lundi 4 novembre 2013

Le château, la bureaucratie de l'esprit



La cosmogonie classique d’un système de type théiste semble consister en une première impulsion qui active/ensemence la Nature. Elle reçoit le logos. La Nature est l’ensemble des quatre « éléments des éléments » (matrices) qui sont incorruptibles. Les assemblages et désassemblages de éléments forment la « matière » à laquelle se mélange le feu intelligible sous forme d’effets. La Nature est souvent représentée comme une Mère. Tout naturellement se forme alors l’image que ce qui donne la première impulsion est un Père. Tout effet du haut jusqu’en bas de la procession est imputé au Père. C’est donc un couple divin qui est à l’origine du monde et des êtres. Cette cosmogonie ne prend pas pour un fait accompli le mystère de « l’alliance esprit-matière », qui est déjà une spéculation de trop et qui nous installe dans la dualité.

Pourquoi ne pas simplement partir de la Nature ? Sans concevoir de première impulsion et une entité qui la donne. Conception qui implique d’ailleurs automatiquement une hiérarchisation dans laquelle le donneur de l’impulsion serait la première cause. Il est un principe actif, tandis que la Nature qui reçoit et produit est à la fois passive et active. Mais elle n’est active grâce à la première impulsion... Les spéculations sur la différenciation ou l’indifférenciation des deux principes ne sont que secondaires par rapport au procédé ci-dessus. Quelle meilleure métaphore pour ce procédé que l’image de l’union d’un Père et d’une Mère ? Et dans laquelle le Père est le supérieur hiérarchique de la Mère. Puisqu’on a commencé à personnifier, pourquoi ne pas continuer en personnifiant le feu intelligible, les quatre éléments et tous les autres agents et intermédiaires du plérôme ?

En fait, ce serait prendre les choses à l’envers. Car les notions philosophiques ont des racines religieuses. Les personnifications pré-datent les notions philosophiques plus abstraites. Au commencement furent l’animisme et le polythéisme. Puis, progressivement, les dieux multiples furent réunis dans le corps cosmique d’un dieu unique. Ce Dieu qu’ont avait proclamé mort plus tard mais qui a encore des beaux jours devant lui. Ainsi, Empédocle aurait encore dit « beaucoup de choses touchant la nature des démons qui, allant et venant sans cesse, s’occupent de ce qui se passe sur Terre et sont très nombreux. »[1]


Pour que tous ces dieux et démons fassent bien leur travail et nous fassent des faveurs, il faut leur graisser la patte. Un culte pour que le soleil se lève, un autre pour qu’il se couche, une troisième pour que la lune se lève, pour que les céréales poussent, les animaux mettent bas, les femmes donnent des fils etc. etc. Car il faut s’adresser à ceux qui sont en charge, aux agents, à ceux qui tireraient les ficelles, ayant reçu l’impulsion du chef tout en haut de la pyramide. Ainsi chaque phénomène naturel est doublé d’un agent, qui réclame son dû.

Un système très complexe (mais créateur d’emploi) qui en dernière analyse ne représente que le mystère de la vie, « l’esprit et la matière ». C’est finalement assez cher d’avoir un esprit, en avons-nous réellement besoin ?

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[1] Hyppolite, dans Les écoles présocratiques, p. 146

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