dimanche 3 novembre 2013

Va-et-vient entre l'un et le multiple



Selon Empédocle, au départ, les quatre éléments furent réunis et formèrent ensemble une sphère, l’un. Ces quatre éléments sont éternels et comme les éléments des éléments formant les êtres. Les mères des éléments en quelque sorte (éléments homéomères[1]). Ils sont associés par l’action de l’Amour et dissociés par l’action de la Haine. L’Amour et la Haine sont appelées les puissances « archiques ». On peut voir en l’Amour et la Haine, l’origine des dieux et des titans.[2] C’est d’ailleurs ainsi, que Machik Labdreun expliquera le sens profond de l’expression « dieux et démons » (attraction et répulsion). Des forces qui réunissent et des forces qui divisent.

L’Amour et la Haine sont le principe du Tout (S. sarva), le manifesté. Dieu, le feu intelligent, est contenu dans l’unité. Toutes les choses sont constituées du feu et se dissoudront en feu.[3] La dissociation des quatre éléments dans l’un par l’action de la Haine est à l’origine de la formation du monde. Ainsi l’un, la réunion des quatre éléments, la sphère, est appelée la cause. Quand la cause se divise, les opposés, les contraires apparaissent, d’un part et de l’autre[4]. Quand les quatre éléments sont regroupés dans l’Un par l’action de l’Amour, on parle de Simplicité. Quand ils se dissocient par l’action de la Haine, de complexification. Simplicité et complexification, l’un et le multiple.

L’Amour et la Haine sont un attribut nécessaire aux choses. « La nécessité, que généralement on appelle destin est, pour Empédocle, l’ensemble constitué par l’Amitié et la Haine. »[5]

La dissociation des éléments commence, toujours selon Empédocle, par la fuite de l’éther. Au sein de la Sphère, le feu s’envole vers le haut. La terre reste en bas. Comprimée par la vitesse de la rotation céleste, l’eau jaillit et d’elle l’eau s’évapore et monte, créant le ciel. Le Soleil naît du feu.[6] Ce monde est comme un œuf. « Le ciel est solide et formé d’air condensé par le feu à la façon d’un cristal, et enveloppe l’élément igné et l’élément aérien dans chacun des hémisphères. »[7] Les astres sont de feu et proviennent de l’élément igné. Ce monde crée par la Haine est ensuite détruit par l’Amour qui recrée la Sphère (sphairos) à partir de lui.

Si l’on dit que l’Amour est le Bien et la Haine le Mal, c’est la Haine, le Mal, qui est à l’origine de la formation du monde. Le monde est alors le produit de la Haine et du Mal. Notion que l’on retrouve dans les doctrines de type gnostique. L’Amour, le Bien, vient détruire le monde pour reconstituer l’unicité originelle. Ce genre d'idée a-t-il toujours de l’avenir ? Surtout si, à notre époque, certains proposent de donner un coup de main au « Bien »... ?


Shiva, comme le Seigneur de la danse cosmique (nataraja) au milieu d'un cercle de feu

Dans le dzogchen, on retrouve l’idée de l’un, représenté comme une sphère (bindu). Le feu intelligent, la gnose qui s’engendre elle-même se manifeste en cinq lumières perçues comme les cinq éléments par ceux qui ne les reconnaissent pas, et qui sont alors à l’origine du monde. Ceux qui les reconnaissent sont aussitôt libérés. En fait, comme les éléments sont au fond les cinq gnoses, indifférenciées de la gnose qui s’engendre elle-même, tout est déjà parfait. Le processus d’émanation–résorption sous l’action de « l’Amour et la Haine » peut continuer à se dérouler. Les Sauveurs sauveront les élus prêts à être sauvés.




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[1] Aétius, Les écoles présocratiques, p. 151 ou Aristote (Physique) p. 152

[2] Voir Hyppolite parlant d’Empédocle. Les écoles présocratiques, p. 146

[3] Hyppolite parlant d’Empédocle. Les écoles présocratiques, p. 147

[4] En quatre éléments, chaque élément consistant en deux contraires, huit en tout.

[5] Plutarque, La Création de l’âme dans le Timée, 27, II, 1026 B. Cité dans Les écoles présocratiques, p. 152

[6] Aétius, Les écoles présocratiques, p. 154

[7] Aétius, Les écoles présocratiques, p. 154

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