Depuis très tôt, il y a eu des critères pour juger si une doctrine pouvait être qualifiée de bouddhiste ou non. Les critères acceptées par la plupart de bouddhistes sont les fameux quatre critères[1], aussi quelquefois appelées. Le credo du bouddhiste. Il s’agit en fait des trois caractéristiques de l’existence (impersonnalité, impermanence et insatisfaction) augmentées d’une quatrième (qui nous vient de la Chine apparemment) qui dit « L’apaisement (de tous les liens), c’est le nirvāṇa. »[2]
Dans les années 90, il y a eu des débats au Japon sur l’orthodoxie de la doctrine de la nature de Bouddha (tathāgatagarbha) en tant que doctrine bouddhiste. La première saillie venait de deux universitaires appartenant au secte Zen Sôtô : Hakayama Noriaki et Matsumoto Shirô. Ils contestaient plus particulièrement l’idée que tous les composés/toutes les choses soient originellement éveillés (J. hongaku shisô[3] T. ye nas sangs rgyas pa), telle qu’on la trouve développée p.e. dans le Traité de la naissance de la foi dans le grand véhicule. Elle est une idée fondamentale du ch’an et des méthodes de l’éveil subite, mais pour d’autres l’idée que les êtres sont déjà fondamentalement éveillés contredit la loi de la causalité.
Selon nos deux compères, la doctrine de la nature de Bouddha (tathāgatagarbha) contredirait la caractéristique d’impersonnalité (anattā) et la théorie de la coproduction conditionnée (pratītyasamutpāda) et elle poserait un substrat, une base (« locus ») à partir duquel tout émergerait. A ce substrat, ils ont donné le nom « dhātu » (élément) et à la doctrine qui affirme l’existence d’un locus/topos (dhātu) le nom « dhātu-vāda ». Le plus grand désavantage du « dhātu-vāda » est selon eux qu’en posant une même réalité sous-jacente pour toute chose, sans distinguer entre bien et mal, riche et pauvre etc., il n’y a plus aucune incitation à réparer les injustices ou de défier le status quo.[4] La réalité sous-jacente du dhātu-vāda, où tout est foncièrement égal, produit ou cautionne ainsi en surface de la discrimination et de l’injustice. Cela rejoint un peu les arguments du non-bouddhisme spéculatif contre « le Dharma ».
Le « dhātu » de nos compères est traité comme une essence, un ātman, et c’est en cela qu’il est non-bouddhiste. Hakayama indique ses propres critères du bouddhisme.
1. La doctrine fondamentale du Bouddha est celle de la coproduction conditionnée (pratītyasamutpāda) en réaction contre l’idée d’une ātman/essence substantielle. Toute idée véhiculant une substance sous-jacente (topos) sera taxée de dhātu-vāda. Quelques exemples sont : l’ātman en Inde, la « nature » (J. shizen C. ziran) en Chine, l’éveil foncier ou originel (J. hongaku) au Japon etc.
2. L’impératif moral du bouddhisme est d’agir de façon désintéressée (anātman) dans l’intérêt de tous. Toute injonction religieuse qui donne la priorité à soi au détriment des autres serait en contradiction avec le bouddhisme.
3. Le bouddhisme a besoin d’adhésion, de discours et d’intellect (prajñā), afin de pouvoir opter pour la vérité de la coproduction conditionnée. C’est une distanciation de l’approche anti-intellectuelle, comme on peut en trouver dans diverses écoles bouddhistes.[5]
Ce sujet est débattu en long et en large dans les différents essais de Pruning the Bodhi Tree, qu’on ne peut recommander assez.
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[1] « Tous les composés sont impermanents (P. sabbe saṅkhara annicā)
Tous les composés sont souffrance (P. sabbe saṅkhara dukkhā)
Toutes les choses (dharma) sont sans soi (P. sabbe dhammā anatta)
La destruction (de tous les liens), c’est le nirvāṇa (S. śantaṁ nirvāṇaṁ). »
[2] S. śantaṁ nirvāṇaṁ.
[3] Hongaku correspond au terme chinois « Ben Jue » (本覺), traduit en anglais comme "inherent", "innate", "intrinsic" ou encore "original"
[4] Paul L. Swanson, Why they say zen is not buddhism, dans Pruning the Bodhi-tree, p. 6-7
[5] Paul L. Swanson, Why they say zen is not buddhism, dans Pruning the Bodhi-tree, p. 13-14
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