Les tantra étaient des traités pratiques qui contenaient les méthodes qu'un bodhisattva pouvait utiliser pour agir concrètement et avec efficacité dans le monde. Les "sciences" servant à maîtriser et diriger les circonstances de la vie et à créer plus de confort étaient imprégnées de magie. Ces bodhisattva mantrin et mandrins comme tous les autres maîtres tantriques, possesseurs de puissant mantra, étaient très recherchés par les cours royales en Inde, en Chine et ailleurs.
Au Tibet, la possession de mantra puissants valait fortune, renommée, influence et pouvoir politique. Les tantra qui étaient souvent transmis en dehors du cadre monastique s'achetaient et se négociaient à prix d'or. Les grands noms de cette époque sont ceux de traducteurs, maîtres laïques et chefs de clans comme Drokmi, Marpa, Rwa lotsāwa ("Ralo") etc. qui sont au centre des réseaux de diffusion. Ils exercent leur influence et se combattent par magie interposée. Les combats de magie dont fourmille les histoires au Tibet de cette époque sont autant de reflets de luttes d'influence.
Pour l'anecdote, voici un exemple des tarifs de certains tantra pratiqés par Ralo comme indiqués par Geu Zheunoupel ('gos gzhon nu dpal):
Śrī Vajrabhairavakalpatantrarāja pour 1 srang (env. 37,5 grammes) d'or
Sarvatathāgatakāyavākcittakṛṣṇamāri-nāma tantra (Yamāntaka toh 1920) pour 1 zho (1/10 d'un srang) d'or.
Ra lotsāwa Dordje drak (Rwa lo tsā ba rdo rje grags, ou "Ralo" né en 1016 et décédé après 1076) est un des sorciers les plus réputés dans l'histoire du Tibet. C'était un grand expert en les tantra de Vajrabhairava et Yamāntaka. Dans les hagiographies, Rwa est tenu responsable (car il s'en vante lui-même !) de la mort de treize lamas, parmi lesquels figurent le fils de Marpa, Mdo sde. Marpa lui-même avait ordonné à Milarepa de pratiquer de la magie (T. mthu, drag sngags) sur ses ennemis, comme il l'avait déjà fait pour un autre de ses disciples principaux Tshurtön ('tshur ston dbang nge). On trouvera des mentions de combats de magie dans pratiquement toutes les hagiographies de l'époque. Chez Milarepa (voir Dan Martin[1]), chez Rechungpa, chez un disciple de Rechungpa du nom de Bourgom (T. Bur-sgom), qui demanda à un de ses propre disciples, Le futur détenteur du Shangpa Kagyu, Mogchokpa (rmog cog pa) de tuer des gens par la grêle avant d'accepter de lui donner des instructions.[2] Notons que la magie dont il est question ici est bien de la "magie antique".
Rwa explique lui-même dans un chant adressé à Ngok Dodé (rngog mdo sde), le fils d'un étudiant de Marpa qui lui prie de s'abstenir de nuire aux autres :
Cette activité meurtrière que je pratique,Quelque soit l'efficacité réelle des rituels magiques, qui étaient dans le cas de Ralo (et selon certains de Milarepa aussi[4]) affiliés au tantra de Yamāntaka et justifiés par le Guhyasamāja, les intentions et la croyance en leur efficacité semblent réelles.
En termes de bien pour soi et bien pour autrui,
Elle se situe au niveau du bien pour autrui
Le but est de profiter aux êtres difficiles à convertir
Il est enseigné dans le Guhyasamāja :
"Si à travers ce type de vajra secret
L'on tue tous les êtres
On renaîtra comme un bodhisattva
Dans le paradis du Buddha Akśobhya."
Voilà ce qu'a enseigné Vajradhara.[3]
***
Illustration : xylographie de Rwa lotsawa
[1] Dan Martin, 'The Early Education of Milarepa' in The Journal of the Tibet Society, vol. 2 (1982), pp. 52-76
[2] The Rechungpa Biographies, Peter Roberts, p. 66
[3] Peter Roberts, p. 67
[4] Peter Roberts, p. 67
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