāte anaṅgaṇe vigatūpakkilese mudubhūte kammaniye ṭhite āneñjappatte manomayaṁ kāyaṁ abhinimmānāya cittaṁ abhinīharati abhininnāmeti. So imamhā kāyā aññaṁ kāyaṁ abhinimmināti rūpiṁ manomayaṁ sabbaṅgapaccaṅgiṁ ahīnindriyaṁ. Idampi kho, mahārāja, sandiṭṭhikaṁ sāmaññaphalaṁ purimehi sandiṭṭhikehi sāmaññaphalehi abhikkantatarañca paṇītatarañca.”

[4] The Meaning of ‘Mind-made Body’ (S. manomaya-kāya, C. yisheng shen 意生身) in Buddhist Cosmological and Soteriological systems, Sumi Lee, UCLA, Buddhist Studies review

[5] Maitrīgupta/Advayavajra aurait "réalisé la Mahāmudrā ["tantrique"] dans le Bardo", voir Maitripa et ses disciples vus par Taranatha

[6] The Meaning of ‘Mind-made Body’ (S. manomaya-kāya, C. yisheng shen 意生身) in Buddhist Cosmological and Soteriological systems, Sumi Lee, UCLA, Buddhist Studies review

“The *Mahāvibhāṣā, the encyclopedic treatise of the Sarvāstivāda school, in fact provides a list of four terms with the same referent as antarā-bhava, i.e., antarā-bhava (C. zhongyou 中有), gandharva (C. qiandafu 揵達縛), ‘birth-seeker’ (S. saṃbhavaiṣin, C. qiusheng 求生), and manomaya (C. yicheng 意成).”

[7]Since the body of all the intermediate beings is born complying with the mind and acts while riding on the mind, they are called mind-made [body].” The Meaning of ‘Mind-made Body’, p. 74. T 1545 363a17–27.

[8] [1] ‘Phenomenon of condition’ (S. pratyaya-lakṣaṇa, C. yuanxiang緣相) means ‘entrenched ignorance’. [The ‘entrenched ignorance’ is the condition for ‘karmic activities’ (S. saṃskāra, C. xing 行) 38 for the three types of beings,] just as ‘ignorance’ (S. avidyā, C. wuming 無明) is [the condition] for ‘karmic activities’ (S. saṃskāra, C. xing 行) [for ordinary people]. [2] ‘Phenomenon of cause’ (S. hetu-lakṣaṇa, C. yinxiang 因相) means the ‘uncontaminated activities’ (S. anāsrava-karma, C. wulou ye 無漏業) conditioned by the ‘entrenched ignorance’ [as the cause of the manomaya-kaya], [and it is to be] compared with the ‘karmic activities’ [conditioned by the ‘ignorance’ of the ordinary beings]. [3] ‘Phenomenon of origination’ (S. saṃbhava-lakṣaṇa, C. shengxiang 生相) means the origination of the three types of mind-made body (S. manomayātmabhāva), conditioned by the ‘entrenched ignorance’ and caused by the ‘uncontaminated activities’, just as the origination of the three realms (S. tribhava) is conditioned by four kinds of ‘grasping’ (S. upādāna, C. qu 取)39 and caused by the ‘contaminated activities’ (S. sāsrava-karma, C. youlou ye 有漏業).40 [4] ‘Phenomenon of destruction’ (S. vibhava-lakṣaṇa, C. huaixiang壞相) means ‘inconceivable transformative death’ (S. acintya-pāriṇāmikī-cyuti, C. bukesiyi bianyi si 不可思議變易死) conditioned by the origination of the three types of manomaya-kāya. It corresponds to ‘aging and death’ (S. jarā-maraṇa, C. laosi 老死) [of the existence of the three realms, which is] conditioned by the birth (S. jāti, C. sheng 生)

[9] Traduction de Michel Hulin, La Bhagavad-Gītā, Sagesse, p. 39

[10]This dharmakāya of the Tathāgata is indeed the pāramitā of permanence, the pāramitā of bliss, the pāramitā of a self, and the pāramitā of purity.[174]”
When the Clouds Part: The Uttaratantra and its Meditative Tradition as a Bridge between Sutra and Tantra. Boston: Snow Lion Publications, an imprint of Shambhala Publications, 2014. Karl Brunnhölzl

dimanche 20 août 2023

Extreme desire for Enlightenment


Dual world views like the ones shared by Gnostics, Manicheans etc. can also be found in Buddhism in the opposition between saṃsāra and nirvāṇa, whatever the frame and the substance. Even if everything were mind (cittamātra), there still is the opposition between cognition and ignorance, Science (vidyā) or no-Science (avidyā), or access to non-originated Luminosity (skye med ‘od gsal) and no access.

The Drikung founder Jikten Gonpo Rinchen Pel (1143-1217) makes that clear in his Cintamani Shastra : the garland of blazing wish-fulfilling gems (bstan bcos tsin+ta ma Ni'i phreng ba zhes bya ba'i rtsa ba). In a chapter on obstacles to liberation (thar pa'i bar du gcod par byed), the practice of the Four abodes of Brahma (cattāri brahmavihārā) is said to be an obstacle to liberation, to “Engaging in the Peace of Samādhi” (shin tu zhi ba'i ting nge 'dzin).
199. By giving the state of Lord Brahma along with his enjoyments, comforts and joy, obstacles to liberation are created.

200. The samadhis of utter peace, the concentrations and absorptions, loving-kindness, compassion and joy, equanimity, and the concentration of joyous peace, and the six mundane perfections create obstacles to liberation.

201. Also, the concentration of experience and awareness create obstacles to liberation in terms of cause, path and result altogether. The mind wishing the joy of peace for oneself, creates obstacles to the attainment of complete enlightenment.

202. Those who propagate such wishes— the parents, abbots and masters— are said to be obstacles creating maras by none other than the Buddha himself.

203. Alas. These maras who create obstacles deprive one of the ultimate happiness. Through the harms of the three realms of samsara, they harm all the time, continuously. How would I develop fondness for these vicious enemies and obstructers?

204. With an intention to defeat the entirety of maras, in front of the Bodhi tree, the protector Lord Shakyamuni, through samadhi on innate great loving-kindness, established all the maras without exception, in the state of utterly supreme great bliss
.”[0]
Everything has to yield for “ultimate happiness”, and those thought to stand in its way (including parents, abbots and masters, are considered “vicious enemies and obstructers” on whom no “fondness” (dga’ ba, joy) ought to be lost. It’s a sort of totalitarianism of the “utterly supreme great bliss”, in which even Māras are to be forcefully (through “innate great loving-kindness”) established.

Is this totalitarian project even feasible? If Lord Shakyamuni were that powerful to establish “all the maras without exception, in the state of utterly supreme great bliss”, why wouldn’t he do the same with all beings of saṃsāra? The fruit, full awakening or supreme great bliss, is to be realised by every being individually according to Buddhism. Yet at the same time, Buddhism conceives of Buddhas in a Gnostic fashion. Buddhas manifest worlds, emanate missionaries, create situations and use all sorts of skilful means (including archonts/Māras) to guide beings towards awakening. Their power is such that, if they wanted it, they could end saṃsāra here and now. At least such seems to be the gist of the belief of Buddhists. Looking at the state of the world, Buddhist messiahs failed too. The endeavor seems to remain an individual one, if necessary even against “parents, abbots and masters” and leaving aside the four abodes of Brahma, loving-kindness, compassion and joy, equanimity, because they stand in the way of one’s individual supreme great bliss.

How would we know if someone “striving on” towards supreme great bliss, sacrificing everything on their path towards it, would actually have found it? How would we recognize such a person or Buddha?

"Do we really want what we think that we want?"

Slavoj Žižek recently made a digression the feasibility of Buddhism’s search for happiness[1] during his talk on ‘Surplus Happiness: The False Joy of Excess’ at the Institute for Art and Ideas (AIA).

“I am opposed to happiness, not in the cheap sense of we want to be happy. I think with all my respect for Buddhism that this is maybe the limit of Buddhism. The Dalai Lama repeats all the time the purpose of our lives is to be happy. He just defines this term differently. Here are a couple of quotes from Dalai Lama.
Happiness is not something already made. It comes from your own actions.”
“When we feel love and kindness towards others, it not only makes others feel loved and cared for, but it helps us also to develop inner happiness and peace.”
“We don't need more money, we don't need greater success or fame, we don't need the perfect body or even the perfect mate. Right now at this very moment we have a mind with all the basic equipment we need to achieve complete happiness
”.
“Following Freud, Lacan on the contrary asserts death drive as the basic component of our lives. Death drive which operates precisely beyond the pleasure principle what Lacan calls enjoyment, “jouissance”, emerges out of a self-sabotage of pleasure. It is an enjoyment in displeasure itself, and I am even more of pessimist here, in the sense of do we really want what we think that we want? Quite often what appears as an obstacle to getting what we want is really what sustains our desire.”

“In Buddhism we are taught to sacrifice desire in order to attain this inner peace of Enlightenment, in which sacrifice cancels itself. On the contrary, the true sacrifice is desire itself. Desire is an intrusion which throws off the rails the rhythm of your life. It compels you to forfeit everyday pleasures and comfort for discipline and hard work in the pursuit of the object of your desire, be it love, a political cause or whatever.”

***

[0] tshangs pa'i dbang po'i go 'phang dang // longs spyod bde skyid ster bas kyang // thar pa'i bar du gcod par byed// shin tu zhi ba'i ting nge 'dzin// bas bsam gtan snyoms par 'jug pa dang // byams dang snying rje dga' ba dang das 'a ba ba// btang snyoms zhi bde bsam gtan dang*[J]mas // 'jig rten pha rol phyin drug gis// thar pa'i bar du gcod par byed// gzhan yang myong rig ting 'dzin gyis// rgyu lam 'bras bu thams cad kyi// thar pa'i bar du gcod pa ste// rang nyid zhi bde 'dod pa'i blos// rdzogs pa'i byang chub bar du gcod// de 'dra'i bsam pa ston pa yi/ /pha ma mkhan po slob dpon dag_/ bar du gcod pa'i bdud rnams su// rdzogs pa'i sangs rgyas nyid kyis gsungs// kye ma bar chad bdud rnams kyis// gtan gyi bde ba 'phrog byed cing // khams gsum 'khor ba'i gnod pa yis// dus rnams rgyun tu gnod pa yi// dgra bgegs ma rungs 'di dag la// bdag lta ji ltar dga' ba skye//bdud kyi dkyil 'khor pham bzhed na// byang chub mchog gi shing drung du// skyob mdzad shAkya'i dbang po yis// gnyug ma byams chen ting 'dzin gyis// ma lus bdud kyi dkyil 'khor rnams// bde chen rab tu mchog la bkod//

[1] Slavoj Žižek presents: ‘Surplus Happiness: The False Joy of Excess’

samedi 19 août 2023

Sur l'Ignorance de la Science de la Nature

Māhamāyā (détail), Himalayan Art 21960

La nature telle que nous pensons la connaître, en partie à travers les sciences, n’est pas la Nature enchantée des sciences traditionnelles d’antan, ou des sciences occultes anciennes et contemporaines. Cette Nature-là (majuscule N) est enchantée, car gérée par des “Agents”, qui ont des noms différents dans les différentes Sciences (majuscule S), qui portent sur la Nature, et qui, par l’intermédiaire de ces Agents, permettent une certaine influence sur et maîtrise de phénomènes, événements et incidents, etc. causés par la Nature. Toute fonction Naturelle a son Agent spécialisé, qui fait partie d’une vaste structure hiérarchique sous les ordres de la Nature personnifiée. Même si Elle était accessible, on ne dérangerait pas la Nature pour si peu, et s’adresserait plutôt à un Agent spécialisé.

Michel Hulin rappelle que la notion la plus ancienne de la māyā est celle du “pouvoir magique d’illusion”, détenu d’abord par les "démons", puis conquis par les dieux, dans le but "de se jouer de leurs ennemis en se dérobant à volonté à leur vue sous mille et une formes trompeuses". L'idée derrière cela étant de maintenir "les mortels captifs des liens du désir et de la crainte, de telle sorte que, mûs par l’espoir de récompenses dans l’ici-bas ou dans l’au-delà et par la peur de châtiments célestes, ils ne cessent de travailler pour le compte des dieux, les «nourrissant» constamment par les sacrifices qu’ils leur offrent." Qu'est-ce que l'ignorance métaphysique

Cette “ignorance métaphysique” traduit le terme sanskrit “a-vidyā” (tib. ma rig pa). Les “démons” sont souvent des dieux anciens, qui furent remplacés par un nouveau régime divin, et dégradés en “démons”. Parfois, même des cultes monothéistes ayant pignon sur rue ont pu être dégradés en des cultes “d’archontes” qui gardent les âmes “étincelles de lumière” prisonnières dans les geôles de fer sublunaires, et les empêchent de rejoindre la Lumière. Les nouveaux cultes posséderaient une Science (Gnose) qui leur permettrait de se libérer définitivement des geôles et de rejoindre la Lumière. C’est cette Science qui sépare ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, et qui sont dans l’Ignorance.

Il ne s’agit donc pas d’être ignorant en matière des sciences ou des lois de la nature, voire même en matière de la nature ou du fonctionnement de son esprit. La simple connaissance, maîtrise, etc. de son esprit, des passions, etc. ne suffirait malheureusement pas pour quitter définitivement l’Obscurité et de rejoindre la Lumière... Quelqu’un connaissant et maîtrisant parfaitement son esprit serait toujours Ignorant de la Science de la Nature lui permettant de rejoindre la Lumière. Tous les éveillés ne connaissent pas forcément la Science… L’Ignorance est donc une non-Science (a-vidyā), le non-accès à la Science. Pour avoir accès à la Science, il faut se tourner vers un Sage, un Sachant qui a reçu la Science dans le cadre d’une longue Transmission (souvent non-historique), dont les origines remontent tout en haut de l’Hiérarchie Naturelle, à la Nature Personnifiée. Impossible d’approcher Dieu, ou son équivalent, de plus près. La Science de la Nature est de première Source, de première main, de la dynamite, susceptible de tout faire sauter.
"Tous méditent sur ce sujet,
mais ne le réalisent pas.
Si tout le monde le réalisait, 
les manifestations des êtres s'effondreraient complètement. 
C'est pourquoi cette sagesse est secrète, obscure et non écriteMāhamāyā Tantra

thams cad kyis ni de bsgoms kyang //
de ni rtog pa ma yin no//
gal te thams cad rab rtogs na//
'gro ba'i rol pa rnam par 'jig_/
de phyir ye shes 'di gsang zhing //
mi gsal yi ge med pa'o
// Degé Kangyur volume 80, F.169.a
La Nature n’instruit pas directement aux humains, mais parfois des Sages réussissent à “écouter aux portes”, quand la Nature s’entretient avec son Mari invisible et silencieux, et à capter des bribes de Science, que les Sages retransmettent pour le bien de tous. L’origine d’une transmission peut sembler fortuite, mais en fait, tout est prévu et programmé, pour que des Agents soient envoyés en mission sur la Terre, parfois en y naissant comme vous et moi, afin de répandre la bonne nouvelle, ou la Science, qui mettra fin à l’Ignorance.

Un Sage connaissant parfaitement la Science de la Nature, peut être ignorant en matière de la nature, des lois de la société, et même du fonctionnement de son esprit. Cela ne l’empêche pas d’être Sage, et d’être en mesure de nous sauver et conduire à la Lumière. “Car la folie de Dieu est plus sage que les hommes” (premier épître aux Corinthiens). La folie de Dieu, ou la folle sagesse de Sages tibétains. N’abusons pas trop des paradoxes.

Les bribes de Science sont déposées dans des textes. Malgré le principe d’a-historicité assumé, les Traditions aiment remonter à des époques très reculées, ou sinon au moins à l’époque du fondateur présumé de leur culte. Elles aiment penser que la transmission eut alors lieu oralement, haute-fidélité, de bouche à oreille. Cela doit expliquer le manque de sources écrites, ou de sources écrites tardives. Une fois écrits, les textes peuvent être inclus (ou non) dans des collections canoniques, et ils restent gravés dans du marbre comme étant les paroles d’un Messie ou d’un Sage. La modification étant impossible, il faudrait passer par des ré-interprétations pour garder une Transmission au goût du jour. Ou espérer que des textes anciens/nouveaux sont (re)découverts, de façon matérielle ou immatérielle. S’ils sont admis comme des textes canoniques par les Sages, le culte peut aussi évoluer de cette manière là, tout en restant dans le cadre de la Science.

Ce qui précède a pour but de faire une distinction entre ignorance et Ignorance dans le cadre du bouddhisme, même si les deux peuvent se confondre, notamment avec le concept de “réincarnation” et la libération du cycle des existences du saṃsāra, et toutes les théories à ce sujet. Un bouddhiste peut ne pas connaître la nature et/ou le fonctionnement de son esprit, et être un bon bouddhiste et serviteur de son Saṅgha, mais peut-il “Ignorer” la renaissance dans le saṃsāra et la libération du Bouddha, éventuellement en remettant son propre éveil à une autre vie ?

Je me suis plongé ces derniers temps dans des livres sur ce qu’on avait coutume d’appeler le “gnosticisme” et sur le milieu gnostique, et je n’arrête pas de découvrir ce que je crois être des “ressemblances” avec des milieux tantriques, avec toutes les variations internes possibles dans chacun des milieux. Notamment sur les concepts abordés ci-dessus : la Nature, la Science/Gnose, les Agents, le Salut, qui est une sorte de réunion avec la Lumière. Mais aussi le plérôme, les envoyés, les missions de sauvetage, la cosmogonie, l’importance de la généalogie et les substances génétiques, la transmutation, etc., jusqu’aux approches antinomiques…

Il y a des éléments dans les textes canoniques les plus anciens, qui supportent des réinterprétations répétées (commentaires), y compris encore de nos jours, mais il y en a d’autres qui sont simplement trop archaïques, ou ne sont pas compatibles avec nos valeurs occidentales (en difficulté certes).

Māhamāyā (détail), Himalayan Art 7751

J’ai très récemment traduit un petit texte intéressant de questions-réponses sur le yoga du rêve de l’école Shangpa, qui daterait du XIIIème siècle. Les groupes de pratiques que l’on appelle “yogas” ("chos", instructions, de Lavapa, Nāropa, Niguma, etc.) sont des compilations (plutôt tardives) de pratiques , qui sont rattachés à de (grands) tantras, considérés comme les paroles canoniques du Bouddha. Le terme "yoga" était le choix de W.Y. Evans-Wentz, l'auteur de Tibetan Yoga and Secret Doctrines (1958). Un tantra est toujours centré sur une divinité/yidam de type Heruka. Les "yogas" rattachés à un tantra spécifique ne le sont pas toujours pour des raisons évidentes. Selon Jamgön Kongtrul Lodrö Tayé (1813-1899), le yoga du rêve se rattacherait au yoginī Tantra de Māhamāyā, qui daterait de la fin du premier millénaire. Le lien entre l’échange des maîtres Shangpa Sangyé Nyentön et Sangyé Tönpa et ce tantra plutôt sauvage et antinomique n’est pas évident, quand on regarde son contenu. A moins que “what happens in a sādhana stays in the sādhana”...

Certes le nom Māhamāyā renvoie à la Māyā, mais intégrée comme Māha- (ou Vajra-) dans le bouddhisme tantrique, pour mieux La contrôler. Elle devient alors la glorieuse Vajraḍākinī, la souveraine des ḍākinīs, et l’essence même des cinq sagesses et des trois Corps (trikāya)[1].

Māhamāyā, HA102224

Grâce à la pratique du tantra de Māhamāyā, le yogi accompli peut “dérober aux Bouddhas, les filles des devas supérieurs, et en jouir. Il possède la Science, maîtrise le “Yoga”, et sait tisser la toile d’Indra[2].
Le grand yogī qui maîtrise l'animé et l'inanimé par la seule pensée
Se voit constamment offrir des choses désirables et est servi selon son bon plaisir
.”[3]
La terminologie de ce Buddhavacana a de quoi surprendre. Quel était l’objectif initial du tantra, à qui était-il destiné ? S’agit-il d’acquérir une totale liberté onirique, imaginaire, si l’on prend quelque peu au sérieux l’association de ce tantra avec le yoga du rêve, et l’échange à son sujet entre deux maîtres Shangpa ? Il semble destiné à des individus à la recherche de pouvoirs (siddhi), la maîtrise du “Yoga” et de l’accès (s’il le faut par abduction) aux meilleures femmes[4]. Les pouvoirs Scientifiques qu’il cherche à acquérir “le rendent pareil aux dieux”.[5] A cette fin, il se concocte un cocktail de substances considérées impures, auxquelles sont mélangées des substances génétiques, et fabrique une “grosse pilule” (gong bu chen po) magique, bourrée de principes actifs de siddhi. Le premier chapitre enseigne une approche alchimique externe, mais en utilisant des substances organiques. Le deuxième chapitre traite d’une approche alchimique interne, à la fois pneumatique et mantrique, et se termine avec un happy ending[6].

Le troisième chapitre concerne l’engagement (samaya), qui consiste en premier en l’ingestion (régulière ?) de pilules (ril bu) fabriquées avec diverses substances organiques, qu’on laisse macérer 7 jours dans la carcasse d’un chacal. Ces pilules sont dites dotées de grands pouvoirs. Le chapitre termine avec le sādhana pour obtenir les siddhi de la yoginī, qui confèrent de grands pouvoirs au yogi, y compris de nouveau celui de dérober des filles de deva à tous les Bouddhas[7]. Comme cela est mentionné deux fois dans le tantra, cela doit être particulièrement profitable à “tous les êtres”, de façon directe ou indirecte. Le tantra ne mentionne d'ailleurs pas la nécessité de réciter au préalable trois fois la prise de refuge en les Bouddhas (que le yogi compte par la suite dérober de leurs copines) et le développement d’une motivation pure.

Où se situe le lien entre ce tantra et la pratique du yoga de rêve dont parlent les deux maîtres Shangpa ? Cette question n’est pas anodine, elle est même essentielle. Il est probable qu’au XIIIème siècle, il n’y avait pas encore les six-packs de yogas. Il y a même des (certes faibles) indices que la lignée Shangpa n’avait pas encore les “Six yogas de Niguma”, et que le maître Shangpa Mokchogpa (rmog lcog rin chen brtson 'grus 1110-1170) n’avait reçu que les pratiques du corps illusoire, le rêve et le rayonnement lumineux (prabhāsvarā) quand il rencontra Gampopa, et aurait reçu de Gomtshul (sgom pa tshul khrim snying po 1116-1169) les autres yoga des “six yogas” de Nāropa, qui eux aussi n’existaient probablement pas encore sous leur forme actuelle, et certainement pas en tant que groupe de 6 yogas. Il n’est pas exclu que l’association de chacun des six-pack yogas à un tantra spécifique soit le résultat de systématisation ultérieurs.

Il n’y a donc peut-être pas de lien entre le tantra de Māhamāyā et le “yoga du rêve”. Par la suite, c’est-à-dire quand on commence en effet de parler de groupes de six yogas, et qu’ils avaient été associés avec des tantras spécifiques, il fallait avoir reçu le tantra du yidam correspondant “spécifiquement“ à un yoga pour être autorisé à le pratiquer. Rien de cela n’apparaît encore dans l’échange entre les maîtres Shangpa. Dans l’école Shangpa, on (Tārānātha 1575–1634) avait d’ailleurs trouvé une solution astucieuse, en concevant une seule initiation (et sādhana[8]) pour les six yogas. La divinité principale étant Cakrasaṃvara, en union avec Vajravārāhī (gtum mo), avec les autres herukas dans les chakras de son Corps, et parmi ceux-là Māhamāyā sous forme masculine[9]

L’introduction de la traduction anglaise du tantra publiée sur le site 84000, tente l’explication suivante.
Cette ambiguïté de genre est clarifiée si l'on considère que le tantra décrit Mahāmāyā comme une forme féminisée de la réalité absolue. On dit qu'elle imprègne tout dans les trois mondes, qu'elle est la source de tous les dieux et qu'elle crée, soutient et détruit l'univers. Plus important encore, elle est exactement ce que son nom suggère, la "grande illusion" qui constitue la réalité apparente. Lorsqu'elle s'incarne, elle peut le faire sous n'importe quelle forme nécessaire, qui, dans le contexte de ce tantra, est Heruka, la divinité masculine que l'on trouve le plus souvent au centre des maṇḍalas tantriques.[10]
Le Bouddha tantrique du bouddhisme tibétain, notamment celui des tantras dits “de la deuxième propagation” s’appelle Vajradhara, entre autres mythologiquement un général yakṣa promulgué en chef des dieux et Bouddhas. Il fait équipe avec la Vajraḍākinī, “la souveraine des ḍākinīs, et l’essence même des cinq sagesses et des trois Corps (trikāya)”, dont Māhamāyā est un des aspects. On retrouve ainsi un couple Dieu-Nature, Puruṣa-Prakṛti, ou autre Dieu invisible, silencieux et “passif”, à transcendance et immanence variable, dont la Pensée/Puissance (indissociable de Lui) sera directement ou indirectement la cause de la création (māyā).
Elle imprègne tout l'Œuf de Brahmā, l'animé et l'inanimé. Elle est la source de toutes les déesses et règne sur Brahmā et les autres. Elle est leur grand secret, la grande reine Mahāmāyā. Elle est la grande illusion, intensément féroce, qui détruit tout ce qui existe. Elle imprègne tout cela : l'animé et l'inanimé, les trois mondes. Maintes fois, elle rassemble et émane à nouveau le triple monde. Cette mère des guhyakas est célébrée comme l'essence de l'illusion. Elle est la connaissance qui perfectionne les trois mondes et satisfait tous les désirs.[11]Tantra de Māhamāyā
On trouve une idée de “création” (émanation) similaire dans les milieux gnostiques et manichéistes. Le Bouddha de Lumière de Mani est assisté par la Vierge de Lumière, une “vierge mâle” (bisexué), pouvant se manifester en différents genres. Déjà dans le bouddhisme mahāyāna, Amitābha est assisté par une “Vierge de Lumière” (Avalokiteśvara) et par Mahāsthāmaprāpta (mthu chen thob). Avalokiteśvara ou Guānyīn, peut être masculin, féminin, et même féminin avec des traits mâles. La création/émanation peut être un processus plus ou moins complexe, avec plus ou moins de couches/sasses afin de maintenir une “limite” sécurisée entre l’absolu/l'un et le multiple, ou la Lumière et l’Obscurité.

Un autre élément Gnostique sont les chaînes de mantras constitués de voyelles et de consonnes.
"Une chaîne égale à celle de l'āli kāli y est enroulée.
La chaîne supérieure s'enflamme et s'écoule vers le bas,
Une goutte de nectar en écoule sous forme de sperme
[12]."
Tout cela relève de la Science de la Nature. Ceux qui LIgnorent ne peuvent pas être libres et ils ne seront pas sauvés. ils continueront à tourner dans l’Obscurité.

Pour finir, encore une petite idée qui m’est venue en lisant le Tantra de Māhamāyā et l’échange sur le rêve entre les maîtres Shangpa. Cela pourrait éventuellement constituer un lien entre le tantra et le yoga du rêve. Il s’agit du deuxième chapitre du tantra sur la pratique pneumatique.
2.2 Rien qu’en la visualisant, la yoginī accorde la meilleure des choses.
Appliquez la première syllabe et maintenez le pneuma ascendant.
Tout en prenant ce qui vient à la fin des huit avec ū et le bindu,
Le yogī tourne le pneuma vers le bas, abandonnant le réel et l'irréel
.[13]"
Cela pourrait être une transposition mythologique en une pratique pneumatique. La première syllabe est la voyelle A. Les voyelles suivantes de la chaîne de 12 voyelles sont Ā I Ī U Ū E AI O AU AṂ AḤ. Je n’ai pas accès à la version sanskrit du tantra pour en vérifier la formulation exacte. “Ce qui arrive à la suite des huit (A Ā I Ī U Ū E AI)” (avec ou sans le A initial ?), le bindu du AḤ ? Ce que je pense comprendre est que le “niveau des voyelles” se situerait entre le premier niveau de la manifestation visible[14] (A ?) et les consonnes (le multiple), et correspondrait au niveau symbolique du saṃbhogakāya, permettant de ne s’investir ni dans le réel ni dans l’irréel. Le contrôle des pneumas supérieurs et inférieurs permettrait de rester “pneumatiquement” dans ce Milieu/Centre.

Si ce n’est pas un effet (psychosomatique) réel, ce sera au moins un puissant rappel…

***
[1]I pay homage to the protector of beings, Glorious Vajraḍākinī, Universal sovereign of the ḍākinīs, the very essence of the five wisdoms and three bodies.” Dharmachakra Translation Committee 84000

Degé Kangyur volume 80, F.167.a.
dpal ldan rdo rje mkha' 'gro ma//
mkha' 'gro ma yi 'khor lo bsgyur//
ye shes lnga dang sku gsum nyid//
'gro ba skyob la phyag 'tshal lo//

[2]Abducted from the buddhas, the maidens of the highest gods are enjoyed. The yogī has knowledge, masters yoga, and weaves Indra’s Web.” traduction Dharmachakra Translation Committee 84000

Sangs rgyas kun las phrogs nas su//
lha mchog lha skyes bu mo skyod//
rnal 'byor dbang phyug byed rig pa//
de bzhin du ni mig 'phrul byed//

[3] "The great yogī who masters the animate and inanimate with thought alone Is constantly offered desirable things and served according to his pleasure". Dharmachakra Translation Committee 84000

gang zhig bsams pa tsam gyis ni//
rgyu dang ni rgyu 'grub 'gyur ba'o//
'dod pas kun la nyer spyod pa//
ji ltar 'dod bzhin bsten byas na// Degé Kangyur volume 80, F.168.a

[4]Tantras centered upon yoginīs and ḍākinīs, whether Buddhist or non-Buddhist, typically emphasize the attainment of mundane powers over the transcendent”. Introduction 84000

[5]J'expliquerai cet accomplissement spirituel de la sagesse, par lequel l'état de dieu est rapidement atteint - Déesse, je dis la vérité !
To you, Mahāmāyā, I will explain the accomplishment of the three worlds, The garland of syllables of the most excellent among the great yoginīs. Dharmachakra Translation Committee 84000

sgyu 'phrul chen mo khyod la ngas//'
jig rten gsum 'grub de bshad bya//
rnal 'byor chen mo rnams kyi ni//
bzang po'i yi ge'i phrang ba rnams// Degé Kangyur volume 80, F.168.a

[6] 2.20 With the thumb and ring finger, place the wish-granting jewel in the mouth, And attain the everlasting spiritual attainment arisen from the nature of the nectar. 84000

"The final two verses of the second chapter describe, in a typically occluded fashion, the ingestion of sexual fluids that marks the culmination of the meditation sequence. The verses instruct the yogī to keep his mind free of concepts and take the “wish-granting jewel” between his thumb and ring finger and place it in his mouth. Kṛṣṇavajra explains that this refers to the ingestion of “relative bodhicitta” (kun rdzob kyi byang chub sems, i.e., semen) after its prolonged retention in the tip of the penis. In the parlance of the later tradition, this marks the completion stage section of the practice. In the words of the tantra itself, the ingestion of sexual fluids triggers “everlasting spiritual attainment.” Introduction 84000

mthe bong dang ni srin lag gis// kha ru yid bzhin nor bu ni// bdud rtsi'i rang bzhin las byung ba'i// rtag pa'i dngos grub thob par 'gyur// Degé Kangyur volume 80, F.169.b

[7] "3.13 Plunder from the buddhas and enjoy sublime celestial girls". 84000

sangs rgyas kun las phrogs pa dang //
lha yi bu mo mchog la spyod// Degé Kangyur volume 80, F.170.a

Note de 84000 “ Ratnākaraśānti reads siddhānāṃ kanyām, “the maidens of the siddhas” [G, p. 41]. This line corresponds closely with verse 12.52, line 3 of the Guhya­samāja­tantra.”

[8] rGyud sde lnga’i lha lnga gtso bor bsdus pa’i man ngag bla ma gong ma’i phyag len. DNZ, pp. 333–39; ST, vol. 4, pp. 115–31

[9] Ce que permet d'ailleurs le Tantra de Māhamāyā.

Following this exhaustive account of the attainments, the first chapter closes with a description of a short sequence of visualization. The reader may be puzzled at this point to find that Mahāmāyā, who had, up to this point, been invoked using explicitly feminine epithets, is suddenly referred to using undeniably masculine terms. Though some suggest this is the tantra of a male deity with a feminine name, Mahāmāyā is a female deity, as the verses of invocation make clear‍—she is the great Queen Mahāmāyā, the mother of the guhyakas, and the queen of yoginīs. She is consistently addressed using a specifically feminine epithet, vidyā, that simultaneously invokes her status as the embodiment of knowledge and as the female deity presiding over a maṇḍala. And yet here, and in the third chapter where her iconography is fully described, she becomes the male Heruka, the Virile One (vīra) embracing the consort Buddhaḍākinī.” Introduction 84000

[10] Traduction française automatique DeepL. L'original en anglais:

This gender ambiguity is clarified when we consider that the tantra describes Mahāmāyā as a feminized form of absolute reality. She is said to pervade everything in the three worlds, to be the source of all the gods, and to create, sustain, and destroy the universe. Most importantly, she is exactly what her name suggests, the “great illusion” that constitutes apparent reality. When she takes embodiment, she can do so in any form necessary, which in the context of this tantra is Heruka, the male deity most frequently found at the center of tantric maṇḍalas.”

[11]She pervades the entire Egg of Brahmā, the animate and inanimate. She is the source of all goddesses and rules over Brahmā and the rest. She is their great secret, the great Queen Mahāmāyā. She is the great illusion, intensely fierce, who destroys all that exists. She pervades all of this: the animate and inanimate, the three worlds. Time after time she gathers in and again emanates the triple world. This mother of the guhyakas is celebrated as the essence of illusion. She is the knowledge that perfects the three worlds and fulfills all desires.” 84000

gang zhig gis ni kun khyab pa//rgyu dang mi rgyu tshangs sgo nga //lha mo thams cad skyed byed cing //tshangs la sogs pa'i bdag nyid che// de rnams kyi ni gsang chen 'di//sgyu 'phrul chen mo dbang phyug che//sgyu 'phrul chen mo drag chen mo//'byung ba yang dag sdud mdzad ma// gang gis 'di kun la khyab pa//rgyu dang mi rgyu'i 'jig rten gsum//des ni de nas 'di bsdus nas//'jig rten gsum po yang spro'o// gsang ba pa rnams 'di yi ni//sgyu ma'i bdag nyid ces rnam grags//'jig rten gsum sgrub rig ma ste//'dod pa thams cad rab ster ba// Degé Kangyur volume 80, F.167.b

[12]A chain equal to that of the āli kāli is coiled there.
The upper chain ignites and is made to flow downward,
A drop of nectar flowing in the form of semen.

A li kA li mnyam byas te//ri mo de la sbyar bar bya// ri mo steng du 'bar ba mthar//'og tu 'bab par byed pa'o//khu ba'i tshul gyis 'bab pa ste//bdud rtsi'i thigs pa'i gzugs las so// Degé Kangyur volume 80, F.168.a

[13] “2.2 Merely visualizing her, the yoginī grants the best of things.
Apply the first syllable and sustain the upward breath.
Taking that which comes at the end of the eight together with ū and the bindu,
The yogī moves the downward breath, abandoning the real and unreal
.” 84000

rnal 'byor ma mchog ster 'gyur ba//dang po'i yi ge'i sbyor ba yis//rtag tu dgugs ni gtang bar bya// brgyad pa'i mtha' dang yang dag ldan//u dang thig ler bcas pa yis//rnal 'byor pa yi dbugs rngub byed//dngos dang dngos med rnam spangs pa'o// Degé Kangyur volume 80, F.168.b


[14] Qui serait aussi celui de Māhamāyā ou d’une “Vierge de Lumière”.