La théologie est « la science de Dieu, de ses attributs, de ses rapports avec le monde et avec l'homme ». La « bouddhologie » (buddhology en anglais) est définie comme la science du Bouddha ou de l’état de Bouddha. Qu’est-ce que le Bouddha ? Bouddha est le nom donné à un sage dit « éveillé » il y a 2500 ans environ. Quand ce Bouddha parlait lui-même de sa véritable nature et de son éveil, il utilisait le terme « tathāgata ». Richard Gombrich expliqua dans ses conférences Numata (en 2006) que lorsque « gata » (aller) est utilisé dans des mots composés de ce type, il perd son sens premier d’aller et signifie simplement « être ». Le tathāgata est alors « celui qui est comme cela ».[1]
Le Bouddha historique a rappelé à plusieurs reprises que le véritable Bouddha/tathāgata n’était pas son corps et ses attributs (rūpakāya). « Celui qui me voit, voit le dhamma ; celui qui voit le dhamma me voit. » Le Bouddha n’est pas non plus un autre, autre que nous-mêmes. Dans le Milindapañho III.5.18 le moine Nāgasena dit : "De même on ne peut désigner le Bienheureux comme étant ici ou là. Mais il peut être désigné par le Corps de la Loi (dhammakāya) : car la Loi a été enseignée par lui." Dans les légendes des vies antérieures du Bouddha (S. avadāna T. rtogs brjod) comptées parmi les textes du mahāyāna, on trouve l'affirmation "Le Tathāgata ne peut être vu par son corps formel (S. rūpakāya)".
La définition du dhammakāya a évolué depuis l’époque de Nāgasena et avec l’apparition du triple Corps (trikāya), le Corps de réalité (dharmakāya) est toujours le véritable Bouddha-en-soi, mais celui-ci n’est plus le Bouddha complet, c’est-à-dire manifesté et présent dans le monde. Cette façon de parler n’est pas appropriée à la bouddhologie et nous vient de la théologie. Mais elle nous permettra de comparer ce qui est comparable. En fait, selon Rongzompa et d’autres avant et après lui, le Bouddha complet n’est autre que le dharmadhātu, le dharmakāya manifeste pour ainsi dire. Cela pourrait évoquer l’idée d’une séparation entre le dharmakāya (sujet, âme…). Par exemple, quand on parle de la nature de bouddha (tathāgata-garbha) que tous les êtres posséderaient :
« Pour quelles raisons les êtres possèdent-ils tous la nature de bouddha ? Parce que le corps absolu [dharmakāya], la vacuité, imprègne tous les êtres ; parce que dans le réel [dharmatā=nature des choses], l’ainsité [tathātā=ce qui est comme cela], il n’est pas de distinctions, et parce que tous les êtres ont le potentiel de l’éveil. »[2]Les termes « posséder » « imprégner » et « potentiel » peuvent suggérer un élément étranger (bien que "plus intime que l'intime de soi-même") que les êtres pourront posséder ou pas, ou dont ils pourront être imprégnés ou pas. Il ne s’agit pas d’un élément pur ou actif dans un corps autrement impur ou inerte, et qui peut entrer et sortir de celui-ci. Il s’agit de la vacuité. Il n’y a pas de cause première et une création, ni une cause première et une émanation de celle-ci, ou une animation de la matière.
« Quand on dit que le corps absolu [dharmakāya], la vacuité, imprègne les êtres, on veut dire que le Bouddha est le corps absolu, que le corps absolu est la vacuité, et que la vacuité imprègne tous les êtres. »[3]La vacuité n’est pas rien, elle est tout et comprend tout. Elle n’est pas un tout inerte, mais un tout conscient, si on doit utiliser ce mot. Ici, le corps de réalité (dharmakāya) n’est pas pris dans un sens « trikāya » où il désignerait seulement un des trois corps du Bouddha. Non, le Bouddha est le dharmakāya, qui est la vacuité (le tout animé et inanimé si on doit faire ces distinctions, façon théologie). Si le Bouddha est le corps de réalité (qui est la vacuité), et que les êtres ne sont autres que la vacuité, les êtres sont au fond le Bouddha. Comme pour le Bouddha, celui qui voit « des êtres » ne les voit pas vraiment. Celui qui voit le dhamma les voit vraiment. Et évidemment, celui qui voit celui qui voit ne le voit pas vraiment…
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Bouddho = ce qui connaît
[1] Source : Jayarava
[2] Le précieux ornement de la libération, Gampopa, éd. Padamakara, p. 32 T. 'o na rgyu mtshan ci'i phyir sems can sangs rgyas kyi snying po can yin zhe na/chos sku stong nyid kyis sems can la khyab pa'i phyir dang /chos nyid de bzhin nyid la dbye ba med pa'i phyir dang /sems can thams cad la rigs yod pa'i phyir te/
[3] Le précieux ornement de la libération, Gampopa, éd. Padamakara, p. 32 T. chos sku stong nyid kyis sems can la khyab pa zhes pa ni/ sangs rgyas ni chos kyi sku yin la/chos sku ni stong nyid yin te/stong nyid des sems can thams cad la khyab pa'i phyir na yang /sems can sangs rgyas gyi snying po can yin pa'o/
The point about how "gata" can have a different meaning in compounds can be found in Coulson's Teach Yourself Sanskrit (rev. ed.) p.93. Also in Macdonell's A Sanskrit Grammar for Students on p. 171, note 4.
RépondreSupprimerGombrich's 2006 Numata lectures are now published as What the Buddha Thought (2009) (see p.151-2 for his comments on tathāgata).