Nous partageons le même ciel avec les mêmes corps célestes. Dans quasiment toutes les civilisations, on attribuait un lien de cause à effet entre le cours des corps célestes et les événements sur la terre. Le même statut d’agent (intermédiaire) était attribué à des forces ou à des phénomènes de la Nature.
« Il nous suffira de savoir qu’après avoir fait de la matière une cause première, un Dieu, on a divinisé la terre, ses parties principales, les montagnes, les mers, les fleuves, les fontaines. On a fait des quatre éléments des génies présidant aux quatre saisons ; on a été jusqu’à les faire présider à tels signes du zodiaque, à telles constellations. On ne s’en est pas tenu là : on a affecté au feu le principe du chaud, à l’air celui du froid, à l’eau celui de l’humide, et à la terre celui du sec. On a personnifié ces quatre principes, et on a imaginé qu’ils dominaient chacun dans des astres, et que ces signes, ces astres, et ces principes, modifiaient et gouvernaient toutes les choses d'ici-bas. Tout cela a fourni ample matière à l’astrologie, et a donné lieu à d'immenses généalogies de dieux, et à de nombreuses fables : c’est tout ce que nous avons besoin d’en savoir. » [Extrait de chapitre 4 de l'Analyse raisonnée de l'origine de tous les cultes, ou Religion universellepar Antoine Louis Claude Destutt de Tracy]Pour Thomas McEvilley (Shape of Ancient Thought, p. 301), le passage du polythéisme (agents multiples) au monothéisme (cause unique avec des agents multiples) passe souvent par une explication de la façon de la quelle un agent intentionnel surnaturel puisse avoir une emprise sur la Nature, sur la « matière ». Et cette explication introduit souvent quatre ou cinq éléments inengendrés et incorruptibles, qui produiront, par leurs combinaisons, toutes les choses naturelles qui sont engendrés et corruptibles.
Chaque chose naturelle porte alors la marque ou la griffe des quatre ou cinq agents et par là de la cause unique et première. Sans la cause unique et ses agents, rien n’aurait la capacité de se mouvoir. Tout ce qui est mouvement (une volonté) est en dernière échéance dans leurs mains, si pour autant ils en ont.
Justin Barrett, chercheur en anthropologie à l’université d’Oxford, « attribue l’émergence de la pensée religieuse à un mécanisme cognitif mis en branle par notre cerveau, le «hypersensitive agency detection device» (HADD). Lorsque le cerveau s’avère incapable d’expliquer un phénomène de manière intuitive, il l’attribuerait à des agents intentionnels non naturels (esprits, dieux) qui lui fournissent une explication cohérente à des évènements inhabituels (maladie, catastrophe naturelle, survie inespérée, etc.). Le succès de la religion pourrait, selon lui, être dû au fait qu’elle donne un sens aux expériences HADD. »[1]
C’est donc l’éther qui représente la part directement divine (qui meut) en toute chose composée. Il est alors au centre du maṇḍala. Comme par exemple dans celui d'Avalokiteśvara (Tchenrézi, Guānyīn,..) dans sa forme à quatre bras. Je fais exprès ici de laisser parler l'image et non son interprétation traditionnelle, où les Tathāgata représentent les skandhas. Dans la représentation des divinités bouddhistes, il y a bien une émanation et un ordre d'émanation (d'hypostases) qui est représenté.
Le thangka représente donc trois phases d'émanation : Lumière invisible, Lumière infinie et Lumière incarnée dans la matière, les éléments (le Sauveur). C'est une trinité plutôt universelle. Mais les ressemblance ne s'arrêtent pas là.
Macrobe (4ème s.) est l’auteur néoplatonicien des Saturnales, contenant un fameux commentaire sur le Songe de Scipion. Quand il écrit (Saturnales, I, 18) sur la fabrication d’une statue de dieu, il explique
« Exécuter tout cela, groupant autour l'équipement, corps du Dieu, image du glorieux soleil : en premier lieu donc jeter sur lui un péplos de pourpre, semblable aux rayons de flamme, pareil au feu ; de plus par-dessus attacher la large peau bariolée et mouchetée d'un faon sauvage sur l'épaule droite, image des astres artistement façonnés et du ciel sacré. Puis par-dessus jeter le baudrier d'or d'une bride, à porter étincelant autour de la poitrine, emblème insigne, aussitôt que des confins de la terre le Dieu du jour se levant frappe de ses rayons d'or les flots de l'Océan et que son éclat est indicible, et que mêlé de rosée il illumine le tourbillon, s'enroulant en cercle au devant du Dieu ; baudrier sur une poitrine immense apparaît le cercle de l'Océan, grande merveille à contempler. »Avalokiteśvara pourrait-il aussi être représenté entouré de lumière solaire, un péplos de pourpre sur les épaules, représentant le ciel du matin ou du soir ( ?), avec une peau de faon[3] sur l’épaule dont les taches mouchetées représentent les étoiles. Un baudrier d’or, comme le baudrier d’Orion sur la poitrine. Et alors peut-être, protégeant de ses mains, le cintāmani comme un œuf cosmique (comme l'oeuf de Brahma) ? Il serait alors vraiment le bien nommé Seigneur du monde (lokeśvara = loka-iśvara).
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MàJ 14032019 Dieu sur un mode scientiste. La convergence de perspectives créationniste et cognitiviste sur le divin, Baudouin Dupret[1] D’où vient la pensée religieuse ? Jean-Pierre Geets et Annick M’Kele
[2] Source
[3] Le faon d'Avalokiteśvara est un Krishnasara (T. khri snyan sA ra), "the spotted antelope" (antelope cervicapra), aussi appelé Baliharina ou kala Baudia.
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