vendredi 15 octobre 2010

Le pragmatisme du Kadampa Gampopa



Il existe plusieurs thèses sur la "frilosité" de Gampopa et des Kadampa de manière générale vis à vis des instructions des yogatantras supérieurs, susceptibles d'exalter l'imagination. A l'époque de la "deuxième diffusion" (T. sar ma), elles valaient littéralement de l'or. Elles s'achetaient avec de l'or et se vendaient contre de l'or (Drokmi, Marpa, Rechungpa…). Drokmi avait négocié l'exclusivité des instructions du Chemin et du fruit sur le territoire tibétain avec le maître indien Gayadhara. On rêvait d'être un Heruka et de célébrer les gaṇacakra comme les maîtres d'antan les célébraient en Inde avec de la véritable chair humaine récupérée dans les charnières (Tsangnyeun). On rêvait de devenir un vidyādhara à travers la pratique du yoga sexuel (S. karmamudrā) afin d'obtenir des pouvoirs surnaturels (S. siddhi) et de pouvoir se rendre dans les plans célestes (S. khecarī). Il suffit de lire les hagiographies de Rechungpa, quand celui-ci logeant dans une chambre en dessous de son maître Tipupa et sa femme ne résiste pas à la tentation d'aller voir comment ça se pratique. S'il s'agit sans doute d'une fiction autour de Rechungpa, il s'agit quand même de la curiosité de leurs auteurs et de ceux qui s'identifiaient avec Rechungpa. Les yogatantra supérieurs avaient créé un sacré buzz, cela est hors de doute.

L'indifférence ou le refus de la part des maîtres Kadampa, y compris Gampopa, n'est pas dû à de la pudibonderie excessive ou à une psychorigidité de la part de moines face au buzz des yogatantra supérieurs introduits par des aventuriers laïques. On ne peut pas dire non plus qu'il s'agissait d'instructions auxquelles ils n'avaient pas eu accès, qu'ils ne connaissaient pas ou qui leur étaient passées devant le nez dans des transmissions voisines. Atiśa avait reçu une formation très complète. Il est probable que certaines instructions sont apparues après et qu'il fallait leur trouver des lignées de transmission et une place dans les hagiographies des grands maîtres.

Non, la raison du manque d'enthousiasme pour ce nouveau buzz de la part de Gampopa et de la lignée Kadampa en général en est très simplement une de pragmatisme et d'efficacité. Dans l'extrait ci-dessous, Gampopa nous parle d'un géshé Kadampa qui connaissait une instruction de mantra secret du domaine de l'inconcevable (T. gsang sngags kyi chos bsam gyis mi khyab pa zhig). Il s'agit sans doute des instructions de l'Acintyākramopadeśa (T. bsam gyis mi khyab pa'i rim pa'i man ngag) attribué à Kuddāla(pāda)/Koṭali (T. tog tse pal’homme à la pioche”). Gampopa cherche ici à faire de l'effet en mentionnant un des enseignements les plus ésotériques, que l'on retrouve aussi dans les Neuf cycles de l'école Sakyapa. Il nous parle aussi du grand traducteur Rinchen Zangpo (T. rin chen bzang po 958-1055), qui avait traduit de très nombreux tantras, les uns plus ésotériques que les autres, avec seize panditas indiens. Quand vers la fin de sa vie, il rencontre Atiśa, celui-ci le fait pratiquer la méditation sur l'impermanence…

Voici l'extrait des "Enseignements publics [intitulé] Les qualités excellentes"[1]
Le Seigneur Gampopa dit :
Si les pratiquants du buddhadharma de tous les niveaux s'y consacrent entièrement (T. blo nges), toutes les instructions reçues seront profondes. S'ils ne s'y consacrent pas entièrement, aucune instruction ne sera profonde. Le kalyāṇamitra ('brom) ston pa (1004-1064) connaissait une instruction du guhyamantra inconcevable. Quand il rencontra Atiśa, celui-ci lui dit de se consacrer aux [Instructions graduelles des] trois types d'individus. En se consacrant continuellement à développer la bienveillance et l'altruisme, tout le monde eut confiance en lui. Actuellement, les instruction que les Kadampa donnent sont celles du Chemin graduel des trois types d'individus (Lamrim).

Il en va de même pour le traducteur Rinchen Zangpo, qui avant [Atiśa] avait connu seize pandita [indiens]. Comme pratique, [Atiśa] lui avait dit de comprendre que tous les phénomènes sont éphémères.

En fait, quand on parle "d'individu de capacité inférieure", [on veut dire] le fondement, qui consiste en les instructions destinées aux individus de capacité inférieure. Si on les met en pratique, les souffrances d'une existence infernale nous effraieront. Faisant confiance en le rapport entre les causes et leurs effets, on reculera devant les actes négatifs. Certes, on appelle [les individus qui ont cette motivation] "de capacité inférieure", mais il est dit :

"Les gens du monde les considèrent comme authentiques
Quel "grand" a [ces capacités] ?
Même pendant mille existences
Ils ne chuteront [pas une seule fois] dans les destinées malheureuses"

***
Illustration : Gampopa à Gampo

[1]tshogs chos yon tan phun tshogs

Texte tibétain Wylie

yang rje dwags po rin po che'i zhal nas/sangs rgyas kyi bstan pa'i rim pa mtha' dag la blo nges su 'dod na/chos gang bshad kyang zab/blo nges su ma 'dod na chos gang bshad kyang mi zab gsung*/dge bshes ston pas gsang sngags kyi chos bsam gyis mi khyab pa zhig mkhyen te/jo bo dang mjal nas skyes bu gsum la blo nges/dus rtag tu byams pa dang snying rje la blo nges pas/'gro ba thams cad khong la dad par gyur pa yin/da lta bka' gdams kyi bstan pa dar bar byed pa khong gi skyes bu gsum la byed pa yin/de bzhin du lo ts+tsha ba rin chen bzang pos de'i gong du paN+Di ta bcu drug dang mjal te/nyams len la chos thams cad mi rtag par go ba de yin/skyes bu chung ngu ni gzhi skyes bu chung ngu'i chos la byas nas/nyams su ci len na ngan song gi sdug bsngal la 'jigs nas/las 'bras la yid (5ba)ches pas mi dge ba la rnam par 'dzem pa de yin/de la ming skyes bu chung ngu ru btags kyang*/'jig rten pa yis yang dag lta//chen po su la yod gyur pa//mi de tshe rabs stong du yang*//ngan 'gro dag tu ltung mi 'gyur//zhes gsung pa'o//

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