En sens inverse de l'ascension des treize échelons, il y a la descente volontaire ou provoqué des dieux. Le mot théurgie (« acte de la puissance divine ») Du grec ancien θεουργία, theourgía (« théurgie »), composé à partir de θεός theós (dieu) et ἔργον, érgon pour « ouvrage, action volontaire ».
Un des éléments de la théurgie[1] des néoplatoniciens était la télestique (l'art des rites d'initiation (teletai)), qui se rapporte à la possession. Cette possession par un dieu, pouvait s’appliquer à une personne, à un lieu, ou à des objets symbolisant le dieu. D’où le sens de l'art de consacrer les statues quelquefois désigné par ce terme. L’objet, le lieu ou la personne possédé ou investi par le dieu a alors le pouvoir de le représenter, en vertu de la sympathie universelle. Il s’agit d’une sympathie naturelle entre l'image et l'original, qui fait que l’image d’un dieu, évoquée par des objets (statues, pierres, plantes…) le représentant ou par des cérémonies, attire la présence de ce dieu, qui en est « l’original ». La descente du dieu peut alors être prise au premier degré. Il y a bien des dieux constituant l’âme du monde, et qui investissent les objets qui sont comme des réceptacles et qui sont en quelque sorte animés par le dieu. Ou bien, le symbolique de ces objets « permet à ceux qui sont initiés aux mystères de la doctrine d'apercevoir en esprit l'âme du monde et les vrais dieux. »[2]
Nous retrouvons ces éléments télestiques dans le bouddhisme ésotérique, où des représentations de l’Éveillé sous la forme de statues, de caitya, stūpa etc. sont consacrées (S. (prāṇa)pratiṣṭhā T. rab gnas zhug pa) en les animant par le souffle/le Verbe de l’Éveillé : dhāraṇī et mantras.
Qu’il s’agit souvent d’une animation au sens propre et non symbolique s’avère d’autres applications de la consécration, par exemple à des fins oraculaires et divinatoires.
« On peut aussi procéder de la façon suivante. Si l’on désire induire la possession d’un médium, le maître de l’incantation doit se laver et mettre un vêtement neuf. Ensuite, il doit réciter une incantation pour sa propre protection. Alors il doit construire une aire rituelle avec de la bouse de vache. L’aire rituelle doit former un carré, peint des couleurs appropriées, où sont éparpillées çà et là des fleurs [ciel étoilé] et des offrandes de nourriture de couleur blanche. Ensuite, il doit prendre un garçon ou une fille vierge, laver l’enfant et enduire son corps d’huile finement parfumée. Il doit l’habiller de blanc pur, et le parer de toutes sortes d’ornements, puis lui demander de s’asseoir dans la position du lotus sur l’aire rituelle. Tout en récitant l’incantation bandha [« lier »], il tresse les cheveux de l’enfant. Lorsqu’il a fini, il prend des fleurs et en remplit les mains de l’enfant. Il prend aussi de l’encens de bonne qualité, qu’il écrase et éparpille. En outre, il récite une incantation sur du riz cru qu’il parsème, avec des fleurs et de l’eau, sur l’aire rituelle. Il doit également brûler de l’encens de bois de santal et réciter l’incantation de Kouan-yin. La récitation doit se faire trois fois au-dessus des fleurs, qui sont ensuite jetées au visage de l’enfant. A ce moment, le corps de l’enfant se met à trembler. Si l’on désire qu’il parle, il faut prononcer une autre incantation [fournie par le texte] au-dessus d’eau pure dont on arrose le visage de l’enfant. Pendant la récitation, la main ne doit pas toucher l’enfant. Après la récitation, l’enfant se met à parler. Si on l’interroge sur le bien et le mal passés, présents ou à venir, il pourra répondre à toutes les questions. Si le maître de l’incantation désire expulser l’esprit qui s’est introduit dans l’enfant, il existe une autre incantation qu’il doit réciter [fournie dans le texte]. »[3]Le mot teletai (telete) est par ailleurs utilisé pour désigner l’initiation dans un mystère (Eleusis etc.). L’initié doit être pur de toute souillure et subit dans ce but des rituels de purification. D’un point de vue néoplatonicien, la souillure de base est l’association de l’esprit avec la matière. La purification a alors pour but de laver l’esprit pour le séparer de la matière, du corps physique. Reste alors le corps psychique, qui servira de véhicule à l’âme pour son ascension. Cette purification première se fait chez les gnostiques à l’aide du baptême [S. abhiṣeka T. dbang]. Le corps psychique, une image, n’étant plus lesté par aucune matérialité, est alors attiré par la sympathie universelle à son original (ange, époux), qui le guidera vers le treizième niveau (sthāna), après quoi le Sauveur redescendra pour guider les autres. Treize niveaux ? Comme c’est étonnant ! Dans le texte gnostique intitulé Marsanès (NH X), les treize niveaux s’appellent « sceaux »[4] (σφραγίζ[5]), des plus bas (corps et matière, le domaine des passions) jusqu’au treizième, appelé le Silencieux. Le douzième s’appelle « l’Esprit invisible ».
Dans certaines représentations cosmiques de l’Inde, il y avait treize niveaux (p.e. le lokapuruṣa des jains), que l’on retrouve également dans les représentations symboliques de l’Éveillé que sont les stūpa et les caitya. Les types de caitya plus tardifs ont une interprétation symbolique bien à eux, mais leur aspect reprend celui de l'homme cosmique. On retrouve une base large surmontée d'un vase, lui-même surmonté d'un kiosque (S. harmikā), surmonté d'une flèche. On reconnaît assez facilement la figure d'un Bouddha dans cette forme, au complet avec sa protubérance crânienne. Les treize anneaux de la protubérance coïncident avec les treize niveaux de l'univers.
Voir cette illustration du blog d'Elisa Freschi où les stūpa sont présentés comme la version tridimensionnelle du maṇḍala, qu'on pourrait donc traduire par cosmogramme.
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[1] Le mot théurgie (« acte de la puissance divine ») Du grec ancien θεουργία, theourgía (« théurgie »), composé à partir de θεός theós (dieu) et ἔργον, érgon pour « ouvrage, action volontaire ».
[2] C’est le point de vue de Varron THÉURGIE ET TÉLESTIQUE NÉOPLATONICIENNES.
[3] Amoghapāśa-sūtra (T. 1097), traduit en chinois à la fin de VIIe siècle ou au début du VIIIe siècle. Mantras et mandarins, Michel Strickmann, p. 218.
[4] sphragízō (from 4973 /sphragís, "a seal") – properly, to seal (affix) with a signet ring or other instrument to stamp (a roller or seal), i.e. to attest ownership, authorizing (validating) what is sealed. Les termes sceaux et sceller font partie du contexte baptismal gnostique.
[5] Sfragis
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