jeudi 23 décembre 2021

La théophilosophie, ou dualisme dilué

Ascenseur spatial macrocosmique (photo : Slate)

Une approche plus rationnelle et digeste aux goûts occidentaux du Projet Gnostique est celle des néoplatoniciens. Il faut néanmoins préciser qu’elle n’est intervenue que brièvement avant un retour, y compris chez certains néoplatoniciens, vers un Projet Gnostique plus classique, intégrant diverses influences (gnostiques, hermétistes, chaldéens, égyptiens, …) et hiérarchies. Je me suis principalement basé sur le livre Plotin ou la simplicité du regard, qui me semble déjà être une tentative de rendre le plotinisme plus proche (philosophique) de la spiritualité de notre temps, que sa réalité du II-IIIème siècle.

Certains chercheurs spirituels ont tenté de faire abstraction du système Gnostique, tout en gardant les grandes lignes, en simplifiant, ou en "intériorisant" certains éléments. La dualité Ciel-Terre, ou une élaboration tripartite de celle-ci avec des sphères intermédiaires, peut être prise globalement comme l’Un où se déroule un jeu ou danse dualiste (ou tripartite) comme une fête de (re)connaissance mutuelle du Sujet-sujet-objet. Tout est Esprit divin, tout se joue dans l'Esprit divin. L’âme humaine, qui en est une réflexion, est une parcelle de l’Esprit divin, et en porte la marque, la nature, et donc la tripartition : spirituel-psychique-sensible, sans forme - formes - sensible, ennéade-ogdoade-hebdomade.

Le théophilosophe (l'Un - l'Intellect - l'Âme du Monde) peut maintenir l'anthropomorphisme du divin (Platon et son démiurge dans le Timée) ou l'oublier (Plotin) avec tous les cultes et rituels associés. Certains néoplatoniciens (Jamblique, Syrianus, Proclus, Damascius…) ont réintégré le Projet Gnostique (théurgie, goétie, …) après Plotin ; c’était dans l”air du temps, et l’approche théophilosophique est souvent trop abstraite et élitiste par la force des choses. Même si les rôles peuvent aussi être inversés, le Projet Gnostique représentant un ésoterisme occulte pratiqué par un élite, tandis que la majorité des adeptes pratique des formes exotériques de façon superficielle. Ce que l’on fait, même sans savoir pourquoi (idéologie), en dit davantage que ce en quoi on croit croire.

L’origine et l’ombre des dieux anthropomorphes, de leurs sphères et de leur Projet ne gêne pas trop le théophilosophe. Les théophilosophes croient que tout est une question d’interprétation et de théorie, tandis que les Gnostiques théurgiques comprennent que seule la pratique compte et peut aboutir au Grand retour définitif. Parfois la théophilosophie est présentée comme éminente, et parfois elle n’est qu’un premier pas pour faire naître la foi, à confirmer et épanouir dans un Projet Gnostique, capable de sauver réellement et définitivement. Il y a aussi ceux qui combinent ces deux aspects, dans une voie dite intégraleouholistique.

Ascenseur spatial microcosmique (corps subtil)

Plotin ne fait pas les ascensions et les descentes entre les trois sphères “de l’être”, de façon macrocosmique, mais au niveau de la Conscience. Quand tout est Conscience, les sphères cosmiques sont des “états” ou des “niveaux” de Conscience. Au plus haut niveau des extases, où l’esprit s’éloigne au plus du corporel, et s’approche du “vrai moi” (Hadot), ou de l’Esprit divin (le Tout). Il s’agit de se délester de l’emprise du sensible, puis de celle des formes, pour se trouver enfin face à face de son “vrai moi”, le Tout, où “on ‘est’ dans l’Esprit divin, dans la Pensée, dans "l’Intellect qui se pense lui-même” (Hadot, p. 63).

Mais, “Celui qui se dresse sur ses pieds ne peut se tenir droit” (Lao Tseu), et au bout d’un moment, Plotin doit sortir de son extase et “redescendre”.
Mais ces niveaux ne s’abolissent pas les uns les autres : c'est leur ensemble, leurs interactions qui constituent la vie intérieure. Plotin ne nous invite pas à l'abolition de la personnalité dans le nirvana. L'expérience quotidienne, tout au contraire, nous révèle que notre identité personnelle suppose un absolu indicible dont elle est à la fois l'émanation et l'expression.” (Hadot, Plotin, p. 44)
Et au moment de la mort ?
Je m’efforce de faire remonter ce qu’il y a de divin en moi à ce qu’il y a de divin dans l’univers (V.P. 2,25)” (Hadot, Plotin, p. 66)

Autre est l’homme véritable ; il est pur de tout ce qui touche en nous à l’animalité. Il possède les vertus contemplatives, celles qui ont leur siège dans l'âme, qui se séparent du corps, et même déjà, est complètement séparé, tout en étant encore ici “ (Enn. LI, 10, 7).

Abandonnant cette vie, il en choisit une autre, la vie divine. (Enn. I 2, 7, 22)
Homme véritable, Homme primordial. Les ombres des éléments Gnostiques fondamentaux sont toujours là, mais Plotin les ramène à un niveau "individuel", intérieur, essentiel. Les éléments mythologiques, cosmogoniques, anthropogoniques, théurgiques, etc. semblent passer à la trappe, mais la structure dualiste de base est toujours présente. Le nom “l’Un” et ses nombreux épithètes ne trompe personne. C'est un emballage "non-dualiste" moniste en cellophane autour d'un dualisme gardé intact.

Quand on regarde les grandes lignes de l’évolution du bouddhisme dans le périmètre Indien, on voit d’abord une longue période de dialogue entre brahmanes et bouddhistes, où ces derniers intègrent des matériaux brahmanistes, jusqu’au point où l’on n’arrive plus à faire la distinction. Le bouddhisme à la fin de sa période indienne propose une société sacrificielle, englobée dans le culte d’un Bouddha cosmique (Esprit divin), qui reste “bouddhiste” par le fil (invisible) de quelques éléments doctrinaires (les trois caractéristiques, les quatre sceaux, la coproduction conditionnée, la vacuité, etc.), tout en proposant tout ce que propose la société sacrificielle brahmaniste.

On pourrait dire que ce qui constituait, à nos yeux, la singularité bouddhiste était au bout de compte simplement un accident, qui n’a pas pu résister à l’évolution spirituelle générale, qui ne peut et ne veut pas échapper à un dualisme, toujours beaucoup plus spectaculaire, ludique et attractif.



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