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samedi 9 février 2013

Retour aux racines



Le Traité mahāyāna de la continuité insurpassable (Ratnagotravibhāga / Mahāyānôttaratantraśāstra) est un texte immense, dont il ne faut pas sous-estimer l'influence sur les suiveurs de la conscience du Dzogchen radical et sur la Mahāmudrā, qui ne sont sans doute pas aussi anciens qu'on ne veuille le faire croire. Ci-après une traduction toute fraîche de quelques passages choisis du chapitre VIII (Analyse du germe) du commentaire (S. Mahāyānottaratantraśāstravyākhyā T. theg chen rgyud bla ma'i bstan bcos gyi rnam bshad). Le commentaire avait été traduit en tibétain à Anumapamapura/Srinagar par Sajjana et Ngog lotsawa blo ldan shes rab (1059–1109) sous la direction du grand maître laïque (upasāka) Ratnavajra, accessoirement le grandpère de Sajjana.

Pour rappel, le RGV aurait été redécouvert par Advayavajra, après "avoir été absent en Inde" pendant plusieurs siècles. Mais il aurait déjà été traduit en Chine par Ratnamati (勒那摩提) en 508. Ce qui est intéressant, c'est qu'un certain (bodhisattva) Ratnamati (autrement relativement inconnu) figure à une place proéminente dans l'hommage que rend Advayavajra avant de commenter les Distiques (dohākośagīti) de Saraha, et qui est en fait la lignée de transmission de ce commentaire.

Ratnamati , bodhisattva émané
Śrī Mahā yogeśvara, le Tailleur de flèches
Śrī Sarapa (Śabara-pa)

Sans doute simplement un hasard ; des homonymes, il y en a plein. D'un autre côté, il y a eu tellement de trafic sur la route de la soie, et on a tellement joué sur et avec l'authenticité réelle ou fictive des écritures, qu'il ne faut pas totalement exclure la possibilité de la rédaction du RGV par un des nombreux équipes de pandits et de traducteurs, quelque part sur la route de la soie. On était conscient très tôt que pour authentifier un texte, l'existence d'une version en langue indienne pourrait aider...  J'y reviendrai une autre fois.

Le texte tibétain utilisé pour la traduction qui suit, vient du site des norvégiens.

55. La terre se fonde (S. pratiṣṭhitaḥ) sur l'eau, l'eau sur l'air
Et l'air sur l'espace
Tandis que l'espace n'est fondé ni sur l'air, ni sur l'eau
Ni sur l'élément terre.

56. De même, les constituants psychophysiques (skandha), les éléments constitutifs (dhātu) et les facultés [sensorielles] (indriya)
Se fondent sur l'agir (karma) et sur les passions (kleśa)
Et l'agir et les passions sont toujours fondés sur
L'engagement mental incorrect (ayoniṣomanaskāra).

57. L'engagement mental incorrect
Se fonde sur les [créations] pures de la conscience (cittaśuddhi)
Mais la nature (prakṛti) de la conscience ne se fonde
Sur aucune chose (dharma).

58. Semblables à la terre, ainsi doivent être connus
Les constituants psychophysiques (skandha), les domaines perceptuels (āyatana) ainsi que les éléments constitutifs (dhātu)
Et semblables à l'eau, ainsi doivent être connus
L'agir et les passions des êtres vivants (śarīra).

59. L'engagement mental incorrect
Doit être considéré comme semblable à l'élément air
La nature (prakṛti), tout comme l'élément espace,
Est sans racine ni lieu (tadamūlāpratiṣṭhānā).

60. L'engagement mental incorrect 
Se fonde sur la nature (prakṛti) de la conscience
Mais c'est par l'engagement mental incorrect
Que l'agir et les passions apparaissent (prabhave).

61. C'est de l'agir et des passions, semblables à l'eau,
Que se produisent les constituants psychophysiques (skandha), les domaines perceptuels (āyatana) ainsi que les éléments constitutifs (dhātu)
La destruction et la naissance (saṃvartavivartavat) [des mondes]
Est comme la naissance et la destruction [des skandhāyatanadhāta].

62. La nature (prakṛti) de la conscience, tout comme l'élément
Espace, n'a ni cause (hetu) ni condition (pratyaya)
Elle n'est pas un regroupement [de facteurs], elle est sans naissance,
Sans destruction et sans durée (sthiti).

63. La nature (prakṛti) de la conscience est lumineuse (prabhāsvarā)
Et inchangeant comme l'espace[3]
La convoitise ainsi que les autres [passions] sont produites par des représentations incorrectes (abhūtakalpajaiḥ)
Mais ces souillures adventices (āgantukai rāgamala) ne la détérioreront pas. »

Plus loin :

Ainsi au niveau des créations impures/non-authentiques, l'affliction totale (saṃkleśa) par les passions, l'agir et la naissance (janma), qui se manifeste comme la naissance et la destruction dans ce qui a l'air d'un monde réceptacle, mais ce qui est inconditionné est le Coeur du Bienheureux (tathāgatadhātu [2]), qui tout comme l'espace, est sans naissance et sans cessation. Il est révélé comme le fond des choses (dharmatā) qui ne change pas.

Et cette analogie de l'espace, qui est l'instruction initiale de la lumière, l'authenticité de la nature [de la conscience] (prakṛtiviśuddhimukhaṃ dharmālokamukham), doit être comprise telle qu'elle est expliquée en large dans les soutras. 

« Ô voyants (mārṣā, mahāṛṣi), le dénaturé (kleśa) est obscurité, l'authentique est lumière. 
Le dénaturé est faible, la perspicacité (vipaśyanā) est forte.
Le dénaturé est accidentel, l'authentique est fondamental.
Le dénaturé est imaginé, le naturel n'est pas imaginé.

Ô voyants, c'est ainsi. Cette vaste terre se fond sur l'eau. L'eau se fond sur l'air et l'air se fond sur l'espace. Mais l'espace, lui, ne se fond sur rien.
Ainsi, parmi ces quatre éléments, l'élément espace est plus fort que les éléments terre, eau, et air. Il est plus stable, immuable, il n'est pas sujet à la décroissance, ni à la naissance et à la cessation. Il demeure égale à lui-même.

Tandis que les autres trois éléments sont bien sujets à la naissance et à la destruction. Ils ne durent pas, et ils ne durent pas longtemps. On perçoit bien les changements dans ces [trois éléments], mais l'espace, lui, ne change point.

De la même façon, les constituants psychophysiques (skandha), les éléments constitutifs (dhātu) ainsi que les domaines perceptuels (āyatana) se fondent sur l'agir (karma) et le dénaturé (kleśa).
L'agir et le dénaturé se fondent sur l'engagement mental incorrect (ayoniṣomanaskāra). Et l'engagement mental incorrect se fonde sur ce qui est authentique par nature (prakṛtipariśuddhi). C'est pourquoi, il est dit que la nature (prakṛti) de la conscience est lumineuse, et ne peut pas être dénaturée (upakliśyata T. négation) par le dénaturé (upakleśa).

A ce propos, toutes les choses dues à l'engagement mental incorrect, l'agir et les passions,  les constituants psychophysiques (skandha), les éléments constitutifs (dhātu) ainsi qu'aux domaines perceptuels (āyatana), sont constituées (T. bsdus pa) et produites par des causes et des conditions. Si elles sont privées de ces causes et conditions, elles cesseront. Mais ce qui est naturel ne dépend pas de causes et de conditions, n'est pas sujet à un regroupement [de facteurs], à la naissance et à la cessation.

La nature (prakṛti) [de la conscience] est semblable à l'espace.
L'élément air est semblable à l'engagement mental incorrect (ayoniṣomanaskāra).
L'élément eau est semblable à l'agir (karma) et au dénaturé (kleśa).
L'élément terre est semblable aux constituants psychophysiques (skandha), aux domaines perceptuels (āyatana), et aux éléments constitutifs (dhātu). 
C'est pourquoi il est dit que toutes les choses sont totalement dépourvues de racine : elles ont des racines sans essence (asāramūlā), elles ont des racines qui ne se fondent sur rien (apratiṣṭhānamūlāḥ), [tout en ayant] des racines authentiques (śuddhamūlā], [c'est-à-dire] des racines sans racine (amūlamūlā).

***

[1] Les termes en sanscrit svabhāva et prakṛti se traduisent en tibétain par le même mot "rang bzhin". Dans ce texte, en parlant de la nature de l'esprit, c'est le terme prakṛti qui est utilisé en sanscrit. C'est le côté actif de la nature ("naturante"), qui est visée ici. Plutôt "ensemble de l'univers, en tant qu'il est le lieu, la source et le résultat de phénomènes matériels" que la nature dans le sens philosophique et théologique d'essence (svabhāva).
[2] L'élément du tathāgata en sanscrit, au lieu de Coeur du Bienheureux
[3] 51 Jamais ne fut le ciel brûlé,
Jusqu’à présent, par aucun feu.
A son instar, ne le consument
Mort, maladie ou bien vieillesse. Site Khenpo.fr

Textes tibétains en Wylie


sa ni chu la chu rlung la//
rlung ni mkha’ la rab tu gnas//
mkha’i ni rlung dang chu dag dang//
sa yi khams la gnas ma yin//

de bzhin phung po khams dbang rnams//
las dang nyon mongs dag la gnas//
las dang nyon mongs tshul bzhin min//
yid la byed la rtag tu gnas//

tshul bzhin ma yin yid byed ni//
sems kyi dag pa la rab gnas//
sems kyi rang bzhin chos rnams ni//
thams cad la yang gnas pa med//

sa dang ’dra bar phung po dang//
skye mched khams rnams shes par bya//
chu khams dang ’dra lus can gyi//
las dang nyon mongs shes bya ste//

tshul bzhin ma yin yid byed ni//
rlung gi khams dang ’dra bar blta//
rang bzhin nam mkha’i khams bzhin du//
de bzhin can min gnas pa med//

tshul bzhin ma yin yid byed ni//
sems kyi rang bzhin la gnas te//
tshul bzhin ma yin yid byed kyis//
las dang nyon mongs rab tu phye//

las dang nyon mongs chu las ni//
phung po skye mched khams rnams ’byung//
de ’jig pa dang ’chags pa ltar//
skye dang ’jig par ’gyur ba yin//

sems kyi rang bzhin nam mkha’i yi//
khams ltar rgyu med rkyen med de//
tshogs pa med cing skye ba dang//
’jig dang gnas pa’ang yod ma yin//

sems kyi rang bzhin ’od gsal gang yin pa//
de ni nam mkha’ bzhin du ’gyur med de//
yang dag min rtogs las byung ’dod chags sogs//
glo bur dri mas de nyon mongs mi ’gyur//

2ème passage

de ltar ma dag pa’i gnas skabs na snod kyi ’jig rten bzhin du nyon mongs pa dang/ las dang skye ba’i kun nas nyon mongs pa mtha’ dag skye ba dang ’jig kyang/ ’dus ma byas ba de bzhin gshegs pa’i snying po ni nam mkha’ bzhin du skye ba med cing ’gag pa med ba shin tu mi ’gyur ba’i chos nyid du bstan pa yin no//

rang bzhin gyis rnam par dag pa’i sgo’i chos snang ba’i sgo las brtsams pa/ nam mkha’i dpe ’di rgyas par ni mdo ji lta ba bzhin rtogs par bya ste/
drang srong chen po nyon mongs pa ni mun pa/ rnam par dag pa ni snang ba’o//
nyon mongs pa ni stobs chung ba/ lhag mthong ni stobs dang ldan pa’o//
nyon mongs pa ni glo bur pa/ rang bzhin gyis rnam par dag pa ni rtsa ba’o//
nyon mongs pa ni kun tu brtags pa/ rang bzhin ni kun tu ma brtags pa’o//

drang srong chen po ’di lta ste/ sa chen po ’di ni chu la rab tu gnas pa/ chu ni rlung la rab tu gnas pa/ rlung ni nam mkha’ la rab tu gnas pa yin la/ nam mkha’ ni gnas pa med pa’o//
de bzhin du khams bzhi po ’di rnams las/ sa’i khams dang/ chu’i khams dang/ rlung gi khams pas ni nam mkha’i khams nyid stobs dang ldan pa/ brtan pa/ mi g-yo ba/ ’grib pa med pa/ skye ba med pa/ ’gag pa med pa ste/ rang gi ngang gis gnas pa’o//

de la khams gsum po gang yin pa de dag ni skye ba dang ’jig pa dang ldan pa/ mi gnas pa yun ring du mi gnas pa ste/ ’di dag la ni rnam par ’gyur pa mthong gi/ nam mkha la ni rnam par ’gyur ba ’ga’ yang med do//

de bzhin du/ phung po dang/ khams dang/ skye mched dag ni las dang nyon mongs pa la rab tu gnas pa’o//
las dang nyon mongs pa ni tshul bzhin ma yin pa yid la byed pa la rab tu gnas pa/ tshul bzhin ma yin pa yid la byed pa ni rang bzhin gyis yongs su dag pa la gnas pa ste/ des na sems kyi rang bzhin ni ’od gsal ba ste/ glo bur gyi nyon mongs pas nyon ma mongs pa’o zhes brjod do zhe’o//

de la tshul bzhin ma yin pa’i yid la byed pa gang yin pa dang/ las dang nyon mongs pa gang yin pa dang/ phung po dang/ khams dang/ skye mched gang yin pa’i chos ’di mtha’ dag ni rgyu rkyen gyis bsdus pas skye ba rgyu rkyen dang bral na ’gag par ’gyur gyi/ rang bzhin gang yin pa de ni rgyu med pa/ rkyen med pa/ tshogs pa med pa/ skye ba med pa/ ’gag pa med pa’o//

de la nam mkha’i khams ji lta ba de ltar ni rang bzhin no//
rlung gi khams ji lta ba de ltar ni tshul bzhin ma yin pa yid la byed pa’o//
chu’i khams ji lta ba de ltar ni las dang nyon mongs pa’o//
sa’i khams ji lta ba de ltar ni phung po dang/ skye mched dang/ khams rnams so//
des na chos thams cad ni rtsa ba yongs su chad pa ste/ snying po med pa’i rtsa ba can/ mi gnas pa’i rtsa ba can/ dag pa’i rtsa ba can/ rtsa ba med pa’i rtsa ba can zhes brjod do zhe’o//
  

mardi 18 mai 2010

La transmission chez Maitripa


La Mahāmudrā de Maitrīpa n'est pas transmise par les consécrations tantriques et les pratiques afférentes, ni même est-elle accessible par aucune méditation, qu'elle soit tantrique ou pas. La transmission, telle qu'elle transparait de son commentaire sur les distiques de Saraha, s'apparente en effet davantage à la pratique de l'introduction (T. ngo sprod), dont on trouve des exemples dans les Chants de Milarepa. Par exemple les rencontres de Milarepa avec un jeune berger ou un moine scolastique.
Chez Maitrīpa, l'introduction ou la révélation a simplement pour but de révéler au disciple la méditation "continue", "sans effort" et "naturellement présente" en lui. Le rôle du guide "indirecte" se limite à cette introduction et après celle-ci, c'est le guide "direct" qui prend la relève et qui continuera "l'enseignement" à travers des symboles mentaux[1]. Cette introduction à la nature de l'esprit est exposée dans le commentaire du Dohākośagīti de Saraha par Advaya Avadhūta[2], mais l'historien 'gos lotsāwa (1392-1481) le résume brièvement dans son commentaire sur le Ratnagotravibhāga, un traité attribué à Maitreya et retrouvé et diffusé par Maitrīpa. C'est par le biais d'Atiśa qu'il était introduit au Tibet, où il devint " le texte fondamental de notre doctrine de la Mahāmudrā"[3]. Le commentaire de 'Gos a été traduit en anglais et annoté par Dr. Klaus-Dieter Mathes.


Voici ce qu'écrit 'Gos lotsāwa au sujet de la méthode de Maitrīpa et de ses disciples :

Les synonymes [de la vacuité énumérée dans le Madhyāntavibhāga[4]] devraient aussi être appliqués aux deux types de vacuité, que sont la "négation n'impliquant aucune affirmation" et la "vacuité de la présence immédiate" (T. rig pa'i stong pa nyid). Les propriétaires de cette instruction[5] (dharma) sont Maitrīpa et ses disciples qui ont nommé "Voie du milieu intermédiaire" (S. madhyama-madhyama) " la vacuité enseignée dans le Madhyamakāvatāra. La "vacuité de la présence immédiate" était aussi appelée "Voie du Milieu suprême" (S. madhyama-uttama[6]).

Ceux qui suivent la Voie du milieu (S. madhyamika) déterminent d'abord la vacuité par inférence, puis se familiarisent avec elle. C'est comme lorsqu'on produit du feu par la friction de bouts de bois et que le feu consume ensuite ces mêmes bouts de bois. De la même façon, en se familiarisant avec ce qui a été établi par inférence on contrarie par là même les constructions mentales et l'on développe une perception directe[7] (S. pratyakṣa). Est-ce qu'il s'agit de la vacuité de la présence immédiate, enseignée pendant le dernier tour de la roue, qui surgit puisqu'elle n'en est plus empêchée [par les constructions mentales] ?

Cette connaissance valide[8] (S. prāmāna) qui recherchait [une perception directe] est-elle réelle ou non ? Et si elle est réelle, comment est-elle ?

Dans la tradition de ceux qui suivent les instructions [S. amanasikārāmnāyaṁ T. yid la mi byed pa'i man ngag], certains sont instruits ainsi : "Cherchez bien jour et nuit comment est votre conscience." Il y a donc en premier une recherche conceptuelle[9]. D'autres s'abstiennent (T. dor) des remémorations (S. smṛti) du passé, du présent et du futur et ainsi leur fixation (P. patti) est dotée des caractéristiques (S. lakṣana) de la perception directe. Cela produit ce qui est appelé " l'absorption en un point" (S. ekāgra) . Quand celle-ci est produite, [on leur] instruit ainsi : "Contemplez la conscience qui cultive en retournant la perception directe vers l'intérieur." Ils s'engagent ainsi uniquement (T. 'ba' zhig du) dans la pure (T. tsam) contemplation (T. lta ba).

C'est par exemple comme lorsqu'on examine (T. rtog pa) de l'eau pour voir si elle comporte des insectes[10] ; on force alors uniquement le regard. Il s'agit d'une façon de recherche par la perception directe, sans l'intervention de la conceptualisation (T. rtog pa). A travers [la perception directe] on verra toutes les qualités (S. dharmā) sans essence (S. ātman). Dans ce cas, l'organe visuel qui inspecte l'eau est l'inspiration (S. adhimukta T. mos pa) par et l'admiration pour le guide qui voit la vérité (T. bden pa). La perception visuelle est la perception directe qui est tournée vers l'intérieur. De cette façon, puisque l'être propre de la conscience est la Lumière et son reflet (T. 'od gsal ba), les affections (S. kleśa) sont perçues comme étant sans essence (T. ngo bo).

C'est en les termes suivants que [le RGV][11] expose "l'absorption en un point" (S. ekāgra).
"...devant ceux qui ont parfaitement pénétré la fine pointe du non-soi de tous les êtres [comme étant] pacification..."
Tandis que c'est en les termes suivants que "la pénétration directe du non-soi" est exposée,
["dont le regard perçoit la non-substantialité des souillures grâce au rayonnement naturel de la pensée de ces êtres ;"][12]
à laquelle on a donnée le nom "réintégration de l'absence de jugement" (S. aprapañca-yoga). L'absence de jugement (S. aprapañca) n'est pas seulement une négation n'impliquant aucune affirmation, elle n'est pas non plus avérée par aucune caractéristique comme une qualité de l'Intelligence (T. rig pa'i chos).Le doigt de la Mahāmudrā pointe vers l'instant d'Intelligence qui ne se perd ni du côté des apparences, ni de celui de la vacuité. Voilà ce qu'en disent ceux qui connaissent les instructions[13] (T. man ngag rig pa dag).

Bien que cette tradition appartienne au système des pāramitā, on lui a donnée le nom "Mahāmudrā ", comme il s'avère du commentaire sur les "Dix versets sur le Réel" (S. tattva-daśaka-ṭīkā) composé par Sahajavajra. Cela est exposé également dans le texte racine et le commentaire de "L'entrée dans le Réel" (S. tattvāvatāra), composé par Jñānakīrti.
"Le véritable chemin de la libération est la réintégration de la Mahāmudrā, l'Intelligence vide [d'essence]. Elle n'est pas atteinte par la culture de la vacuité, établie à travers une analyse rationnelle. Vous avez beau cultiver pendant des millénaires la vacuité établie rationnellement, vous n'arriverez pas à vous défaire de ces liens en or."
Voilà ce qu'en dit le glorieux Phag mo gru pa (1110-1170). Et ses meilleurs disciples précisent :
"La condition externe est le guide authentique Celui-ci nous fait mûrir, mais Tout comme le soleil et son rayonnement Et le fait qu'un fruit soit conforme à sa graine Cela se produit par une relation profonde [entre causes et effets] La relation entre les conditions et les effets de l'inspiration et de l'admiration est merveilleuse C'est proportionnellement à l'inspiration et à l'admiration investies Que sera la réalisation Si l'inspiration et l'admiration sont insuffisantes C'est la connaissance analytique développée par l'étude et la réflexion qui aboutira à la vacuité à travers un travail intellectuel Notre guide appelait cela "la vacuité par la raison" Les expériences et les qualités de l'expérience directe, Les propos profonds du Vainqueur, Les chants des siddha du passé, Ainsi que les écrits sur les quatre réintégrations (yoga) Peuvent être compris de façon intellectuelle Par des personnes où l'inspiration et l'admiration font défaut, Cela se produit facilement, mais Ceux qui ne s'abstiennent pas des affections et des constructions mentales Comment traverseront-ils l'océan de l'existence ? Ne connaissant pas l'absence de jugement (S. aprapañca) Comment s'abstenir des caractères des jugements ? Sans accéder à la Lumière et le rayonnement de la non-production, Comment interrompre le courant des productions ?"
Ils ont par ailleurs beaucoup écrit sur le même sujet.

***

Fin de la citation. Dans cette dernière citation, on remarquera par ailleurs l'importance croissante, au fil du temps, du rôle de l'inspiration et de l'admiration (T. mos gus) pour le guide indirecte, la condition externe. J'y reviendrai une autre fois. Les deux types de vacuité ainsi que l'absence de jugement (S. aprapañca) feront aussi l'objet de blogs futurs.

[1] "Après que le guide spirituel indirect l'ait révélé à l'aide de symboles , le guide direct le fera à l'aide de symboles mentaux (T. yid kyi brdas). N'ayez pas de doute à ce sujet." P. 255
[2] N° 3120 dohākoṣa hṛdayārtha gītā ṭīkā, composé par/attribué à Advaya Avadhūta
[3] Gampopa à Phag mo gru pa
[4] Autre traité attribué à Maitreya
[5] selon Mathes le Ratnagotravibhāga
[6] Il existe aussi trois types de siddha selon l'Essence des tantra (Tantrasāra) d'Abhinavagupta : uttama, madhyama et adhama
[7] L'immédiat, ce qui se présente tel quel. Un des 4 moyens de connaissance légitimes [pramāṇa].
[8] moyen de connaissance légitime. L'école de logique indienne Nyāya en reconnaît quatre, selon leur instrument (karaṇa) de connaissance: la constatation directe par perception (pratyakṣa) des matérialistes (cārvākās), l'inférence (anumāna) des logiciens, l'analogie (upamāna) et l'autorité de la parole (śabda) révélée (śruti) ou transmise par un locuteur digne de foi (āptopadeśa).
[9]Voir Milarepa et le berger
[10] Les moines bouddhistes ont huit possessions (Thaï : borikharn), parmi lesquelles un filtre à eau pour enlever les insectes de l'eau
[11] RGV I.13 Le message du futur Bouddha, François Chénique, Dervy, p. 72
[12] RGV I.13 Chénique p. 72
[13] S. amanasikārāmnāyaṁ T. yid la mi byed pa'i man ngag, principalement, les 25 textes de l'Advayavajrasaṃgraha TG n° 2229-2252


Le texte tibétain correspondant au passage ci-dessus peut être téléchargé ici.
L'image de 'Gos Lotsawa provient du site www.himalayanart.org