Premier des sept mandalas du MNS HA455 |
Suite de ma recherche sur des éléments Gnostiques (éternalistes) dans le bouddhisme ésotérique et ésotérisant. Je ferai un billet récapitulatif à la fin de la série, où je reprendrai mes découvertes.
Les cinq tathāgata (Ratnasambhava, Akṣobhya, Vairocana, Amitābha et Amoghasiddhi) détail HA41002 |
Quand le bouddhisme ésotérique s’approche d’un Projet Gnostique, il prend des traits de celui-ci. Par exemple, la quinarité, y prend plus d’importance et se systématise. “Ce principe organisateur spécifique de la théogonie”[1], est un élément à la fois gnostique, hermétiste, manichéen et tantrique. Même si l’utilisation de pentades est assez commune dans la culture indienne, et dans le bouddhisme, de nouvelles séries de cinq apparaissent en remplaçant des séries de quatre et de trois, dans le cadre de systémisations et de harmonisations. Les destinées (4, 5, 6), les directions (4, le 5ème étant le centre), les éléments (4, 5), le “trikāya” (3, 4, 5, 6), les passions (3, 5), les gnoses (2, 4, 5), les tathāgata (4 dans le Tattvasaṃgraha Tantra, ensuite 5), etc. La quinarité[2] est un des indicateurs Gnostiques. Les hypostases/essences (“tattva”) en sont un autre. Tout cela mériterait des études comparatives sérieuses.
Bouddha |
Famille |
Corps |
Gnose |
Oeil |
Vairocana |
Tathāgata |
Dharma |
Dharmadhātu |
dharma |
Akṣobhya |
Vajra |
Svābhāvika |
Adarśa |
buddha |
Amitābha |
Padma |
Sambhoga |
Pratyavekṣaṇa |
prajñā |
Ratnasambhava |
Ratna |
Vipāka |
Samatā |
divya |
Amoghasiddhi |
Karma |
Nirmāṇa |
Kṛtyānuṣṭhāna |
māṃsa |
Tableau d’Alex Wayman, Chanting the Names of Mañjuśrī
Le Grand Esprit invisible est la Lumière primordiale (Père)[3]. C’est de son sein, son silence, sa “matrice”, que sort une triade de puissances : le père, la mère et le fils. Le fils est une triple personne en lui-même. La triade primordiale est présentée comme une monade ou une pentade, appelée les “cinq sceaux”. La manifestation du Père (primordial) a lieu dans un lieu glorieux (Ennéade), la salle du trône, où est inscrit le nom secret (les (cinq) voyelles) du Père. Les entités au-dessus de l’Ogdoade lui adressent des hymnes.“(Fils :) De quelle façon chantent<-ils> ?Petite parenthèse. On voit l’activité de Mañjuśrī (plus tard le Hermès Trismégiste du bouddhisme ésotérique) bien élaborée dans L’Enseignement de Vimalakīrti (Vimalakīrtinirdeśa) et dans La Concentration de la Marche héroïque (Śūrāṅgamasamādhisūtra, Śgs), où Mañjuśrī joue un rôle majeur, et où on le voit là prendre la place de tous les grands protagonistes des traditions non-bouddhistes. Pour ce Mañjuśrī, il ne s’agit pas de mettre fin au saṃsāra, de combattre Māra et ses troupes, ni même de se débarrasser des vues fausses. Quand tous les bodhisattvas présents dans la "maison vide" de Vimalakīrti ont exprimé leur vue de la non-dualité, on demande à Mañjuśrī de s’exprimer à son sujet. “Vous avez tous bien parlé ; cependant, à mon avis, tout ce que vous avez dit implique encore dualité. Exclure toute parole et ne rien dire, ne rien exprimer, ne rien prononcer, ne rien enseigner, ne rien désigner, c’est entrer dans la non-dualité." Quand Mañjuśrī demande alors à Vimalakīrti sa vue de la non-dualité, ce dernier garde le silence (Lamotte, Vimalakīrti, p. 316). Il n'y a pas encore (au IIème siècle de notre ère selon Lamotte) de Gnose pour recouvrir ce silence.
(Hermès :) Te voici arrivé au point où l’on ne pourra plus te parler”[4]
Tournons-nous vers un texte essentiel du bouddhisme ésotérique qu’est le Mañjuśrī-Nāma-Saṃgīti (MNS, qui daterait du VI-VIIème siècle selon Alex Wayman, Chanting, p. 6, et qui a été "retraduit" au XIème siècle) : “Chanter ensemble (saṃgīti) les noms de Mañjuśrī”. Polyphonie pourrait-on encore dire. Les “noms” et les formes de Gnose (jñānamūrti) de Mañjuśrī sont intrinsèquement reliés, ce sont les noms de toutes les divinités de tous les maṇḍala. La polyonymie est une autre caractéristique du Projet Gnostique (et manichéen). Elle est également un moyen d’intégrer les dieux d’autres cultes ou de cultes plus anciens, en considérant ces dieux comme d’autres formes de Gnose, ou plus anciennes, et en indiquant le Maître du Verbe comme la source originelle de toutes les manifestations. Le Maître du Verbe est le Corps de Gnose du Bhagavat et de tous les tathāgata.
“Le Corps de Gnose (jñānakāya) du Bhagavat,Mañjuśrī, à la quintuple nature, demeure au Coeur des 6 Rois des mantra[6] (mantrarāja). La Gnose est le Verbe, et le Maître du Verbe (skt. gīṣpateḥ) est Mañjuśrī. Les 6 Rois des mantra sont les êtres de Gnose (jñānasattva), qui demeurent dans les Coeurs des “Progéniteurs” (tib. skyed pa po skt. janakaḥ) spirituels des Familles (kula). Ce Corps de Gnose se compose de douze voyelles (Āli), qui, unies aux consonnes (Kāli), engendrent le monde et les êtres[7].
La grande protubérance (mahoṣṇīṣa), Maître de la Parole (gīṣpateḥ)[17],
Ce Corps de Gnose autogénéré (svayambhuvaḥ)
Est celui de Mañjuśrī, l'être de Gnose (Mañjuśrījñānasattva)” MNS chapitre I, 9
[17] NMS IV, 2
“A Ā I Ī U Ū E AI O AU AṂ AḤ
demeurant dans le Cœur
Je suis le Corps de Gnose (jñānamūrti), l’Eveillé,
Où les éveillés des trois temps résident “[5]
L’énonciation du MNS est demandée par Vajradhara/Vajrapāṇi au Sambuddha, afin d’aider les êtres enfoncés dans la boue de l’ignorance, pour que ceux-ci puissent s’éveiller du filet de l’illusion (māyājālā). En réponse, le Bouddha enseigne le MSN, dont la récitation s’accompagne de nombreux bienfaits (Wayman, p. 43). Le Bouddha enseigne alors les Six Familles (ṣaṭkula), et comment détruire le filet de l’illusion par le maṇḍala du Vajradhātu. Les éléments de l’expérience ordinaire du filet de l’illusion sont sublimés par leurs ascendants respectifs (mahā-), l’illusion devient la “grande illusion” (mahāmāyā), etc., dans le cadre de la grande concentration (mahāsamādhi). C’est le "Grand remplacement" (par des mantras, l’empuissantement - adhiṣṭhāna/svādiṣṭhāna) que propose le vajrayāna…
Pas besoin d’aller s’éteindre dans un nirvāṇa (Gnose de la discrimination - pratyavekṣaṇājñāna -, VIII, 19[8]). Le MNS fait ensuite un bref retour au bouddhisme de la voie du Milieu, qui propose l’union (mahāyoga) dans un grand décloisonnement[9], traversant le triple monde en un instant, dans un sens comme dans l’autre (X, 11), à l’aide de tantras et mantras, au plein milieu du filet de l’illusion (VIII, 38). Triple monde devenu la danse du Bouddha (buddhanāṭaka XI, 5, salut Śiva !). Cet exploit est en fait la création d’une terre de bouddha (buddhānāṃ viṣayo XIII, 5) “ici-bas”, à la façon d’un filet de l’illusion (māyājālānayoditaḥ XIII, 4). A condition de bien entretenir ce Corps mystique.
Homa conduit par un prêtre vajracharya, détail HA41002 |
***
[1] Le Manichéisme, Michel Tardieu
[2] “Sangs rgyas sku lna'i bdag nyid can// khyab bdag ye shes Inga yi bdag// sangs rgyas Inga bdag cod pan can// spyan Inga chags pa med pa 'chang*// .VI, 18, Wayman p. 79
[3] "Livre sacré", Ecrits gnostiques, Pleiade, p. 514
[4] L’Ogdoade et l’Ennéade, Ecrits gnostiques, p. 964
“(Fils :) Je fais silence, ô mon Père. Je désire te chanter une hymne en silence.
(Hermès :) Chante-la-moi donc, car je suis l’Intellect.
(Fils :) L’Intellect m’est intelligble. Hermès, celui que l’on ne peut interpréter, Car il se retranche en lui-même.
…/… J’invoque du fond du coeur ton Nom mystérieux :
a ō eeō ēēē ōōō iii ōōōō ooooo ōōō ōō uuuuuu ōō ōōōō ōōōōō ōō ōōōōōō ōō”
Les scribes font souvent des erreurs intentionnelles dans la transcription du nom de Dieu, qui doit être transmis par l’initiateur.
Note p. 962 Le nom de Dieu est souvent écrit a ee ēēē iii ooooo uuuuuu ōōōōōōō. Cela signifie que dans les sept sphères ou planètes, règnent vingt-huit dieux particuliers, un de plus dans la suivante que dans la précédente, tous ensemble constituant le Dieu unique.”
[5] A Ā I Ī U Ū E AI O AU AṂ AḤ : sthito hṛdi/ jñānamūrtir ahaṃ buddho buddhānāṃ tryadhvavartināṃ// A Ā I Ī U Ū E AI O AU AṂ AḤ :snying la gnas// ye shes sku bdag sangs rgyas te// sangs rgyas dus gsum bzhugs rnams kyi'o//
AA I I U 0 E AI 0 AU AM AH: Stationed in the heart of the Buddhas abiding in the three times, am I (aham) the Buddha, gnosis embodiment.
[6] Vajratīkṣṇa de la famille Padma, dans le Cœur d’Amitābha. Duḥkhaccheda de la famille Vajra, dans le Cœur d’Akṣobhya, Prajñājñānamūrti de la famille Tathāgatha, Jñānakāya de la famille Karma, Vāgīśvara de la famille Ratna et Arapacana de la famille Bodhicittavajra. Chanting the names, Wayman, p. 67 Ces 6 tathāgata sont donc les “progéniteurs” de ces 6 familles.
mKhas grub rje glose : “Ainsi, la vajra blanc à cinq pointes perçu dans son propre coeur au moment de la méditation intense de la série des cinq éveils manifestes (abhisaṃbodhi) est appelé “le vajra primordial. Wayman ajoute que c’est par conséquent le Bouddha primordial (ādibuddha), qui demeure dans le corps au moment du parfait éveil. Wayman, p. 29
[7] Les douze voyelles Āli sont à la fois associées aux divinités femelles (la lune), les consonnes Kāli aux divinités/mantras mâles et neutres (semi-voyelles ṛ et ḷ). Les syllabes OṀ AḤ HUṀ sont respectivement neutre, femelle, et mâle. Mais les voyelles Āli sont aussi associées à la semence mâle, et les consonnes Kāli à l’ovum.
[8] “Knowing Brahmā, one is a Brahmin and Brahmā, has attained the Brahmānirvāṇa whose body of liberation has deliverance and release; the deliverance which is calm and the śāntatā.”
bram dze tshangs pa tshangs pa shes// mnya ngan 'das pa tshangs pa thob// grol ba thar pa rnam grol lus// rnam grol zhi ba zhi ba nyid//
[9] VIII, 30 “Great king of all Buddhas, maintaining the embodiment of all Buddhas; great yoga of all Buddhas, the sole instruction of all Buddhas.”
sangs rgyas kun gyi rgyal po che// sangs rgyas kun gyi sku 'chang ba// sangs rgyas kun gyi rnal 'byor che// sangs rgyas kun gyi bstan pa gcig/
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