Dans la conception cosmogonique géocentrique des doctrines religieuses, avec l’espace divisé en un monde sublunaire et un monde supra lunaire, où le monde sublunaire subit l’influence de la lune et des sept planètes du monde supra lunaire. C’est au-dessus de la sphère des sept planètes et de leur influence, que commencent les mondes spirituels (Brahmaloka, Ogdoade, Akaniṣṭha, Siddhaloka, le Plérôme, et les autres sphères pures).
A cause des mouvements des planètes, le monde sublunaire subit d’abord le temps, (le jour, la nuit, l’année, le mois lunaire etc.), et également les passions. Les conceptions religieuses ne manquent pas de représentations anthropomorphes de toutes ces forces, et imaginent des agents divins à chaque étage et à chaque fonction. En effet, les astres et les planètes étaient généralement considérés comme des dieux. Chez les gnostiques historiques, la création du monde est l’oeuvre des archontes, sous la direction d’un archonte en chef, appelé “Démiurge”, un dieu créateur, qui se situe au-dessus des mondes créés/émanés et donc périssables. Dans la civilisation indienne (brahmaniste comme bouddhiste), Brahma est considéré comme le dieu créateur. Le mouvement des astres crée des cycles de naissance et de destruction des mondes.
Ce cadre s’inscrit dans un objectif mythologique et religieux. Les malheurs de l’homme viennent de sa création/naissance dans un monde qui subit la temporalité, l’impermanence, la mort, la séparation des sexes, les passions, l’oubli/l’ignorance/la chute de ses origines divines, et les religions peuvent proposent ou bien une sorte de realpolitik qui s'accommode du status quo (l’ordre), qu’elles veulent maintenir et amender (société sacrificielle), ou bien considèrent la situation actuelle comme un désordre, et prônent un grand retour, ou encore les deux à la fois. Dans les méthodes de libération plutôt ascétiques des Renonçants (śramaṇa), la structure cosmogonique et le panthéon en place restent intacts, mais ne font pas activement partie du programme de libération. Initialement, il n’y avait pas de Gnose chez eux.
Les dieux/astres étant les seigneurs, les adeptes s'accommodent de la situation, en traitant les dieux, ou leurs agents, comme tels, et tentent d’apaiser les passions et autres effets néfastes causés par les astres, avec des invocations, éventuellement accompagnées d’offrandes et de rites magiques. Il est aussi possible de qu’ils ne s'accommodent pas de cette situation, et cherchent à titre individuel à en sortir dès que possible, tout en admettant et en respectant la conception cosmogonique (en ordre ascendant, et en traversant les divers niveaux). Le karma, qui désignait l’acte rituel, devient alors un acte individuel, dont l’acteur porte l’entière responsabilité. La sortie se passe “par le haut”, même si le travail a lieu dans le corps terrestre, et il faudrait donc dépasser les sept sphères pour se libérer de leurs influences, afin de trouver le Brahmaloka, le siddhaloka, le nirvāṇa, etc.
Généralement, les deux projets religieux, sacrificiels et ascétiques, peuvent se pratiquer simultanément : tant que l’on subit les influences des dieux, on fait ce qu’il faut faire pour avoir leurs faveurs, tout en faisant le nécessaire pour sortir de là, dès que possible, ou en prenant son temps.
Tout comme dans le chemin graduel (tib. lam rim) du bouddhisme mahāyāna ésotérisant, les gnostiques historiques ont trois degrés (dispositifs), ou trois grades : les “commençants”, les “progressants” et les “parfaits”.[1] Dans les approches Gnostiques[2] (libération par une connaissance salvatrice), l’objectif est le retour de l’âme ou de toute autre étincelle de lumière dans les sphères supra célestes, voire au-delà. L’approche ascétique (śramaṇa, théophilosophique, yoguique, pneumatique, fluidique…) peut se combiner avec une approche Gnostique, où une Gnose est transmise de myste à initié dans le cadre de mystères ou d’autres cérémonies, mais dans ce cas il n’est pas question d’une sortie véritable (“extinction” de type nirvāṇa), mais d’une ascension (régénération, etc.) dans une sphère supra céleste et de la continuation du Projet Gnostique par des voies surnaturelles.
Pour les śramaṇa, qui pouvaient croire en un dieu créateur, une création, une âme, l’objectif était de purifier ce qui lestait l’âme et le retenait dans les sphères sublunaires : l’agir (karma) et les passions (kleśa). La méthode consiste dans ce cas à purifier, ou faire cesser l’agir et les passions, et à “brûler” tout agir et passion collés à l’âme, puis à laisser faire son ascension à celle-ci dans les plus hautes sphères (siddhaloka pour les jains). Les bouddhistes anciens cherchaient à purifier l’agir et les passions par la sapience (prajñā), en discernant le processus derrière leur production, et en cessant cette production. La fin de la production et l’épuisement du karma et des kleśas correspondait à “la libération” (mokṣa, nirvāṇa), dont il ne servait à rien de spéculer dessus. Le Bouddha pāli refusait de répondre à des questions métaphysiques de ce type, et ne proposait pas de Gnose, autre que sa méthode. C’est de toute façon ce que le bouddhisme semblait avoir de singulier, à la différence d’autres religions. Le créateur, l’âme, les dieux, “la création”, étaient ignorés (ne jouaient pas de rôle dans la méthode bouddhiste), et donc aussi la Gnose (la connaissance divine) qui s’y intéresse.
Le bouddhisme des prajñāpāramitā/du madhyamika a développé une méthode qui ne requiert plus l’élimination des passions, mais vise leur neutralisation par la sapience (prajñā), voire, ultérieurement dans le bouddhisme yogācāra et ésotérique, leur transmutation par la gnose (jñāna). Il était donc possible de vivre dans le monde sublunaire, “libre de” l’agir et des passions, et/ou de continuer (ici-bas ou là-haut) le Projet du bodhisattvayāna, qui était de vider le saṃsāra de tous les êtres. C’est là que le Projet bouddhiste devient un Projet Gnostique. Quand la sortie/extinction (nirvāṇa) en tant que telle n’est plus l’objectif, le bodhisattva s'accommode du monde dans lequel il vit (realpolitik), et utilise les moyens à sa disposition, à bon escient. La structure cosmogonique et le panthéon (re)prennent alors de l’importance dans ce monde toujours enchanté, et ouvrent de nouvelles perspectives, rendant ainsi possible l’intégration de méthodes Gnostiques (upāya), y compris la possibilité de recevoir des transmissions d’entités dans les sphères supra célestes, ou la descente de ces entités pour enseigner ici-bas par le biais de émanations, révélations, visions, songes etc. Le bouddhisme mahāyāna (yogācāra) est tout à fait prêt pour devenir une véritable Gnose. Avec la différence qu’il ne s’agit pas nécessairement de sauver les âmes, mais surtout d’éveiller la Nature de Bouddha (tathāgatagarbha) de chacun, en libérant celle-ci de la gangue, et des voiles, qui l’empêchent d’accéder à tout son potentiel. Les êtres “non-fortunés” et “non-élus”, voire les ennemis de la Doctrine, avaient droit à un autre traitement (l’expédition dans un champ céleste), mais toujours pour leur propre bien spirituel et salut.
L’élimination des passions et de l’agir, qui était l’objectif principal dans l’ancien projet bouddhiste (et des śramaṇa en général), devient un simple aspect dans le Projet Gnostique. Pour le retour de l’âme, et l’ascension de celle-ci, il faut se débarrasser non seulement des passions mais aussi de l’armure des éléments[3], il faut traverser les kalpas, etc., pour remonter à l’Âge d’or. La simple élimination des passions et de l’agir ne suffirait pas, pour un retour définitif au Plérôme. Pour cela, il y a besoin d’un médiateur-myste qui initie en les mystères[4].
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[1] Source wikipédia
[2] Gnostique avec une majuscule G, que je définie dans le Projet Gnostique, et qui comprend entre autre le gnosticisme historique (judéo-chrétien), l'hermétisme polythéiste (“païen”), le manichéisme, et les tantras “Gnostiques”.
[3] “Dés lors, au moment de la mort, quand l'âme se libère du corps matériel, “l'homme s’élance vers le haut, à travers l'armature des sphères”, abandonnant au passage de chacune d'entre elles une passion ou un vice particulier. Il “entre dans la nature ogdoadique, ne possédant plus que sa puissance propre. Devenu pur esprit, il s'unit aux autres esprits et “chantes avec les Êtres des hymnes au Père et toute l'assistance se réjouit de sa venue. Il entend alors certaines puissances chez siégeant au-dessus de la nature ogdoadique et chantant d'une voix douce des hymnes à Dieu”, qui demeure à un niveau encore supérieur. Tous “ceux qui possèdent la connaissance” sont appelés à se fondre en lui, à devenir Dieu.” Ecrits gnostiques, introduction à L’Ogdoade et l’Ennéade, pp. 942-943
[4] La muèsis (initiation préalable) et la télétè (initiation complète).
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