jeudi 12 mars 2020

Sur l’autoconsécration et la traduction de “amanisakāra”

Virūpa (avec ornements en os) arrête le soleil (détail Himalayanart 65340)

Sur le chemin graduel (pañcakrama) du Guhyasāmaja, le troisième stade est appelé “autoconsécration” ou svādiṣṭhāna (tib. rang byin gyis rlob pa). Le Guhyasāmaja est un tantra, et le chemin graduel a pour objectif “la réalisation” de ou l’identification “non-duelle” à la divinité et son monde symbolique. Pour l’auteur de la Vie et des Chants de Milarepa, ses disciples et les autres membres du mouvement yogique smyon pa, cela passait par une phase d’identification totale (port des ornements en os) et un état théopathique.

Le stade de l’autoconsécration confère les huit pouvoirs magiques (siddhi).  A ce stade, tous les phénomènes sont considérés comme un rêve, ce qui est du bouddhisme mainstream. Le corps illusoire marque aussi la réalisation de la vacuité de l’objet. A partir de ce stade, l’union du corps illusoire (imaginé) et de la connaissance suprême de la vacuité portera le sens mystique de evaṃ. E est la femme noble (satī), la prajñā, l’expérience (parijñā) du triple monde libre du désir (et des autres passions). Vaṃ est l’upāya, avec le désir et les autres passions, qui enchante le monde comme la diffusion de la lumière .

Vaṃ, upāya, est le monde symbolique, qu’il soit un monde-vajra, une idéologie religieuse ou autre. Il n’y a pas qu’un monde symbolique unique, auquel la prajñā (ou une gnose) pourrait s’associer. Évidemment, une tradition religieuse, monothéiste, “non-théiste”, tantrique etc. ne manquera pas d’imposer son monde symbolique, la diffusion de “sa” Lumière, son enchantement du monde.

Ici, dans le cadre du Guhyasamāja et des autres yogatantras supérieurs, evaṃ porte le sens spécifique de son monde symbolique et de son parcours, dont l’autoconsécration est un des stades. D’autres associations et correspondances yogatantriques sont possibles. Ainsi, l’autoconsécration peut de façon plus yoguique correspondre à la méditation haṭhayoguique sur la goutte (bindu) à l’intérieur du Coeur (Kālacakra Tantra). Le terme autoconsécration peut prendre un autre sens, en fonction du système tantrique. Le bouddhisme ésotérique a établi des correspondances dans des dimensions d’ordre différent : il affirme savoir exactement ce qui se passe au niveau énergétique du corps subtil, quand le corps/esprit réalise la non-dualité etc. Les faits psychologiques/cognitifs/affectifs correspondent au mouvement, au blocage etc. des souffles dans tel ou tel viscère grossier, subtil ou immatériel. Il y a une adéquation totale entre le physique, le physique subtil et le psychique pour le yogi, qui idéalement aura un contrôle macrocosmique/microcosmique total. En bloquant le “soleil” microcosmique, le yogi (Virūpa) pouvait arrêter le cours du soleil. Une métaphore ? Peut-être, mais posez la question aux bouddhistes ésotériques.

Le Pañcakrama affirme que celui qui ne pratique pas l’autoconsécration aura beau pratiquer les sūtra, tantra, il n’arrivera à rien.  Notons, que ce n’est même plus une histoire d’une pratique plus difficile et plus longue ici : “il n’arrivera à rien.”

Quand on décide de traduire “amanisakāra” (tib. yid la mi byed pa) par “réalisation non-conceptuelle” au lieu de parnon-engagement mental” (ou équivalent), en s’appuyant sur une explication yogatantrique unilatérale donnée dans le Amanasikārādhāra attribué à Adavayavajra, on interprète ce terme, selon moi, dans son sens post-classique. C’est le mot “réalisation” que je conteste dans cette traduction, dans le sens où “réalisation” dans le contexte de “l’autoconsécration lumineuse” s’inscrit forcément dans le cadre du Guhyasamaja et des autres yogatantras supérieurs, et peut donner un sens “post-classique” dans le sens de David Higgins et Martina Draszczyk (Mahamudra and the Middle Way Post-classical Kagyü Discourses on Mind, Emptiness and Buddha-nature) au non-engagement mental. Cette traduction (et interprétation) ne conviendrait par exemple pas au Commentaire du Chant des distiques d’Advaya Avadhūtipa. Je prends note de la remarque sur le Tattvaviṃśikā d’Advayavajra et le Tattvadaśaṭīkā de Sahajavajra dans le dernier paragraphe, mais elle ne se reflète pas dans la traduction choisie.
“From the Amanasikārādhāra we know that Maitrīpa does not understand amanasikāra only in the sense of ‘becoming mentally disengaged’, but also understands the term in the sense of ‘luminous self-empowerment’—terminology that suggests a tantric framework (see below). In other words, in mahāmudrā the term amanasikāra also stands for a direct realization of luminosity or emptiness wherefore I translate it in this context as ‘non-conceptual realization’. To what extent amanasikāra practice can do without initial manasikāra (i.e., investigation) and also without the four seals, remains a controversial issue.
But in his Tattvaviṃśikā Maitrīpa claims that within Mantranaya advanced practitioners have a direct access to mahāmudrā, and *Sahajavajra describes in his *Tattvadaśaṭīkā a mahāmudrā practice, which operates without the usual creation and completion stage practice (see below).” 
A Fine Blend of Mahāmudrā and Madhyamaka, Maitrīpa’s Collection of Texts on Non-conceptual Realization (Amanasikāra), KD Mathes, p. 12.

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