mardi 29 octobre 2019

La transmission vue comme des vases communicants




Une image utilisée souvent, pour illustrer la transmission entre un enseignant et son étudiant est celle où l’étudiant est comparé à un récipient (snod). La transmission est illustrée par l’acte de verser du nectar (bcud) dans le récipient, qui se remplit du nectar transvasé.

Il est possible que cette transaction échoue pour différentes raisons, principalement liée à la qualité du récipient. Traditionnellement, un récipient peut avoir trois défauts qui empêchent la transmission réussie. Un récipient peut être retourné l’ouverture vers le bas, avoir un trou par lequel le nectar versé fuit aussitôt où il peut contenir du poison, contaminant le nectar versé de façon à ce que celui-ci ne soit plus du nectar mais du poison.

Des tonnes de nectar ont été versés en occident les dernières décennies, on pourrait s’attendre à ce qu’il y ait des récipients remplis de nectar un peu partout, mais ce n’est pas le cas. Certains nous expliquent que c’est principalement dû aux défauts des récipients. Plus précisément, quand le nectar versé est celui du vajrayâna - censé transmettre la perception pure (dag snang) - et que les récipients remplis ne reflètent/perçoivent pas de façon pure, il est probable que l'on ait à faire à des récipients déficients.


En lisant un article d’Alexandre Berzin DHARMA-LITE" versus "THE REAL THING" DHARMA, je tombe sur une autre application de la métaphore des vases communicants dans les premières lignes. Berzin a constaté que de nombreuses sections d’instructions de Dharma n’ont pas encore été complètement transvasées en Occident. A cause de cette transmission incomplète et sans doute à cause de la qualité déficiente des occidentaux, le dharma ou le bouddhisme qu’on trouve le plus répandu en occident est un “bouddhisme Lite”. Berzin explique que cette trouvaille lui est venue grâce au nom Coca Cola lite, qui est appelé Coca Cola et qui y ressemble, mais qui n’est pas “the real thing”.

Pour quelle raison les récipients occidentaux finissent-ils par contenir du bouddhisme Lite ? Eh bien, selon le professeur Berzin, c’est principalement parce que les occidentaux ne croient pas en la réincarnation, qui est la pierre d’angle du bouddhisme. Enlevez cette pierre d’angle et tout votre bouddhisme est bancal.

Sans la réincarnation, les discussions sur l’esprit n’ayant ni commencement ni fin n’ont plus de sens et toute la présentation du karma s’effondre. Ceci, parce que la plupart des fruits karmiques de nos actes, ne mûrissent pas dans la vie même où ils sont commis. Et sans un karma qui englobe plusieurs existences, la discussion sur la vacuité de cause et effet n’a plus lieu d’être. Comment pratiquer pour le bien des vies futures, s’il n’y en avait pas ? Comment se libérer du cycle des existences sans la croyance en la réincarnation, les enfers et les autres mondes ?[1]

En effet, si on définit le bouddhisme comme ayant l’objectif de se libérer du cycle des existences, autrement dit de la réincarnation, il faut d’abord croire en la réincarnation. Sinon, le bouddhisme ne servirait à rien ! Comme la croyance en la réincarnation n’est pas naturelle en occident, il faut d’abord verser de la théorie de réincarnation dans les récipients des occidentaux, avant de les enseigner la nécessité de s’en libérer. Quelqu’un qui ne croit pas naturellement en l’existence des enfers doit d’abord apprendre à y croire, pour être proprement motivé à vouloir s’en libérer. Sinon sa pratique du bouddhisme serait Lite ! ce n’est quand-même pas le but.

A la limite ajoute le professeur Berzin, si cela attire les candidats bouddhistes occidentaux, on pourrait commencer par du bouddhisme Lite, délesté des éléments bouddhistes qui pèsent des tonnes, en évitant de les effrayer dès le départ. Et ensuite seulement, très graduellement et habilement les accoutumer aux animaux, les esprits avides, les enfers pour finir avec les enfers vraiment craignos, qui les motiveront de sortir au plus vite du karma et du cycle des existences. Aux plus avancés on enseignera ultérieurement la vacuité des causes et des effets.




Démarrer à 1:30

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[1] “Without rebirth, the discussion of mind having no beginning and no end becomes meaningless. Without beginningless and endless mind, the entire presentation of karma falls apart. This is because the karmic results of our actions most frequently do not ripen in the same lifetime in which we commit the actions. Without the presentation of karmic cause and effect over the span of many lifetimes, the discussion of the voidness of cause and effect and of dependent arising likewise falls apart.

Moreover, in terms of the three scopes of lam-rim motivation, how can we sincerely aim for benefiting future lives without belief in the existence of future lives? How can we sincerely aim for gaining liberation from uncontrollably recurring rebirth (samsara) without belief in rebirth? How can we sincerely aim for enlightenment and the ability to help others gain liberation from rebirth without belief that rebirth is a fact?

In terms of bodhichitta meditation, how can we sincerely recognize all beings as having been our mothers in previous lives without believing in previous lives? In terms of anuttarayoga tantra, how can we sincerely meditate in analogy with death, bardo, and rebirth to purify ourselves of uncontrollably experiencing them if we do not believe that bardo and rebirth occur?

Thus, it is clearly evident that rebirth is a cornerstone for a large and crucial portion of the Dharma teachings.“



dimanche 27 octobre 2019

La feuille de route bouddhiste du Dalaï-Lama



Les échanges entre le Dalaï-Lama et des étudiants (college students) de l’Inde et du Bhoutan étaient intéressants de plusieurs points de vue. L’ensemble peut constituer une sorte de feuille de route pour les bouddhistes tibétains asiatiques et tibétains en exil. J’ai l’impression que le Dalaï-Lama table sur un séjour prolongé en Inde, sans doute à long terme, de la communauté tibétaine en exil. En Inde, un grand pays démocratique, où de multiples religions vivent dans une paix relative (22:59 et 27:42), il y a de la place pour le bouddhisme (tibétain). Le président Modi avait d’ailleurs appelé l’Inde, le pays du bouddhisme. Je mets tibétain entre parenthèses, car le DL propose aux étudiants de devenir des bouddhistes du XXIème siècle. Être un bouddhiste du XXIème siècle est possible pour les bouddhistes tibétains, si ceux-ci se tournent plutôt vers le bouddhisme de Nalanda ou tradition de Nalanda. Le bouddhisme de Nalanda, basé sur l’inférence et la logique, est une sorte de science de l’esprit qui se laisserait bien combiner avec la science moderne (59:03).

Le maître bouddhiste Haribhadra (seng nge bzang po 56:19) fait une distinction entre ceux qui suivent par la foi et ceux qui suivent par la raison ou l’intelligence. Les bouddhistes d’aujourd’hui doivent être des suiveurs de l’intelligence. Le DL ajoute qu’il ne croit en pas en la cosmographie du mont Merou avec le soleil et la lune etc. Tout comme Vasubandhu le recommande, quand il lit des choses de ce genre dans les textes bouddhistes, il dit “avec tout mon respect, je n’y crois pas.” (57:51) Les bouddhistes qui suivent par la foi, comme ce fut le cas pour les bouddhistes tibétains et chinois du passé, s'appellent bouddhistes, mais ne connaissent pas la vraie doctrine du Bouddha (56:04). Le bouddhisme a d’ailleurs pu se développer en Inde, grâce à la présence de la philosophie Samkhya depuis 3000 ans (26:44). La foi doit être précédée de l’investigation, et l’investigation ou la méditation analytique (vipassana) est véritablement ce qui distingue le bouddhisme des autres traditions. Croire aveuglément est une perte de l’intelligence humaine (59:57). L’Inde offre l’opportunité de combiner la connaissance ancienne (Nalanda) et la science moderne (05:52).

Quand une étudiante pose une question sur la façon de combiner traditions, éducation moderne et science moderne et le retard de la tradition (1:09:30), le DL répond sur la situation tibétaine et l’institution des tulkous (1:11:42). Il précise qu’il n’existait pas de tradition de réincarnations, ou institution de lamas, dans les communautés bouddhistes en Inde. Celles-ci se sont développées au Tibet, probablement en connexion avec le système féodal en place. Le DL pense que l’institution du DL était associé à l’existence du système féodal. De nos jours, dans l’ère de la démocratie, il n’est pas nécessaire de continuer cette institution, mais ce sera au peuple tibétain de décider. En Inde, il n’y avait pas de réincarnation du Bouddha, ou de Nāgārjuna... Ces institutions féodales ont produit quelques lamas merveilleux, mais aussi quelques lamas affreux (“disgrace” 73:34).
Nous avons maintenant des cas, où franchement, des lamas individuels utilisent le nom de leur réincarnation, mais sans se soucier d’étudier et de pratiquer. Ces lamas sont une disgrâce du Dharma du Bouddha. C’est pourquoi je pense que nous devrions retourner à la situation indienne originelle : ni réincarnation, ni institution de lamas. C’était une certaine tradition, mais une tradition très reliée au système féodal, une conception ancienne qui doit disparaître. Comme je l’avais dit précédemment, nous devrions être des bouddhistes du XXIème siècle. Pas suivre un chemin orthodoxe.”[1]
Le DL parle aussi de la situation du bouddhisme en Chine, ou des chinois de la ligne dure contrôlent les programmes d’études et imposent des sujets politiques (81:57), ce qui est très dommageable. Il parle de l’importance de la langue tibétaine, qui est la seule où tout le patrimoine bouddhiste indien a été préservé (81:29). Tous ces facteurs font que l’on peut penser que le DL veut concentrer les efforts pour préserver et le bouddhisme indo-tibétain, et les tibétains en exil, et la langue tibétaine, en “retournant” vers le bouddhisme de Nalanda, puisque celui-ci est basé sur l’investigation et l’intelligence et est ainsi compatible avec la science, donc potentiellement plus moderne. Comme le tibétain est la langue où tout le patrimoine du bouddhisme de Nalanda est le mieux préservé, les tibétains ont un rôle à jouer. Ce bouddhisme du XXIème siècle a plus de chances de survivre à la modernité et à l’occupation chinoise que les programmes bouddhistes sur le sol tibétain. Le DL semble ici penser aux intérêts de la communauté tibétaine en exil et du bouddhisme tibétain, dans ses fondamentaux indiens plus adaptés aux temps modernes. Pour ce qui est des formes plus ethniquement tibétaines, la même règle s’applique que pour toutes les religions : “la religion est une affaire privée” (55:05)...

Interprétations sous toutes réserves (l’anglais du DL, sa façon elliptique de s’exprimer etc.). Ce blog pourrait évoluer par le rajout d’autres passages extraits de cette rencontre.

Un aspect intéressant, et pas des moindres en ce qui me concerne, c’est que le retour au bouddhisme de Nalanda implique l’éclipse du gourou pour un retour à l’ami de bien, ce qui coupera l’herbe sous les pieds d’éventuels gourous de carrière.

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[1] Transcription de Rob Hogendoorn :


'Dalai Lama: 'Basically, different cultures of different people of different communities, the culture I think through some kind of evolution and so on, a way of evolution, so it’s suitable, according to the environment in a particular area. But then also traditional cultural heritage… Now, for example, in India the Buddhist community [has] no tradition of reincarnation or lama institution. It developed in Tibet. I think [there is] some connection with the feudal system. So that, now today, the world [practices] a more democratic principle: the country is owned by people, not individuals. So, therefore, [with regard to] like my own institution, the Dalai Lama institution, I felt that there is some connection with the feudal system. So, as early as 69, [in] one of my official statements I mentioned [that if] this very institution of Dalai Lama should continue or not [is] up to the concerned people, the Tibetan people. So [it is] not necessary to keep this as our tradition. Now, for example, as far as Buddhists are concerned, [there is] no Buddha's institution, no Nagarjuna's institution. These institutions, I feel, are very much related to the feudal system. So, in Tibetan history, some lamas [were] really wonderful, but some lamas [are a] disgrace.’

Translator: 'So, this master Chösang Rinpoche, has said that when someone is recognized as a reincarnation of some high lama, of a predecessor, it seemed that there was some wisdom in it, in recognizing the reincarnation. But when this reincarnation actually proves to be a disgrace, then I really feel very sad from the depth of my heart.
Dalai Lama: ‘So there are cases now, frankly speaking, [in which] the individual lama utilizes the name of reincarnation, but never pays much attention to study and practice. So, these lamas disgrace the Buddhadharma. So, I feel we should return to the original Indian tradition: no reincarnation, no lama institution. So, a certain tradition, it’s a tradition, but very much related with the feudal system and old thinking, that [must be] gone. We should be, as I mentioned earlier, twentyfirst century Buddhists. Not the orthodox way.'

vendredi 25 octobre 2019

De la violence fondatrice comme "initiation"




Dominique Cowell, ex-intendante au service de Sogyal Rinpoché de Lerab Ling de Roqueredonde, dans l'Hérault, racontait dans une vidéo de France 3 régions (12/09/2018) :
“01:48 Il y avait une femme qui était nue, dans une salle, et qui était avec [Sogyal], et qui était très mal psychologiquement. Je pense qu’elle avait de graves problèmes. Mais il l’avait baladée avec une corde. Et il riait en disant hi-han hi-han, comme si c'était un âne. Une humiliation, mais de dingue ! Et nous on était incapables de réagir. J'étais féministe, j'étais pas du genre à me laisser faire par personne, et je me retrouve dans une situation de grande violence psychologique, d'humiliation de cette femme. Et de ce fait, d'humiliation de nous aussi, parce qu’on n'avait plus les moyens de réagir normalement. Son mode opératoire, c'est de violer. Il le fait parce qu'il le peut, parce qu'il a l'emprise sur les gens. Donc les gens ne sortent pas des pièces en criant ‘oh il m'a violée !’ C'est traumatisant. Donc ces femmes-là - où ces hommes - parce-que peut-être même il y avait des hommes... ces gens, comme moi par exemple, ça m'a pris du temps pour pouvoir reconnaître que j'avais été abusée.” (Lien Youtube)
Cette scène est pour moi emblématique du "mode opératoire" de Sogyal Lakar à Rigpa. Tous les éléments sont là. Le maître, la victime - une femme -, le cercle de disciples, la corde, l’humiliation, le silence…

Il s’agit d’une violence collective. Le maître, par son acte de “folle sagesse” fait violence à la fois à la victime et aux personnes présentes. C’est leur silence et leur passivité qui scellent la violence de cette scène, symbolisée par la corde qui les relie tous. La corde n’est pas seulement mise autour du cou de la victime, mais aussi autour des cous de tous ceux qui sont présents, et l'autre bout est tenu par la main du maître. Un(e) autre aurait pu être à la place de la victime. L’humiliation, collective, consiste en la mise à nu, en la réduction à l’état d’animal (l’âne), bête de somme par excellence, et en l'asservissement total de tous ceux présents. Tous ceux présents sont mis à nu (“démasqués” dit-on en jargon folle sagesse) et réduits à l’état de bête de somme ("meekness"). Qui ne dit mot consent.

Puisque le maître est le gourou, les disciples qui assistent à la scène, ne peuvent qu’approuver le geste de celui-ci. Il s’agit d’une "initiation", d’une "transmission", d’un acte de "folle sagesse" difficile à saisir pour les non-éveillés et les non-initiés. C’est un privilège d’y assister. Y voir autre chose serait violer le pacte (samaya) avec le gourou et un obstacle à l’union spirituelle avec lui. Le pacte est non seulement conclu avec le gourou, mais avec tous ceux présents, frères et soeurs "vajra" dans le "vajrayana secret". Ce qui s’est passé ici est gardé secret, car les non-initiés ne comprendraient pas. Le maître peut mourir, mais le lien avec lui ainsi qu’entre les initiés (la corde autour du cou) restera.

Le Rapport Lewis Silkin en français
Témoignage du vécu intérieur d'un disciple Rigpa assistant à une "mise à nu" 


dimanche 20 octobre 2019

Leçons apprises ?




Un exemple au hasard. J’apprends la venue de Sa Sainteté Gyalwang Drikungpa en France, du 24 au 30 octobre 2019. Avec au programme l’initiation du grand Drikung Powa[1] “donné seulement une fois tous les douze ans”. “La méditation de Powa est simple et puissante. Elle nous permet de transformer l’expérience de la mort, en un passage vers la réalisation de Déwatchèn (Terre Pure de Béatitude).”
Que l’on soit bouddhiste ou non, le simple fait de participer à l’enseignement et l’initiation du grand Drikung Powa (spécificité de la lignée Drikung Kagyu), permet d’obtenir une longue vie, l’absence de maladie, la diminution des passions et de tout attachement samsarique, bien-être et bonheur excellents, et permettra, dans la prochaine vie, de renaître en une existence supérieure : humaine ou divine, d’où il sera possible d’obtenir le grand éveil et d’acquérir le pouvoir d’aider les innombrables êtres.
Cette pratique a d’incommensurables qualités et est en harmonie avec toutes les traditions du monde
.” Source 
Dans les textes anciens, il est dit que “même le plus grand pécheur peut atteindre l’éveil grâce à la pratique de Powa.” Cette pratique est particulièrement appropriée à notre époque, où le temps consacré à la pratique est restreint.” Source
Le samedi 26 octobre 2019 SSGD donnera l’enseignement et Initiation complets du grand Drikung Powa et Bouddha Amitayus. Le dimanche 27 octobre 2019 les initiations et enseignements complets de Tara, Dorjé Sempa (Bouddha purificateur) et Amitabha (Bouddha de lumière infinie). Source
Rappelons les instructions traditionnelles sur la relation du maître à disciple :
“Avant de requérir des instructions du Dharma ou une initiation d’un maître, examinons ses qualités ; mais, une fois que nous avons reçu de lui (une instruction et une initiation), même s’il affiche les quatre actes immoraux, nous n’avons plus le droit de perdre foi en lui, de médire de lui, d’examiner ses qualités ou de le traiter de quelqu’autre manière qu’avec dévotion et respect.
Il est dit :
‘Une fois que l’on a écouté ne serait-ce que de brefs propos
Si l’on manque de respect pour son Lama,
On renaîtra en tant que chien cent fois
Et ensuite comme boucher.’ “
Le Flambeau de la Certitude, Jamgoeun Kongtrul.
Suite aux différents scandales dans le bouddhisme tibétain en Occident, il a souvent été reproché aux victimes de ne pas avoir bien examiné le guru (pendant au maximum une période de 12 ans), avant de recevoir des initiations et des instructions de lui. Il ne fallait pas prendre à la légère un tel engagement. Ici, cet aspect n’est absolument pas abordé. Tout le monde (“que l’on soit bouddhiste ou non”) est invité à venir recevoir l’initiation d’Amitayus et les instructions du grand Drikung Powa pour en recueillir plein de bienfaits. S’agit-il d’une simple initiation-bénédiction (rjes gnang) ou autre technicalité doctrinale non-mentionnée, permettant cette mesure exceptionnelle ? Peu importe, ce détail n’est pas mentionné. Les gens viendront, “que l’on soit bouddhiste ou non”, pour recevoir une pratique simple qui leur permettra d’avoir une longue vie, une renaissance au paradis etc.

Peut-être, certains aimeraient approfondir cette pratique en se rendant dans un centre drikung. Peut-être leur parlera-t-on de l’importance de la relation du maître à disciple, et leur dira-t-on que le fait d’avoir une initiation de Sa Sainteté Gyalwang Drikungpa, les liera à lui et à sa lignée. Peut-être les choses ont changé, je n’en sais rien...

Dans l’entourage de SSGD, on trouve des invités d’honneur comme Dagpo Rinpoché, Lama Ngawang, mais aussi Rigdzin Namkha Gyatso Rinpoché du centre Nyingmapa de Lausanne.

Rigdzin Namkha Gyatso Rinpoché
Ce dernier a été accusé d’abus sexuel par plusieurs femmes. Le journal néerlandais De Volkskrant avait publié en février 2018 un article De Tibetaanse meester met zijn 'geheime praktijk' (traduction française ici, English translation here), dans lequel le cas de Namkha Rinpoché est mentionné (une procédure juridique lancée contre lui en Suisse contre lui poursuit son cours). Il existe un autre témoignage par une femme nommée "Tar" (traduction anglaise). Lors de la rencontre des victimes dabus sexuels dans le bouddhisme tibétain avec le Dalai-Lama à Rotterdam en 2018, une des victimes de Namkha Rinpoche faisait partie de la délégation. “Lors d'un enseignement le 13 août 2017, [Namkha Rinpoché] a[vait] fustigé les « disciples arrogants » de Sogyal, qui avaient brisé leur samaya.” (article de Tempelman), en publiant leur lettre ouverte sur les mauvais comportements de leur maître.

On peut donc s’étonner que d’une part des initiations et des instructions soient données à des personnes nouvelles, y compris “non-bouddhistes”, et que d’autre part un lama comme Namkha Rinpoché, très à cheval sur le samaya, et qui fait l’objet d’allégations, fasse partie des “invités d’honneur”.

En ce qui concerne ces pratiques tantriques de la Terre pure. Ce genre de pratique eschatologique n’est pas une nouveauté dans le bouddhisme. C’était/c’est même une de ces méthodes prosélytiques les plus anciennes. A la fin du temps (kaliyuga, mappo, etc.), quand les démons rôdent partout sur la terre, et que les catastrophes se déclenchent les unes après les autres, il faut des pratiques faciles et efficaces. C’est au IIIème siècle (entre 220 et 250 à Nankin) qu’apparaît la traduction chinoise de la “Description de la terre pure” (Sukhāvatī-vyūha) d’Amitābha, qui explique que toute personne à l’article de la mort et récitant le nom de ce Bouddha pourrait y renaître aussitôt. Tout comme la 4ème concentration, cette Terre pure est à l’abri de la destruction eschatologique, mais elle est plus facile à atteindre.
Autour d’Amitābha et de son paradis allaient se nouer les espoirs d’une majorité de Chinois et de Japonais. Par la visualisation de ce paradis et la récitation du nom de ce bouddha, in articulo mortis, même un pécheur endurci renaîtrait dans un étang de lotus au milieu du royaume des saints. Tout cela est dit dans une « description de la Terre pure», le Sukhāvatī-vyūha, dont la première version chinoise complète fut réalisée à Nankin entre 220 et 250, et qui compte donc parmi les premiers textes du mahâyâna à avoir été traduits. À la fin de cet ouvrage, nous trouvons un passage qui ramène le lecteur du paradis aux dures réalités terrestres :

Je vous ai confié cette Écriture, dit le Bouddha aux membres de l’assemblée. Vous devez la garder fermement sans rien ajouter ou diminuer au texte de votre propre gré. Après mon parinirvāṅa, les Écritures et mon Tao ne resteront que mille ans. Passé le millénaire, les Écritures et mon Tao cesseront. C’est parce que je vous ai tous pris en compassion que je vous laisse cette Écriture et ses rites, qui demeureront cent ans de plus. Cependant, une fois ces cent ans passés, ils cesseront à leur tour. Ceux qui en formuleront l’intention dans leur cœur pourront donc obtenir le Tao.”

Les Écritures de la Terre pure entrent donc, elles aussi, dans le schéma eschatologique. Leur rôle est si spécial que le Bouddha leur a taillé une petite niche de cent ans au-delà du millénaire fatidique. Tout comme aux détenteurs de la traduction du Lotus réalisée quelque quarante ans plus tard, il sera rappelé aux aspirants à la Terre pure que le temps qui leur reste est strictement limité. À la pression morale et karmique personnelle vient s’ajouter une fatalité historique absolument sans appel.

On doit relever une différence de ton entre ces premiers sutra mahâyâna et les « Évangiles du bouddhisme » qui les ont précédés. Les récits et apologues antérieurs furent assez circonstanciés dans leurs prophéties, mais toujours détachés en quelque manière et éloignés. On pouvait, certes, y repérer les indications sur l’avenir et en tirer des conséquences morales, mais elles restaient de l’histoire relevant du passé lointain. Avec ces textes précoces du mahāyāna, on semble entendre résonner une nouvelle voix au timbre marqué par l’urgence et la crise. C’est la voix du livre lui-même. Il devient insistant : «Tiens-moi, récite-moi, copie-moi, prêche-moi ou diffuse- moi, car sinon... ! » Ces textes excellent dans la pratique. Ils disent au lecteur exactement ce qu’il doit faire. Les exégètes monastiques continuent et continueront toujours à spéculer autour de la fin de la Loi, selon les diverses traditions savantes. Ce sont cependant les textes de ce genre qui ont déterminé les contours du bouddhisme en Asie orientale, et c’est dans cette ambiance mouvementée que nous devons réinsérer les premières phases du tantrisme en Chine, en les comprenant à travers ce contexte eschatologique.” Mantras et mandarins, Michel Strickmann, pp. 110-111

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MàJ 02112019 Les invités d'honneur pendant la cérémonie
Khenpo Tashi, Lama Gyourmé, Mogchok R. et Namkha R.
Liens vers d'autres photos

L'origine du Grand Powa

[1] “Le grand Drikung Powa est une spécificité de la lignée Drikung Kagyu. La tradition ancestrale, veut que tous les douze ans, l’année cochon (2019-20), le Grand Drikung Powa est donné. Sa Sainteté Chetsang Rinpoché le donnera sur une journée complète à Paris à la maison de la chimie. Toute personne ayant reçu l’initiation, obtiendra la longue vie, l’absence de maladie, la diminution des passions et de tout attachement samsarique, bien-être et bonheur excellents, et permettra, dans la prochaine vie, de renaître en une existence supérieure : humaine ou divine, d’où il sera possible d’obtenir le grand éveil et d’acquérir le pouvoir d’aider les innombrables êtres.
Cette pratique a d’incommensurables qualités et est en harmonie avec toutes les traditions du monde“. Source

Projet immobilier en Inde

samedi 19 octobre 2019

Le droit de rire dans le bouddhisme


source

Un blasphème est une parole ou un “discours outrageant à l'égard de la divinité, de la religion, de tout ce qui est considéré comme sacré” (CNTRL). L’iconoclasme, qui fut à l’origine une doctrine “hérétique”, cible plutôt les représentations divines ou religieuses. L’iconoclasme peut varier de la destruction, de la profanation jusqu’au simple manque de respect. le blasphème et l’iconoclasme sont des sacrilèges. Un sacrilège est “la profanation de ce qui est sacré; action impie envers les lieux, les choses revêtues d'un caractère sacré; fait de porter atteinte à une personne revêtue d'un caractère sacré, de l'outrager gravement.” (CNTRL). Les outrages sont des actes gravement contraires à une règle.

Les règles en matière religieuse concernent le sacré, un espace ou un objet séparé du profane, du monde. Pour le religieux, le sacré se manifeste comme étant d’une autre réalité que la réalité naturelle, supérieure ou céleste, et s’impose ainsi. Pour le non-religieux, le sacré d’une pierre, d’un arbre etc. ressort d’une décision humaine. Si le sacré de la pierre, de l’arbre, du ciel etc. manifeste une volonté par l’intermédiaire de “visionnaires”, ceux-ci peuvent établir les règles relatives au culte de cet objet sacré. Dans une communauté, ces règles ont alors valeur de loi. L’objet sacré peut être représenté et sa représentation peut être considéré comme un objet dépositaire du sacré (symbole). Manquer de respect envers cet objet équivaut à manquer de respect envers le sacré originel, tout comme tout manque de respects des règles relatives à lui.

Les représentations du sacré sont aussi quelquefois appelés des icônes, notamment dans l’Eglise d’Orient. Le mot icône vient du grec classique et signifie “image, statue, portrait”. Un iconoclaste est quelqu’un qui brise (gr. klas, κλα ́ω) des représentations sacrées. Cela peut être du fait qu’il adore d’autres idoles (images, fantômes, du grec eidolon), qu’il pense que la divinité ne doit pas être représentée, ou qu’il pense que le culte des divinités est une superstition, une croyance religieuse irrationnelle. Le blasphème (parole qui outrage la divinité), l’iconoclasme (destruction d’images sacrées) et le sacrilège (profanation de ce qui est sacré) sont subies comme des violations de la part des croyants. Dans notre monde postmoderne, on voit que, sans être sacrés, le non-respect des symboles et des icônes peut donner lieu à des réactions similaires. Le système dans lequel certains symboles et icônes ne peuvent pas être attaqués est un système symbolique, où ceux qui y adhèrent peuvent se comporter comme des “croyants”, et avoir la sensibilité d’un croyant vis à vis des symboles.

Le sacré peut-il exister dans le monde sans ses symboles, ses représentations et ses règles et une communauté qui y adhère ? Pour le Bouddha ceux-ci peuvent tout au plus servir de rappel ou de remémoration (anusmṛti), mais ils sont vides de sacré.
« Celui qui me voit comme une matière visible,
Celui qui me perçoit dans les phonèmes
S’est engagé incorrectement dans le renoncement
Cette personne ne me voit pas
Les guides sont le corps des phénomènes (S. dharmakāya)
Considérez le buddha comme la substance des phénomènes (S. dharmatā) »[1] Vajracchedikā ("Soutra du Diamant")
La représentation iconique du Bouddha si familière à notre époque est un phénomène relativement tardif dans le bouddhisme (art bouddhiste gréco-bouddhiste du Gandhara). Le Bouddha fut d’abord adoré sous des formes plutôt aniconiques, c’est-à-dire non représentées, sans “images”, un trône vide, l’empreinte de ses pieds, les monuments (stūpa) contenant ces cendres ou reliques. Les formes sous lesquelles “le Bouddha”, un ensemble de qualités, fut imaginé surtout pendant la période du mahāyāna sont des formes symboliques, des corps symboliques (sambhogakāya). En imaginant le corps symbolique du Bouddha, on se remémore toutes ses qualités (buddhānusmṛti), qu’on aspire à développer soi-même aussi. Ce Bouddha imaginé n’est qu’un moyen (upāya), un rappel. Celui qui pense voir le Bouddha dans des formes ou entendre ses propos dans les phonèmes, ne le voit pas.

Cette idée d’un Bouddha non-phénomenal (ce qui n’implique pas qu’il soit purement spirituel) n’est pas très appropriée à une approche iconique. Mais les approches aniconiques ne deviennent pas facilement populaires… Une approche aniconique, qui va contre le courant, doit sans cesse résister aux tentations d’iconographication. Cette résistance passe le plus souvent par des méthodes qui s'apparentent du blasphème, de l’iconoclasme et du sacrilège. Le bouddhisme a pratiqué ces méthodes pendant toutes les époques de son existence, pour corriger les tendances “idolâtriques” inverses.

Les critiques du Bouddha à l’adresse du brahmanisme va dans ce sens. Il utilise des éléments du brahmanisme en les corrigeant et en les adaptant. Il peut ainsi enseigner dans le Dhammapada comment se comporterait un “vrai brahmane”.
“Coupe le fleuve avec courage ! Rejette les désirs, ô brahmane ! Sache détruire les confections et tu connaîtras l'inconfectionné, ô brahmane !”[2]
Les Bouddha (pali) a critiqué ouvertement certains coutumes brahmanes avec des moqueries ou des parodies. Et cette attitude critique, moqueuse, parodique, s’est perpétuée dans la tradition bouddhiste. On la retrouve notamment chez Kalamba et dans le Dohākośagīti de Saraha, qui critique toutes les croyances avec un manque de respect libérateur. Par exemple sur les moines jaïns et bouddhistes :
“Si la nudité rendait libre
Pourquoi les chiens et les renards ne le seraient-ils pas ?
Si l'épilation rendait libre
Pourquoi pas l'épilation des jeunes femmes ?”

“Si on se libérait en soulevant “la queue”[3] Le paon et le yack seraient libres
Si on se libérait en mangeant tout ce qui est donné
Pourquoi le cheval et l'éléphant ne seraient-ils pas libérés ?” 
Les exemples de blasphème, d’iconoclasme et de sacrilège ne manquent pas dans le bouddhisme, il faudrait répertorier ces bijoux et en faire une anthologie d’humour bouddhiste. Saraha critique également les bouddhistes de tous les véhicules, y compris le vajrayāna. Il retourne les arguments que les bouddhistes utilisent pour critiquer les autres contre les bouddhistes. Cette capacité d’autocritique et d’auto-dénigrement peut être libérateur et soulager du trop-plein de pomposité et de symbolique.

Quand on voit l’état actuel du bouddhisme tibétain, où le symbolique est omniprésent, et où les maîtres et leurs corps sont adorés et où les représentations de toutes espèces, les photos et photo-ops etc. se démultiplient, et le niveau de pomposité atteint des records, il est temps de réinstaurer cette vieille pratique bouddhiste. Surtout quand on vit dans un pays où la liberté d’expression est un droit, y compris par rapport aux religions, même si les religions tentent d’atténuer (dans le meilleur des cas) cette liberté, ou de l’abolir si elles le pouvaient. En 2011, eut lieu la Deuxième conférence mondiale sur les religions du monde après le 11 septembre 2001. , les personnalités religieuses présentes, parmi lesquelles le Dalaï-Lama, Deepak Chopra, les professeurs Tariq Ramadan, Robert Thurman, Steven T. Katz et Gregory Baum, ont publié La déclaration universelle des droits de la personne par les religions du monde (lien Wayback Machine) qui devrait s’ajouter à la Déclaration des Nations Unis. Les représentants des religions présentes avaient déclaré notamment :
“(4) Chacun a le droit que sa religion ne soit pas dénigrée dans les médias ou dans les maisons d’enseignement
(5) Il est du devoir de l’adepte de chaque religion de s’assurer qu’aucune religion n’est dénigrée dans les médias ou dans les maisons d’enseignement.”

Second Global Conference on World's Religions After 9/11
September 7, 2011 At The Palais des congrès de Montréal

Voici un ancien blog écrit en novembre 2011. Les liens vers les références à cette déclaration des religions ne sont plus opérationnels. Il reste très peu de traces de cette initiative et de cet événement.


***


[1]Gang gis nga la gzugs su mthong*//
Gang gis nga la sgrar shes pa//
Log par spong bar zhugs pas te//
Skye bo de yis nga mi mthong*//
‘dren pa rnams ni chos kyi sku//
Chos nyid du ni sangs rgyas blta//

[2] Dhammapada, les stances de la Loi, tr. Jean-Pierre Osier, éd. GF Flammarion, XXVI n° 383 p. 124

[3] Les moines jaïns utilisent un petit balai pour éviter de tuer des insectes.

vendredi 11 octobre 2019

"Chasser les démons qui entravent le progrès spirituel"



Dressage par anéantissement d'un jeune éléphant

Une publication sur une timeline FB me rappelait Le Flambeau de la certitude, le “livre des pratiques préliminaires”, composé par Jamgon Kongtrul Lodrö Thayé (1813 - 1899). Le titre tibétain est phyag chen sngon 'gro bzhi sbyor dang dngos gzhi'i khrid rim mdor bsdus nges don sgron me. C’est un commentaire sur “les pratiques préliminaires” (sngon ‘gro), pour ceux qui veulent aborder les pratiques du vajrayāna, et notamment la mahāmudrā. La dernière des quatre pratiques préliminaires est le Gourouyoga[1], “aux promptes réalisations”. La dernière fois que j’avais lu ce livre remonte aux années 1980. En lisant l’extrait, bien choisi il faut le dire, et après la chute de différents gourous tibétains, il ne me faisait plus du tout le même effet que pendant ma période bouddhiste tibétaine.
Toutes les actions de ce précieux et parfait Lama,
Quelles qu’elles soient, sont bonnes.
Tout ce qu’il fait est excellent.
Entre ses mains le travail, maléfique d’un boucher
Est bon, et apporte des bienfaits aux bêtes,
Inspiré par la compassion pour toutes.
Quand il s’unit sexuellement de façon impropre,
Ses qualités s’accroissent, et s’élèvent comme renouvelées,
Montrant que les moyens et la sagesse ont été réunis.
Ses mensonges qui nous dupent,
Ne sont que les signes habiles par lesquels il nous
Guide sur le chemin de la liberté.
Lorsqu’il vole, les biens volés se changent en denrées nécessaires pour soulager la pauvreté de tous.
Quand un tel Lama réprimande
Ses paroles sont de puissants mantras
Pour faire disparaître la détresse et les obstacles.
Ses coups sont des bénédictions
Qui accordent les deux siddhis et réjouissent tous les hommes fervents et respectueux.
Ainsi qu’il est dit ci-dessus, apprécions les aspects bienfaisants de toutes ses actions
.”[2]

Je suis donc retourné aux passages sur le Gourouyoga dans le livre, et quand on les lit avec les divers types d’abus potentiel à l’esprit, ils sont effrayants. Après ce premier effroi, ils restent tout simplement effrayants. Comment, ai-je pu penser que ce genre de raisonnement était acceptable ? Sans doute parce je croyais que la bonté du lama, sa réalisation et sa capacité de m’y conduire par des moyens insolites étaient incontestables. Si c’est en effet le cas, et si la fin est heureuse, c’est parfait. Si ce n’est pas le cas, c’est sans doute une recette à catastrophes. 
De même, notre propre attitude mentale nous amène à voir des fautes en notre Lama. Comment un Bouddha peut-il avoir des défauts ? Quoi qu’il fasse, laissez-le faire. Même si vous voyez votre Lama avoir des relations sexuelles, raconter des mensonges, etc. méditez calmement ainsi: "Tels sont les moyens habiles insurpassables de mon Lama pour former les disciples. Par ces méthodes il a amené beaucoup d’êtres sensibles à la maturité spirituelle et à la Libération. Ceci est cent fois, mille fois plus merveilleux que de préserver une conduite morale pure. Ceci n’est pas une duperie ni de l’hypocrisie mais le mode de conduite le plus élevé. En particulier, quand il nous réprimande, pensons : « Il détruit mes mauvaises actions. » Quand il nous frappe, pensons : « Il chasse les démons qui entravent mon progrès spirituel. » Considérons principalement que notre Lama nous aime comme un père aime son fils, Son amitié est toujours sincère. Il est très bon. S’il parait mécontent ou indiffèrent envers nous, pensons que c’est la rétribution qui ôtera le reste de nos voiles karmiques. Essayons de faire plaisir au Lama en le servant de toutes les façons possibles.
En deux mots, ne voyons aucune faute en notre Lama
.”[3]
S’il fallait écrire un guide pour développer de la dissonance cognitive, on ne pourrait guère faire mieux.[4] Si on vérifie les instructions sur le Gourouyoga du Flambeau de la certitude par rapport aux listes de critères de dérives sectaires ou de ‘groupes hautement exigeants’ (high demand groups[5]), beaucoup de cases risquent d’être cochées.

Quand ce type d’arguments est avancé dans les discussions avec les adeptes de la pratique du Gourouyoga, on entend souvent les mêmes réponses. L’authenticité du lama abuseur est contestée, sa réalisation est contestée, ou il s’agit d’une exception. Les exemples de réussite du passé sont cités : Marpa et Milarepa, Tilopa et Naropa, Padmasambava et Yéshé Tsogyel, etc., tous par ailleurs des exemples fictifs (pas forcément les personnages, mais certainement leurs légendes). Les textes sur le Gourouyoga recommandent une période d’examen (au maximum de 12 ans) des qualités du maître. Si le maître n’avait pas les qualités requises, il ne fallait pas le choisir. Ceux ou celles qui s’étaient engagés avec des maîtres contestables n’ont malheureusement pas eu suffisamment de jugeote, contrairement à ceux et celles qui suivent des maîtres, où tout se passe pour le mieux. J’ai lu aussi l’argument que les descriptions de la dévotion au gourou dans le cadre du Gourouyoga sont intentionnellement hyperboliques, exagérées, pour mieux faire passer le message. Quand on a examiné le gourou, et conclu que son éthique est parfaitement pure, il serait impossible que celui-ci se rende coupable de comportements inacceptables d’un point de vue moral…

Tout cela sans préjuger de la réalité de la réalisation, qui est le fruit du chemin de la dévotion, et de la capacité du maître d’y conduire l’adepte.

De nouvelles méthodes plus modernes sont apparues dans le cadre du Gourouyoga avec des gourous comme Chogyam Trungpa (et ses disciples), Sogyal Lakar, le “lama belge” Robert Spatz etc. Dans les médias, cette méthode porte désormais le nom de folle sagesse (quelle que soit l’origine de ce concept). Selon la théorie qui justifie ces méthodes, les adeptes souffrent d’un trop-plein d’ego. Ce trop-plein d’ego sera la cible des actions du gourou. Celui, censé être déjà passé par là, tentera - avec compassion - de faire diminuer l’ego de l’adepte, en insultant lego, en terrorisant lego, en rendant docile ladepte, ou en brisant ses concepts (Dzongsar KR). Ce que l’on peut qualifier de dépersonnalisation.

Ce qui est relativement nouveau dans ces méthodes, c’est qu’elles cherchent à activement dompter l’adepte, là où dans le Gourouyoga théorique cela semble plutôt être accessoire, c’est-à-dire dans le cas où l’on était témoin de mauvaises actions de la part du gourou, laquelle mauvaise perception il convient alors de chasser par la dissonance cognitive, puisque les actions du gourou sont par définition toujours parfaites... Pour voir un exemple de dissonance cognitive vécue de l’intérieur par un membre néerlandais de Rigpa, voir lextrait du livre 'Vrij van gedachten' (Libre de pensées, 2015) de Jan Geurtz, auteur, instructeur de bouddhisme tibétain et disciple de Sogyal Rinpoché.

"Bullhook"

Il existe une méthode de dressage déléphants appelée “dressage par anéantissement”. Le cornac frappe l’éléphant à l’aide son “bullhook” toujours aux mêmes zones sensibles. L’éléphant ne se dresse pas, il se soumet.

Une des accusations contre Sogyal Lakar est qu’il frappait souvent ses étudiants avec des objets (volume de texte “Pécha”, gratte-dos, etc.). En tant qu’enfant, Sogyal Lakara avait vécu un temps dans l’entourage de Jamyang Khyentse Chökyi Lodrö (JKCL), un lama qui avait la réputation d’être violent (voir sa biographie The Life and Times of Jamyang Khyentse Chökyi Lodrö par Dilgo Khyentse Rinpoche et Orgyen Tobgyal). Orgyen Tobgyal raconte dans le livre avoir vu au moins 20 ou 30 cicatrices sur la tête de JKCL, quand celui-ci fit raser son crâne. Il avait donc lui-même subi le même traitement par son maître ou tuteur[6]. Trois générations de coups et blessures.


***


Le phénomènes des sectes, l'étude du fonctionnement des groupes

[1] “Gourouyoga (skt) : littéralement : « union avec le maître », c'est-à-dire laisser reposer l'esprit dans l'état naturel en s'unissant à l'esprit du maître. Une des quatre pratiques préliminaires dans toutes les écoles tibétaines. Dans le mahamudra et le dzogchen, toute pratique débute par le gourouyoga.” Enseignements bouddhistes qui illuminent tous les êtres comme la lumière du soleil et de la lune, de Kalou Rinpoché.

[2] mtshan ldan bla ma rin chen 'dis//
gang mdzad thams cad legs pa yin//
ci mdzad thams cad yon tan yin//
mi bsad bshan pa mdzad na yang //
de khas 'tshengs shing de kha legs//
sems can thugs rjes 'dzin par nges//
log g.yem 'chal ba'i tshul ston yang //
yon tan 'phel zhing yon tan 'byung //
thabs shes zung du 'jug pa'i brda'//
rdzun gyis gzhan mgo bskor ba na//
brda thabs rnam pa sna tshogs kyis//
'gro kun thar pa'i lam la 'dren//
rku 'phrog chom po mdzad na yang //
gzhan gyi yo byad tshogs su bsgyur//
skye bo'i 'phongs pa zhi ba yin//
don la 'di 'dra'i bla ma yis//
bka' bkyon mdzad na drag sngags yin//
rkyen ngan bar chad sel bar nges//
brdungs btag mdzad na byin rlabs yin//
dngos grub thams cad de las 'byung //
mos gus can tsho nyams re dga'//

zhes gsungs pa ltar ci mdzad yon tan tu shes pa dang gnyis/

[3] mos gus lam du 'gro ba'i yan lag bzhi yod de/_bla ma la skyon gyi rnam par mthong na/_sangs rgyas ye shes kyis 'jam dpal khyim btsun bu smad can tu gzigs pa'i tshe ma dad pa'i rnam rtog skyes pas mchog gi dngos grub la bar du gcod pa ltar/_bdag rang gi sems rgyud ma dag pas len/_sangs rgyas la skyon zhig gar yod/_gang mdzad mdzad du chug_/mi tshangs par spyod pa dang rdzun mdzad pa sogs mthong na yod/_'di ka gdul bya 'dul thabs bla na med pa zhig yin yang /_'di la brten nas sems can mang po zhig smin grol la 'god pa the tshom med pas gzhan dag khrims gtsang ma srung ba las kyang 'di brgya 'gyur stong 'gyur gyi ngo mtshar che/_g.yo sgyu tshul 'chos ma mdzad pa 'di kho nas dam pa'i kun spyod la 'khrul pa med snyam du bsgom/
khyad par du rang la bka' bkyon byung na las ngan zad/_phyag 'jug gnang na gdon bgegs 'bros/_lhag par bdag la thugs brtse bas 'jig rten na phas bu la bya ba bzhin zol 'grogs mi mdzad pa bka' drin che snyam du bsam/_mi dgyes pa'i rnam 'gyur dang thugs mi gtad pa ltar snang na rang gi las sgrib ma dag pas lan snyam du sgrib sbyong dang /_bla ma'i sku gsung thugs kyi zhabs tog dgyes pa'i thabs la 'bad de mdor na bla ma'i skyon mi rtog pa dang gcig_/

[4] “La pratique (de la voie de la dévotion) est entièrement comprise dans les deux directives suivantes :

1.Faisons tout ce que le Lama nous dit de faire ;
2.Faisons tout ce que le Lama veut que nous fassions.

Avec notre corps, faisons prosternations et circumambulations, écrivons, cousons, faisons des courses, allons chercher de l’eau et balayons.

Avec notre parole, offrons des prières et louons-le. Faisons en sorte que d’autres connaissent les qualités de notre Lama. Demandons-lui ce que lui aimerait que nous fassions, dans un langage doux, poli et direct. Que ce soit en public ou en privé, ne prononçons jamais une parole de dénigrement.

Dans notre esprit, cultivons seulement la dévotion, le respect et la perception pure (60), sans la tache de la moindre pensée faussée. Si, en raison de notre mauvais karma, des pensées inappropriées s’élèvent, arrétons-les immédiatement, et ne les exprimons jamais par la parole ni par des actions.

Si, à cause de nos mauvaises actions passées, nous allons à l’encontre de ses désirs, confessons-nous sincèrement et offrons lui notre corps et nos possessions. Récitons le mantra de cent syllabes (de Vadirasattva), des prières propitiatoires et des confessions. Nous ne devons pas nous réjouir de partager la moindre nourriture, ni de parler de façon amicale avec quelqu’un qui va à l’encontre des désirs du Lama. Il est dit que si nous nous lions d’amitié avec quelqu’un qui méprise notre Lama, c’est aussi mauvais que si nous-mêmes éprouvions un tel mépris, même si ce n’est pas ce que nous ressentons.

Nous ne devons pas être mesquins. Nous devons donner à notre Lama tout ce qui nous appartient qui ait de la valeur pour lui ou qui lui plaise. Mais nous ne le faisons pas. Lorsque nous avons des biens de valeur - des choses excellentes et chères comme de jeunes chevaux, du bétail, etc. - nous les gardons pour nous-mêmes. Nous offrons nos plus mauvaises possessions au Lama en lui disant combien elles sont merveilleuses 1 Nous demandons n’importe quelle initiation et enseignement que nous désirons, sans égard pour leur profondeur.

S’il ne nous l’accorde pas, nous le regardons avec des yeux malheureux et nous disons : « Mais j’ai eu tant de bonté pour vous .! » Au lieu de ressentir de la gratitude envers ce Lama, qui nous a donné des enseignements du Dharma et des instructions, nous disons : « Je lui ai fait une grande faveur en lui demandant des instructions et en l’écoutant ! »

Si nous ne nous rendons pas compte du fait que c’est pour notre propre bien que nous faisons des offrandes et rendons service au Lama, si nous présentons des offrandes fiers et satisfaits de nous-mêmes, il aurait mieux valu ne pas faire d’offrandes du tout.”

[5] Voici la liste figurant dans la lettre ouverte No Secrets in the Village”: An Open Letter on Abuse in Dharma, publiée par des anciens étudiants de Reggie Ray de Dhama Ocean, ancien étudiant de Chogyam Trungpa :

● grooming (sollicitation);
● love bombing (bombardement affectif) new group members;
● questioning and doubt being discouraged or punished;
● public shaming of community members;
● a cycle of verbal abuse and triangulation in interpersonal communication;
● selective enforcement of rules/community norms; dissent framed in terms of spiritual immaturity/shortcomings;
● a pervasive culture of fear and paranoia;
● a charismatic leader insulated from any external accountability;
● reframing dissent or the loss of prominent members as proof of the worthiness and exceptionalism of the “in-group”;
● frequent public appraisals of other spiritual paths and communities, which were always found inferior by comparison with Dharma Ocean.
● the organization’s all-important ends justify its unethical means.”

[6] The Life and Times of Jamyang Khyentse Chökyi Lodrö, note 5, page 26.