Quelques réflexions suite aux questions de Nicolas.
J'essaie sur mon blog de partir des points de vue de Maitrīpa et de Gampopa, du moins tels que je les comprends. Selon ce point de vue, l'éveil (la réalisation du dharmakāya) est unique. Pour Maitrīpa et pour Gampopa, les corps formels, donc l'activité altruiste, sourdra naturellement de cet éveil et des aspirations antérieures à celui-ci. La personne éveillée est comme le libéré-dans-la-vie (S. jīvanmukti) dans les autres traditions indiennes. Elle a toujours son conditionnement physique, son passé, ses aspirations et son activité sera en fonction de ces facteurs. C'est une approche plutôt mystique et passive. C'est l'éveil qui est dans le siège du conducteur, si on n'a pas peur d'une personnification excessive et de métaphores automobiles.
Selon un autre point de vue, les corps formels sont à édifier. Cela peut se faire à travers l'édification d'un corps immortel (S. kāyasādhana) avec ses pratiques haṭhayoguiques, l'alchimie chimique (S. rasāyana) pour endurcir le corps physique, l'alchimie génétique (une autre forme de rasāyana, recherche de mahāmudrā quasi-substantielle), le yoga du corps subtil avec son travail sur les canaux et les souffles etc. Ou un peu plus spirituel, mais toujours de manière active, l'édification d'un corps divin plus classique, que l'on connaît mieux en occident dans le milieu du bouddhisme tibétain. Ou encore des combinaisons de toutes ces méthodes. La méthode plus mystique peut être intégrée dans les méthodes plus actives comme la phase d'achèvement (S. saṁpanna-krama), mais elle n'est pas reconnue comme une méthode auto-suffisante, sauf dans des cas exceptionnels, que Jamgon Kongtrul qualifiera de troisième méthode, celles du Cœur (T. snying po'i lugs).
En fait, les instructions telles qu'elles sont présentées de nos jours sont présentées comme un ensemble cohérent. En réalité, il s'agit de différentes instructions, avec des origines différentes, nées dans un contexte différent. Elles arrivent à nous après de nombreuses réinterprétations, systématisations etc. Les hagiographies, écrites à différents moments, servent à combler des hiatus, des manques et à unifier tout cela.
La façon traditionnelle d'approcher les divergences est de les considérer comme des moyens (S. upāya) pour différents types de dispositions. La supériorité autoproclamée de chaque instruction nouvelle est, à mon avis, le moyen de promotion le plus ancien du monde pour se distinguer de l'existant.
Les autres religions, si elles utilisent des méthodes mystiques, "passives", débouchent sur un résultat très similaire si on en croit les descriptions après l'expérience. Rien ne m'empêche de croire, qu'elles ne permettront pas d'atteindre l'équivalent du dharmakāya, qui est félicité, luminosité et absence de représentation. Selon Maitrīpa, Milarepa et Gampopa (Les enseignements publics [intitulé] Les qualités excellentes T. tshogs chos yon tan phun tshogs), les corps formels sont produits spontanément à partir du dharmakāya en fonction des aspirations passées, du contexte individuel et des situations ad hoc rencontrés. Gampopa dit dans le même texte que les personnes à la vision pure et les bodhisattvas perçoivent les corps formels (d'un buddha) en fonction de leur niveau et de leur conditionnement pourrait-on ajouter. Maitrīpa dit qu'en pratiquant sans cesse une divinité, on finira par le voir partout. Il compare cela à une mère qui vient de perdre son fils unique et qui ne peut s'empêcher de penser à lui continuellement et de le voir partout. Mais pour lui, le fond des choses, y compris divines et aussi diverses qu'elles soient, est au niveau du dharmakāya. Par rapport à celui-ci, rien ne pourrait être supérieur ou inférieur.
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